Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d'une conférence de presse conjointe avec le Ministre des Affaires étrangères de la République de Belarus Vladimir Makeï à l'issue de la réunion conjointe des collèges du Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et du Ministère des Affaires étrangères de la République de Belarus, Moscou, 18 novembre 2019
Chers collègues,
La réunion annuelle des collèges du Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et du Ministère des Affaires étrangères du Belarus vient de se terminer. Elle précède un grand anniversaire: le 20e anniversaire de la signature du Traité sur la création de l’État de l'Union. Nous avons constaté que, depuis, nos relations avaient parcouru un grand chemin d'intégration et qu'aujourd'hui elles revêtaient un caractère stratégique, d'alliance. La coordination étroite et approfondie en politique étrangère fait partie intégrante de nos relations. Le résultat principal du travail commun des ministères des Affaires étrangères en deux décennies est le suivant: aujourd'hui, la Russie et le Belarus sont d'accord sur pratiquement tous les principaux problèmes de notre époque.
Nous sommes convenus de poursuivre une coopération étroite sur les questions d'actualité de l'ordre du jour mondial, et de promouvoir des initiatives communes à l'Onu, à l'OSCE et sur d'autres plateformes multilatérales. A cela contribuera le Programme d'actions conjointes en politique étrangère pour 2020-2021, que nous avons signé aujourd'hui. C'est un document unique. La Russie, tout comme le Belarus à ce que je sache, n'a pas de tels documents avec d'autres partenaires. Nous avons également signé le Plan de consultations entre nos ministères pour l'an prochain - il est détaillé et inclut 25 thèmes concrets pour les consultations - et avons approuvé l'acte sur les résultats de la réunion d'aujourd'hui.
Nous avons exprimé notre préoccupation concernant le renforcement de l'activité militaro-politique de l'Otan à proximité de nos frontières. C'était l'un des thèmes principaux de la discussion d'aujourd'hui. Nous avons rappelé qu'en mai 2019, les ministres des Affaires étrangères des pays de l'Organisation du Traité de sécurité collective ont approuvé la lettre ouverte aux ministres des Affaires étrangères des États membres de l'Otan en proposant des mesures concrètes pour renforcer la confiance, développer les contacts et la coopération. Malheureusement, nous n'avons constaté aucune réaction à notre acte de bonne volonté.
Nous sommes convenus de poursuivre la ligne de coordination de nos approches vis-à-vis de l'activité de l'Otan dans l'ensemble, ainsi que vis-à-vis de la situation en termes d'activité militaro-politique en Europe aussi bien au niveau bilatéral que dans le cadre de l'OTSC.
Nous avons également abordé la problématique de la maîtrise des armements. Nous avons noté une situation insatisfaisante dans ce secteur suite aux démarches de Washington visant à saper sciemment l'architecture mondiale de stabilité stratégique. En détruisant le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) et en créant une indétermination autour des perspectives du Traité de réduction des armes stratégiques (START), les États-Unis provoquent une hausse dangereuse de la tension, une militarisation de la pensée en politique étrangère. Nous sommes préoccupés par les actions de Washington visant à réduire le seuil d'utilisation de l'arme nucléaire, ainsi que le transfert de la course aux armements dans l'espace extra-atmosphérique.
Nous avons parlé de cette situation. De notre côté, nous avons noté que, dans le message du Président russe Vladimir Poutine adressé aux principaux pays de la région euro-atlantique et Asie-Pacifique concernant le FNI, avait été réaffirmée l'intention de la Russie non seulement de faire preuve de retenue, mais également de proclamer un moratoire sur le déploiement des missiles à courte et moyenne portée tant que les États-Unis et leurs alliés s'abstiendront de telles actions. Notre proposition, faite dans le cadre de ce message adressé aux membres de l'Otan, d'adhérer à ce moratoire, reste en vigueur. Cette proposition est sur le même rang que l'initiative du Président biélorusse Alexandre Loukachenko concernant l'adoption d'une déclaration multilatérale à ce sujet. J'espère que ce signal synchronisé des États membres de l’État de l'Union sera entendu.
Nous avons aussi évoqué la situation malsaine autour de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), où nos partenaires occidentaux mènent une ligne intentionnelle visant à saper les bases consensuelles du travail sur cet axe en violant la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC).
Nous avons abordé les perspectives de la coopération à l'Onu afin de lutter contre la pratique illégitime des sanctions unilatérales. Nous avons souligné que leur utilisation détériorait sérieusement la confiance dans les affaires mondiales et empêchait le développement successif de l'économie mondiale. Nous avons également avancé des initiatives concrètes, évoqué les démarches communes afin de neutraliser cette pratique et de faire passer la discussion sur les différends dans plusieurs domaines de la vie internationale dans le cadre d'un dialogue civilisé et légitime.
Pour conclure, je voudrais noter qu'hier un événement important a eu lieu au Belarus: les élections législatives. Je profite de l'occasion pour féliciter nos amis biélorusses pour leur déroulement réussi. A ces élections étaient présents des observateurs russes, qui ont participé à la surveillance de la procédure électorale, notamment au niveau bilatéral et dans le cadre des missions de la CEI et de l'OSCE. Ils ont tous noté le niveau habituellement élevé de l'organisation du vote.
Question: Le programme d'actions concertées dans le domaine de la politique étrangère des pays membres du Traité de création de l'Union est mis en œuvre depuis 2000. Vous avez signé aujourd'hui un nouveau programme. Pourriez-vous expliquer plus en détail le sens de ce mécanisme de coopération bilatérale? Avez-vous évoqué d'éventuels correctifs à ce document en lien avec l'élaboration du Programme d'actions de la Fédération de Russie et de la République de Belarus en matière de mise en œuvre du Traité de création de l'Union?
Sergueï Lavrov: Le sens de ce document est contenu dans son nom: il s'agit de concerter nos actions dans le domaine de la politique étrangère. Cela comprend le travail à l'Onu, à l'OSCE et sur d'autres plateformes multilatérales, la promotion d'initiatives concrètes qui reçoivent depuis des années le soutien de la majorité écrasante des membres des organisations concernées. Je voudrais mentionner l'initiative sur l'inadmissibilité de la glorification du nazisme - ce thème est particulièrement d'actualité compte tenu des processus négatifs observés dans certains pays, notamment en Europe. La prévention de la course aux armements dans l'espace est également d'actualité pour des raisons évidentes.
Parallèlement, nous promouvons avec la République de Belarus des propositions concrètes qui reçoivent l'approbation de l'Onu: sur l'établissement et la mise en œuvre de mesures de confiance dans l'espace, sur la sécurité de l'information internationale, sur la prévention de la cybercriminalité, etc. Comme nous l'avons déjà évoqué aujourd'hui, il s'agit naturellement aussi de la non-prolifération des armes de destruction massive, de la maîtrise des armements, et de l'inadmissibilité de la destruction de ce système. Par ailleurs, notre initiative commune à l'Assemblée générale de l'Onu - qui a été soutenue par beaucoup d'autres pays et a reçu la majorité écrasante des voix (il est à noter que personne n'a voté contre) - concernait justement le renforcement et le développement du système de maîtrise des armements et de non-prolifération des armes de destruction massive. Il s'agit d'une nouvelle initiative. Elle a été avancée au moment où ce système était menacé de destruction en résultat des actions des États-Unis que nous venons de mentionner aujourd'hui.
Sur le continent européen, les questions relatives à la protection de la sécurité européenne sont initiées dans un esprit d'approches collectives principalement grâce aux initiatives de la Russie, de la Biélorussie et d'une série d'autres pays qui soutiennent les mêmes positions. En général, ces initiatives concrètes répondent à la philosophie partagée par nos États: l'attachement au droit international, l'assurance du respect total par tous, sans aucune exception, des principes de la Charte des Nations unies, organisation créée suite à la guerre la plus sanglante de l'histoire de l'humanité: la Seconde Guerre mondiale.
Comme vous le savez, nous fêterons les 75 ans de la Victoire en mai prochain à Moscou et à Minsk, ainsi que dans les capitales d'autres pays qui ont fait partie de l'Union soviétique et ont joué un rôle décisif dans la victoire sur le nazisme. C'est particulièrement important dans une situation où les bases mêmes du rôle de l'Onu dans les affaires internationales sont mises en doute, quand nos collègues occidentaux tentent de remplacer les normes du droit international universelles et acceptables pour tous les pays du monde par des règles qui sont inventées par un groupe restreint de pays et qui peuvent varier d'un cas à un autre. Cela explique dans les grandes lignes l'objectif de ces programmes et les modalités de leur concertation.
Ils sont concertés au cours de réunions similaires à celle qui a eu lieu aujourd'hui. Ils contiennent des directives concrètes adressées à tous nos représentants auprès des organisations internationales, appelant à promouvoir les initiatives que je viens de mentionner, entre autres, ainsi que la consigne adressée aux ambassadeurs russes et biélorusses dans tous les pays de coopérer et de concerter leurs actions concernant les questions d'actualité internationale.
En ce qui concerne votre question sur les correctifs éventuels à ce programme de politique étrangère en raison de l'élaboration du Programme d'action sur la mise en œuvre du Traité de création de l'Union, ce n'est pas le cas. Il n'y a eu aucune correction, comme il n'existe aucun projet de corriger le Programme de mise en œuvre du Traité de création de l'Union en raison de ce que nous avons fait aujourd'hui. Notre concertation en matière de politique étrangère revêt un caractère objectif et non-conjoncturel, dénué de toute condition artificielle. Nous l'avons complètement confirmé aujourd'hui avec nos collègues biélorusses.
Question: Le Kremlin a confirmé aujourd'hui que des négociations dans le cadre du format Normandie devraient se dérouler le 9 décembre. Est-ce que cela indique que les conditions avancées par Moscou pour obtenir un progrès dans les négociations ont été remplies?
Sergueï Lavrov: Si les quatre pays membres du format Normandie sont prêts à se rencontrer le 9 décembre, cela témoigne de l'accomplissement des conditions. Car nous n'avons avancé aucune exigence artificielle concernant l'organisation de cette rencontre. Nous ne voulions obtenir qu'une seule chose: que les participants au format Normandie respectent les décisions qu'ils avaient eux-mêmes adoptées en 2015-2016 et qui ont été torpillées par le régime de Piotr Porochenko pour tout ce qui concernait le processus politique et la sécurité sur le terrain.
Sous le gouvernement formé par le Président ukrainien Vladimir Zelenski, on a réussi à résoudre des questions non résolues pendant des années, notamment le retrait des troupes et du matériel à Stanitsa Louganskaïa et l'arrêt des violations commises par les forces armées de l'Ukraine au niveau de deux autres zones nécessitant un tel retrait selon le format Normandie. On a également entrepris des actions qui ont enfin permis d'adopter officiellement, avec toutes les signatures des parties, la "formule Steinmeier" concernant l'organisation des élections en lien avec l'octroi d'un statut spécial aux régions de Donetsk et de Lougansk. Une autre condition - appelons-la comme ça - avancée par la Russie indique qu'outre la confirmation de la mise en œuvre des ententes existantes, les participants au prochain sommet du format Normandie devront être prêts à adopter des initiatives supplémentaires pour favoriser la mise en œuvre complète des accords de Minsk.
Nos partenaires français et allemands nous assurent que cela reflète totalement leur approche. Nous comptons sur le fait qu'ils utiliseront leurs relations avec Kiev pour que les autorités ukrainiennes prennent conscience également de l'absence d'alternative à la mise en œuvre à part entière des Accords de Minsk. Ces signaux de Paris et de Berlin sont d'autant plus importants que nous entendons des signaux assez contradictoires de la part de l'administration du Président ukrainien Vladimir Zelenski et des membres du gouvernement de ce pays, notamment qu'il n'y aura pas d'amnistie - prévue par les Accords de Minsk -, qu'il n'y aura aucun contact direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk (ce qui a été annoncé par le Ministre ukrainien des Affaires étrangères Vadim Pristaïko en personne), et bien d'autres déclarations qui nécessitent une réaction des autres membres du "format Normandie" afin de maintenir à part entière l'attachement aux bases posées par ce dernier, qui guident actuellement l'activité du Groupe de contact réunissant Kiev, Donetsk et Lougansk avec le soutien de la Russie et de l'OSCE. Nous espérons surtout que nos collègues français, en tant qu'hôtes du sommet de Normandie, feront tout pour lever toute ambiguïté, pour que ce sommet réaffirme clairement l'immuabilité des Accords de Minsk et l'absence d'alternative à leur mise en œuvre.
Question: Nous entendons constamment parler d'attaques de hackers, notamment contre les structures étatiques de différents pays. Malheureusement, l'espace virtuel est utilisé par des organisations terroristes et criminelles. Ce thème est particulièrement d'actualité pour la Russie et pour le Belarus.
Le Belarus accorde beaucoup d'attention au développement des technologies de sécurité dans le secteur de l'information et des communications. Pouvez-vous parler plus en détail de la nouvelle initiative biélorusse pour la mise en place d'une "ceinture de bon voisinage numérique"?
Sergueï Lavrov (ajoute après Vladimir Makeï): Je soutiens totalement cette logique. Cela répond entièrement à la disposition de la Russie à créer un nombre maximal de "bons voisinages" numériques aussi bien via les canaux bilatéraux (nous avons de tels accords avec plusieurs pays) que dans le format des organisations régionales dans notre espace eurasiatique commun et à l'échelle mondiale, comme l'a dit Vladimir Makeï. Sachant qu'à l'échelle mondiale la Russie et le Belarus font partie des co-auteurs les plus actifs de la résolution adoptée chaque année à l'Assemblée générale des Nations unies, qui a donné le départ aux négociations intergouvernementales pour élaborer le projet de règles de comportement responsable dans l'espace de l'information, notamment en matière de garantie de la sécurité de la souveraineté des États, auxquelles participent tous les membres de l'Onu. Une nouvelle fois, nous saluons également cette initiative de nos amis biélorusses.