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Interview du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov accordée à la chaîne d'information Russia Today, 25 décembre 2017

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Question: Commençons par les thèmes globaux, par la question sur le monde multipolaire dont la Russie parle depuis plus de 10 ans. Il prend déjà une forme concrète, néanmoins il n'y a pas de règles internationales qui réguleraient cette structure assez chaotique. D'où deux questions: Dans quelle mesure est possible leur formation dans les années à venir et comment voyez-vous le rôle de la Russie dans ce nouveau monde? La Russie doit-elle participer activement au règlement de problèmes en dehors de ses frontières?

Sergueï Lavrov: Je pense tout de même que le concept du monde multipolaire n'est pas apparu il y a 10, mais 20 ans. A son époque il a été formulé par Evgueni Primakov quand il était Ministre russe des Affaires étrangères en 1996-1998. Il avait également avancé l'initiative de mettre en place une coopération dans le cadre du triangle Russie-Inde-Chine (RIC) qui existe à ce jour. Nous organisons des réunions utiles notamment au niveau des ministres des Affaires étrangères, ainsi qu'au niveau de spécialistes sectoriels pour l'agriculture, l'industrie, les finances, la coopération de jeunesse et sociale et sur bien d'autres questions. RIC a donné une impulsion à ce que nous appelons aujourd'hui les Brics, quand le trio Russie-Inde-Chine a été rejoint par le Brésil, puis par l'Afrique du Sud.

Selon moi, c'est précisément l'une des manifestations des tendances que nous appelons la formation objective d'un ordre mondial polycentrique parce que ces cinq économies se sont unies en période de leur forte croissance et elles étaient probablement des "champions" de croissance dans le monde. La situation est quelque peu différente aujourd'hui – la croissance économique a ralenti en Russie, au Brésil et en Afrique du Sud, mais l'Inde et la Chine demeurent des leaders incontestables de par cet indice.

Ensemble les Brics ont déjà 14,7% des voix au FMI, ce qui est inférieur de seulement 0,15% du taux nécessaire pour le veto. Nous ne cherchons pas à atteindre ce taux en tant qu'une fin en soi, mais nous sommes certains que le FMI, compte tenu de la multiplicité des problèmes monétaires et financiers, la situation actuelle du dollar et le renforcement d'autres monnaies, a depuis longtemps besoin de changements qui garantiront une administration plus démocratique de cette institution très importante.

Un pas a été fait dans ce sens avec la formation du G20 il y a 7-8 ans quand son premier sommet s'est tenu. Il existait déjà mais peu connaissaient son existence. Le G20 ne se réunissait jamais à un niveau politique plus ou moins sérieux, et tout à coup un sommet s'est réuni pour refléter la compréhension des puissances occidentales qu'on ne parvient plus à faire des affaires sans s'entendre avec les nouveaux centres de croissance économique, d'aide financière et d'influence politique.

D'ailleurs, dans le cadre du G20 qui symbolise également le mouvement vers un monde multipolaire les Brics ne sont pas seuls. Les Brics ont des alliés parmi lesquels les pays tels que l'Arabie saoudite, l'Argentine, le Mexique et l'Indonésie. C'est pourquoi je pense que près de la moitié des membres du G20 souhaitent ne pas conserver la situation où les pays non occidentaux seraient de facto écartés du processus de prise de décisions.

C'est un processus sain qui s'appuie sur le principe de consensus qui existe dans le G20. Il me semble que du côté de nos partenaires occidentaux du G20 également on comprend de plus en plus la nécessité de s'entendre.

En disant tout cela je veux répondre à votre question consacrée à l'élaboration de règles de formation du monde multipolaire. Je pense que ce n'est pas nécessaire. J'ai cité les exemples de formation du trio Russie-Inde-Chine, des Brics, la reprise et l'activation soudaine du G20. Ce sont des processus naturels, personne ne prédétermine leur évolution. Je voudrais dire encore une chose qui reflète également l'aspiration des Etats à tenir compte des tendances objectives de multipolarité – c'est notre approche du développement de la coopération sur le continent eurasiatique. Le fameux Grand projet eurasiatique dont l'idée a été avancée par le Président russe Vladimir Poutine ne définit pas des indices concrets à atteindre à tout prix et n'avance pas de conditions préalables. Le projet de Partenariat transpacifique (TPP) avancé par Barack Obama était dès le départ défini comme un groupe de 12 pays qui élaboreront les règles du jeu, tandis que les autres y adhéreront selon ces règles sur les conditions fixées par ces 12 membres. Des paramètres concrets étaient définis de l'objectif à atteindre.

Nous connaissons le sort de ce projet à l'étape actuelle. L'administration de Donald Trump a décidé de ne pas y rester, et les 11 autres pays réfléchissent aujourd'hui pour savoir s'il faut poursuivre sans les USA ou inventer autre-chose. Il me semble que le sort de ce projet a reflété son orientation sur un certain résultat avant qu'on ne sache quel sera l'équilibre des intérêts de tous ceux qui ont été invités et pas seulement.

Notre approche est bien plus démocratique. Nous prônons l'absence de toute restriction pour coopérer sur le continent eurasiatique. Le Président russe Vladimir Poutine a formulé une initiative dans le cadre de laquelle nous souhaitons que les pays membres de l'Union économique eurasiatique, de l'Organisation de coopération de Shanghai et de l'ANASE développent les relations entre eux au fur et à mesure qu'ils prennent conscience de l'intérêt mutuel dans tel ou tel domaine, que ce soit la logistique, l'infrastructure, l'énergie et bien d'autres. De la même manière nous disons que quand les notions idéologiques de nos partenaires en UE passeront en arrière-plan, nous saluerons leur participation (nous leur envoyons déjà les invitations) à ce Grand projet eurasiatique continental qui s'étend au-delà du cadre terrestre sur l'Asie du Sud-Est, y compris les Etats insulaires.

Voici un bon exemple de la vie. Si je me souviens bien, en Angleterre, avant de construire un chemin pour traverser le gazon on laisse d'abord les gens circuler sur ce gazon pour comprendre quel chemin est le plus pratique pour ceux qui traverseront ce parc tous les jours. Nous agissons probablement de la même manière, nous ne cherchons pas à construire une route pour qu'elle ne soit pas pratique.

Question: Dans les relations des USA et de la Russie l'année a été difficile en dépit des espoirs de l'an dernier. La Russie est contrainte de réagir aux actes hostiles des USA, y compris les sanctions diplomatiques. Le dernier exemple concerne les attaques contre les médias russes, notamment le retrait de l'accréditation de notre chaîne au Sénat américain. Pensez-vous que la méthode de réponses symétriques fonctionne? Jusqu'où peut conduire une telle escalade dans les relations entre la Russie et l'Occident, entre la Russie et les USA?

Sergueï Lavrov: Vous avez dit que votre chaîne avait été parmi les plus touchées par cette politique des USA qui est complètement contraire aux normes et aux principes du journaliste, de la liberté d'expression et d'opinion. D'ailleurs, les USA à la tête d'un groupe de pays occidentaux à l'OSCE exige depuis plusieurs années des décisions séparées qui mettront en évidence la nécessité de protéger les journalistes et de garantir leurs droits. La Russie y est entièrement favorable, mais nous sommes opposés à la dissociation d'un groupe social ou professionnel dans le contexte de la nécessité d'assurer la non-discrimination et le respect des droits de l'homme, y compris les droits professionnels évidemment. Nous voulons que les droits soient respectés indépendamment celui avec qui on travaille si c'est fait dans le cadre de la loi et des principes internationaux qui existent et qui sont communs pour tous.

D'ailleurs, les USA ne sont pas le seul pays, pas le seul gouvernement qui discrimine votre chaîne. Il demeure des problèmes en France en dépit de l'ouverture de Russia Today France. Si je comprends bien, vous avez été "écartés" du pool présidentiel avec Sputnik. Nous n'arrivons pas à le comprendre. Nous rappelons à nos collègues français la situation très indécente, mais pour l'instant sans résultats.

Au Royaume-Uni les politiciens qui passent sur votre chaîne sont accusés de trahir les intérêts du Royaume. J'espère que je ne serai pas frappé par des sanctions inattendues parce que je suis en train de parler avec vous aujourd'hui et avec vos collègues dans d'autres situations.

Je comprends qu'en diplomatie et dans la vie en général la réciprocité est l'un des principaux principes. Quand on veut être respecté, il faut respecter les autres. Pense toujours quand tu fais quelque chose vis-à-vis de ton collègue ou partenaire: lui fais-tu quelque chose que tu voudrais qu'il te fasse. En le disant je voudrais noter que vous êtes tous au courant de l'adoption de la loi à la Douma d'Etat qui ne distingue personne en particulier comme une structure tabou, mais qui contient les principes pour définir  tel ou tel média en tant qu'agent étranger. Cela ne signifie pas du tout que l'accréditation sera retirée. L'accréditation auprès du Ministère russe des Affaires reste entièrement, les journalistes peuvent visiter toutes les activités sans exception que nous organisons. En ce qui concerne l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, nos collègues parlementaires détermineront eux-mêmes dans quelle mesure il est utile d'accorder l'accès des médias publics des Etats où sont absentes les mêmes possibilités pour nos médias subventionnés par l'Etat.

Mais je pense qu'en préservant le principe de réciprocité il ne faut pas se lancer imprudemment dans les accusations et les punitions réciproques. Personne n'en sera gagnant. D'après moi, il serait juste si nous montrions simplement au monde entier à quel point est importune et absurde cette politique qui interdit, disons en Ukraine, tous les médias russes, y compris les chaînes animées (si je me souviens bien), et à quel point il est important de lutter contre ces tendances. Je suis favorable à ce qu'au lieu de "serrer les boulons" on dessert ce qui a été serré en stimulant les discussions internationales.

Question: Je voudrais vous poser une question sur l'un des plus grands défis pour le monde politique cette année – la Corée du Nord. On en a beaucoup parlé. Dans quelle mesure, selon vous, le conflit sur la péninsule coréenne est plausible? D'après vous, que recherchent les USA par leur rhétorique agressive à ce sujet? De nombreux analystes disent que leur objectif est de faire monter les enchères à un tel point pour obtenir la reddition sur leurs conditions. Etes-vous d'accord avec cette analyse?

Sergueï Lavrov: Premièrement, je ne pense pas que quelqu'un sain d'esprit voudrait la guerre sur la péninsule coréenne. Les évaluations des conséquences et des pertes colossales pour le monde ont été annoncées non seulement par nous, mais également par les experts et les représentants américains. Je ne pense pas que quelqu'un mène sciemment l'affaire vers un tel dénouement. Du moins j'espère que c'est faux, malgré les insinuations faites. Mais même si personne ne voulait la guerre toujours quand on assiste à une telle accumulation d'armements modernes, destructeurs et de haute technologie des deux côtés du conflit il existe un risque d'erreur humaine, de panne technologique. J'espère que ceux qui organisent constamment des exercices provocateurs sont conscients qu'il faut en tenir compte.

Deuxièmement, en disant que je ne crois pas ou au moins que j'espère que les USA n'ont pas de plans de solution militaire, je note forcément la logique des derniers mois. Aujourd'hui la situation est telle qu'il est nécessaire d'entrouvrir le rideau de la manière dont les USA approchent de ce problème. Je n'entrerai pas dans les détails mais en septembre nous avons reçu un signal de la part des Américains qu'ils étaient prêts à ouvrir le dialogue. Que les exercices ne sont pas prévus jusqu'au printemps, et que dans ce cas le gouvernement nord-coréen devrait également se tenir tranquille. Qu'il est possible de profiter de cette pause naturelle pour établir un dialogue d'ici les exercices prévus pour le printemps prochain. Nous avons transmis ce signal, il n'a pas été rejeté, mais pendant toute cette préparation les Américains ont annoncé des exercices non planifiés pour octobre. En septembre – le signal qu'on peut parler jusqu'au printemps, et en octobre – les exercices non planifiés et de très grande envergure. Etonnamment Pyongyang n'y a pas réagi. Et alors, comme si on voulait le pousser à réagir, on a annoncé fin novembre des exercices aériens d'une ampleur sans précédent des USA et du Japon. Et seulement après cela Pyongyang a réagi.

Cela ne signifie pas du tout que nous justifions ce qu'a fait Kim Jong-un en lançant le dernier missile qui est manifestement intercontinental. Mais cela montre simplement la succession des démarches à prendre en compte et la logique des américains. Notre proposition avec les Chinois sur le double gel impliquait que Pyongyang ne lance et ne teste rien, alors que les Américains avec les Sud-Coréens et les autres alliés réduisent au moins significativement l'ampleur de leurs exercices. La logique américaine était que personne n'a jamais interdit ces exercices. Ils sont absolument légitimes du point de vue du droit international. Tandis que le Conseil de sécurité des Nations unies interdit à Pyongyang de lancer des missiles et de tester les engins nucléaires. C'est effectivement le cas. C'est la différence du statut juridique des unes et d'autres actions. Certes dans la politique on peut s'accrocher aux points légalistes pour construire les actions pratiques, mais dans une situation qui atteint un tel degré de tension, quand l'irréversible peut se produire, le premier pas de côté doit être fait par celui qui est, premièrement, plus fort et, deuxièmement, plus intelligent.

Nous espérons qu'il y a aux USA des gens qui comprennent la nécessité de détendre cette situation très tendue pour passer à une solution politique et diplomatique. Avec la Chine nous proposons de geler toutes les actions réciproquement provocantes et d'engager un dialogue sans aucun engagement. Pour que les USA et la Corée du Nord en tête-à-tête ou en présence d'autres Etats jugés confortables par les deux pays échangent simplement leurs avis concrets pour surmonter cette crise.

Nous savons tous qu'il existe un tel format comme les négociations à Six. Pour la troisième étape avec les collègues chinois nous voyons un processus multilatéral pour convenir des principes de paix et de sécurité sur la péninsule coréenne dans l'ensemble. En disant cela nous ne pouvons pas oublier les signaux négatifs envoyés à Pyongyang suite aux hésitations de Washington concernant le programme nucléaire iranien, concernant l'accord conclu dans le cadre du Plan d'action global commun. Le remettre en question ne signifie qu'une chose – que l'accord qui a conduit à la fermeture complète du programme nucléaire militaire de l'Iran est remis en question. Même si les USA ne l'ont pas encore quitté, ils ont fait beaucoup de bruit. Tout le monde a les nerfs à fleur de peau, y compris ceux qui ont participé à ces négociations avec les USA.

Le signal envoyé à Kim Jong-un est très simple. Oui, nous t'appelons à renoncer au programme nucléaire militaire, pour cela nous lèveront les sanctions contre toi, mais personne ne sait ce qui nous viendra en tête quand une autre administration arrivera à Washington.

Je me suis exprimé à ce sujet un peu plus longtemps qu'il ne fallait, mais je trouve que c'est un aspect très important. Il faut savoir qu'on ne peut pas étouffer éternellement l'économie, la sphère sociale, essayer d'organiser un blocus total. Récemment a été adoptée une nouvelle résolution de laquelle on a réussi à rayer des choses complètement inadmissibles. Y étaient maintenus les projets économiques et logistiques qui représentent un intérêt direct pour la Russie, mais une nouvelle fois nous entendons Washington dire qu'il faut maintenant, avant le Nouvel an ou immédiatement après de se réunir pour réfléchir comment continuer d'étouffer la Corée du Nord. C'est une mauvaise position. Si c'est qui était sous-entendu quand Herbert McMaster a déclaré que la diplomatie américaine se reposerait uniquement sur la plus puissante force militaire du monde, alors c'est mal, dans ce cas nous sommes tous face à de sérieuses épreuves. Nous ferons tout, comme l'a dit le Président russe Vladimir Poutine, pour l'empêcher, pour promouvoir des approches unificatrices et non séparatrices de différents problèmes mondiaux pour n'isoler personne et, au contraire, chercher l'inclusivité dans chaque situation concrète.

Question: Récemment à Astana pendant le 8e cycle a été annoncée la date du Congrès du dialogue national syrien à Sotchi – 29-30 janvier. D'après vous, sommes-nous devenus plus proche d'un règlement politique du conflit syrien? En communiquant avec les représentants des puissances régionales, des acteurs internationaux, avez-vous senti si la communauté internationale était prête à mettre un point dans la guerre?

Sergueï Lavrov: Le fait est que la grande majorité de ceux qui combattaient sur le terrain sont prêts pour le règlement politique, mais certains continuent de combattre. La création de quatre zones de désescalade a reflété l'intérêt des opposants qui contrôlaient la situation dans chacune de ces zones à établir le dialogue avec le gouvernement, à cesser l'effusion de sang et à passer à la vie pacifique. Cette vie pacifique s'y normalise, les structures locales qui existaient pendant les opérations fonctionnent. Autrement dit, ce sont des gens à qui la population locale doit faire confiance. On fait appel à eux pour commencer des dialogues mini-réconciliateurs avec les gouvernements de chacune des quatre zones, en commençant par les démarches simples – garantir les besoins de la population, le passage de fret humanitaire et simplement par les personnes de cette ligne qui entoure les zones de désescalade par les postes de surveillance et de contrôle assurés par les pays garants, et dans le cas de la zone du sud – par la Russie, les USA et la Jordanie. Autrement dit, ces gens-là ont déjà choisi la paix. Hormis les groupes terroristes "inachevés" il y reste notamment le Front al-Nosra contre laquelle nos partenaires occidentaux et membres de la coalition américaine refusent d'agir résolument et sans équivoque, bien que cette organisation soit inscrite sur les listes terroristes du Conseil de sécurité des Nations unies et en dépit de nos nombreux rappels. Par conséquent, il existe des plans pour le préserver pour la suite et si besoin (certains le veulent probablement) de revenir au plan de changement de régime.

Récemment au Conseil de sécurité des Nations unies nous avons évoqué la résolution qui concernait les combattants terroristes étrangers et la lutte contre eux, ainsi que plusieurs autres aspects de l'agenda antiterroriste. Au final les résolutions ont été adoptées, elles sont devenues utiles, même si nous voudrions qu'elles prévoient des démarches plus déterminées. Mais dans la position américaine et la position de certains de leurs alliés s'est manifestée une attitude controversée envers le Front al-Nosra. Ils ne voulaient pas le mentionner en disant qu'il est inutile de le mentionner puisqu'il est déjà dans les listes terroristes du Conseil de sécurité des Nations unies. Puis ils ont dit qu'il ne faut pas toujours appliquer le principe "extrader ou juger", même si c'est un principe absolument universel et reconnu par tous du traitement réservé aux criminels. Ils ont dit qu'un djihadiste s'il a été attrapé avant de commettre un attentat et n'a rien fait de mal physiquement, il pourrait ne pas être considéré comme un terroriste. Il y avait des arguments très intéressants qui étaient avancés, et tout cela est plus ou moins lié au concept qui était avancé encore par Barack Obama. Aujourd'hui il a été repris par la nouvelle administration, même si en général elle n'apprécie pas ce qui a été inventé par Barack Obama, mais en l'occurrence ils le promeuvent, du moins au niveau des experts. Je ne sais pas ce qu'en pense le Président américain Donald Trump et ses conseillers directs, mais au niveau des experts ils promeuvent le concept de lutte contre l'extrémisme violent dans le sens où l'extrémisme violent est généré par les gouvernements autoritaires qui tiennent leur peuple dans le froid, dans la faim, dans l'absence de démocratie, oppriment leurs citoyens et enfreignent les droits de l'homme. C'est pourquoi la communauté internationale doit expliquer à cette population civile en contournant les gouvernements autoritaires comment il faut promouvoir la démocratie pour que la vie devienne meilleure et il n'y aura alors aucune raison pour que les sentiments extrémistes se manifestent.

Vous comprenez ce dont il est question? Il n'y a pas besoin d'expliquer en détail ce qui se cache derrière. C'est pourquoi nous trouvons très préoccupantes les tentatives de spéculer sur les tâches antiterroristes qui doivent être communes pour nous tous sans aucun deux poids deux mesures. Ces tâches et objectifs ne doivent pas être utilisés pour promouvoir son agenda, y compris pour remplacer les régimes indésirables.

Je reviens concrètement à la Syrie. J'ai déjà parlé de la disposition de ceux qui se combattaient sur le terrain et reviennent aujourd'hui à la vie pacifique à travers les zones de désescalade. En ce qui concerne la mesure dans laquelle les acteurs extérieurs sont prêts je peux parler seulement de ceux avec qui nous travaillons directement. Il me semble que l'Iran et la Turquie y sont prêts. Même s'ils ont leurs préoccupations concrètes qui ne coïncident pas forcément avec nos approches. Pour la Turquie ce sont les Kurdes, pour l'Iran – la garantie des droits des frères chiites, ce que nous comprenons en principe. Mais il vaut mieux, bien sûr, régler ces problèmes à travers la réconciliation des chiites et des sunnites dans le cadre de la solidarité panislamique.

Nous disons depuis longtemps qu'il est temps d'organiser une nouvelle conférence d'Amman, d'adopter une déclaration proclamant l'unité de tous les musulmans. Tout le monde en serait gagnant, cela aiderait également à "dresser des ponts" entre les principaux protagonistes dans la région. Nous pensons qu'il est très important d'aider l'Arabie saoudite et l'Iran à ouvrir un dialogue sans s'accuser de tous les maux, mais pour s'assoir et examiner les questions concrètes qui les intéressent. Ce sont deux grands pays régionaux, ils ont forcément des intérêts dans les régions voisines. Ils doivent élaborer des règles du jeu. Nous sommes prêts à y contribuer. Nous avons avancé depuis longtemps le concept de renforcement de la sécurité dans le Golfe, il reste sur la table.

En ce qui concerne l'attitude de nos partenaires occidentaux envers le processus de paix syrien, nous avons une impression controversée. Notre dialogue, qui n'est pas toujours public, avec les Américains pour la désescalade et sur d'autres aspects de la situation militaire dans les régions où la coalition est en contact avec les forces syriennes que nous aidons, montre qu'ils aspirent à agir pragmatiquement, confirment que la Syrie doit rester unie, multiconfessionnelle et multiethnique. Dans le même temps leurs affirmations initiales qui m'ont été faites personnellement par le Secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson que l'unique objectif des USA en Syrie est l'élimination de Daech sont devenues aujourd'hui plus floues et s'accompagnent de la phrase que la victoire totale sur Daech sera remportée quand en Syrie commencera un processus de paix irréversible, et certains ajoutent qu'à la fin de ce processus Bachar al-Assad doit partir. C'est pourquoi l'interprétation de notre entente est assez déformée. Tout cela est verbal et de la même manière qu'il nous était promis que l'Otan ne s'élargirait pas. Aujourd'hui les archives américaines ont publié des situations très similaires du point de vue des manières de comportement et de décence à observer dans la diplomatie. Je ne suis pas certain que d'autres pays occidentaux souhaitent un règlement par tous les moyens et que celui qui sera le meneur dans ce processus n'a pas d'importance pour eux. Certains de nos collègues d'Europe occidentale veulent manifestement jouer en leur faveur, d'adopter une image de leadership et montrer que rien ne fonctionnera sans eux.

Nous n'avons pas une telle aspiration ou approche égoïste. Nous avons effectivement avancé l'initiative d'Astana et elle a vraiment aidé à calmer la situation sur le terrain, à séparer d'une grande partie des terroristes une opposition armée normale et a aidé à écraser Daech sur le territoire syrien qu'il commence à quitter en direction d'autres pays. Mais c'est un autre sujet.

Aujourd'hui nous avons avancé l'initiative de réunir le Congrès du dialogue syrien national. Je rappelle que le processus d'Astana a été lancé il y a un an après 10 mois d'inaction totale de la plate-forme genevoise de l'Onu. Dès l'annonce de la première réunion à Astana les représentants de l'Onu ont dit qu'ils relançaient également le processus de Genève. Dieu merci si nous les avons aidé par cet exemple concret. Cette année aussi pendant une longue période il n'y avait aucun mouvement sur la plate-forme de Genève. L'Arabie saoudite cherchait à unir l'opposition et nous l'avons activement soutenue. Néanmoins Genève s'est figée à nouveau. Quand nous avons su que l'Arabie saoudite avait réuni une délégation composée de trois groupes – de Riyad, du Caire et de Moscou – nous avons compris que c'était un très bon pas en avant. Bien que les leaders qui ont été choisis à la tête de cette délégation unifiée aient avancé des ultimatums complètement inadmissibles en essayant ainsi de discréditer nos collègues saoudiens, qui nous assuraient, tout comme l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura, que cette délégation viendrait à Genève sans aucune condition préalable pour une discussion directe avec le gouvernement. Ils ont menti à Staffan de Mistura et, malheureusement, à nos partenaires saoudiens. J'espère que maintenant ils seront rappelés à l'ordre.

L'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura nous a rendu visite. Avec le Ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou nous lui avons expliqué l'inadmissibilité d'un tel comportement de ses protégés. J'espère que les conclusions seront tirées. Dans le même temps nous travaillons avec le gouvernement pour qu'il adopte également une approche constructive. Je trouve complètement injuste d'accuser le gouvernement d'avoir refusé de parler à ceux qui ont avancé un ultimatum de changement de régime contrairement à ses engagements. Il faut précisément secouer la délégation d'opposition. Quelques radicaux ont été expulsés de ce groupe quand la délégation était constituée, mais il faut probablement prêter attention aux radicaux qui restent encore manifestement au sein de ce mécanisme.

En avançant l'initiative du Congrès du dialogue national syrien nous avons également tenu compte des circonstances cruciales qui concernent la nécessité de remplir à part entière la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle stipule qu'il faut des négociations directes où les Syriens eux-mêmes décideront du sort de leur pays et doivent se dérouler entre les délégations du gouvernement et tout le spectre de l'opposition. Il est évident que les gens qui représentent aux négociations de Genève les opposants des groupes de Riyad, de Moscou et du Caire sont loin d'être tout l'éventail des opposants. La grande majorité de ces gens sont des émigrants qui vivent dans différentes capitales européennes et non en Syrie. Pour remplir les termes de la résolution 2254 sur le caractère inclusif du dialogue, que toute l'opposition soit représentée, nous avons lancé un appel en utilisant nos militaires de la base aérienne de Hmeimim et les contacts établis au fur et à mesure de la garantie du fonctionnement des zones de désescalade, de la normalisation de la vie à Alep et dans d'autres communes libérées. Je crois que nous avons impliqué plus de 1 700 noms dans les efforts pour promouvoir le processus de paix. Il y a des cheikhs, des chefs de tribu qui n'ont peut-être pas participé aux activités militaires mais qui vivent sur le terrain et qui ne sont pas indifférents quant à la Constitution de la nouvelle Syrie. Ils ne sont pas du tout reflétés dans la composition des négociateurs venus à Genève. Une grande liste a été établie. Nous terminons actuellement sa mise au point avec nos partenaires et pays garants du processus d'Astana – la Turquie et l'Iran.

Le 22 novembre s'est tenu le sommet trilatéral à Sotchi où cette initiative a été soutenue. Nous avons expliqué à l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura que ce n'était pas une tentative de prendre à Genève la "palme d'or", mais une aspiration à lancer le processus constitutionnel non pas dans un format étroit où seraient représentées essentiellement des personnes résidant loin de leur patrie, mais dans le format le plus représentatif afin de créer une commission pansyrienne pour préparer la nouvelle Constitution. Dès que ce comité sera formé je pense que Genève recevra un deuxième souffle. Nous soutiendrons activement la préparation de la constitution sous l'égide de l'Onu et de l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura.

Question: A titre de précision: est-ce que la présence américaine au nord de la Syrie – les USA possèdent une dizaine de bases dans la région - favorise l'organisation du Congrès du dialogue national syrien ou empêche le processus de paix? 

Sergueï Lavrov: A mon avis, cela n'a pratiquement rien à voir avec le Congrès américain. Dans ce cas-là, nous avons une idée assez claire du développement de ce processus. Nous constatons le soutien de l'initiative du Congrès sur le terrain par la majorité écrasante des Syriens. Nous sommes évidemment préoccupés par les bases américaines en Syrie et surtout par les informations indiquant que certaines de ces dernières ont lancé l'entraînement de combattants, y compris d'anciens membres de groupes terroristes. Nous l'avons déjà annoncé publiquement à plusieurs reprises. Il s'agit d'une violation directe de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Syrie. Le gouvernement syrien a adopté une approche pragmatique de sa coopération avec les forces aérospatiales russes qui ont été invitées dans le pays de manière absolument légale pour combattre les terroristes. Il s'agit d'une décision pragmatique reflétant le caractère prioritaire de l'élimination des terroristes. Nous comprenions bien que la coalition américaine - surtout si l'on la secouait un peu, car elle avait été assez passive au début du conflit - pourrait aider à éliminer les foyers terroristes. Ce qui a en effet été le cas. On comprend pourtant que les Américains n'ont fait aucun effort considérable avant l'arrivée des forces aérospatiales russes dans le pays. Leur politique posait beaucoup de questions, notamment concernant le fait qu'ils évitaient souvent de frapper non seulement sur le Front al-Nosra, mais aussi sur les unités de Daech, même s'il était nécessaire. Mais tout cela est déjà une question tout à fait différente.

Le même pragmatisme nous pousse à coopérer avec les Américains et les Jordaniens dans la zone de désescalade du sud. Amman abrite un centre de surveillance tripartite. Ce travail est très utile compte tenu de la proximité du plateau du Golan et des préoccupations israéliennes. Il est nécessaire de prendre en considération beaucoup de facteurs. C'est une grande "bagarre" influencée par les événements sur le terrain, ainsi que par les actions des acteurs extérieurs: certains protègent leurs intérêts en ce qui concerne leurs compatriotes ou coreligionnaires, alors que d'autres veulent empêcher qui que ce soit de renforcer considérablement ses positions à l'intérieur de la Syrie. Dans tous les cas, le processus de Genève ne peut tout simplement pas s'aboutir sans le dialogue pan-syrien que nous voulons lancer et qui devrait représenter tout le monde et garantir à tout le monde la prise en considération de ses intérêts dans la structure finale de l'État syrien. J'espère que la convocation du Congrès du dialogue national syrien à la fin du mois prochain offrira une dimension pratique aux négociations de Genève, car il est nécessaire d'impliquer dans le processus constitutionnel beaucoup plus de parties syriennes par rapport à celles qui sont représentées à Genève.

Question: Examinerons les relations russo-égyptiennes. Les deux pays ont récemment signé un accord de coopération dans l'espace aérien prévoyant l'utilisation de l'infrastructure aérienne. Envisage-t-on de transférer vers l'Egypte une partie du contingent russe de la base de Khmeimim? Prévoit-on telle ou telle forme de coopération antiterroriste en Libye?

Sergueï Lavrov: Notre coopération avec nos collègues égyptiens est très étroite et ancienne. Notre partenariat stratégique se développe dans tous les domaines: l'économie, le commerce, les investissements. Nous avons également les projets de construction d'une centrale nucléaire et d'une zone industrielle russe en Egypte etc. Il faut notamment citer nos liens culturels et humains. La coopération militaire et technique est surtout importante compte tenu de la menace terroriste qui est présente dans la région et se fait notamment sentir en Egypte.

Nous soutenons absolument la résolution des dirigeants égyptiens de mener un combat implacable contre le terrorisme. Notre coopération militaire et technique se développe très activement et prévoit la livraison de matériel et d'armes nécessaires pour le déroulement de l'opération antiterroriste. Les liens entre nos militaires sont également très étroits. Nous organisons des exercices communs. Cela facilite le partage d'expérience, ce qui concerne notamment l'expérience obtenue en Syrie dans la lutte contre le terrorisme.

Nous n'envisageons aucun transfert de nos militaires depuis la base de Khmeimim visant à les déployer sur le territoire égyptien de manière durable.

Le Gouvernement de la Fédération de Russie et le Gouvernement de la République arabe d'Egypte ont récemment signé le protocole technique de coopération dans l'assurance de la sécurité de l'aviation civile, ce qui reflète nos relations de partenariat. Ce texte prévoit des mesures concrètes, notamment le dépôt gratuit des demandes de vol dans l'espace aérien de l'autre État, l'octroi de services militaires de navigation ou la protection des aires de stationnement. Il s'agit de mesures militaires mutuelles de soutien.

Question: Ali Abdallah Saleh, ancien Président yéménite, a été assassiné il n'y a pas longtemps. La situation dans le pays est actuellement très compliquée. La Russie, que pense-t-elle de la situation au Yémen? L'ambassade russe au Yémen a été transférée en Arabie saoudite. Comment peut-on, selon vous, faire progresser le processus de paix compte tenu des divergences entre les pays du Golfe que nous constatons?      

Sergueï Lavrov: Le meurtre de l'ancien Président yéménite Ali Abdallah Saleh a considérablement aggravé la situation et radicalisé le mouvement des Houthis. Ces derniers ont eu une alliance avec le Congrès mené par Ali Abdallah Saleh. Ensuite, ils ont fait face à des contradictions intérieures. Nous avons appelé les deux parties à prendre part au dialogue pan-yéménite. La compréhension semblait accessible, mais quelque chose n'a pourtant pas marché. Il existe probablement là-bas des facteurs intérieurs qu'il faut prendre en considération. Quoi qui se passe - on constate actuellement une aggravation sérieuse dans le pays et la menace de blocus total - il n'y a aucune alternative aux négociations de paix. Nous faisons part au groupe de soutien qui se réunit pour aider l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour le Yémen. J'espère qu'il promouvra des initiatives impartiales et unificatrices, sans se ranger aux côtés de telle ou telle partie, ce qui est très important pour un intermédiaire.

Nous parlons évidemment à nos collègues saoudiens, américains, anglais et iraniens. En répondant à une autre question, je viens de mentionner qu'il serait beaucoup plus facile de résoudre un grand nombre de problèmes, si l'on obtenait la compréhension entre les membres du Conseil de coopération des États arabes du Golfe et la République islamique d'Iran. Les soupçons mutuels incessants et les refus de contact ne font qu'aggraver la situation. Il est important de se parler en tête-à-tête, d'entendre les préoccupations des autres et de trouver des moyens pour les prendre en considération. J'espère que nous réussirons à le faire.   

Question: L'année prochaine, plusieurs pays d'Amérique latine organiseront les élections. Le Mexique, le Venezuela et Cuba suscitent un intérêt particulier. Le Président cubain Raul Castro a annoncé sa volonté de quitter ce poste en avril prochain. Faut-il s'attendre dans ce contexte à la modification de la politique du Mexique, à l'amélioration de la situation au Venezuela - notamment en ce qui concerne les tensions entre le gouvernement et l'opposition - ou à des changements rapides à Cuba?

Sergueï Lavrov: Nos relations avec l'Amérique latine sont excellentes. Nous obervons une évolution rapide de sa politique. Hier, nous avons constaté l'apparition d'un grand nombre de gouvernements de gauche. Aujourd'hui, nous voyons la formation de gouvernements de droite. Moi, je ne ressens personnellement aucun changement brusque des approches des pays d'Amérique latine de leurs relations avec la Fédération de Russie. Les divergences entre les partis existants concernent principalement la vie intérieure, comme c'est souvent le cas. Nous constatons pourtant les tentatives de certains de nos partenaires occidentaux d'influer sur les élections, par exemple au Venezuela.

Le Venezuela a obtenu des changements très positifs, notamment lors des élections municipales et de gouverneurs récentes qui se sont déroulées de manière parfaitement calme - à la surprise de ceux qui voulaient un scandale. Leurs résultats ont été acceptés par tout le monde. On a lancé au Venezuela les négociations entre le Gouvernement et l'opposition. Je suis persuadé que les parties réussiront à s'entendre si personne ne s'ingère dans le processus. Nous avons déjà constaté des signes de ce genre. Mais dès qu'on observait un progrès, certains "recommandaient" tout de suite aux opposants de raffermir leur position. Nous appelons à s'en abstenir. Ce n'est pas dans l'intérêt du Venezuela, ni de toute l'Amérique latine. 

Concernant le Mexique, nous ne voyons aucun "facteur russe" dans les élections mexicaines. Personne ne nous accuse, Dieu merci, d'une ingérence dans ce pays. Par ailleurs, je voudrais souligner encore une fois que nous n'avons reçu aucune preuve de la part des gouvernements qui nous accusent de l'ingérence dans leurs affaires intérieures. Aucune preuve! Cela signifie donc qu'ils n'en ont pas.

La Russie et le Mexique ont des projets prometteurs en ce qui concerne le développement de la coopération dans le domaine des investissements, du commerce et de l'aviation civile, ainsi que dans un nombre de secteurs de pointe. Nous coopérons étroitement avec les Mexicains au sein de l'Onu, du G20 et de la Celac.

Quant à Cuba, c'est un partenaire et ami fiable et ancien. Ce pays est une légende de son hémisphère et du monde entier. Il se porte, à mon avis, de manière très digne et fière, malgré les épreuves très dures auxquelles il fait face. Nous maintenons un contact permanent avec les autorités actuelles cubaines, avec tous leurs responsables. Il n'existe, selon nous, aucune raison pour que nos relations changent après la convocation en avril du nouveau parlement qui devrait élire le nouveau chef d'Etat. Je suis optimiste en ce qui concerne l'avenir de nos rapports. 

Question: La politique migratoire de Donald Trump ne cesse de provoquer l'indignation en Amérique latine. On ne constate pourtant aucun nouveau critique de Washington. Juste au contraire, la région semble poursuivre son "revirement à la droite". Dans ce contexte, la Chine renforce son influence dans certains pays. Quelle sera l'attitude de la Russie envers ses partenaires d'Amérique latine dans cette situation? Poursuivra-t-elle sa coopération avec ses partenaires historiques et la promotion des relations pragmatiques avec les autres pays de la région?

Sergueï Lavrov: Quant à la migration qui concerne l'Amérique latine, l'Amérique du Nord et les Caraïbes, elle ne nous touche pas directement. Nous ne pouvons la commenter que sur la base des problèmes universels créés par l'étape actuelle de migration non seulement dans votre région, mais aussi en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Europe du Nord et dans d'autres parties du monde.

Il y a environ un an, on a décidé à New York de lancer les négociations sur la migration légale ordonnée. Ces dernières ont démarré début décembre au Mexique. Malheureusement, la délégation américaine n'y a pas assisté: les États-Unis d'Amérique ont annoncé leur sortie de ce processus malgré leur décision de soutenir l'organisation de ces pourparlers en 2016. Dans ce cas-là, l'administration actuelle ne veut pas suivre les mesures adoptées par l'administration d'Obama - nous constatons la même attitude dans d'autres domaines. Quoi qu'il en soit, cela ne supprime en aucune façon le problème, et il est donc nécessaire de s'entendre sur la migration.

En Europe, nous voulons que les flux migratoires fassent l'objet des accords tenant compte des raisons qui ont gonflé ses flux de manière incroyable. Les origines de la situation sont claires: le printemps arabe s'est soldé par l'intervention et les bombardements en Libye qui s'est ensuite transformée en "zone grise", en corridor de transit d'armes illégales et de combattants vers le sud, de migrants vers le nord etc.

Dieu merci, l'Amérique latine a évité les catastrophes de ce genre, comparables à ce qui s'est passé et se passe toujours au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, mais il faut dans tous les cas tenter de s'entendre. A ma connaissance, la plupart des immigrés qui créent des problèmes pour Washington, sont les immigrés économiques qui aspirent tout simplement à une vie meilleure. Ce n'est pas à moi de décider, mais aux habitants de la région. Je pense tout simplement qu'il vaut toujours mieux de s'entendre au lieu d'isoler, de créer des ponts au lieu des construire des murs. J'espère qu'au final, cela sera en effet le cas.

En ce qui concerne l'attention de la Chine envers cette région, elle est absolument naturelle. La Chine est la deuxième (bientôt première) puissance économique du monde moderne. Elle a des intérêts et des ressources financières qu'elle investit pour le bien de son économique, car ce pays n'a pas beaucoup de ses propres ressources naturelles. L'Amérique latine est sans doute une région très prometteuse pour les entreprises russes. Nous aussi, nous travaillons activement en Amérique latine en faveur des capacités de nos acteurs économiques.

A mon avis, il est possible, voire juste - les premiers contacts de ce genre ont déjà eu lieu - que les entrepreneurs russes et chinois examinent l'unification éventuelle de leurs efforts. Il existe déjà beaucoup de projets similaires. Au fur et à mesure du renforcement des positions des entreprises russes et chinoises en Amérique latine et de l'amélioration de leur compréhension de la situation, nous verrons naturellement des projets de ce genre dans le cadre russo-chinois, tout comme au sein des BRICS et de la Nouvelle banque de développement des BRICS, créée initialement pour financer des projets dans les pays membres du groupe. Son statut n'exclut pourtant pas sa participation à des projets différents dans d'autres régions - on lance actuellement sa filiale en Afrique du Sud. Cette coopération n'est évidemment pas pour demain, mais elle est également très prometteuse.

Question: Les relations entre les États-Unis et Cuba ont visiblement dégradé sous l'Administration américaine actuelle, ce qui n'a pas été le cas à l'époque de Barack Obama. La situation s'est surtout aggravée après les propos de l'Administration de Donald Trump accusant les autorités cubaines d'avoir lancé des attaques acoustiques contre les diplomates américains en poste à Cuba. Que peut-on attendre dans ce contexte des relations bilatérales entre Cuba et les États-Unis?

Sergueï Lavrov: Nous sommes préoccupés par cette situation. Nous avons activement soutenu la normalisation des relations lancée par l'administration précédente. Le Président américain Barack Obama a notamment visité Cuba, alors que l'ambassade américaine a repris ses activités. Par ailleurs, il est à noter que la Section des intérêts américains à Cuba fonctionnait en tant qu'ambassade à part entière et était de fait la plus grande mission diplomatique à la Havane, de plusieurs fois plus importante que l'ambassade de n'importe quel autre État. Les symboles sont pourtant très importants dans la diplomatie et dans les relations politiques entre les pays. La reprise du travail de l'ambassade américaine à part entière à la Havane et de l'ambassade cubaine à Washington a été un signe très positif.

On a entrepris un nombre de mesures pratiques visant à normaliser les liens commerciaux et économiques, bien que l'obstacle principal ait perduré. Je parle du blocus commercial et économique qui dure depuis 55 ans et est annuellement dénoncé par l'Assemblée générale de l'Onu. On ne constate lors de ces votes que l'opposition de la part des États-Unis et de plusieurs alliés proches ou pas si proches de Washington. Toute l'Union européenne soutient la position du reste du monde. Le problème de la base de Guantanamo et de la poursuite du fonctionnement illégal de sa prison reste lui-aussi présent. Mais toutes ces questions doivent être résolues par des accords bilatéraux. Nous soutiendrons les positions souveraines des autorités cubaines.

Concernant le blocus et l'embargo, si quelqu'un avait besoin de preuves de l'absurdité de l'adoption de ces mesures coercitives afin d'atteindre des objectifs politiques, Cuba l'a manifestement démontré. Malheureusement, tout le monde n'a pas appris cette leçon, et, depuis l'époque de Barack Obama, les Américains font toujours recours aux sanctions, s'ils font face à des obstacles diplomatiques. Nous constatons la même chose dans le dossier nord-coréen que nous venons d'examiner. On a des forces. En paraphrasant un dicton célèbre: tout dans les muscles, rien dans la diplomatie.

Nous voudrions bien que les États-Unis normalisent leurs relations avec Cuba. Au lieu de cela, ils ont accusé la Havane d'attaques acoustiques contre les employés de leur ambassade. A ma connaissance, les Cubains ont coopéré avec le FBI, notamment à la Havane, alors que les agents du FBI n'ont trouvé aucune preuve de l'existence d'une certaine arme acoustique. Les enquêteurs du FBI auraient présenté leurs conclusions aux politiciens, qui auraient décidé qu'il ne fallait pas les rendre publiques. J'ai entendu cette version. Je ne peux pas confirmer sa véracité, mais dans le cas contraire les États-Unis auraient certainement adopté des mesures pratiques et juridiques. Qui plus est, personne n'a pu présenter une définition compréhensible d'une attaque acoustique.     

 

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