Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors de la conférence de presse faisant suite à son entretien avec Peter Maurer, Président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Moscou, 17 novembre 2020

1973-17-11-2020

Mesdames et messieurs,

Bonjour.

Nous remercions nos amis du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et notamment son Président Peter Maurer, pour cette visite très opportune en Fédération de Russie dont le programme a été particulièrement nourri.

L'interaction entre la Russie et le CICR est traditionnellement constructive. Nous apprécions le haut professionnalisme et l'approche dépolitisée qui distingue les collaborateurs du comité dans leur activité visant à contribuer et à régler les différentes crises humanitaires. Nous apprécions leur contribution pour faciliter les souffrances de la population civile affectée par les conflits et les crises. De notre côté, nous participons activement à la réalisation de projets du CICR. Nous avons réaffirmé aujourd'hui notre disposition à continuer de contribuer à leur mise en œuvre. Il s'agit avant tout de projets visant à améliorer la situation des civils confrontés malgré eux à des situation de crise. C'est à ces fins que nous allouons depuis 2018 une cotisation annuelle volontaire, qui est versée par la Russie sur le compte du CICR.

Nous avons parlé de la situation dans différentes régions du monde. Cette dernière semaine, le problème du processus de paix au Haut-Karabakh est passé au premier plan. Grâce aux efforts entrepris, notamment le déploiement du contingent russe de maintien de la paix, ce processus a débouché sur une nouvelle étape conformément aux accords du 9 novembre entre les présidents de la Fédération de Russie, de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie. Je pense que le cessez-le-feu basé sur ces accords ouvre de nouvelles opportunités pour le travail du CICR, qui est présent en Arménie et en Azerbaïdjan, ainsi que directement au Haut-Karabakh. Peter Maurer et ses collègues parleront plus en détail des aspects spécifiques de leur travail dans cette région lors de leurs rencontres au Ministère russe de la Défense et au Ministère russe des Situations d'urgence.

Nous pensons que le CICR est tout à fait capable de jouer un rôle important et de plus en plus actif pour surmonter les conséquences humanitaires des événements dans le Haut-Karabakh. Nous savons comment le CICR traite les questions liées à la contribution à l'échange de corps des défunts, au retour des prisonniers et d'autres personnes détenues. Tout cela est très important pour rétablir des relations normales entre les personnes de différentes ethnies et confessions.

Nous espérons que d'autres structures humanitaires s'y joindront, avant tout les structures de l'Onu - je fais allusion au Haut-Commissariat aux réfugiés et au Bureau de la coordination des affaires humanitaires. Le problème de la préservation du patrimoine culturel se pose également dans le Haut-Karabakh, et en ce sens l'Unesco pourrait jouer un rôle.

Le CICR est présent dans la région depuis des années. Son expérience serait utile pour les organisations qui n'y ont pas encore entamé leur travail. Nous partons du principe qu'il est dans l'intérêt de tous les habitants du Haut-Karabakh et autour (en Arménie et en Azerbaïdjan) de bénéficier d'une présence internationale large et active dans la région.

Un autre thème que nous évoquons activement avec nos collègues du CICR est la situation dans le Sud-Est de l'Ukraine. Le Comité apporte une aide humanitaire importante à la population de la région. Dans le contexte du blocus maintenu par Kiev, cette aide, en plus des convois humanitaires russes, offre aux habitants la possibilité de bénéficier d'un accès au plus nécessaire. C'est une source très importante d'assistance humanitaire. Nous avons noté également que le travail fructueux du CICR dans le Donbass s'expliquait avant tout par sa disposition et son intérêt à régler directement les questions concrètes avec les autorités des républiques de Donetsk et de Lougansk autoproclamées.

Nous jugeons positive notre coopération sur de nombreux points chauds du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, notamment en Syrie et en Libye. De notre côté, nous continuerons d'apporter un soutien diversifié à la Syrie en restant inconditionnellement attachés au respect de sa souveraineté, de son intégrité territoriale et de son unité politique. Nous contribuerons au retour dans le pays des réfugiés syriens et aiderons à consolider les efforts de la communauté internationale en ce sens, notamment avec le CICR.

Un aspect concret et important de notre coopération est l'interaction sur le rapatriement des enfants russes de Syrie et d'Irak.

Nous jugeons également positif le travail du CICR en Abkhazie et en Ossétie du Sud, notamment dans le contexte de la lutte contre la prolifération du nouveau coronavirus.

Dans l'ensemble, les problèmes humanitaires dans de nombreuses zones de crise sont aggravés par les conséquences de la pandémie de coronavirus. Nous avons parlé aujourd'hui des efforts de la communauté internationale afin de neutraliser ces conséquences. Notre pays participe activement à ces efforts. L'expérience des médecins russes est demandée dans plusieurs pays. Nous organisons d'importantes fournitures de moyens de protection individuelle, de systèmes, de médicaments et d'équipements. Nous échangeons notre expérience, des connaissances et des technologies. Nos partenaires à l'étranger s'intéressent aux approches russes de l'organisation des mesures de réaction au coronavirus. Ce thème est régulièrement évoqué par le Président russe Vladimir Poutine avec ses homologues lors de leurs entretiens téléphoniques, notamment hier avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Nous constatons le rôle important du CICR en la matière, notamment compte tenu de ses capacités uniques et de son autorité.

Au cours de cette visite, Peter Maurer et sa délégation ont été reçus au Ministère russe de la Santé où ce thème a été évoqué en détail.

Dans l'ensemble, la prolifération du coronavirus aggrave l'impact des sanctions unilatérales illégales pour des millions de gens qui ne peuvent pas avoir accès non seulement à une aide médicale normale et à l'infrastructure, mais également aux produits de première nécessité. Les restrictions unilatérales sont maintenues malgré les appels de l'Onu, du Secrétaire général et du Haut-Commissaire aux droits de l'homme. C'est regrettable, ne fait qu'aggraver la crise, et complique le travail des organisations humanitaires.

Dans l'ensemble, nos relations sont très riches. Nous avons un ordre du jour concret. Nous souhaitons développer la coopération. Je voudrais remercier nos amis du CICR pour cette coopération et réaffirmer notre disposition à la développer en s'appuyant sur les résultats très productifs de cette visite.

Question: Avez-vous parlé du retour des réfugiés syriens? Que pensez-vous des résultats de la Conférence internationale pour le retour des réfugiés syriens et des déplacés internes qui s'est déroulée à Damas? Le vice-Président du Conseil des ministres et Ministre syrien des Affaires étrangères et des Expatriés Walid Mouallem vient de décéder. Que pouvez-vous dire de lui en tant qu'homme et diplomate?

Sergueï Lavrov: Walid Mouallem était mon ami proche, un ami du peuple russe et de tous nos diplomates qui travaillaient d'une manière ou d'une autre au Moyen-Orient et étaient en contact avec lui, avec son talent diplomatique et ses capacités. C'était un très grand professionnel et en même temps très humain. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, notamment lors de discussions informelles. Ses profondes connaissances, sa loyauté infinie pour son pays, ont évidemment contribué à ce que la Syrie conserve son indépendance, sa souveraineté et ses vrais amis. J'ai envoyé mes condoléances au Président syrien Bachar al-Assad pour exprimer nos sentiments concernant le décès de Walid Mouallem.

Nous avons abordé le retour des réfugiés pendant la Conférence de Damas les 11 et 12 novembre. Nous avons apprécié la participation du CICR à cet événement. Selon nous, les pays qui ont envoyé leurs délégations ont réaffirmé leur volonté que la crise syrienne soit réglée sans tentatives de jouer des combinaisons et des jeux géopolitiques, mais uniquement dans l'intérêt du peuple syrien. Les pays qui ont intentionnellement décidé non seulement d'ignorer cette Conférence, mais qui ont également tout fait pour forcer leurs alliés à ne pas envoyer leurs délégations à cet événement très important, ont commis un grave péché, selon moi. Ils sont allés contre le plus important dans cette vie et dans tout conflit: contre les intérêts des gens ordinaires, en l'occurrence des Syriens ordinaires. Je suis certain que ces tentatives échoueront parce que la communauté internationale a conscience de sa responsabilité en ce qui concerne l'aide aux Syriens et à d'autres peuples en situation de conflit. Cela doit se dérouler en parfaite conformité avec les normes du droit humanitaire international, sans être soumis à aucune politisation ou idéologisation.

Question: Comment se déroule la coopération entre le CICR et la Russie dans le cadre de la mission de maintien de la paix de Moscou dans le Haut-Karabakh? Quelles mesures sont prises pour aider les civils à revenir à la vie normale? Quels sont les principaux défis dans la région aujourd'hui, selon vous?

Sergueï Lavrov (ajoute après Peter Maurer): Je voudrais confirmer ce que Peter a dit. Contrairement à la Russie, le CICR travaille depuis des années dans la région, notamment dans le Haut-Karabakh directement. Dans la déclaration conjointe du 9 novembre 2020, les dirigeants de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie et de la Russie sont convenus de déployer des casques bleus dans le Haut-Karabakh et dans la région du corridor de Latchin. C'était une nouvelle expérience pour nous. Dans ce sens, les connaissances accumulées par nos amis du CICR sont d'une valeur inestimable. Nous souhaitons un échange d'avis sur la situation, entendre les conseils que nous pouvons nous donner mutuellement. Nous avons ressenti un sentiment réciproque de la part du CICR.

Le contingent de maintien de la paix, de toute manière, doit s'occuper et s'occupera des problèmes humanitaires, aidera des gens concrets qui se sont retrouvés dans une situation difficile, notamment ceux qui ont quitté le Haut-Karabakh et y reviendront maintenant. Mais la composante humanitaire du mandat de nos casques bleus a également une grande importance pour la garantie de la sécurité de la population civile. Hormis les casques bleus, vous le savez, un décret du Président de la Fédération de Russie a ordonné la création du Centre interministériel de réaction humanitaire où seront réunies les ressources du Ministère de la Défense, du Ministère des Situations d'urgence, du Ministère des Affaires étrangères et d'autres départements compétents. Ce Centre sera directement intéressé par des contacts étroits avec les représentants du CICR.

Comme je l'ai dit, nous avons prôné que les belligérants reconnaissent la signification de l'élargissement de la présence internationale au Karabakh au niveau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, de l'Unesco, du Programme de l'Onu pour le développement, parce que les questions de reconstruction des sites détruits sont primordiales. Nous sommes certains, et sur ce point nos avis coïncident, que plus grande sera cette présence, plus efficacement seront mises en place les conditions favorables pour rétablir la paix ethno-confessionnelle et l'entente.

Question: Un représentant du Département d’État américain a déclaré que Washington et Paris attendaient de la Russie des détails concernant l'accord de paix. Est-ce que la Russie prépare une déclaration explicative à ce sujet?

Sergueï Lavrov: Comment disait le poète Alexandre Galitch: "Et on me crie dans la salle: "Donne des détails!""? Je suis surpris de l'entendre. En ce qui concerne, par exemple, les collègues français, ces dix derniers jours le thème du Haut-Karabakh a été évoqué en détail deux fois au téléphone par les présidents de la Fédération de Russie et de la République française. J'ai parlé pendant près d'une heure à ce sujet avec mon homologue français le Ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Nos collègues américains ont également été informés au niveau du sous-Secrétaire d’État, sachant que Mike Pompeo est parti à l'étranger pour une tournée de 10-12 jours. Bien évidemment, depuis le début des efforts entrepris par la Russie pour faire cesser la phase chaude de ce conflit, nous avons travaillé en contact très étroit avec les coprésidents des États-Unis et de la France.

Le 10 octobre 2020, quand dans ce bâtiment les ministres des Affaires étrangères de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie ont mis au point avec nous leur déclaration, les coprésidents étaient présents, ils ont été entièrement informés. Puis, quelques jours plus tard, le Président français Emmanuel Macron, sans évoquer les détails avec qui que ce soit, a avancé sa propre initiative, que nous avons soutenue, sans chercher à y voir une certaine autonomie qui nuirait aux intérêts de la Fédération de Russie. Une semaine après cela s'est tenue une réunion à Washington où ont été invités les ministres des Affaires étrangères azéri et arménien. Encore une fois, personne n'était vexé. Tout comme à Moscou, les coprésidents étaient présents.

A mes yeux, soit les déclarations de ce genre découlent du fait que ceux qui les font ne sont pas suffisamment informés, soit résultent d'un malentendu.

Question: Vous avez noté récemment que rien n'indiquait que quelqu'un tenterait de détruire les accords sur le Karabakh. Par ailleurs, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a déclaré qu'aujourd'hui Erevan considérait la reconnaissance internationale du Karabakh et de son statut comme la priorité absolue. Il a indiqué que les forces arméniennes seraient le garant d'une certaine souveraineté du Karabakh. Que pouvez-vous dire de cette déclaration? N'est-ce pas une certaine menace pour les accords conclus? Pouvez-vous expliquer: on ne comprend pas très bien si la Déclaration du Président azéri, du Premier ministre arménien et du Président russe sous-entend que les forces arméniennes doivent être retirées de l'ensemble du territoire du Haut-Karabakh, y compris Khankendi (Stepanakert), Agdere, si les réfugiés y reviendront? Est-ce que cela sera contrôlé par les casques bleus russes? De quelle manière prévoit-on le retour des réfugiés azéris? Dans quels délais?

Sergueï Lavrov: Je ne peux pas commenter les interprétations détachées du contenu de la Déclaration des trois dirigeants du 9 novembre. Elle mentionne tout ce qui a été convenu. Tout ce qui est ajouté par-dessus par tel ou tel responsable implique sa propre responsabilité. Je suis responsable de ces propos, la Fédération de Russie en est responsable: nous ne voyons actuellement aucune tentative de réécrire, de modifier la Déclaration diffusée.

Si je comprends bien, des débats difficiles ont actuellement lieu en Arménie. Mais 17 partis réunis pour soutenir les intérêts de leur pays se sont clairement prononcés contre toute tentative de changer cette Déclaration. Nous partons de ce principe. Nous ferons tout pour que ces tentatives ne soient pas entreprises et n'aboutissent en aucun cas.

Pour savoir qui revient où, qui se retire d'où: tout est écrit. Tout cela a été convenu au sommet. Nos dirigeants, les présidents de l'Azerbaïdjan et de la Russie et le Premier ministre de l'Arménie, savent parfaitement que tout cela doit être mis en œuvre.

En ce qui concerne le retour des réfugiés azéris et arméniens, ils doivent retourner dans leur foyer traditionnel en parfaite conformité avec les normes du droit humanitaire international en sécurité et de leur propre gré. Bien sûr, ils doivent bénéficier d'une aide pour réemménager dans leur ancien foyer. Qui plus est dans les cas où ils ont subi les conséquences des activités militaires et ont besoin d'être reconstruits. Nous en avons parlé aujourd'hui. Les organisations internationales pourraient jouer un rôle en ce sens. Nous y contribuerons par tous les moyens. Il est important d'aider au plus vite ceux qui veulent revenir pour qu'ils puissent le faire dans la situation la plus sûre et confortable possible.

 

 


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