Allocution et réponse à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors de la conférence de presse à l'issue de son entretien avec Marija Pejčinović Burić, Secrétaire générale du Conseil de l'Europe, Moscou, 19 octobre 2020
Mesdames et messieurs,
Avec la visite de la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe Marija Pejčinović Burić, nous tirons un trait symbolique sur la crise systémique dans laquelle le Conseil de l'Europe avait été plongé entre 2014 et 2019 à cause des actions de plusieurs membres de l'Assemblée parlementaire allant à l'encontre de la charte de cette organisation.
Au printemps 2019, j'ai rencontré à Moscou le prédécesseur de la Secrétaire générale Marija Pejčinović Burić, Thorbjorn Jagland. Nous étions en pleine crise. A présent, la situation a foncièrement changé, avant tout suite à la 129e session ministérielle du Comité des ministres du Conseil de l'Europe à Helsinki en mai 2019.
Les droits des parlementaires russes ont été entièrement rétablis depuis. La leçon principale de cette situation est qu'il est inadmissible d'user au Conseil de l'Europe du langage des menaces, des ultimatums, de la pression, tout autant que de tenter d'enfreindre les principaux principes de la Charte du Conseil de l'Europe qui constituent les fondements de l'organisation.
La visite de Marija Pejčinović Burić se déroule à l'approche du 25e anniversaire de l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe. Nous célébrerons cette date le 28 février 2021. C'est une bonne occasion pour analyser où nous nous trouvons, quels sont nos objectifs pour poursuivre la coopération entre le Conseil de l'Europe et la Fédération de Russie.
Nous avons réaffirmé notre volonté de renforcer la coopération multilatérale dans le cadre du Conseil de l'Europe. La Russie est disposée à une participation active à son travail. L'attachement de notre pays à tous les engagements pris conformément aux nombreuses conventions de cette organisation paneuropéenne reste inchangé.
Le plus important pour nous est que le Conseil de l'Europe reste l'un des piliers de l'ordre mondial basé sur le droit international, et non sur des "règles" qui seraient établis par certains pays ou leurs organisations ou alliances non universelles. Que le Conseil de l'Europe justifie sa vocation d'organisation paneuropéenne dont les mécanismes et les conventions fédèrent l'espace juridique et social de notre continent commun. Que la structure du Conseil de l'Europe ne soit pas utilisée pour promouvoir les intérêts d'un groupe restreint.
Nous avons parlé franchement avec la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe Marija Pejčinović Burić. Malheureusement, ces dernières années, nous constatons également à Strasbourg des tentatives de "doubles standards" et de règlement de comptes politiques. Nous avons parlé en particulier de la poursuite d'une violation importante des droits de l'homme, de droits de millions d'individus dans l'espace du Conseil de l'Europe: je fais allusion à la discrimination ouverte du russe et de la population russophone en Ukraine et dans les pays baltes. Nous avons souligné le caractère inadmissible du blocus en eau de la Crimée, transgressant toutes les conventions possibles et imaginables, européennes et universelles, et bafouant la recommandation faite encore en 2016 par le représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de l'Europe Gérard Stoudmann, qui s'était rendu en Crimée et avait préparé un rapport. L'une de ses recommandations soulignait la nécessité de réagir immédiatement au problème d'alimentation en eau de la Crimée.
Nous avons également attiré l'attention sur un autre problème bien connu de nos amis au secrétariat du Conseil de l'Europe: le caractère inadmissible de toute glorification des criminels nazis et de leurs complices, le caractère inadmissible de la destruction des monuments aux guerriers libérateurs de l'Europe. Nous sommes convaincus que le Conseil de l'Europe, en tant que structure qui revendique le statut de principale organisation des droits de l'homme sur le continent, ne doit pas fermer les yeux sur ces phénomènes honteux.
Nous avons également parlé de ce que le Conseil de l'Europe pouvait faire pour garantir la coordination des efforts internationaux dans la lutte contre la pandémie de coronavirus et ses conséquences. La Secrétaire générale du Conseil de l'Europe Marija Pejčinović Burić a préparé un rapport utile à ce sujet. La décision du Comité des ministres du Conseil de l'Europe est également en préparation, et doit être adoptée pendant sa réunion sous la présidence grecque le mois prochain. Nous pensons que le Conseil de l'Europe ne doit pas simplement veiller aux conventions en matière de protection sanitaire, mais qu'il est également appelé à formuler un agenda constructif, à unir les efforts des États membres en s'appuyant sur les mécanismes en vigueur, notamment sur la Charte sociale européenne, la Convention Medicrime, et la Pharmacopée européenne. Nous saluons à cet égard les propositions formulées dans le rapport de la Secrétaire générale visant à renforcer la dimension de l'activité du Conseil de l'Europe.
Nous avons aussi parlé du rôle et de la place de l'Organisation dans l'architecture européenne. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il est important pour le Conseil de l'Europe de préserver son identité et son autonomie, de ne pas devenir complice du traçage de nouvelles lignes de démarcation mais de se concentrer sur l'objectif principal: "Réaliser une union plus étroite entre ses membres, afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes fondés sur le respect des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit, qui sont leur patrimoine commun".
Ces mots sont plus jamais que d'actualité aujourd'hui. Nous ferons tout pour que cet objectif principal du Conseil de l'Europe soit mis en œuvre le plus vite et le plus largement possible dans des affaires pratiques.
Je vous remercie.
Question: Avez-vous évoqué aujourd'hui le conflit dans le Haut-Karabakh? Il paraît évident que les accords qui ont été conclus lors de la réunion trilatérale à Moscou n'ont pas conduit à un cessez-le-feu total. Avez-vous réussi à pointer aujourd'hui les démarches pour la désescalade du conflit?
Sergueï Lavrov: Nous avons informé nos collègues du Secrétariat du Conseil de l'Europe de la manière dont la Russie voyait la situation, des démarches que nous engagions. Nous sommes certains que le plus important maintenant est de cesser immédiatement d'attiser la rhétorique conflictuelle aussi bien entre les belligérants qu'au niveau des acteurs internationaux responsables. Cela ne demande pas beaucoup d'efforts.
La prochaine démarche absolument nécessaire à entreprendre parallèlement à la cessation de la rhétorique conflictuelle est de cesser les activités militaires, les frappes contre les sites civils, et de remplir l'exigence contenue dans la déclaration des présidents de la Russie, des États-Unis et de la France en tant que dirigeants des pays coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE et dans le Document de Moscou signé avec notre contribution par les ministres des Affaires étrangères de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie le 10 octobre 2020. La même chose est confirmée dans le document qu'ils ont convenu le 18 octobre 2020 en cherchant de nouveau à stopper l'effusion de sang.
Vous avez raison, après la rencontre de Moscou nos attentes n'ont pas été satisfaites: les activités militaires se sont poursuivies avec des frappes contre l'infrastructure civile et les zones d'habitation. C'est inadmissible.
Pour que le cessez-le-feu fonctionne (nous l'avons vu après les deux documents qui ont été adoptés mais n'ont pas permis de changer foncièrement la situation sur le terrain), il faut créer et instaurer un mécanisme de contrôle du cessez-le-feu. Nous y travaillons activement, notamment avec la participation du Ministère russe de la Défense, avec les collègues de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie. J'espère que ce mécanisme sera mis au point très prochainement.
Au sujet des objectifs d'aujourd'hui, je ne peux pas ne pas mentionner la nécessité d'accélérer significativement les efforts pour le processus de paix. C'est ce qu'indique également la Déclaration de Moscou. Il y a des élaborations détaillées qui ont été préparées par les coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE, la Russie, la France et les États-Unis, et ont été évoquées avec les parties. Selon moi, elles contiennent les réponses à toutes les questions. Dans les limites du possible au moment historique actuel, d'après moi, nous devons inciter les parties à mettre au point les termes principaux qui permettront à plus long terme de stabiliser la situation, de débloquer les liens économiques, de transport et de garantir la sécurité du Haut-Karabakh et d'autres territoires de cette région.