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Allocution et réponses aux questions des médias du Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse sur le bilan de l'activité diplomatique russe en 2023, Moscou, 18 janvier 2024

52-18-01-2024

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir à notre réunion traditionnelle. Elle se déroule chaque année juste après les vacances de Noël et du Nouvel An. Tous mes vœux à tous ceux qui célèbrent ces fêtes pour cette nouvelle année, que nous voulons tous rendre meilleure dans tous les sens du terme. Le président russe Vladimir Poutine en a parlé en détail.

Nos projets de développement interne sont clairement définis. Le gouvernement de la Fédération de Russie y travaille activement. Récemment, plusieurs réunions ont eu lieu entre le président Vladimir Poutine et des membres du gouvernement sur divers domaines visant à assurer le mouvement durable de notre économie dans les conditions actuelles dues aux politiques illégales agressives des États-Unis et de leurs satellites. L’objectif est clair: se débarrasser de toute dépendance des chaînes de production et de vente, financières, bancaires et logistiques, qui sont d’une manière ou d’une autre contrôlées ou fortement influencées par des collègues occidentaux. Ce cap est clairement défini dans les décisions qui ont été prises et qui seront prises.

Sur le plan de la politique étrangère, les axes principaux pour un avenir prévisible ont également été déterminés. En mars 2023, le président Vladimir Poutine a approuvé le Concept de politique étrangère de la Fédération de Russie dans sa nouvelle édition radicalement révisée, basée sur les réalités du monde contemporain. L’Occident a prouvé sa totale incapacité à négocier et son manque de fiabilité en tant que partenaire dans tous les projets. La majorité mondiale ne veut pas se résigner à une approche aussi égoïste et veut se développer en pleine conformité avec ses intérêts nationaux, avec les intérêts de chaque pays et dans le plein respect des principes de la Charte des Nations unies, à commencer par le respect de l'égalité souveraine de l'État. Depuis l'adoption de la Charte en 1945, pas une seule action de politique étrangère de l'Occident sur la scène internationale n'a pris en compte ou respecté le principe (tel qu'énoncé dans la Charte) de l'égalité de tous les États, grands et petits, indépendamment de leurs valeurs, religions et, en général, des traditions qui y existent.

Sur le plan de la politique étrangère, nous avons clairement défini des lignes directrices pour développer des relations avec ceux qui sont prêts à le faire sur une base égale, mutuellement bénéfique et mutuellement respectueuse, à travers un dialogue franc, des négociations visant à trouver un équilibre des intérêts et pas des solutions qui répondent aux plans égoïstes unilatéraux de quelqu'un, comme cela se manifeste dans les discussions impliquant l'Occident avec les États-Unis en tête.

L’année écoulée a montré un rejet des pratiques traditionnelles de l’hégémon occidental, qui sont entièrement basées sur leurs propres intérêts égoïstes et ne tiennent pas compte des opinions des autres. Oui, gouverner le monde entier pendant 500 ans et n’avoir aucun concurrent sérieux pendant presque toute cette période (à l’exception peut-être de la période soviétique) contribue probablement au rôle d’hégémon. Mais la vie avance, de nouveaux centres de croissance économique, de pouvoir financier et d’influence politique émergent et sont déjà devenus forts, bien en avance dans leur développement sur les États-Unis et d’autres pays occidentaux.

Je suis sûr que vous êtes au courant de nos évaluations du développement des relations avec la République populaire de Chine. Il s’agit de l'économie à croissance la plus rapide, ainsi que l'Inde. Les relations avec la Chine traversent la meilleure période de leur histoire séculaire. Il est particulièrement précieux pour nous que Xi Jinping, en mars 2023, ait effectué à Moscou sa première visite d'État après sa réélection à la présidence de la République populaire de Chine. À son tour, le président Vladimir Poutine s'est rendu en Chine en octobre 2023 pour participer au troisième Forum international des Nouvelles routes de la soie.

Les relations de partenariat stratégique particulièrement privilégié avec l’Inde progressent. Ici aussi, un dialogue régulier s'est instauré au plus haut niveau, des contacts entre les départements sectoriels et les ministères des Affaires étrangères sont en cours.

En parlant de notre environnement proche, il s’agit bien sûr des pays du Moyen-Orient, de l’Iran, de la Turquie, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Qatar. Bien entendu, nous souhaitons développer nos relations non seulement par les canaux bilatéraux, mais également avec les structures régionales créées par nos nombreux partenaires. Je parle du Conseil de coopération des États arabes du Golfe, de la Ligue des États arabes, de l’Asean, de l’Union africaine, de la Communauté des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, etc.

Nous faisons passer notre partenariat avec les pays africains à un niveau véritablement stratégique. Cela a été confirmé lors du deuxième sommet Russie-Afrique tenu en juillet 2023 à Saint-Pétersbourg.

La conférence parlementaire internationale Russie-Amérique latine, qui s'est tenue en automne 2023, a marqué une étape importante dans le développement de nos relations avec le continent latino-américain. Nous considérons l'Afrique, l'Amérique latine et les pays asiatiques comme des centres indépendants émergents d'un monde multipolaire.

Nous avons travaillé activement sur le site de l'ONU. Le Groupe des Amis pour la Défense de la Charte des Nations unies y a été créé et fonctionne avec succès depuis plusieurs années. Dans son cadre, des déclarations communes sont adoptées sur des questions fondamentales du développement mondial. Ce groupe encourage activement le travail de l'Assemblée générale dans son ensemble, en promouvant les initiatives communes, y compris russes. Nous soutenons les idées de nos partenaires sur ce groupe.

Je voudrais souligner un événement très important, à savoir l'adoption lors de la 78e session de l'Assemblée générale des Nations unies de la résolution sur la lutte contre la glorification du nazisme, du néonazisme et d'autres pratiques qui contribuent à l'escalade des formes modernes de racisme, de discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Malgré les efforts de l’Occident, elle a été acceptée par une écrasante majorité des voix. Mais je voudrais souligner que pour la deuxième fois l'Allemagne, l'Italie et le Japon ont voté contre. Les pays de "l'Axe", qui, à un moment donné, après la défaite de la Seconde Guerre mondiale, se sont publiquement repentis des crimes commis pendant cette guerre et ont assuré tout le monde que cela ne se reproduirait plus. Le fait que ces deux dernières années ces deux États aient voté contre une résolution exigeant d'empêcher la résurgence du nazisme suscite de sérieuses réflexions et nous fait réfléchir dans quelle direction se développent ces processus idéologiques non seulement dans ces États, mais en Occident dans son ensemble.  

Nous avons également travaillé de manière constructive dans d’autres formats. Ici, il est nécessaire de mettre en avant nos alliés les plus proches. Cela concerne l'État de l'Union de la Russie et de la Biélorussie, ainsi que l'Organisation du Traité de sécurité collective, dans le cadre de laquelle nous avons promu les objectifs visant à assurer la stabilité dans toutes ses dimensions, y compris la protection purement militaire, biologique et, en général, contre de nouveaux défis et menaces, tels que le terrorisme, le trafic de drogue et d’autres types de crime organisé. Dans l'Union économique eurasiatique, des décisions importantes ont été prises visant à approfondir l'intégration eurasienne, à conjuguer ces processus à des projets tels que le projet chinois Nouvelle route de la soie, à l'interaction avec l'Organisation de coopération de Shanghai, avec l'Asean et avec toutes les autres structures et pays situé sur notre vaste continent eurasien commun.

Cette année, la Russie est devenue présidente de la CEI. Nous avons l'intention de poursuivre les projets utiles lancés en 2023. En particulier, nous accorderons une attention particulière à l'Organisation internationale de la langue russe, créée lors du sommet de Bichkek en automne 2023. Cette initiative du Kazakhstan a été approuvée par tous les membres du Commonwealth. Cette organisation est ouverte à la participation de n'importe quel État du monde. Nous savons que la langue russe est populaire sur tous les continents et nous espérons qu'il y aura de nombreux participants intéressés.

J'ai évoqué l'Organisation de coopération de Shanghai comme un projet "parapluie", dans le cadre duquel, avec l'Union économique eurasiatique, dans le contexte de l'interaction avec l'Asean et d'autres structures sous-régionales, nous contribuons à la formation objective et naturelle du Grand partenariat eurasien, dont le président russe Vladimir Poutine a parlé lors du premier sommet Russie-Asean. Les contours d’un tel partenariat sont déjà visibles.

Dans les conditions actuelles, un partenariat économique qui répond aux intérêts de tous les pays de notre continent commun est important. Dieu lui-même nous a commandé d’utiliser ces avantages compétitifs objectifs liés à l’emplacement dans un seul espace, qui est depuis longtemps le moteur de la croissance économique mondiale. Elle conservera ce rôle pendant de nombreuses années. Mais outre les projets économiques mutuellement bénéfiques, il est important d’assurer sur cette base, indépendamment d’autres facteurs, la sécurité militaro-politique en Eurasie. Nous plaiderons pour que cette tâche soit résolue par les pays du continent sans tentatives de la part des États extrarégionaux de s'ingérer dans ces processus avec leur propre "charte". Nous sommes convaincus que les pays d’Eurasie sont tout à fait capables d’y faire face tout seuls.

J'ai énuméré diverses structures régionales, mais il existe également une structure suprarégionale et mondiale. Elle s’appelle Brics et symbolise la richesse d’un monde multipolaire. Une étape particulièrement importante dans le renforcement de la position des Brics a été la décision prise lors du sommet de l’année dernière en Afrique du Sud d’augmenter le nombre de participants à cette association. La Russie, depuis le 1er janvier 2024, est devenue présidente des Brics et elle veillera particulièrement à ce que les nouveaux participants s'intègrent dans le travail global et contribuent ainsi au renforcement des tendances positives non seulement au sein de l'association en tant que telle, mais également sur la scène internationale dans l'intérêt de la majorité mondiale. Étant donné que plus de 20 pays (même plus près de 30) sont intéressés par un rapprochement avec les Brics, nous voyons un grand avenir pour cette association avec une large composition de participants.

Comme auparavant, nous avons accordé la priorité à la protection des intérêts et des droits légitimes des citoyens russes à l'étranger. Vous savez très bien à quel point ils sont discriminés dans les pays de l’Occident collectif. Beaucoup d’entre vous écrivent à ce sujet contrairement à vos collègues occidentaux, qui tentent de plus en plus de cacher la vérité sur ce que ressentent les journalistes dans les pays de "démocraties établies" (excusez-moi pour cette expression). Mais outre les problèmes quotidiens auxquels nos citoyens sont confrontés aux États-Unis, en Europe et dans d’autres pays, les situations d’urgence, qu’elles soient naturelles ou provoquées par l’homme, ne disparaissent nulle part.

Ces derniers temps, nous avons activement contribué à l'évacuation des Russes et des citoyens des pays de la CEI et de certains autres États de la bande de Gaza. Et quelques mois auparavant, depuis le Soudan, où un conflit interne avait également éclaté.

En termes de diplomatie publique, je voudrais souligner une étape importante dans son développement, comme la création en mars 2023 du Mouvement international des russophiles - une association informelle de personnes vivant sur différents continents et ressentant une proximité spirituelle et culturelle avec la Russie. L’assemblée constitutive de ce Mouvement a eu lieu. Son premier congrès à part entière est prévu pour le premier semestre de cette année.

Nous continuons à promouvoir les idéaux de vérité et de justice dans les affaires internationales. Nous ferons tout pour rendre les relations internationales plus démocratiques. En ce sens, notre ministère soutient activement l'initiative du parti Russie Unie visant à organiser à Moscou un Forum international interpartis des partisans de la lutte contre les pratiques modernes du néocolonialisme. Un sujet opportun, étant donné que le fond néocolonialiste, l'essence de la politique occidentale, est largement présent dans les actions actuelles des États-Unis et de leurs alliés. Son sens reste le même: utiliser les ressources des autres à son profit et vivre aux dépens des autres. Le prochain Forum promet d'être un événement très intéressant et important.

Un certain nombre d'événements internationaux importants de l'agenda culturel se prépare en Russie. Parmi eux, le Festival mondial de la jeunesse. Il reste très peu de temps avant son ouverture. Jeux du futur - une combinaison de sports physiques et d'esports, jeux sportifs des pays des Brics. Les deux derniers auront lieu à Kazan (les Jeux du Futur en février et les Brics en été 2024).

Un concours international de la chanson Intervision est en cours de préparation. De nombreux pays de la majorité mondiale ont souhaité à y participer. Nous ferons tout notre possible pour que tous nos invités qui viennent aux événements mentionnés et à de nombreux autres événements ressentent la cordialité et l'hospitalité russes, comme c'était le cas en 2018, lorsque nous avons accueilli la Coupe du monde de football.

Pour conclure, je voudrais réaffirmer notre caractère ouvert à la communication avec les journalistes dans de différents formats. J'espère que les représentants du ministère ici présents ne méritent pas qu'on leur reproche d'avoir évité de communiquer avec les journalistes. Mais les autres membres de la direction du ministère des Affaires étrangères, les chefs de départements et nos employés (surtout lorsqu'ils font partie d'une délégation à des événements internationaux) sont simplement obligés de parler de notre travail et de s'assurer que nos activités soient claires et transparentes. C’est exactement ce que nous cherchons à faire.

Question: Que pensez-vous, si des élections ont lieu en Ukraine cette année, une personne prête à dialoguer avec la Russie peut-elle accéder au pouvoir? Dans quelle mesure est-il essentiel pour la Russie concernant le règlement du conflit que Kiev conclue un accord de sécurité avec Londres et, par la suite, avec d'autres pays du G7? Cela signifie-t-il que l'Ukraine n'aura pas de statut neutre?

Sergueï Lavrov: Honnêtement, nous ne sommes pas trop préoccupés par la "ponctuation" dans le contexte de la discussion sur la vie politique ukrainienne. Les élections ont été évoquées. Nous avons entendu que l'Occident conseille vivement à Vladimir Zelenski d'organiser de telles élections, apparemment en espérant que la campagne électorale et le vote en soi le ramèneront dans le sillon des intérêts occidentaux. Car il se rebelle de plus en plus.

Vladimir Zelenski a publiquement annoncé qu'il n'organisera pas d'élections, car il y a une guerre. Cela ressemble à une autre mise en scène et reflète uniquement le désir de cette personne et de ses "acolytes", bien connus de tous, de s'accrocher autant que possible au pouvoir. C'est ainsi que je le vois.

L'Occident aimerait avoir plus de flexibilité. Apparemment, ils ont compris que le "blitzkrieg" tant vanté visant à infliger une "défaite stratégique" à la Russie n'était qu'illusion, et la situation a radicalement changé. Surtout dans les esprits occidentaux. Ils ont réalisé leur erreur. Il est difficile de l'admettre. Cela se traduit par le fait qu'ils recherchent actuellement des signaux extérieurs, permettant à la fois de soutenir l'Ukraine et, d'autre part, de pousser Kiev à devenir plus docile et à obéir à ses chefs occidentaux. Il m'est difficile de dire dans quelle mesure cela sera mis en œuvre.

Concernant la deuxième partie de votre question, cette histoire n'est pas nouvelle. Il y a quelques mois, lorsqu'il y avait des "conflits" en Occident concernant l'acceptation de l'Ukraine dans l'Otan ou dans l'Union européenne. Tout le monde n'était pas favorable, tout le monde n'était pas heureux, tous comprenaient parfaitement que c'était une autre étape complètement insensée, irresponsable et risquée pour la sécurité européenne. L'idée de conclure des accords bilatéraux avec certains pays occidentaux a été inventée comme une sorte de "demi-produit". J'ai entendu parler du contenu du document convenu entre Vladimir Zelenski et le Premier ministre britannique Rishi Sunak. Je n'ai vu dans son analyse aucune disposition juridiquement contraignante, à moins de considérer comme telles les obligations de l'Ukraine en cas d'attaque contre le Royaume-Uni de fournir une défense à ces îles. Assez anecdotique. Mais d'un autre côté, cela peut être vu comme la continuation du genre du Studio Kvartal-95. Peut-être qu'il sera maintenant appelé différemment.

Nous ne nous opposons pas aux accords que d'autres pays concluent avec l'Ukraine. Mais cela ne change en rien notre objectif. Cela a été récemment confirmé par le Président Vladimir Poutine. Nous allons atteindre les objectifs de l'opération militaire spéciale de manière conséquente et persistante. Nous les atteindrons.

L'Occident envoie périodiquement certains signaux, puis il se rétracte. Nous les prenons philosophiquement. Le Président Vladimir Poutine a répété à maintes reprises que la Russie n'excluait pas les négociations. Il l'a dit encore en 2022, lorsque sous la direction de Boris Johnson et d'autres Anglo-Saxons, Kiev s'est vu interdire de signer l'accord de règlement déjà convenu avec la Fédération de Russie. Cette histoire est bien connue. Cela s'est passé en avril 2022. En parlant de cela en 2022, le Président Vladimir Poutine a encore une fois dit que nous ne refusions pas les négociations. Mais ceux qui refusent doivent comprendre que plus ils tardent, plus il sera difficile de négocier. Nous voyons maintenant la réalisation de cette prophétie. Il n'y a aucun espoir que la Russie soit "vaincue". Cela a été dit à maintes reprises. Ceux qui n'ont pas appris l'histoire (il y en a beaucoup en Occident) et la géographie, en savent peu, ils peuvent fantasmer sur ces sujets. Ou écrire un autre scénario pour le susmentionné Kvartal-95. Mais cela n'aura aucun rapport avec la réalité.

Question: Permettez-moi d'abord de vous féliciter pour la nouvelle année et de vous souhaiter, ainsi qu'au peuple russe, des victoires sur tous les fronts.

Les États-Unis créent des "coalitions politiques et militaires internationales" qui commettent des agressions contre le Yémen, continuent de soutenir et d'encourager Israël dans le génocide du peuple palestinien et dans les actions militaires contre les peuples de Syrie et du Liban. Comment Moscou évalue-t-il ces actions?

Sergueï Lavrov: Nous avons fait à plusieurs reprises des déclarations publiques évaluant la situation au Moyen-Orient. Pas seulement dans la bande de Gaza, mais aussi dans l'ensemble des territoires palestiniens et autour du Liban, de l'Irak et notamment autour du Yémen.

Incontestablement, les États-Unis, avec les Anglais et certains de leurs autres alliés, ont violé, piétiné toutes les normes imaginables du droit international, y compris la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Celle-ci appelait simplement à protéger la navigation commerciale. Personne n'a autorisé à bombarder le Yémen. De même, personne n'avait autorisé l'Otan à bombarder la Libye en 2011. Il y avait alors une résolution déclarant la création d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus du territoire libyen. Cela signifiait que l'aviation libyenne ne volerait pas. Elle ne volait pas. Il n'y avait même pas de prétexte tiré par les cheveux pour utiliser la force là-bas. Mais le pays a été bombardé, transformé en un "trou noir". Jusqu'à présent, personne ne peut rassembler l'État libyen. Un énorme nombre de réfugiés a afflué vers l'Europe, qui en souffre. Mais les Américains et les Anglais ne souffrent pas. Des terroristes que l'Occident a utilisés pour renverser M. Kadhafi se sont précipités vers le centre de l'Afrique.

La même anarchie est observée dans ce qui se fait actuellement au Yémen. Tout le monde le comprend. Les déclarations justificatives venant de Washington semblent, je dirais, très pathétiques.

Récemment à Davos, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré que tous les pays du Moyen-Orient souhaitaient la présence des États-Unis dans la région et voulaient que les États-Unis y jouent un rôle de premier plan. Il m'est difficile de juger dans quelle mesure les pays de la région le souhaitent. Il faut leur demander. Mais un pays, l'Irak, a déjà décidé il y a plusieurs années, disant que, chers messieurs américains, merci beaucoup, vous avez été nos hôtes, vos bases militaires étaient ici, voyons comment nous pouvons terminer cela et vous raccompagner chez vous. Les Américains ne partent simplement pas.

Très récemment, des voix se sont élevées à nouveau à Bagdad concernant la réticence des Américains de s'en aller, bien qu'ils aient été invités à partir depuis longtemps. Il est particulièrement regrettable que le secrétaire d'État Antony Blinken ait également mentionné que seuls les États-Unis pouvaient jouer un rôle de médiateur et parvenir à un règlement entre les Palestiniens et les Israéliens. Il en a parlé. Nous entendons et savons à propos de ces contacts "mi-clos" impliquant les États-Unis, Israël, et certains États arabes. Mais tous ces contacts n'impliquent pas de dialogue direct entre Palestiniens et Israéliens. Ils supposent que des "adultes" vont s'entendre quelque part sur la façon dont les Palestiniens vont vivre à l'avenir, et puis leur présenter cela. Cela ne réussira pas. Seul le dialogue direct, qui doit être rétabli, est nécessaire. Il a eu lieu, a été difficile, mais des progrès ont été réalisés avec le soutien du quartet des médiateurs internationaux. Nous avons constamment plaidé pour que les représentants de la Ligue des États arabes soient obligatoirement impliqués dans l'activité du quartet (États-Unis, Russie, ONU et Union européenne). Cela a malheureusement été bloqué par les Américains et les Européens. Et puis les États-Unis ont complètement dissous, comme ils le pensent, le quartet, monopolisant tout le processus de médiation.

Au fait, en septembre 2023, le conseiller à la sécurité nationale du président des États-Unis, Jake Sullivan, a déclaré qu'il n'y avait jamais eu une telle période de calme au Moyen-Orient que ces dernières années. Un mois plus tard, un conflit a éclaté dans la bande de Gaza. Ici, nous devons compter sur le travail collectif, auquel les États-Unis ne sont plus habitués. Ils ont l'habitude de dicter.

Mardi prochain, une session spéciale du Conseil de sécurité de l'ONU sur cette question aura lieu. Nous prévoyons d'y participer. Je dois me rendre à New York à cette fin. Nous y présenterons nos propositions, visant précisément à renouveler les principes collectifs, et non à essayer de régler en solitaire. Et pas seulement là. Après tout, les États-Unis veulent promouvoir leur ordre du jour dans le monde entier. Nous verrons.

La vie devrait, espérons-le, enseigner des leçons aux collègues occidentaux. Et les pays de la région doivent insister sur le fait qu'ils doivent y vivre et que la sécurité de tous les États situés là-bas est de la plus haute importance. Probablement personne ne prévoit d'interdire les conseils de l'extérieur, mais les décisions finales doivent être prises par les locaux eux-mêmes.

Le principal axe des efforts devrait être la création d'un État palestinien en pleine conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Un État qui (comme indiqué dans ces résolutions) serait viable et existerait en sécurité et en bonne entente avec Israël et les autres pays de la région. Sans cela, quoi qu'il arrive, nous verrons des récidives de violence, comme celle observée actuellement à Gaza. Sans la création d'un État palestinien, son peuple continuera de se sentir lésé, de vivre dans des conditions d'injustice. Génération après génération, les jeunes Palestiniens ressentiront cette injustice et la transmettront à leurs enfants. Il faut mettre un point final. Ce point final devrait être la création d'un État palestinien. J'espère que finalement, les autorités israéliennes en viendront à cette conclusion. Pour l'instant, là-bas, beaucoup de gens ne considèrent pas cela comme acceptable pour Israël. Comme on dit, rien ne peut être fait, sauf mener un travail explicatif. Mais sans la création d'un État palestinien, la sécurité fiable d'Israël ne peut être assurée.

La Russie souhaite qu'Israël et son peuple vivent en sécurité. C'est notre partenaire de longue date. Notre pays a été le premier à reconnaître l'indépendance d'Israël. Il y a maintenant environ 2 millions de citoyens là-bas, qui sont également citoyens de Russie, originaires de notre pays. Bien sûr, cela ne nous laisse pas indifférents. Nous sommes prêts à jouer un rôle actif dans la réalisation d'un règlement à part entière qui garantirait la sécurité d'Israël dans le contexte de la mise en œuvre complète de la résolution de l'ONU sur le dossier palestinien.

Question: Selon certaines informations, l'année dernière, les États-Unis avaient transmis à la Russie une série de propositions écrites afin de lancer des négociations sur le contrôle des armements. À cette époque, le ministère des Affaires étrangères a confirmé que la question de l'envoi d'une réponse officielle à la partie américaine était en effet en cours de traitement. La réponse a-t-elle finalement été envoyée?

Quelles perspectives voyez-vous? Sont-elles présentes actuellement? Est-il possible de reprendre le dialogue avec les États-Unis sur la stabilité stratégique? Est-ce approprié et utile compte tenu des circonstances actuelles dans le contexte du conflit avec l'Occident et de la politique ouvertement hostile de Washington?

Sergueï Lavrov: Ces derniers temps, les perspectives de reprise du dialogue stratégique avec les États-Unis ont été largement évoquées. Ce sujet revient régulièrement dans les conversations et les contacts avec les médias.

Il est impossible de discuter sérieusement de ces perspectives (en tant qu'adultes) sans tenir compte de la situation générale dans le domaine de la sécurité internationale et de la stabilité stratégique. Il existe aujourd'hui une dynamique extrêmement négative dans ce domaine. Cette tendance s'aggrave. Cela est avant tout dû à l'aggravation de l'affrontement autour des processus vraiment historiques qui accompagnent le passage de l'ordre mondial d'un modèle unipolaire à celui d'un monde polycentrique.

L'Occident, qui dirigeait tous les processus mondiaux pendant 500 ans, résiste aujourd'hui de façon très acharnée. Nous pouvons le constater. Il ne veut pas accepter la transition vers la multipolarité. Il va donc à l'encontre du cours naturel et objectif de l'histoire et tente de s'accrocher à la domination mondiale, qui est en train de lui échapper. De plus, dans sa tentative de retenir ces tendances objectives, l'Occident ne se limite pas dans le choix des moyens de pression sur ceux qui n'acceptent pas ces ambitions hégémoniques et qui défendent les principes d'égalité inscrits dans la Charte des Nations unies.

Au lieu de cela, l'Occident tente de maintenir sa domination mondiale absolue. Cette ligne est principalement poursuivie par Washington, mais elle se heurte à un nombre de plus en plus croissant d'obstacles. L'un d'entre eux est la Russie, qui a fait preuve de sa détermination à ne pas permettre que l'atteinte soit portée à ses intérêts, les intérêts d'une grande puissance, l'un des centres civilisationnels du monde. Le degré d'hostilité des États-Unis augmente proportionnellement à la fermeté avec laquelle nous défendons notre identité et nos intérêts. Washington a mis le cap sur l'expansion effrénée du bloc antirusse de l'Otan dans l'espace post-soviétique et a provoqué le conflit en Ukraine.

Comme vous le savez, nous avons refusé que le régime de Kiev soit utilisé à des fins de menaces directes pour notre sécurité et ce, non pas quelque part de l'autre côté de l'océan, mais directement à nos frontières. Nous avons refusé que le régime de Kiev soit utilisé pour attaquer ouvertement tout ce qui est russe: la langue, l'éducation, la culture, les gens qui, depuis des siècles, vivent sur les territoires cultivés par leurs arrière-grands-pères et arrière-arrière-grands-pères et qui depuis toujours sont des terres russes, faisant partie du monde russe. Leur but était de transformer Kiev en outil de destruction de cette histoire, de cette mémoire commune et de tout lien entre les peuples russe et ukrainien. Il s'agit ici aussi d'une menace directe pour nos intérêts.

En réponse aux mesures que nous avons prises pour protéger nos intérêts, notre "périmètre extérieur", les États-Unis ont déclenché une guerre hybride globale afin de parvenir à un "étouffement" politique et économique (appelons les choses par leur propre nom) de la Russie et de nous infliger la "défaite stratégique" déjà mentionnée sur le "champ de bataille". Tout cela a été annoncé publiquement.

Nous ne constatons pas le moindre intérêt de la part des États-Unis ou de l'Otan pour une résolution équitable de l'actuel conflit ukrainien. Ils ne veulent même pas entendre nos préoccupations et ne veulent pas discuter sérieusement de l'élimination des contradictions fondamentales. Au contraire, l'Occident contribue par tous les moyens possibles à l'escalade de la crise ukrainienne. Cela crée désormais des risques stratégiques supplémentaires.

Les anciens commandants des forces armées américaines en Europe, Hodges et Breedlove, ont récemment recommandé publiquement au régime de Kiev de bombarder la Crimée jusqu'à ce qu'il soit impossible d'y vivre. Il s'agit des homme politiques à la retraite. En ce qui concerne les responsables politiques actuels, nous disposons d'informations fiables selon lesquelles les mêmes conseils, recommandations et même projets sont promus par les Britanniques dans le cadre de leurs contacts avec le régime de Kiev. Comme d'habitude, la vie ne leur apprend pas grand-chose. Ils avaient l'habitude de dire qu'ils soutiendraient Kiev "aussi longtemps qu'il le faudra", maintenant ils disent "aussi longtemps que possible". C'est une nuance, qui reflète un léger changement dans l'évaluation de la situation. D'accord. Cela ne regarde qu'eux.

Il en va de même pour l'Afghanistan. Les Américains y sont restés pendant 20 ans. Est-ce "autant qu'il leur a fallu" ou "autant qu'il a été possible"? Quels résultats y ont-ils obtenus?

Ainsi qu'en Irak, en Libye, dans tous les pays où les États-Unis et leurs satellites se sont lancés dans des aventures. Où les choses se sont-elles améliorées? Où la démocratie à laquelle tout cela était destiné a-t-elle été instaurée?

Malheureusement, le même sort attend l'Ukraine. En se fiant au "maître", sans se rendre compte qu'il ne pense "qu'à lui et pas du tout à toi", on ne peut pas s'attendre à ce que les intérêts de son peuple soient pris en compte d'une manière ou d'une autre. Non seulement l'incitation, l'encouragement à l'utilisation d'armes à longue portée toujours plus agressives pour frapper la Crimée afin de la rendre "inhabitable" et en profondeur sur le territoire de la Fédération de Russie, mais aussi le transfert d'armes en question – tout cela montre que l'Occident ne veut pas d'une solution constructive qui tiendrait compte des inquiétudes légitimes de la Fédération de Russie.

La politique destructrice menée par les États-Unis a entraîné une dégradation profonde des relations russo-américaines et un changement fondamental de la situation en matière de sécurité par rapport à celle existant au moment de la conclusion du traité sur les armes stratégiques offensives. Washington a tout simplement rejeté la totalité des ententes et des principes sur lesquels nos pays s'étaient autrefois entendus dans le but d'établir une coopération, y compris en matière de contrôle des armements.

Le préambule du traité sur la réduction des armements offensifs reflète notre accord sur notre engagement en faveur du principe de l'indivisibilité de la sécurité, selon lequel personne ne renforce sa sécurité au détriment de la sécurité des autres. Ce principe a été piétiné dans le contexte de la préparation et du déclenchement du conflit ukrainien. Le préambule contient également l'engagement de la Russie et des États-Unis à construire des relations s'appuyant sur la confiance et la coopération. De quel type de confiance peut-il être question aujourd'hui? Tout le monde s'en rend parfaitement compte.

En réalité, les États-Unis ont depuis longtemps misé sur la supériorité militaire, cherché à s'assurer les "mains libres" et démantelé peu à peu tout le système des accords de contrôle des armements: Le traité entre les États-Unis et l'URSS sur la limitation des systèmes de défense antimissile, le traité entre l'URSS et les États-Unis sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, le traité Ciel ouvert. Il en a été de même pour le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe et le traité Start lui-même, car les États-Unis ont créé des conditions inacceptables pour leur mise en œuvre.

Je rappelle que c'est la partie américaine qui a un jour suspendu le dialogue stratégique bilatéral, en se référant à un contexte militaire et politique défavorable. En automne 2022, ils ont annulé le cycle de négociations que nous étions prêts à tenir.

Il n'y a pas si longtemps, ils se sont tout à coup souvenus de l'importance du contrôle des armements nucléaires et ont commencé à nous envoyer, y compris dans le document que vous venez de mentionner, certains "signaux" sur leur prétendue volonté de reprendre le dialogue à ce sujet. Bien plus, ils ont suggéré que les négociations sur la stabilité stratégique devraient être séparées du contexte militaro-politique général. Et ce contexte, comme vous pouvez le constater quotidiennement, constitue une source irrémédiable d'hostilité à notre égard. Ils nous condamnent à chaque occasion, nous traitent d'agresseur, exigent que nous revenions sur les frontières de 1991 et que nous laissions en paix la "pauvre" Ukraine démocratique. Ils ont reconnu que c'était eux qui faisaient tout cela, mais ils ont proposé, tout en continuant à le faire, de nous mettre à table et de discuter du sujet précis concernant la réduction des armements stratégiques et du sujet du dialogue stratégique en général.

Il y a quelque temps, ils ont abordé ce sujet uniquement pour reprendre les inspections et visiter nos installations nucléaires. Dans le même temps, ils fournissaient des armes aux Ukrainiens, avec lesquelles les bases de nos bombardiers stratégiques ont été attaquées. Ces gens ne connaissent même pas la moindre forme de décence. Je ne parle même pas d'une conception globale des intérêts nationaux et de ce qui est possible dans le cadre de négociations internationales. Même la décence la plus élémentaire n'y est pas respectée. Cette situation ne nous étonne pas du tout.

Il s'avère que la Russie est leur ennemi, ils nous ont déclarés comme tels, mais ils sont prêts à discuter de la manière dont ils aimeraient revoir notre arsenal nucléaire stratégique. Pour eux, c'est différent. Leur objectif est clair: sous le slogan de la réciprocité, ils essaient de s'assurer d'une manière ou d'une autre le contrôle de notre arsenal nucléaire, afin de minimiser pour eux-mêmes les risques nucléaires induits par la pression exercée sur notre pays. En Occident, on parle de plus en plus d'un affrontement probable entre des puissances nucléaires. Il y a de moins en moins de moyens de dissuasion en ce sens. Les Polonais et les Britanniques discutent sérieusement de la possibilité de préparer des unités de l'Otan qui entreraient en Ukraine et y prendraient certaines positions. Ce sont des gens qui sont au pouvoir qui le disent.

Nous considérons les initiatives américaines comme inacceptables. Lorsqu'ils parlent de stabilité stratégique, ils ne cachent pas leur ambition de mettre "entre parenthèses" la composante non nucléaire de la confrontation militaire, c'est-à-dire les forces non nucléaires. L'objectif est évident: renforcer l'avantage quantitatif important dont dispose l'Occident collectif dans ce domaine.

Dans le contexte de la guerre hybride menée par Washington contre la Russie, nous ne voyons aucune raison non seulement de mettre en place des mesures conjointes supplémentaires dans le domaine du contrôle des armements et de la réduction des risques stratégiques, mais aussi de discuter avec les États-Unis de la stabilité stratégique en général.

Nous ne rejetons pas cette idée à l'avenir, pas plus que la possibilité (nous ne l'avons jamais fait) d'une solution politico-diplomatique aux divergences existantes. Mais nous conditionnons strictement et fermement cette possibilité au rejet préalable et total par l'Occident de sa démarche malveillante ayant pour but de saper globalement la sécurité de la Russie et nos intérêts, ainsi que de son manque flagrant et public de respect à l'égard de nos intérêts fondamentaux.

Toute interaction hypothétique sur la stabilité stratégique à l'avenir exigerait que les Etats-Unis soient prêts à envisager ce sujet compte tenu de toute la gamme des facteurs pertinents pour la stabilité stratégique, et pas seulement des aspects de celle-ci qui intéressent particulièrement Washington. Les Américains n'ont jamais souhaité une analyse aussi complète des problèmes de stabilité stratégique. D'autant plus dans le contexte actuel.

Il faudra régler les contradictions critiques en matière de sécurité que représente l'expansion de l'Otan vers l'Est. Permettez-moi de vous rappeler que nous en avons déjà parlé en décembre 2021, ou plutôt que nous en parlons depuis longtemps. En décembre 2021, nous avons avancé des propositions concrètes qui auraient pu empêcher le conflit actuel et sauver ainsi l'économie de l'Europe, que les Américains sont en train de "couler" de manière active et efficace. Mais, comme vous le savez, ces propositions ont été rejetées.

En ce qui concerne la question de savoir si nous en avons informé les Américains, je réponds par l'affirmative. Oui. Les idées que je viens de vous exposer en termes généraux, nous les avons mises sur papier, tout comme les propositions rédigées par les Américains, et nous les leur avons envoyées en décembre 2023. Nous avons prévenu Washington que ces évaluations ne représentaient pas une alternative pour nous. Nous partons du principe qu'il ne reste aucune ambiguïté dans ce domaine.

Question: Si l'on vous demandait d'évaluer en un ou plusieurs mots l'évolution des relations sino-russes en 2023, quels mots choisiriez-vous et pourquoi? Qu'attendez-vous des relations bilatérales cette année?

Sergueï Lavrov: J'ai déjà dit dans mon discours d'ouverture que les relations sino-russes, comme l'ont souligné à plusieurs reprises nos dirigeants, traversaient la meilleure période de leur histoire. Dans une série de déclarations adoptées au plus haut niveau, il est mentionné que ces relations sont plus fortes, plus fiables et plus avancées qu'une alliance militaire au sens où on l'entendait à l'époque de la guerre froide.

En réalité, cela reflète l'état réel des choses. Il n'y a pas un domaine de l'activité humaine où nos relations avec la République populaire de Chine ne connaissent pas un véritable essor.

L'économie. La barre des 200 milliards de dollars fixée comme objectif a été largement dépassée l'année dernière. Et la tendance va se poursuivre. Elle sera facilitée par l'adoption, au moment où l'Occident détruit tous les fondements de la mondialisation qu'il a promue et recourt à des sanctions et à d'autres mesures illégitimes, de mécanismes de développement de notre coopération en matière de commerce et d'investissement qui ne seront soumis à aucune influence de l'Occident. En particulier, plus de 90% des paiements sont passés en monnaies nationales. Ce processus se poursuit également avec de nombreux autres pays.

Les mécanismes des sommets du président russe Vladimir Poutine et du président chinois Xi Jinping ne sont pas les seuls à fonctionner. Il existe un mécanisme de réunions annuelles des chefs de gouvernement, dans le cadre duquel les préparatifs sont effectués au sein de cinq commissions intergouvernementales dirigées par les vice-premiers ministres. Nous ne disposons d'aucun mécanisme de coopération aussi élaboré et à un niveau aussi élevé avec aucune autre partie.

La structure de l'interaction stratégique et du partenariat global entre la Russie et la Chine permet non seulement de conclure des accords mutuellement bénéfiques sur la réalisation de projets, mais aussi d'apporter un soutien constant aux activités nécessaires à leur mise en œuvre.

Des activités de coopération dans la culture, dans les domaines humanitaires et éducatifs sont organisées chaque année. Je considère ces relations comme ayant de très bonnes perspectives, conformément aux repères fixés en mars 2023 dans la Fédération de Russie, lorsque Xi Jinping est venu en Russie pour sa première visite après sa réélection en tant que président de la République populaire de Chine, et en octobre 2023, lorsque le président russe Vladimir Poutine a assisté au troisième Forum international des Nouvelles routes de la soie en tant qu'invité principal.

De nombreux événements qui continueront à offrir des possibilités de dialogue de haut niveau dans tous les domaines du partenariat et de l'interaction entre la Russie et la Chine sont déjà prévus pour cette année.

Il existe beaucoup de mots qui pourraient caractériser notre coopération de manière exceptionnelle. Je ne voudrais pas en choisir un, deux ou trois maintenant. La seule exception est peut-être le mot "amitié". Depuis les temps anciens, "le Russe et le Chinois sont frères pour toujours". A l'époque de l'Union soviétique, il existait un tel proverbe. C'était peut-être un peu artificiel à l'époque. C'est alors que les relations ont commencé à se dégrader. Aujourd'hui, nos citoyens (et ils sont de plus en plus nombreux) visitent la Chine en tant que touristes ou pour des raisons professionnelles, dans le cadre d'échanges culturels et éducatifs. Ils font part de leurs impressions au sujet de la communication, non pas au niveau des ministères ou d'autres services, mais dans le cadre des contacts avec les citoyens chinois. Les citoyens russes parlent d'une sympathie mutuelle en termes très positifs.

En ce moment, nous promouvons activement les liens transfrontaliers entre les régions voisines de la Chine et de la Russie. Cela contribue également à renforcer les tendances positives.

Bien sûr, il y a des aspects économiques et commerciaux qui doivent être résolus. Chaque partie souhaite parvenir à un accord sur des conditions plus favorables. Mais chaque fois, dans tous les cas, les intérêts de la Russie et de la Chine sont ramenés au même dénominateur à l'issue des négociations. C'est un modèle pour résoudre les problèmes de tous les autres participants à la communication mondiale.

Question: Il n'y a pas longtemps, les dirigeants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan se sont échangés des déclarations assez fortes. La question de la communication entre l'Azerbaïdjan et le Nakhitchevan est devenue une pierre d'achoppement. Bakou exige que les cargaisons et les gens se déplacent sans contrôles sur cet itinéraire, sans quoi la frontière avec l'Arménie ne sera ouverte nulle part ailleurs. Erevan n'est pas d'accord avec cette rhétorique. Comment pouvez-vous commenter cela? Un tel échange de déclarations brutales ne risque-t-il pas de nuire au processus de normalisation des relations entre Bakou et Erevan?

Sergueï Lavrov: En effet, ces derniers jours, les dirigeants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan ont abordé le sujet de l'établissement d'une liaison entre la partie principale de l'Azerbaïdjan et le Nakhitchevan lors de leurs déclarations publiques. Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a déclaré quelque part que l'Arménie était catégoriquement contre le corridor de Zanguezour.

Ce sujet n'a jamais été abordé dans le cadre des accords conclus entre le président russe Vladimir Poutine, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le premier ministre arménien Nikol Pachinian.

La déclaration signée le 9 novembre 2020, qui a mis fin à la guerre, prévoit le déblocage de tous les liens économiques et de transport dans la région. La République d'Arménie garantit la sécurité des communications de transport entre les régions ouest de la République d'Azerbaïdjan et la République autonome du Nakhitchevan afin d'organiser la circulation sans entrave des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens. Le contrôle des transports est effectué par les organismes du Service des frontières du Service fédéral de sécurité de Russie. Cette citation est tirée du document, qui a été signé au niveau trilatéral le 9 novembre 2020.

Nikol Pachinian a déclaré qu'il souhaitait les mêmes conditions pour le transit à travers l'Arménie qui seraient applicables pour le transit de l'Azerbaïdjan vers le Nakhitchevan à travers le territoire iranien. Franchement, je n'ai vu aucune logique dans tout cela. Il n'est pas du tout correct de comparer ces itinéraires.

Dans le cadre du groupe de travail trilatéral établi en 2021 au niveau des vice-premiers ministres de Russie, d'Arménie et d'Azerbaïdjan, il a été convenu qu'en cas de déblocage de toutes les liaisons et de tous les itinéraires, les pays dont le territoire est traversé par l'un de ces itinéraires débloqués conservent entièrement leur souveraineté et leur juridiction sur nous sur leur territoire.

Lors de la réunion du groupe de travail trilatéral au niveau des vice-premiers ministres en juin 2023, ils sont convenus de rétablir une telle communication, en commençant par le transport ferroviaire. Cela a été convenu et discuté par le président Vladimir Poutine lors de sa visite à Erevan. En marge du sommet de l'OTSC, il y a eu une réunion à part avec le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian. Je me souviens très bien de l'accueil très positif, mais plus tard tout cela a de nouveau disparu quelque part.

Nous savons bien que de tels "reculs" par rapport aux accords conclus ne sont malheureusement pas rares. Je ne connais pas les raisons qui ont empêché de finaliser ces accords sur les principes de l'ouverture du trafic entre l'Azerbaïdjan et le Nakhitchevan sur le papier. Nous savons très bien que les "bons" conseils des amis occidentaux sont toujours présents dans le Caucase du Sud. Ils sont parfois perçus par l'un ou l'autre des participants au processus. Il est également bien connu que les conseils de l'Occident ne visent jamais à trouver un accord entre les pays de la région sur la base d'un équilibre de leurs intérêts, mais à promouvoir leurs propres ambitions géopolitiques.

Je suis persuadé qu'il n'y a pas d'alternative à la reprise de cette communication. Ses paramètres sont définis dans l'accord trilatéral. L'itinéraire traverse le territoire souverain de l'Arménie sous le contrôle du service frontalier du Service fédéral de sécurité de Russie. Les procédures de contrôle frontalier et douanier à l'entrée de l'Arménie en provenance de l'Azerbaïdjan et à la sortie de l'Arménie vers le Nakhitchevan azerbaïdjanais ont également été définies dans l'accord de principe.

Question: Ces derniers jours, un certain nombre de publications sont apparues dans les médias sur la possibilité de négociations pratiquement directes entre la Russie et l'Ukraine. En outre, Genève est mentionnée comme une plateforme qui pourrait correspondre aux intérêts des deux parties. Est-ce le cas? Moscou est-il prêt pour un tel scénario?

Sergueï Lavrov: Les rumeurs sont des rumeurs. Il est clair pour tout le monde que ce ne sera pas l'Ukraine qui décidera du moment où elle devra arrêter ou se lancer dans des négociations sérieuses sur les conditions réalistes de la résolution de ce conflit. Cela suppose l'abandon de l'idéologie nazie, de la rhétorique nazie, du racisme à l'égard de tout ce qui est russe et l'adhésion à l'Otan. Ce ne sont pas des rêves irréalisables mais des conditions indispensables permettant de préserver le peuple ukrainien en tant que nation indépendante ayant sa propre identité, et non d'exécuter les "ordres" de quelqu'un d'autre visant à plonger la Russie dans le chaos.

Nous devons en parler avec l'Occident. Nous avons déjà mentionné aujourd'hui comment, en avril 2022, il a interdit à l'Ukraine de signer des accords. Tout comme l'Occident n'est pas intéressé par la tenue de négociations maintenant. C'est absolument clair que c'est Washington qui "donne des ordres".

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré à Davos qu'il ne voyait même pas la possibilité dans l'avenir proche non seulement d'un règlement, mais également d'un cessez-le-feu à long terme en Ukraine. En ce qui concerne le règlement, ils ne veulent même pas en parler. Ils mentionnent parfois un cessez-le-feu afin de réalimenter l'Ukraine en armes. Tout comme ils ont utilisé les accords de Minsk.

Lors de ce même sommet de Davos, Vladimir Zelenski a parlé de manière détaillée et très expressive (mais pas aussi vivement que dans Kvartal-95) des accords de Minsk. Il a accusé la Russie et personnellement le président Vladimir Poutine d'avoir "volé" 13 années de paix. Il a directement déclaré qu'après 2014 (bien entendu, tout a été déclenché par le "régime de Moscou", comme ils disent, il n'y a pas eu de coup d'État, mais il y a eu tout de suite une "annexion de la Crimée"– tout est mis à l'envers), l'Allemagne et la France ont fait beaucoup d'efforts, se sont mises d'accord sur une solution transitoire sous la forme des accords de Minsk, et Vladimir Poutine aurait tout "gâché". Il est étonnant qu'une personne puisse déclarer des choses pareilles.

Premièrement, tout le monde sait bien que les accords de Minsk n'étaient en aucun cas une étape intermédiaire. Ils prévoyaient la "clôture" définitive de ce problème et ont été approuvés par le Conseil de sécurité de l'ONU. Deuxièmement, comme vous le savez, ils n'ont pas été anéantis par Vladimir Poutine. L'ancienne chancelière de la République fédérale d'Allemagne, Angela Merkel, et l'ancien président de la République française, François Hollande, n'ont rien fait pour les faire fonctionner. Tous les deux ont reconnu avoir signé ces accords dans le seul but de gagner du temps et de préparer l'Ukraine à la guerre. Ces faits évidents ont été exprimés à plusieurs reprises dans l'espace public. Ils ont été analysés, discutés et commentés par de nombreux responsables politiques et journalistes.

Vladimir Zelenski ment à la communauté mondiale depuis la tribune du Forum économique mondial de Davos. Comment est-il possible de parler à de telles personnes, d'autant plus que son décret interdisant toute négociation avec la Russie est toujours en vigueur? Le président Vladimir Poutine, s'exprimant à ce sujet, a déclaré qu'il fallait d'abord annuler le décret et qu'ensuite on verrait.

Question: Dans une interview avec le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, il y a eu des déclarations agressives contre Erevan. Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a qualifié cela d'atteinte au processus de négociation et le ministre des Affaires étrangères Ararat Mirzoïan a annoncé une régression du dialogue. Comment évaluez-vous la situation dans le processus de négociation entre Erevan et Bakou? Quelle est la position de la Russie sur cette question?

Avez-vous réussi à résoudre les problèmes dans les relations entre la Russie et l'Arménie? Y-a-t-il un progrès?

Sergueï Lavrov: Concernant la question du règlement arméno-azerbaïdjanais. Nous ne devons pas hésiter à évaluer l’importance des déclarations tripartites signées en 2020-2022 par les dirigeants de trois pays - Russie, Arménie et Azerbaïdjan. Je viens de parler de l'une d'elles.

Il est regrettable qu'une chose pratique et opportune pour l'Arménie reste toujours "sur le papier". Il s’agit de l'ouverture d'une route à travers la région de Syunik. Avec tout mon respect, la "cause" réside dans la position d’Erevan. Je ne sais pas qui lui donne des conseils. Dès que l’Union européenne, la France, l’Allemagne et les États-Unis ont compris que le processus russo-arméno-azerbaïdjanais aboutissait au déblocage des routes, à la délimitation des frontières et à la préparation d’un traité de paix, ils ont immédiatement commencé à s’ingérer dans ces processus sans invitation. Ils ont joué le rôle de "spoiler".

En 2003, la Fédération de Russie a joué un rôle de médiateur dans le règlement de la Transnistrie. Le chef adjoint de l'administration présidentielle, Dmitri Kozak, était alors responsable de cette question. Il a conclu un mémorandum avec Chisinau et Tiraspol, connu sous le nom de "mémorandum de Kozak". Les parties l'ont paraphé. La cérémonie de signature était prévue le lendemain matin. Mais le président moldave de l'époque, Vladimir Voronin, a appelé le président russe, Vladimir Poutine, et lui a déclaré que l'Union européenne leur interdisait de signer parce que, semble-t-il, quelque chose ne s'y reflétait pas comme elle le souhaitait. Il était question de l'accord entre Tiraspol et Chisinau, et non avec l'Union européenne. Il y a 20 ans, le problème de la Transnistrie aurait pu être résolu. Tout comme il y a 7 ans, la situation autour de l’Ukraine aurait pu être résolue si les accords de Minsk avaient été mis en œuvre. Mais l’Occident ne l’a pas permis.

J’ai des raisons de dire que l’Occident ne veut pas permettre la réalisation des accords conclus entre Erevan et Bakou avec la médiation de la Russie. J'ai déjà donné un exemple: la route à travers la région de Syunik. C'est l'Arménie qui éprouve actuellement des difficultés à ouvrir la route, comme indiqué dans la Déclaration tripartite. Erevan avance de nouvelles exigences concernant la sécurité le long de la route. Il ne veut pas que des gardes-frontières russes y soient déployés, même si cela est écrit et signé par le Premier ministre Nikol Pachinian. Il ne veut pas qu’il y ait des contrôles neutres aux douanes et aux frontières, seulement par eux-mêmes. Cela est contraire à ce qui avait été convenu.

Le problème de la délimitation peut également être examine de la même manière. Nous avons proposé nos services, les parties ont signé un accord pour créer une commission sur la délimitation, à laquelle la partie russe participera en tant que consultant. Nous n'y étions pas invités. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a déjà annoncé que l'UE s'occuperait de la délimitation, même si (si j'ai bien appris la géographie) ni l'Arménie ni l'Azerbaïdjan n'ont jamais fait partie d'aucune association sur le territoire actuel de l'Union européenne et il ne peut pas avoir de cartes. La Fédération de Russie en possède. Cela convient aux parties, mais pas à l’UE et aux États-Unis, qui souhaitent délimiter la frontière au-delà de l’océan. Ils ont dit qu'ils avaient obtenu des cartes de l'état-major de l'URSS et, disent-ils, "les Russes ne sont pas nécessaires". Cela semble étrange. Ce sont des adultes mais ils jouent à savoir qui est le plus important et qui peut marquer des points supplémentaires sur la scène internationale. Il est regrettable que les intérêts des aspirations égoïstes occidentales empêchent la réalisation des intérêts fondamentaux de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan.

Quant aux relations russo-arméniennes, nous n’avons jamais été les initiateurs d’un "refroidissement" de ces relations. Oui, nous nous souvenons du nombre de responsables arméniens actuels, alors qu'ils étaient encore dans l'opposition, qui, au cours de divers processus politiques et campagnes électorales, ont appelé au retrait de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et de l'Union économique eurasiatique. Lorsque Nikol Pachinian est arrivé au pouvoir, nous n’avons pas eu la moindre envie de nous éloigner d’Erevan dans nos relations. Tout se développait de la même manière que sous ses prédécesseurs, dans l'économie, dans le secteur énergétique, dans le domaine social et dans les affaires militaro-politiques.

En 2022, lors d'une réunion de l'OTSC à Erevan (j'ai personnellement participé aux négociations), les ministres se sont mis d'accord sur un document sur l'envoi d'observateurs de l'Organisation à la frontière de l'Arménie avec l'Azerbaïdjan. Mais Erevan, au niveau des hauts responsables, a déclaré qu'il ne pourrait pas signer cet accord. Presque simultanément, la mission de l'Union européenne s'y est rendue. C'était le choix des dirigeants arméniens.

La mission de l'UE a commencé à s'intéresser activement au travail de nos gardes-frontières déployés en Arménie et, au lieu de s'occuper du renforcement de confiance, a essayé de "fouiner" pour savoir ce qui se passait, ce que la Russie faisait là, quels objectifs spécifiques elle y avait. Ceci est également connu.

Nous en avons discuté avec nos amis arméniens. Nous avons répété à plusieurs reprises que si la mission de l’UE était plus proche d’eux, alors pourquoi ne pas inviter la mission de l’OTSC aussi. Nous connaissons leur réponse. C’est dans le sens que l’Organisation a "déçu" l’Arménie parce qu’elle n’a pas condamné l’Azerbaïdjan. Mais si nous parcourons l’histoire du conflit jusqu’à ses débuts, alors à chaque étape les deux parties accumuleront tellement d’"actes" qui n’ont clairement pas contribué au progrès, que nous pouvons aller trop loin.

Soit nous cherchons les coupables et refusons la réelle opportunité qui existe aujourd’hui de recevoir une aide pour renforcer les frontières, soit nous travaillons avec nos collègues occidentaux. L’Arménie a déclaré publiquement que l’OTSC était une déception, la Russie aussi, mais pas l’Occident. C'est le choix des dirigeants arméniens.

Dans notre société, dans les milieux des sciences politiques, dans les médias, il existe des opinions à ce sujet. Ils s’expriment librement. Pour certaines déclarations, le gouvernement arménien a même déclaré persona non grata un certain nombre de citoyens de la Fédération de Russie. Il s’agit d’une évolution inhabituelle des événements dans les relations entre les alliés.

Il y a eu une histoire autour de la Cour pénale internationale. Nous avons franchement et amicalement conseillé comment faire en sorte qu'en signant le statut de la CPI, l'objectif déclaré comme étant le principal objectif de l'adhésion soit atteint, sans franchir cette étape contradictoire. Nous sommes en contact et toujours ouverts au dialogue. Tout le monde sait que l’Occident déclare publiquement la nécessité de "retirer" la Russie du Caucase du Sud. Nous n’avons entendu aucune objection de la part d’Erevan.

Nous avons proposé de développer plus activement le mécanisme de coopération entre les trois pays du Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) et leurs trois grands voisins les plus proches (Russie, Turquie et Iran). Plusieurs réunions ont eu lieu. Des responsables arméniens y ont pris part. Au fil du temps, ce format sera prometteur, car il ne dépend pas de la situation géopolitique mondiale. Il est en dehors du "jeu" géopolitique de la préservation de l’hégémonie que Washington développe actuellement avec ses collègues de Bruxelles.

Je voudrais souligner que nous avons une attitude chaleureuse envers le peuple arménien. Nous sommes convaincus que l’histoire remettra tout à sa place. Mais nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes seuls. Je ne veux pas utiliser une phrase banale: il faut être deux pour danser le tango. Il y a des danses plus chaudes en Arménie.

Question: Les responsables russes ont souligné à plusieurs reprises les efforts de Moscou, en particulier du président Vladimir Poutine, pour normaliser la situation au Haut-Karabagh. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a récemment déclaré que c'était Vladimir Poutine, et non le président français Emmanuel Macron, qui avait contribué au rétablissement de la paix dans le Caucase du Sud. Cela augmente-t-il la probabilité que l'accord entre Bakou et Erevan soit signé sur la plateforme russe? Moscou fera-t-il des efforts pour neutraliser les actions de l’Occident?

Le ministère russe des Affaires étrangères a exprimé l'espoir que l'Afghanistan sortira de son isolement international. La raison en était que le Kazakhstan avait exclu les talibans de la liste des organisations interdites. L’Afghanistan a-t-il une chance de sortir de l’isolement diplomatique? Un processus similaire pourrait-il commencer au Yémen? Y compris la reconnaissance des Houthis, car ils contrôlent de facto la capitale et la majeure partie du territoire du pays depuis de nombreuses années.

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne le fait que le président russe Vladimir Poutine a joué un rôle dans la réconciliation de Bakou et d'Erevan, et non le président français Emmanuel Macron. L'accord a été signé par trois dirigeants: la Russie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Je n’ai pas vu la signature d’Emmanuel Macron. Ainsi que d'autres accords trilatéraux - russo-arméniens-azerbaïdjanais.

Après que ces accords ont commencé à être mis en œuvre, des mécanismes ont été créés pour débloquer les routes, la délimitation et un traité de paix. C’est alors que les Européens et les Américains ont commencé à s’impliquer activement dans ce processus. Il y avait même un point intéressant: dans les documents signés en novembre 2020 et les suivants, le territoire du Haut-Karabakh était décrit comme la zone de responsabilité du contingent russe de maintien de la paix. Les dirigeants des trois pays se sont entendus sur le fait que les négociations sur le statut devaient encore se poursuivre afin de parvenir enfin à un accord sur cette question.

Et nous étions surpris lorsqu'en automne 2022, lors de la conférence de la Communauté politique européenne à Prague (où nous et les Ukrainiens n'étions pas invités, mais les Arméniens et les Azerbaïdjanais étaient présents), Emmanuel Macron et Charles Michel ont invité Erevan et Bakou à se rencontrer. Par la suite, ils ont approuvé un document dans lequel il était déclaré que l'Azerbaïdjan et l'Arménie reconnaissaient mutuellement leur intégrité territoriale, conformément à la Déclaration d'Alma-Ata de 1991. Elle stipule que tous les nouveaux États indépendants ont des frontières qui coïncident avec la division administrative de républiques de l'URSS. Autrement dit, le Karabakh se trouve à l'intérieur des frontières de la région autonome du Haut-Karabakh de la République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan.

Nous n’étions pas au courant qu'une telle annonce était en préparation. Lorsque cela a été annoncé, on a conclu (ce qui a été rapporté à Erevan et Bakou) que la question du statut du Karabakh avait été "close" personnellement par le Premier ministre arménien Nikol Pachinian. Emmanuel Macron était là. Je ne peux imaginer qui a joué quel rôle. Mais c'est un fait que nos collègues occidentaux souhaitent qu'un traité de paix soit signé uniquement sur leur territoire. Le fait que l'Azerbaïdjan soit prêt à le signer sur le territoire russe, là où ont commencé les efforts visant à mettre fin au conflit et à construire un système d'interaction pour résoudre tous les problèmes, est également un fait. Je ne sais pas dans quelle mesure Erevan est prêt à cela. Même si les signaux correspondants ont été envoyés depuis longtemps à la capitale arménienne.

Quant à l’Afghanistan, il y existe de facto un gouvernement. Il contrôle la situation. Certes, il reste des foyers de tension et de protestation, mais dans l’ensemble, les talibans contrôlent le pouvoir. L’ambassade de Russie est presque la seule à n’avoir jamais cessé de travailler à Kaboul. Nous entretenons des contacts réguliers avec les talibans, notamment sur les questions qui doivent être résolues pour qu'ils deviennent un gouvernement pleinement reconnu. Il s’agit avant tout de tenir ses propres promesses. La principale est la création d’un gouvernement inclusif, où non seulement les Pachtounes et d’autres groupes ethniques sont représentés, mais où il y aurait également une inclusion politique. Il y a des Pachtounes, des Ouzbeks, des Tadjiks, des Hazaras, mais politiquement ce sont des talibans. À cet égard, l'opposition existe toujours: l'ancien président Hamid Karzaï et l'ancien administrateur en chef Abdullah Abdullah sont toujours en vie. Nous recommandons activement aux talibans d’inviter d’autres forces dans la structure dirigeante.

Deuxième point. Dans le nord du pays, il y a le Front de résistance nationale. Il faut également "construire des ponts" avec eux. Le processus n’est pas facile. Cela n’a jamais été facile pour quiconque en Afghanistan.

Nous y sommes présents. Pas une seconde nous n’avons perdu le contact avec ce qui se passait. Nous maintenons des contacts de facto avec les dirigeants. Cela nous aide à travailler, notamment en promouvant des formats externes qui nous permettent d'élaborer des recommandations pour les Afghans: le format de Moscou, le Quatuor (Russie, Chine, Pakistan et Iran). J’espère que "l’échange de politesses" pakistano-iranien n’entravera pas le travail de ce mécanisme.

En ce qui concerne la décision du Kazakhstan, Astana a déclaré que la décision de retirer les talibans des listes terroristes ne signifiait pas une reconnaissance diplomatique. Tout est relatif. Même le Conseil de sécurité de l'ONU a une clause concernant les personnes du mouvement inclus dans les listes terroristes, selon laquelle s'il s'agit de contacts concernant des négociations sur un règlement pacifique, cela est autorisé. Je n'entrerais pas trop dans ce sujet. L'essentiel, ce sont les réalités sur le terrain. Elles sont telles que les talibans contrôlent désormais le fonctionnement de l'Afghanistan.

En ce qui concerne le Yémen. Après de nombreuses années, les contacts avec les Houthis ont commencé à l’initiative de l’Arabie saoudite. Ils ont commencé à donner des résultats. Il m’est difficile de dire dans quelle mesure il est réaliste de reprendre les négociations et quand cela pourrait avoir lieu. Le plus important maintenant est de mettre un terme à l’agression contre le Yémen. Plus les Américains et les Britanniques frappent, moins les Houthis veulent négocier. C’est le "style" de nos collègues anglo-saxons. Il est important pour eux de "semer le trouble" partout et de voir ensuite comment ils peuvent, depuis l’autre côté de la Manche et de l’océan Atlantique, mettre en place des combinaisons qui favoriseront les intérêts égoïstes de Londres et de Washington.

Question: Cette année marque le 80e anniversaire de la levée du siège de Léningrad, l'une des périodes les plus difficiles et les plus tragiques de la Seconde Guerre mondiale. La Russie s'est toujours efforcée de faire tout son possible pour fournir une assistance à tous les prisonniers du siège sans exception. Récemment, Rossiïskaïa gazeta a publié des informations selon lesquelles plus de 50.000 personnes, y compris celles vivant dans l'Union européenne, ont reçu de l'argent à l’occasion de cet anniversaire.

L'Allemagne applique un deux poids deux mesures en ce qui concerne le paiement des indemnisations individuelles. L’Allemagne, sous faux prétextes, ne verse des paiements qu’aux survivants juifs du siège, qui, bien entendu, y ont pleinement droit. Berlin refuse depuis de nombreuses années d’accorder des paiements aux derniers défenseurs et habitants de la ville qui ont survécu au siège. Comment pourriez-vous commenter cela?

Sergueï Lavrov: Nous suivons cette situation depuis de nombreuses années. Lorsque Berlin a commencé à verser des indemnisations uniques aux survivants juifs du siège, nous étions convaincus que c’était injuste. Nous avons porté ce point à l'attention de nos collègues allemands.

À cette époque, l'actuel président fédéral Frank-Walter Steinmeier était ministre des Affaires étrangères. Nous en avons discuté avec lui à plusieurs reprises. Je lui ai expliqué que les gens souffraient, mouraient et s'entraidaient quelle que soit leur nationalité. Il y avait des Russes, des Tatars, des Juifs – un grand nombre de peuples. La réponse était: les Juifs sont payés parce qu’il existe une loi exigeant des paiements pour les victimes de l’Holocauste. Et les autres morts à Leningrad ne sont pas des victimes de l’Holocauste.

L’absurdité d’une telle formulation est évidente. J'ai commencé à lui expliquer que le siège était un phénomène unique de la Seconde Guerre mondiale, la Grande Guerre patriotique. Il n’y avait aucune différence entre ceux qui survivaient, mangeaient des chats, faisaient bouillir des bottes et enterraient des gens. Nous voulions faire honte aux Allemands, mais nous n’avons pas réussi. La seule réponse que nous avons reçue a été: puisque la loi sur l’Holocauste autorise les paiements, ils le font. Et s’ils payent à ceux qui n'entrent pas dans la catégorie des "victimes de l'Holocauste", alors ils auront un tas de requêtes. Je lui ai suggéré d'élaborer une loi distincte sur les survivants du siège de Léningrad, afin que ce soit absolument clair. Personne ne poserait des questions. Non.

En conséquence, Berlin a avancé l'idée de créer une maison pour les vétérans du siège et un centre culturel russo-allemand à Saint-Pétersbourg, où diverses personnalités pourraient se rencontrer et discuter. J'ai répondu que ce serait bien et utile pour promouvoir nos relations au niveau de la société civile. Mais cela ne résout pas le problème des survivants du siège. Même s’ils se sont contentés de visiter ces institutions, la grande majorité des survivants du siège ne se trouve pas à Saint-Pétersbourg, mais à l’étranger (principalement dans les États baltes, mais pas seulement). Nous les avions à l’esprit lorsque nous avons abordé cette question avec l’Allemagne. Cela ne fonctionne absolument pas.

Nous avons même essayé d'encourager les organisations publiques à dialoguer de leur propre chef avec les Allemands. Nous nous sommes adressés au Congrès juif européen et à Israël. Ils ont directement déclaré qu'il serait dans l'intérêt de Tel Aviv de faire preuve de solidarité envers ceux qui, avec les Juifs, ont survécu dans les mêmes conditions insupportables. Mais il n’y a également aucun intérêt à promouvoir ce sujet.

En outre, nous avons appris que, d'une manière inimaginable, les vétérans de la Division bleue, composée d'Espagnols et participant à la Seconde Guerre mondiale aux côtés de la Wehrmacht, y compris au siège de Léningrad, reçoivent des paiements de l'État allemand. Et nos survivants du siège, qu'ils ont torturés, se retrouvent dans cette situation.

L’amnésie historique progresse déjà dans les cercles dirigeants d’Allemagne. Les expositions dans les complexes commémoratifs consacrés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que celles conçues conjointement par des experts allemands, russes et soviétiques, seront reformatées de manière à effacer la trace soviéto-russe de ces événements. Cela s'applique également aux sites commémoratifs situés à l'endroit d'anciens camps de concentration et au célèbre musée germano-russe de Berlin-Karlshorst, où l'Acte de capitulation a été signé.

Nous observons la dégradation des fondations sur lesquelles la société allemande d’après-guerre s’est construite et a acquis une identité qui suscitait le respect dans le monde. Maintenant, ces instincts commencent à se manifester. C'est inquiétant.

Question: Il est devenu connu que l'Allemagne est partie tierce dans la procédure dans le cadre de la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël au sujet du génocide. Le gouvernement allemand s’est exprimé à ce sujet: "À la lumière de l’histoire de l’Allemagne et des crimes contre l’humanité commis pendant la Shoah, le gouvernement allemand est particulièrement attaché à la Convention des Nations unies sur le génocide". Ils "rejettent donc fermement et sans équivoque l’accusation de génocide portée contre Israël devant la Cour internationale". L'Allemagne a agi en tant qu'avocat d'Israël et non en tant que tiers neutre. A cet égard, ils sont également critiqués par la Namibie, victime d'un génocide au début du XXe siècle, condamné par l'ONU en 1985.

L’Union soviétique et ses peuples ont subi les tentatives les plus dures de la réalisation du monstrueux plan allemand Ost visant à tuer ou à déplacer 31 millions de personnes. Nous voyons maintenant comment le nazisme est de plus en plus justifié à Berlin. Votre homologue allemande Annalena Baerbock a récemment déclaré que le mari de sa grand-mère avait participé à la "défense de Königsberg". Le chancelier allemand Olaf Scholz estime que l’Allemagne se trouve désormais du "bon" côté de l’histoire.

La Russie est le successeur légal de l'URSS. Les peuples multinationaux de notre pays ont subi les plus lourds sacrifices et ont fait le plus pour libérer l’Europe, y compris l’Allemagne, du fascisme. Que pense faire la Russie et que doit-elle opposer aux "tendances" européennes?

Sergueï Lavrov: Cela reflète la dégradation dans la société occidentale des fondations qui auraient dû être sacrément protégées après la Seconde Guerre mondiale. On dit que la génération a changé et qu’elle ne se souvient pas de ses horreurs. Mais cela ne dégage pas de la responsabilité des gouvernements des pays occidentaux, ni ceux d’autres pays, d’empêcher non seulement l’oubli, mais aussi le retour aux idéologies qui ont constitué la base de la préparation de la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes dérangés par ce qui se passe en Allemagne.

L'Allemagne a expliqué assez maladroitement sa décision d'agir en tant que partie au procès devant la Cour internationale de Justice concernant la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël. L'explication était vraiment étrange. Ils disent qu’ils ont eux-mêmes participé et organisé un génocide et qu’ils défendront donc ceux qui sont accusés de génocide. Je ne vois aucune logique ici.

Assurer la sécurité d'Israël dans le contexte d'un règlement à part entière au Moyen-Orient est pour nous d'une importance cruciale. Mais il existe des doubles standards (voire triples). Lorsque Yaïr Lapid était Premier ministre d'Israël, il a beaucoup parlé de notre opération militaire spéciale: il est inacceptable que des armes soient utilisées sans discernement et que des citoyens innocents souffrent, ce qui est censé être un crime de guerre.

Quelques mois plus tard, un autre gouvernement israélien, répondant aux critiques concernant l’utilisation sans discernement d’armes lourdes et le nombre sans précédent de victimes civiles, en particulier d’enfants, a déclaré qu’il s’agissait d'une "tragédie de la guerre". En deux ans d’opération militaire spéciale, il n’y a pas eu autant de victimes civiles que là-bas en trois mois et demi. Mais dans un cas, il s’agit d’un crime de guerre, dans l’autre d’une tragédie de guerre. Il faut se décider.

Il y a des lois de la guerre qui doivent être respectées. Il existe le droit international humanitaire, inscrit dans un certain nombre de conventions. L'armée russe, lorsqu'elle mène l'opération militaire spéciale, respecte strictement ces règles et règlements. Nous frappons les cibles des forces armées ukrainiennes et les infrastructures et autres installations. On sait depuis longtemps que les Ukrainiens déploient leurs forces armées sur des sites civiles et installent des systèmes de défense aérienne dans les zones résidentielles. Cela se produit à titre permanent. Cela signifie que leurs "manières" sont telles qu’elles font chanter la population civile et d’en faire un "bouclier humain". Et cela est catégoriquement interdit par le droit international humanitaire. Les lois de la guerre doivent être respectées.

J’ai déjà évoqué ce que les généraux américains à la retraite et les hommes politiques britanniques actuels conseillent aux Ukrainiens: frapper la Crimée aussi activement que possible. Par exemple, si on ne réussit pas sur la ligne de front, alors déséquilibrez les Russes, rayez la Crimée de la surface de la terre pour qu’il soit impossible d’y vivre.

On a périodiquement demandé aux Américains ce qu'ils pensaient de la fourniture d'armes à longue portée, qui étaient ensuite utilisées contre des cibles civiles. Jake Sullivan et John Kirby, responsables du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, ont déclaré que les Ukrainiens choisissaient eux-mêmes des installations et des cibles à frapper. Autrement dit, faites ce que vous voulez. Les Ukrainiens font ce qu'ils veulent. Ils sont bien entendu dirigés par des instructeurs, majoritairement anglo-saxons. Nous le savons. Lorsque Jake Sullivan a été interrogé sur l'opération dans la bande de Gaza, s’il n'était pas très gêné par le fait que leurs armes soient utilisées pour mener des opérations à la suite desquelles des dizaines de milliers de personnes souffrent, des milliers de personnes sont tuées, et encore plus de blessés, il a répondu que lorsqu'ils fournissent des armes à Israël, ils stipulent qu'elles doivent être utilisées conformément aux lois de la guerre et sans nuire à des civils innocents. Dans notre cas, aucune réserve de ce type n’est faite. Autrement dit, Kiev (à en juger par les déclarations officielles) n’est pas tenu de respecter le droit international humanitaire. Il s’agit de deux poids deux mesures.

Pour revenir à l’Allemagne et à d’autres pays où le nazisme commence à se répandre. Vous avez mentionné le fait lorsqu’on a effacé l'inscription sur le mémorial de Dresde. Même s’il n’est même pas indiqué qu’elle était dédiée à la mémoire de ceux qui ont souffert des bombardements anglo-américains. Les États-Unis et le Royaume-Uni n’ont pas été mentionnés du tout. Et il semblait inutile aux Allemands, même indirectement, de rappeler à leurs nouveaux maîtres (Washington et maintenant Londres) qu'il existait une situation où les Anglo-Saxons détruisaient tout simplement la ville de manière inhumaine.

Cela ressemble à la mentalité japonaise. Une autre puissance de l’Axe qui a combattu contre les alliés. Au pays du soleil levant, les manuels d’histoire ne disent plus rien sur ceux qui ont largué les bombes sur Hiroshima et Nagasaki. D’ailleurs, le chapitre correspondant des manuels scolaires porte le double titre: "Bombardement nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki, (et sans passer à la ligne) l’entrée de l'URSS dans la guerre." Les enfants sont visuellement immédiatement amenés à certaines conclusions.

De même, lorsque les Japonais diffusent périodiquement des projets de résolution de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant et commémorant les victimes d'Hiroshima et de Nagasaki, ils ne mentionnent jamais que ce sont les États-Unis qui l'ont fait. Simplement quelqu'un les a largués.

Je me souviens qu'à Jérusalem, un monument à la mémoire des survivants du siège de Léningrad a été inauguré, le président russe Vladimir Poutine a participé à l'événement. Le président français Emmanuel Macron y était également présent. C'était le jour de la mémoire de l'Holocauste, qui commémore la libération d'Auschwitz par les troupes soviétiques. Le vice-président de l'époque, Mike Pence, s'exprimait au nom des Américains. C'était un discours "remarquable". Comme ils le savent faire: avec du pathétique dans sa langue américaine, il a commencé son discours et a déclaré que pendant de nombreux mois, des années, des gens ont été torturés, tués, brûlés dans des fourneaux dans ce terrible camp de concentration, mais le 27 janvier 1945, des soldats sont venus et ont ouvert les portes. Des soldats, pas des soldats soviétiques. Mais quand un Américain dit cela, beaucoup de gens peu avertis perçoivent qu’il s’agit bien sûr de soldats américains. Cette tendance existe. Comment y faire face? Seulement avec la vérité. Expliquer activement, en s'adressant aux gens, sous diverses formes. Il y aura un Forum pour lutter contre les pratiques modernes de néo-clonialisme. Je crois que le public pourrait organiser un forum similaire pour lutter contre la renaissance du nazisme. Nous sommes prêts à vous aider.

Cela concerne principalement ce qui se passe autour de l’Ukraine. Par exemple, Maxim Grigoriev et ses camarades montrent l’essence du régime de Kiev. Le chancelier allemand Olaf Scholz, le ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock, le président de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président français Emmanuel Macron déclarent qu'ils doivent soutenir l'Ukraine jusqu'à la "victoire", car l'Ukraine se bat et meurt pour ses valeurs démocratiques européennes. Ces gens n'ont-ils aucune honte? Lisez les lois qui ont été adoptées pour interdire la langue russe, l'éducation et, en général, tout ce qui est russe, afin de promouvoir l'idéologie et les pratiques du nazisme. Des bataillons portant des croix gammées et des écussons de division SS marchent à travers l'Ukraine. Telles sont les valeurs européennes actuelles, si l’on en croit les déclarations des hommes politiques européens. Nous devons lutter contre cela au niveau de la diplomatie officielle, de la diplomatie populaire et parlementaire et, je l'espère vraiment, au niveau de la communauté médiatique.

Question (traduction de l'anglais): Abordons la question des élections. Vous êtes en poste depuis assez longtemps et vous êtes proche du président russe Vladimir Poutine. Pensez-vous que l'opération militaire spéciale en Ukraine aura un impact sur le résultat de cette élection ?

Dans quelques jours, nous commémorerons les victimes de l'Holocauste. C'est le jour même où les troupes soviétiques ont libéré Auschwitz, où se trouvaient des enfants et des personnes âgées. Aujourd'hui, des enfants et des personnes âgées sont retenus en otage à Gaza simplement parce qu'ils sont juifs. Comment la Russie va-t-elle contribuer à leur libération ? Quelles sont les relations entre la Russie et le Hamas, que beaucoup considèrent comme une organisation terroriste ?

Sergueï Lavrov: Vous savez, l'opération militaire spéciale a depuis longtemps un impact très positif sur notre vie intérieure. Elle a unifié notre société comme jamais auparavant et a contribué à la débarrasser des personnes qui ne se sentaient pas appartenir à la Russie, à l'histoire et à la culture russes. Certains sont partis, d'autres sont restés et ont commencé à réfléchir. Mais l'écrasante majorité de la société a été unie comme jamais auparavant.

Nous avions un grand satiriste, Mikhaïl Jvanetski. Malheureusement, il n'est plus parmi nous. Parmi d'autres sketches brillants écrits dans les années 1970, il y a celui-ci. Il s'agit d'un monologue sur le thème du peuple soviétique. Mikhaïl Jvanetski a dit que notre peuple avait besoin d'une grande guerre pour s'unir vraiment. C'était plutôt humoristique. Mais toute plaisanterie contient une part de vérité.

L'acharnement avec lequel l'Occident nous a déclaré une guerre hybride, l'arrogance avec laquelle, pendant de nombreuses années, tous nos avertissements et propositions visant à convenir des fondements de la sécurité sur la base de principes déjà approuvés antérieurement, sans élargissement de l'Otan – tout cela a été écarté. Pour ainsi dire : cela ne vous regarde pas. Ce sont des relations entre l'Ukraine et l'Otan : ne vous en mêlez pas !

Récemment, l'ancien président tchèque Václav Klaus a accordé une interview et a déclaré que la guerre avait commencé en 2008 lorsque l'Otan avait annoncé que l'Ukraine et la Géorgie feraient partie de l'alliance. Le président russe Vladimir Poutine et moi-même étions présents à ce sommet à Bucarest. Je me souviens très bien de la question posée par Vladimir Poutine à la chancelière Angela Merkel et aux Français : "Pourquoi avez-vous fait cela ? Ils ont répondu que les Américains et les Britanniques le leur avaient demandé. Aujourd'hui, ils "mène le bal" en Europe. C'est une honte. L'"Europe continentale", y compris la France, parle beaucoup de la lutte de l'UE pour l'"autonomie stratégique". Personne ne vous accordera cette "autonomie stratégique". Je vous l'assure.

Le peuple russe est uni comme jamais auparavant. Bien sûr, ce qui se passe pendant l'opération militaire spéciale et en relation avec celle-ci, l'héroïsme, l'abnégation et le sacrifice dont font preuve les combattants sur la ligne de front, les membres de leurs familles qui sont solidaires de leurs proches et de notre armée, et qui font tout ce qu'ils peuvent à l'arrière pour contribuer à la victoire, a un effet curatif sur la société.

Regardez comment notre industrie, non seulement militaire mais aussi civile, s'est développée sous l'effet des sanctions. De nombreux facteurs liés à l'agression hybride et généralisée de l'Occident contre la Russie ont contribué à nous faire prendre conscience de la manière dont nous devrions désormais vivre. Toutes les illusions, s'il en restait dans les années 1990, selon lesquelles "l'Occident nous a ouvert les bras" et "la démocratie nous unira tous" se sont définitivement évanouies. On ne peut pas faire confiance à l'Occident. Il ne veut toujours qu'une chose : vivre aux dépens des autres et être (comme il le pense) plus malin que tous les autres. L'influence est donc très positive.

Quant à votre deuxième question. J'ai déjà commenté le "27 janvier" et dit comment l'Occident essaie de minimiser ou même d'effacer de l'histoire le rôle de l'Armée rouge dans la libération de l'Europe et des Juifs, dans le sauvetage de ceux qui ont survécu à l'Holocauste.

En ce qui concerne la bande de Gaza, nous avons immédiatement condamné l'attaque terroriste du 7 octobre 2023 contre Israël. Nous n'avons pas deux poids, deux mesures à l'égard des terroristes. C'est le cas de l'Occident. Il utilise aujourd'hui activement des cellules de l'ISIS en Syrie pour mener des actes de sabotage et des attaques contre les forces armées de la RAS. Lorsqu'ils ont décidé de renverser le président libyen Mouammar Kadhafi, les États-Unis ont activement coopéré et payé ces mêmes groupes, qui se sont ensuite dirigés vers le sud en Afrique centrale, dans la région du Sahara et du Sahel, et qui continuent de terroriser ces citoyens. Ils savent très bien qu'Al-Qaïda a vu le jour après l'invasion américaine de l'Afghanistan, que l'ISIS a vu le jour après l'Irak, que Jabhat al-Nosra, aujourd'hui appelé Hayat Tahrir al-Cham, a vu le jour après que l'Occident avait déclaré la guerre à la Syrie. Il est notoire qu'il coopère avec ces associations.

L'attaque contre des civils, contre des participants au festival dans la bande de Gaza est inacceptable. Elle est horrible. C'est une attaque brutale et odieuse. Nous l'avons condamnée immédiatement. Nous sommes partis du fait qu'Israël, comme ils le disent eux-mêmes, est la seule démocratie du Moyen-Orient, et qu'il réagirait comme une démocratie devrait le faire (en théorie). Bien qu'avec des exemples tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne, il soit difficile de déterminer quels moyens de guerre sont acceptables pour les démocraties.

Je dirai franchement que les Israéliens, dans les déclarations de leur ministre de la Défense, du commandant de l'armée et d'un certain nombre d'autres ministres, ont dit que les Palestiniens n'étaient pas des êtres humains, mais des animaux. Tout comme Arseni Iatseniouk a déclaré que des "sous-hommes" vivaient dans le Donbass. Tout comme Vladimir Zelenski a déclaré qu'il ne s'agissait pas de personnes, mais de "créatures". Comme toutes sortes de Iermak, Kouleba, Podoliak ont dit qu'il était nécessaire d'exterminer physiquement les "Ruskofs". C'est une analogie horrible. Je comprends qu'il y ait des ultra-extrémistes au sein du gouvernement israélien, et qu'ils n'expriment pas la position non seulement du peuple israélien, mais de l'ensemble du gouvernement de Benjamin Netanyahou. Mais elle a été entendue et nulle part en Occident, dans ces "démocraties", elle n'a rencontré de rejet. Pas plus que la déclaration qu'il n'y a pas de civils dans la bande de Gaza, et que tout le monde à partir de trois ans est un extrémiste. Cela a également été entendu, et personne n'a réagi.

Lorsque nous avons dit qu'il fallait arrêter la violence et créer un État palestinien, et que le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, condamnant les attaques terroristes du 7 octobre 2023, ait déclaré qu'elles ne s'étaient pas produites "dans le vide", le représentant permanent d'Israël auprès de l'ONU lui a dit que l'organisation mondiale et son secrétaire général étaient complices du terrorisme et qu'il était temps de le renvoyer.

En effet, les jeunes, les enfants de Gaza naissent dans des conditions où, depuis plus de 70 ans, l'État palestinien promis par l'Assemblée générale de l'ONU non seulement n'a pas été créé, mais les chances de sa création sont de plus en plus faibles et fragiles. Cette politique est encouragée par les États-Unis, qui ont monopolisé les initiatives au Moyen-Orient. Et voilà que le secrétaire d'État américain Antony Blinken réaffirme au forum de Davos que les États-Unis resteront aux commandes et que c'est ce que toute la région est censée vouloir.

Je me souviens que nous avons eu de nombreuses conversations franches et humaines avec les ministres israéliens des Affaires étrangères (en particulier avec Avigdor Lieberman et Tzipi Livni) au sujet d'un État palestinien. Je leur ai dit que, selon nous, l'absence de progrès dans la création d'un État palestinien était le facteur le plus important qui alimentait l'extrémisme dans la population arabe. Ils ont exprimé leur scepticisme. Selon eux, "je simplifie", ce serait beaucoup plus profond que cela, il s’agirait du fondamentalisme islamique. Mais la vie prouve le contraire. Plus l'impasse totale dans la création d'un État palestinien se prolonge, plus il sera difficile d'assurer la sécurité d'Israël et des autres pays arabes. C'est ce à quoi nous assistons. Aujourd'hui, le président américain Joe Biden, le secrétaire d'État Antony Blinken et les Européens parlent de la nécessité de se mettre en route vers la création d'un État palestinien. Ils sont conscients que sans cela, il est difficile d'apaiser la situation. Mais il ne suffit plus de se mettre en route. Il faut se réunir et créer. Il faut amener Palestiniens et Israéliens à la table des négociations.

Les Israéliens ne devraient même pas donner l'impression que, parce qu'ils ont souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, tout leur est permis aujourd'hui. Certes, il y a eu l’Holocauste. C'est un crime horrible. Mais il y a aussi eu le génocide de tous les peuples de l'Union soviétique. Ils n'ont pas moins souffert. Ils ont été exterminés dans divers camps de concentration, ainsi qu’à Leningrad avec les Juifs. Selon cette logique, tout devrait nous être permis et accordé aujourd'hui. Ce n'est pas une bonne solution systémique si l'on veut préserver le droit international.

Revenons à l'Ukraine. J'ai énuméré des lois dégoûtantes qui contredisent toutes les valeurs européennes, lois russophobes, racistes, néonazies. L'Europe ne fait aucun commentaire à ce sujet. Elle se contente d'affirmer que l'Ukraine défend les "valeurs européennes" dans sa guerre contre la Russie. Certes, les Européens ont commenté la loi sur les minorités ethniques. Mais dans un seul but : supprimer toutes les restrictions sur les langues des pays de l'UE et laisser ainsi le russe dans une position de discrimination totale. Je me suis entretenu avec mes homologues dont les langues sont parlées en Ukraine et pour laquelle ils se sont battus afin de les exempter des restrictions imposées par la loi sur les minorités ethniques. Ils m'ont confirmé qu’ils s'impliqueraient certainement, mais rien ne se passe. Ils ne se soucient pas de la langue russe. Peut-être même, au contraire, souhaitent-ils que la langue russe soit mise au placard et que son champ d'application se réduise progressivement. Tels sont les Européens.

Pourquoi cela se produit-il ? Parce que Kiev a également obtenu le feu vert total. Ce feu vert se manifeste dans tout ce qu'il fait. Il y a des choses que les Américains n'aiment pas. Ils essaient de faire des remarques sans les rendre publiques, mais en général, le feu vert est total. J'ai déjà donné un exemple lorsqu'ils ont dit qu’il fallait entamer le processus de négociations sur l'admission de Kiev dans l'Union européenne. La Serbie patiente dans la file d'attente depuis des décennies, la Turquie depuis une quarantaine d'années. Et "celui-ci" passe en priorité, car c'est un véritable nazi. Personne ne le dit, mais si l'on examine l'essence de la situation, c'est bien le cas. Il est même autorisé à torturer des Américains en prison et à les supplicier à mort. C’est motus et bouche cousue de la part de tout le monde. Maria Zakharova l'a dit à plusieurs reprises. Il est autorisé à tout faire.

Regardez comment ils s’activent lorsque leurs citoyens sont arrêtés. Pas un mot n’est prononcé. Ils n'ont pas bougé le petit doigt. Tirez-en les conclusions. La permissivité est une voie qui mène au désastre. Cela s'est déjà produit dans les cerveaux du régime ukrainien actuel. C'est là qu'ils mènent leur pays tout entier.

Maria Zakharova: Etant donné que les médias italiens consacrent autant de temps à la lutte contre le néofascisme, je pense qu'ils parleront bientôt des manifestations néofascistes dans le centre-ville de Rome. Nous n'avons pas encore vu ces reportages dans les médias italiens, mais il y a de l'espoir.

Question: Pendant la guerre froide, la diplomatie soviétique a traité de nombreuses questions difficiles. On peut dire qu'elle traverse actuellement son deuxième cycle. Des exercices à grande échelle de l'Otan ont lieu, notamment à la frontière avec le Belarus. Ces manœuvres seraient considérées comme un élément clé de la démonstration par l'alliance à Moscou de son état de préparation à la guerre.

Comment la Russie et le Belarus vont-ils dissuader l’agression de l'Otan ? Comment les diplomates russes et biélorusses vont-ils agir ? Est-il réaliste aujourd'hui d'essayer d'"adoucir" ce conflit par la voie diplomatique ?

Sergueï Lavrov: Dieu nous en préserve. Mais si la logique suicidaire de l'Occident l'emporte, je vous assure que les peuples russe et bélarussien défendront leur indépendance et leurs intérêts coude à coude. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Nous avons tous les moyens nécessaires pour cela.

Quant à la diplomatie. J'ai déjà commenté la situation des relations russo-américaines dans le contexte du Traité sur la poursuite de la réduction et de la limitation des armes stratégiques offensives. Je ne vois pas de place pour la diplomatie. Lorsqu'ils font appel à nous, nous répondons. Mais en fonction de ce qu'ils proposent, nous examinons si c'est dans notre intérêt ou non.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Un des grands pays européens (non anglophones) a invité notre ambassadeur au ministère des affaires étrangères et a commencé à lui dire que, bien sûr, nos relations étaient "mauvaises" et ne risquaient pas de s'améliorer, mais que la Russie avait renforcé ses positions en Afrique, en République centrafricaine, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad. Alors qu’ils ont affaibli leurs positions là-bas. Ils disent donc : "Rencontrons-nous, discutons de la manière dont nous pouvons faire quelque chose ensemble ici". Je ne plaisante pas. Le cynisme est à son comble. "Vous restez notre ennemi, nous vous "éliminerons" dans l'espace public par toutes les autres méthodes possibles. Mais vous nous aiderez à consolider notre position en Afrique". Il n'y aura jamais de telles négociations.

Même chose avec les Américains. Je vous ai déjà dit qu'ils ont déclaré : Discutons de la manière dont, conformément au traité Sort de désarmement stratégique, ils nous inspecteront sur une base réciproque. Ils déclarent se rendre compte que tout le reste, c'est "l'obscurité" et "le bas-fond". Alors restons-en là : nous nous critiquerons mutuellement et nous nous affronterons. Mais ils voudraient parler d'inspections des installations nucléaires russes. Sur quoi comptent les Américains ? J'ai toujours pensé que les institutions diplomatiques étaient composées de personnes intelligentes. Mais ce n'est pas toujours le cas.

Anticipant une question similaire à celle que vous venez de poser, j'ai emporté avec moi un "mode d'emploi" que nos collègues de l'Union européenne nous ont donné. Il porte sur la manière de se comporter avec les diplomates russes. Il a été distribué dans toutes les capitales où se trouvent un bureau de représentation de l'Union européenne et une ambassade russe. Il doit être suivi à la lettre. Voici ce qu'il dit : "Les diplomates européens doivent éviter les contacts bilatéraux avec les représentants de la Russie, la participation à tout événement organisé par la partie russe est exclue. Cette règle s'applique également aux réceptions festives organisées à l'occasion du 4 novembre, du 10 février (Journée des diplomates), du 23 février, du 9 mai (j'attire votre attention sur la question de la lutte contre le nazisme. Vous ne pouvez pas célébrer la victoire de la Seconde Guerre mondiale) et du 12 juin (Journée de la Russie). Les diplomates russes ne peuvent pas être invités à des événements et des réceptions organisés par les structures dirigeantes et les représentations de l'Union européenne, ainsi que par les ministères des affaires étrangères des États membres de l'UE. Il n'est pas interdit aux diplomates européens d'assister à des événements organisés par des pays tiers auxquels la partie russe est censée participer (Dieu merci). Il est possible de prendre part à la photographie générale organisée par les organisateurs" (c’est généreux). Dans le même temps, il convient de s'abstenir de tout contact direct avec les représentants russes. Il est conseillé d'informer à l'avance la partie hôte de la nécessité d'éviter le voisinage direct des délégations européenne et russe lors des photos communes et des réunions officielles". Voici la réponse à la question de savoir comment nous envisageons les perspectives de négociations. On ne peut pas prendre une photo ensemble ! La photographie fait en effet l'objet d'une grande attention. La principale conséquence du succès de la réunion de Davos "sur l'Ukraine" (comme on essaie de la présenter) est qu'il y avait plus de personnes prises en photo que lors de la réunion précédente. Ce sont les seuls critères qui permettent à la diplomatie occidentale d'évaluer ses efforts.

Question: Comment les sanctions européennes affectent-elles le développement de l'Union économique eurasienne ?

La Russie et le Belarus ont conclu un traité sur l'État de l'Union. L'année dernière, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a demandé si le Kazakhstan pouvait adhérer à l'Union et quelles étaient les conditions à remplir. Le président du Belarus, Alexandre Loukachenko, n'y était pas opposé. Est-il envisagé de créer un État de l’Union non seulement entre la Russie et le Belarus, mais aussi avec d'autres pays de l'ex-Union soviétique ?

Sergueï Lavrov: Sur les mesures prises au sein de l'Union économique eurasienne dans les conditions actuelles… Je ne suis pas en mesure d'énumérer toutes les actions qui sont discutées en détail lors des réunions avec le président Vladimir Poutine et le premier ministre Mikhaïl Michoustine. Tout est fait pour que, dans les domaines clés pour notre État (notre sécurité, l'économie, la sphère sociale), nous ne dépendions en aucune façon de ceux qui ont prouvé leur manque total d’aptitude à conclure des traités, leur manque de fiabilité en tant que partenaires, qui peuvent à tout moment nous trahir dans l'économie tout comme ils sont prêts à tout moment à le faire dans la politique et dans la vie en général.

Quant à l'État de l'Union de la Russie et du Belarus, il est le fleuron de l'Union économique eurasienne. Il donne le ton pour de nombreux domaines d'activité future de l'Union économique eurasienne.

Je n'ai pas entendu dire que le Kazakhstan ait manifesté un quelconque intérêt à rejoindre l'État de l'Union.

Question: Que pensez-vous du refus de l'Argentine d’adhérer aux BRICS ?

Comment renforcer les relations avec l'Amérique latine cette année ? Vous vous êtes rendu en Amérique latine en 2023… Comment renforcer les relations non seulement avec Cuba, le Venezuela et le Nicaragua mais aussi avec d'autres pays de la région ? Vous avez déjà parlé des conférences parlementaires. Peut-être existe-t-il un autre format qui permettrait de renforcer les relations avec l'Amérique latine ?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne la déclaration de l'Argentine, il s'agit d'une décision souveraine d'un pays invité à rejoindre les BRICS. L'invitation a été faite sous le gouvernement et le président précédents. Lorsqu'elle leur avait été envoyée, le président Alberto Fernandez a déclaré que le nouveau président prendrait la décision finale après l’élection. Tout le monde le savait. Ils ont pris cette décision. Il ne s'agit pas d'un refus d'adhérer, mais d'une explication sur le fait qu'ils ne sont pas prêts à le faire maintenant. C'est ainsi que nous l'avons pris. Je pense que lorsque le gouvernement du président Javier Millay "s'habituera" et sera "mis à la page", il sera en mesure de fixer définitivement sa position avec plus de raison.

Les BRICS gagnent en popularité. Nous avons reçu une trentaine de demandes pour établir des relations avec cette association. À ce stade, nous nous attacherons à faire en sorte que les nouveaux membres s'intègrent le mieux possible dans le travail commun et que nous continuions tous à aller de l'avant.

En général, nous entretenons des relations positives avec la plupart des pays d'Amérique latine. Nous ne construisons pas ces liens en fonction de l'existence d'un gouvernement de "gauche" ou d'un gouvernement de "droite". Nous devons travailler avec tous ceux qui souhaitent bénéficier d'une coopération sur la base d'un équilibre mutuel des intérêts. C’est une écrasante majorité.

L'année dernière, je n’ai pas seulement visité les pays que vous avez cités. Je me suis aussi rendu au Brésil. Je me rendrai à nouveau au Brésil. La réunion ministérielle du G20 s'y tiendra à la fin du mois de février. Nous prévoyons de visiter un certain nombre d'autres pays d'Amérique latine dans le cadre de ce voyage.

En outre, nous avons établi des contacts entre la Russie et la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes. Il existait une tradition de réunions ministérielles annuelles entre le ministre russe et le "trio" (ou "quartet") de la CELAC. La pandémie a perturbé ce calendrier. Nous allons maintenant relancer cette pratique.

Je suis d'accord avec vous pour dire que le format Amérique latine-Russie mérite d'être développé non seulement dans sa dimension parlementaire, mais aussi par le pouvoir exécutif. Nous y travaillons actuellement.

Question: Pensez-vous que la politique de Washington à l'égard de la Russie changera après l'élection présidentielle américaine ?

Sergueï Lavrov: Ce n'est pas une question pour moi, mais pour ceux qui seront choisis par le peuple américain, étant entendu que l’élection sera équitable.

Question: Cette année, notre journal fête son 120e anniversaire. Vous avez également un anniversaire : 20 ans en tant que ministre des Affaires étrangères. À cet égard, j'aimerais vous poser une question sur la Serbie. Quel sera le sort (y compris le sort politique) du Kosovo ? Qu'adviendra-t-il des Balkans occidentaux ?

Il y a un mois et demi, vous étiez à Skopje. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken et d'autres ministres des affaires étrangères occidentaux vous ont manqué de respect. Vous étiez prêt à parler de paix pour éviter l'escalade de la guerre. Quel est votre rôle aujourd'hui ? Êtes-vous prêt à parler ? J'ai entendu dire que vous aviez communiqué avec eux.

Pour parler à ces gens et pour que la paix règne, nous avons une proposition de notre journal Belgrade. Nous vous suggérons, ainsi qu'au secrétaire d'État américain Blinken, de venir à Belgrade et d'entamer un dialogue.

Sergueï Lavrov: A propos du Kosovo. Le président russe Vladimir Poutine et votre humble serviteur disent toujours, lorsqu'ils rencontrent les dirigeants serbes, qu'ils soutiennent et soutiendront la position que le peuple et les dirigeants serbes choisiront. Nous voyons comment les Serbes sont malmenés.

Si nous parlons du problème du Kosovo, en 2013, avec la médiation de l'Union européenne, un accord a été conclu entre Pristina et Belgrade sur la création de la Communauté des municipalités serbes du Kosovo. Tout y était défini : l’étendue de leurs droits, la façon d’organiser leur vie, d’assurer le maintien de l'ordre, la langue, l'éducation, les écoles, les églises. Plus de dix ans ont passé et rien n'a changé. L'impasse dans laquelle se trouve la mise en œuvre de cet accord, que l'UE a présenté comme sa plus grande réussite diplomatique, dure depuis longtemps. L'UE ne peut rien faire. La seule chose qu'elle ait réussi à faire est de réécrire l'accord sur la Communauté des municipalités serbes du Kosovo pour satisfaire le "Premier ministre" Albin Kurti et Pristina. Elle le réécrit de manière à ce que les Serbes n'aient aucun droit dans le nord du Kosovo. Leurs droits seraient donc totalement artificiels alors que le véritable pouvoir devrait rester entre les mains des Albanais. L'UE devrait avoir honte. Parce qu'elle a "battu les cymbales" en 2013, en prétendant qu’elle avait réussi : que le problème du Kosovo avait été résolu. Il n'en était rien.

Aujourd'hui, comme pour toute autre question, lorsqu'il est nécessaire de mettre en œuvre des accords, ils "font marche arrière" en faveur de la partie qui est la plus proche d'eux dans ce cas particulier. Or, ce sont les Albanais du Kosovo qui sont plus proches d’eux. Parce qu'ils ont prêté serment d'allégeance et qu’ils veulent adhérer à l'Otan. Ils veulent adhérer partout, ils suivront fidèlement les instructions de l'Union européenne. A condition que le problème albanais dans les Balkans n'explose pas par la suite.

Je ne sais toujours pas pourquoi le terme "Balkans occidentaux" est utilisé. Pourquoi occidentaux ? Après tout, il n'y a pas de Balkans orientaux.

Le facteur albanais est important. Vous avez mentionné la Macédoine. Aujourd'hui encore, le président du parlement macédonien est assis à une table sur laquelle le drapeau albanais est planté. Le drapeau macédonien se trouve également quelque part, mais le drapeau albanais est à côté. Mais il s'agit là d'un autre sujet.

Quant à Skopje et à la réunion ministérielle de l'OSCE. Je ne sais pas s'ils m'ont ignoré comme vous l'avez dit. Je pense qu'ils se sont simplement enfuis. Ils sont partis avant mon arrivée.

Je ne vois aucun problème de communication. Il y a un an et demi, lors de la réunion du G20 en Indonésie, j'ai représenté le président russe Vladimir Poutine sur ses instructions. Au milieu de la réunion, le secrétaire d'État américain Antony Blinken, par l'intermédiaire de son assistant, a proposé que nous nous entretenions en marge de la réunion. J'ai accepté et je suis sorti. Nous sommes restés ensemble pendant une dizaine de minutes. J'ai écouté ce qu'il m'a dit, puis je lui ai répondu. Je n'ai rien entendu de nouveau. Il y a eu encore des exhortations à terminer la situation en Ukraine. Rien de nouveau.

C'est cela le problème : lorsque des contacts sont proposés, presque toujours dans le cadre de conversations diplomatiques, on n'entend jamais rien de nouveau par rapport aux déclarations publiques de nos collègues occidentaux.

À propos des interviews sur votre plateforme. Franchement, je n'en vois pas l'intérêt. Ce ne sera pas intéressant. Il s'agira de slogans. Je peux l'imaginer, connaissant les discours d'Antony Blinken. Une conversation sérieuse ne devrait pas avoir lieu en public. Or, ils n'y sont absolument pas préparés, ni sur le plan politique, ni sur le plan du contenu.

Question: Fiodor Dostoïevski nous enseigne que "l'être ne commence à être que lorsqu'il est menacé de non-être". Par exemple, lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, les Américains ont lancé des grenades sous-marines sur notre sous-marin B-59. Son commandant a pensé que la guerre avait éclaté et il a préparé une torpille nucléaire pour frapper un groupe de navires américains. Seul le hasard l'en a empêché.

A cet égard, pensez-vous que le fait que l'Occident ait rejeté notre proposition de sécurité du 15 décembre 2021, signifie que l'on s'achemine vers une répétition de la crise de Cuba dans l'option 2.0 ?

Sergueï Lavrov: Ce sujet a fait l'objet de nombreuses discussions ces derniers temps dans divers talk-shows et lors de "rencontres" d’experts en sciences politiques. C'est l'un des sujets les plus brûlants. Nos plus éminents scientifiques internationaux s'expriment sur ce sujet et écrivent des traités sur la manière dont nous devrions procéder pour éviter de sombrer dans la guerre nucléaire. Pour cela, il faut que la peur élémentaire revienne de l'autre côté, car aujourd'hui, ils prétendent ne pas l'avoir.

Je vois plusieurs acteurs en l’occurrence. Si chacun des responsables politiques occidentaux pouvait parler en son nom propre, je pense que la situation serait différente, mais ils sont tous "alignés en rang d'oignons". Ils ont été "alignés" par les Américains et (dans une très large mesure) par les Britanniques.

J'ai donné des exemples lorsque Londres incite littéralement Vladimir Zelenski à bombarder n'importe quel site dans n'importe quelle partie de la Fédération de Russie. Lorsque d'anciens officiers américains à la tête des forces armées américaines en Europe (Frederick Benjamin Hodges et Philip Mark Breedlove) déclarent que toutes les sources de vie devraient être détruites en Crimée afin qu'il n'y ait pas de flotte russe dans cette région. Les Américains l'ont déclaré littéralement l'autre jour. Il serait intéressant d'entrer dans la tête de ces gens. J'aimerais savoir s'ils sont des provocateurs ou qu'ils s’imaginent que nous allons "nous dégonfler". Personne ne les ramènent à l’ordre.

Tous répètent obstinément que Vladimir Poutine les menace d'une bombe nucléaire, alors qu’il ne l’a jamais dit, contrairement aux Européens et aux Américains. Les Allemands ont déclaré que Vladimir Poutine devrait savoir qu'eux, l'Otan, possèdent également des armes nucléaires. À plusieurs reprises. Les Britanniques, leur ancienne Première ministre, a déclaré qu'elle n'hésiterait pas à appuyer sur le bouton [de lancement d'une arme nucléaire]. Mais il ne faut pas nous craindre. Beaucoup de gens le savent. Il faudrait relire Winston Churchill plus souvent. Il a un aphorisme sur l'ours russe et la manière dont il faut le traiter.

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