Les réponses du ministre russe des affaires étrangères Sergüei Lavrov aux questions des représentants des médias lors de la conférence de presse portant sur le règlement du conflit syrien suite à la visite de l’émissaire de l'ONU/LEA Kofi Annan à Moscou, Moscou, le 16 juillet 2012
Question : Quelles sont les perspectives de règlement de la situation en Syrie compte tenu du fait que l'opposition refuse d'établir un dialogue avec les autorités ? Ne vous semble-t-il pas que l'opposition profite du temps de l'armistice pour renforcer ses positions et que le plan de Kofi Annan n'est pertinent que pour la Russie et la Chine, qui le défendent alors qu'il est ignoré par le reste de la communauté mondiale ?
M. Lavrov : Il existe, probablement, une seule solution : que tous les acteurs extérieurs obligent les parties syriennes sur lesquelles ils ont de l'influence à unir leurs efforts pour la réalisation du plan d'Annan. Il s'agit, notamment, d'influencer les groupements syriens dont, évidemment, l'Armée syrienne libre (ASL) ainsi que d'autres détachements militaires indépendantsd'exercer une influence sur l'opposition politique à l'intérieur et à l'extérieur du pays afin de lui faire adopter une position moins radicale.
Le nouveau chef du Conseil national syrien Abdel BassetSeydaa formulé son point de vue lors de sa visite à Moscou : la Syrie est en révolution. Mais quel rapport a-t-elle avec l'ONU et la communauté mondiale ? Soit il faut dire : nous ferons la révolution et laissez-nous en paix soit – puisque vous faites appel à la communauté internationale – obéir à ses résolutions. Tous les membres de la communauté mondiale doivent les accepter et contribuer à leur mise en œuvre.
Pour l'instant, j'ai l'impression assez persistante que la moindre amélioration de situation en Syrie provoque le mécontentement de plusieurs de nos partenaires et de certains membres de la communauté mondiale. Rappelons-nous de ce qu'est devenue la mission des observateurs de la Ligue des états arabes l'automne dernier et au début de cette année. Nous avions assuré l'accord de Damas au déploiement de cette mission qui a été interrompue tout de suite après la parution d'un rapport plus ou moins objectif et pas seulement accusatoire. Cette mission a, tout simplement, été suspendue.
Ensuite, il y avait le plan de Kofi Annan. Nous avons de nouveau persuadé les autorités syriennes de la nécessité de l'adopter. Ce qui fût fait. Le cessez-le-feu prévu par ce plan a été annoncé début d'avril de cette année et a commencé à porter des résultats positifs même s'ils n'étaient pas parfaits. Cependant, immédiatement après sont paru des déclarations sur l'échec de la mission et du plan d'Annan suivies de nouveaux éclats de violence.
Je ne fais qu'énumérer les faits sans tirer aucune conclusion. Ensuite, il a été décidé d'envoyer en Syrie des observateurs de l'ONU. Mais peu de temps après leur déploiement, l'idée que cette mission était un échec et ne servait à rien s'est également répandue.
J'ai déjà mentionné la réunion à Genève. Dès qu'elle a eu abouti au consensus fixé dans le communiqué, Bachar el-Assad a accepté de travailler sur la base des accords de Genève. Conformément aux exigences, il a désigné un négociateur pour travailler avec l'opposition. Tout de suite après, plusieurs de nos partenaires ont commencé à déclarer que l'on ne pouvait pas s'en tenir aux accords de Genève que dans le cas de la démission d'el-Assad et de l'ultimatum du Conseil de sécurité de l'ONU à Damas conformément au Chapitre VII de la Charte de l'ONU.Cela signifiait, au fond, le refus des accords de Genève. Les participants à la réunion avec les représentants de l'opposition syrienne, qui a eu lieu deux jours après à Istanbul, ont compris cette allusion des pays occidentaux et ont adopté un document ne contenant pas un mot à propos du communiqué de Genève. Par contre, ce document exige la démission de Bachar el-Assad et l'adoption de la résolution conformément au Chapitre VII de la Charte de l'ONU. Certains de mes homologues occidentaux appelaient ouvertement à ce que cette résolution proclame un blocage total au niveau économique, financier ainsi que celui de communication du régime syrien. Cela signifiait l'absence d'envie de dialoguer. Il ne s'agissait donc pas de l'exécution du communiqué de Genève mais d'une invitation à la guerre civile.
Comme je l'aidéjà dit, c'est comme si l'on nous faisait peur à ce niveau : si la résolution conforme au Chapitre VII n'est pas adoptée, nous ne prolongerons pas le mandat des observateurs.
Tout le monde réalise parfaitement que les groupements bien armés résistent aux forces militaires gouvernementales. Dans les conversations privées, personne ne le nie, y compris mes homologues qui proclament à haute voix que le régime s'oppose au peuple.
Je le répète : toute violence doit être condamnée, mais la condamnation seule ne suffit pas. Afin de faire cesser cette violence, il est indispensable de faire pression sur le régime et sur l'opposition. Je vous rappelle que les accords de Genève mettaient en place une période de transition par le biaisde l'introduction d'un organisme dirigeant sur la base d'un accord commun de toutes les parties, y compris le gouvernement et, bien évidemment, de l'opposition. C'est sur cette possibilité qu'il faut se pencher. Comme je l'ai déjàmentionné, Bachar el-Assad avaitdésignéun négociateur tandis que l'opposition n'avait rien entrepris à cet égard. Au lieu de définir les représentants de l'opposition aux négociations, on exigela démission d'el-Assad avant qu'une négociation soit possible.
Bien évidemment, de nombreusesaffirmations insinuent que Moscou détient la clé du règlement du conflit syrien. Et lorsquela Russie demande ce que cela veut dire, on nous explique que nous devons persuader Bachar el-Assadde démissionner volontairement. C'est tout simplement irréaliste. Ce n'est pas la question de nos affinités.Bachar el-Assadne partira pas non parce que nous le protégeons mais ila, tout simplement, le soutiend'une partie considérable de la population du pays. C'est pourquoi au lieu de parler d'une certaine clé il faut respecter les accords de Genève. La Fédération de Russie le fait honnêtement en travaillant avec le gouvernement syrien et l'opposition. Cependant, nous ne voyons pas d'efforts semblables de la part de certains de nos partenaires occidentaux et régionaux qui exercent une influence bien plus considérable sur lecomportement des groupements d'opposition, sur l'élaboration de médiation avec l'opposition politique et sur les actions des détachements armés à l'intérieur de la Syrie.
Ici nous ne pouvons rien faire de surnaturel. La décision est très simple, comme toujours, mais il est important que tout le monde agisse dans la mêmeoptique et vise les mêmes résultats.
Question : Le Comité international de la Croix-Rouge a déclaré que la Syrie était en état de guerre civile. Est-ce que Moscou envisage de reconsidérer sa décision concernant les contrats militaires avec Damasà cet égard ?
M. Lavrov : Je pense qu'un petit rappel historiques'impose ici. Je me doutais que cette question serait soulevée c'est pourquoi j'ai apporté mon aide-mémoire avec moi.
Le Comité international de la Croix-Rouge a le droit de déclarer telle ou telle situation « conflit armé interne »qui est un terme juridique. Le terme « guerre civile »n'existe pasdans le droit humanitaire international, il s'agit du « conflit armé interne »qui est doté d'une significationbien précise. Les signataires des accords de Genève ont reconnu le rôle particulier du Comité international de la Croix-Rouge dans le domaine du droit humanitaire international. Dans ce sens, la déclaration officielle faite hier par l'attaché de presse du CICR K. Khasan, dans laquelle il nommait la situation en Syrie « conflit armé interne » aura, bien évidemment, des conséquences.
Le protocolesupplémentaireN° II annexe aux accords de Genève qualifie de conflit armé interne les actions qui, je cite, se déroulent sur le territoire d'une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées. Ici, à mon avis, on voit de façon claire que, selon le CICR, il s'agit d'une opposition de deux grandes forces armées.
Une telle définition impose aux parties du conflit l'obligation d'appliquer les exigences du droit humanitaire international aux militants (selon la définition de la situation en Syrie par le CICR, l'opposition armée est composée de militants) ainsi qu'aux personnes, qui ne participent pas directement ou ont cessé de prendre part aux actions militaires. Il est, notamment, interdit d'attenter à leur vie, de les prendre en otage, de déployer à leur égard des tortures, des châtiments corporels, des offenses à la dignité humaine, etc.
Je voudrais particulièrement souligner le fait que dans la description de « conflit armé interne » duprotocole supplémentaire II sont précisés les points suivants :
1. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée en vue de porter atteinte à la souveraineté d'un Etat ou à la responsabilité d'un gouvernement de maintenir ou de rétablir l'ordre public dans l'Etat ou de défendre l'unité nationale et l'intégrité territoriale de l'Etat par tous les moyens légitimes.
2. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée comme une justification d'une intervention directe ou indirecte, pour quelque raison que ce soit, dans le conflit armé ou dans les affaires intérieures ou extérieures de la Partie sur le territoire de laquelle ce conflit se produit.
Je pense que ces citations suffisent pour comprendre la façon dont le CICR caractérise la situation et les conclusions éventuelles que peuvent en tirer les signataires des accords de Genève.
Question : Est-ce que les rapports de désertion de l'armée de Bachar el-Assadobligeront la Russie à reconsidérer sa position envers la Syrie ?
M. Lavrov : Il n'y a rien de surnaturel à ce que de telles choses arrivent. Il existe également des méthodes différentes d'assurer ce type d'actions de la part de certains hommes politiques, et nous avons une attitude adéquate envers cela. Le nombre de déserteurs n'atteindra jamais un chiffre « magique » qui déclenchera un changement radical de la situation.
Nous ne sommes pas préoccupés par le destin de tel ou tel général mais par celui du peuple syrien. De paisibles citoyenscontinuent de périr suite au refus constant de certains détachements armés face à toute proposition d'armistice ou de cessez-le-feu. L'opposition se contente d'exiger le désarmement du gouvernement. Cependant, ce dernier ne le fera pas, et tout le monde en est parfaitement conscient. Probablement, c'est à cela que l'on s'attend. Beaucoup d'entre nous ont l'impression qu'au lieu d'obliger l'opposition à se conformer au plan de Kofi Annan et aux accords de Genève, elle est constamment incitée à exercer une pression sur la Russie, persuadée que tout ira bien et que les Russes seront d'accord. C'est une position malhonnête qui est surtout peu productive et ne garantit aucun résultat.
Question : Que se passera-t-il si la Fédération de Russie ne cède pas aux pressions sur le Chapitre VII et que les partenaires occidentaux, à leur tour, ne donnent pas leur accord à la prolongation du mandat de la mission de l'ONU ?
M. Lavrov : Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, nous ne pouvons pas adopter une résolution du CS de l'ONU qui ne soit pas basée sur les accords de Genève. Ce n'est pas pour cela que l'on a passé la moitié de la journée et de la nuit à Genève en obtenant l'accord pour des points définis, pas pour que tout « parte en vrille ». Cependant, on nous propose de revenir aux idées avec lesquelles les pays occidentaux étaient venus à Genève.
Un compromis y avait été obtenu entre deux approches, il se reflète dans le projet russe de résolution. Si nos partenaires veulent coûte que coûte bloquer ce projet, la Mission de l'ONU n'aura pas de mandat exécutif et sera obligée d'être suspendue en Syrie, ce qui est regrettable. J'espère qu'au départ nos homologues occidentaux n'avaient pas l'intention de créer les conditions pour la suspension de la Mission à l'image de celle de la LEA auparavant. Je suis également loin de l'idée que tous les coauteurs de la résolution occidentale souhaitent faire sortir les observateurs impartiaux de Syrie. Je ne pense pas ce soit ainsi. Dans ce cas, ils doivent se mettre d'accord sur la prolongation du mandat. C'est une très importante mission des observateurs. En fin de compte, nous sommes prêts à accepter une « prolongation technique » qui signifie l'adoption d'une résolution ne comportant pas d'estimations substantielles, de partie descriptive et ne reproduisant pas les exigences contenues dans les résolutions précédentes. Au CS de l'ONU il existe ce phénomène de prolongation technique. Une résolution rédigée conformément à cette dernière peut comporter un seul point : le CS décide de prolonger le mandat de la Mission de l'ONU en Syrie présenté dans telle résolution avec les précisions proposées par le Secrétaire général dans son exposé.
Nous serons prêts à adopter ce type de variante.
Question : Est-ce quela Fédération de Russie possède des informations précises concernant les événementsdu jeudi le 12 juillet 2012 courant à Tremse, événements qui représentent la source des informations contradictoires ?
M. Lavrov : En ce qui concerne les événements ayant eu lieu àTremse, il est très important de mettre en évidence le rôle de la Mission des observateurs de l'ONU. Aujourd'hui,c'est notre seule possibilité objective de comprendre ce qui s'est passé. Les observateurs ont déjà visité cette région et ont relevé des traces d'utilisation d'artillerie et de lances-mines. Ils ont égalementreportéla présenced'adversaires du régimearmés mais se sont abstenus de tirer des conclusions car ils doivent s'y rendre encoreune fois pour continuer leur travail afin d'obtenir davantage de précisions.
Nous savons bien ce qu'en disent les autorités. Cependant, je voudraisremarquer qu'à la différence des déclarations initiales de l'opposition, ses représentants ont déclaré que Tremse avait servi de scène au combat. Laversion approximative des événements, qui peut être utileà l'enquête ultérieure et aux estimations, est fondée sur une analyse elle-même basée sur des énoncés séparés et des faits établis.
A en juger par ces faits, le matin du 12 juillet de cette année les détachementsde l'armée syrienne libre (ASL) ont attaquéune patrouille militaire près de Tremse. Ensuite, ces détachements ont reculés dansle village et se sont mis en position défensive sur place. Peu de temps après, cette localité a étéattaquée par les troupes gouvernementales. Selon les estimations préalables, le combat a duré environ une heure et demie ; les pertes parmi les militants des groupements armés illégaux s'élèvent à environ 40. Le nombre de victimesest reporté de façon contradictoire, notamment, par la population locale. Toujours est-il que l'opposition a avoué qu'un conflit militaire important avait eu lieu. Il ne faut pas oublier que cela s'est produit quelques jours avant la reconsidérationde la situation en Syrie par le CS de l'ONU.
D'ailleurs, Amnistie Internationale a reconnu récemment que non seulementle gouvernement de la République arabe syrienne mais aussi des représentants de l'oppositionviolaient des droits de l'homme par le biais de tortures et de meurtres des collaborateurs des structures de force faits prisonniers. Ces faits tomberont dorénavantsous l'action du protocole IIdes accords de Genève suite à ladéclarationdu CICR.
En revenant surla tragédie deTremse, il est nécessaire de poursuivre l'enquête. Certes, nous étudions attentivement tout ce que nous rapportentles observateurs qui avancent dans leur travail. Mais les médias font apportent des informations également. L'envoyé spécial de la chaîne russe VGTRK en Syrie AnastassiaPopova travaille dans des conditions très difficiles, et je pense que l'on devrait prendre en compte ce qu'elle nous a montré dans son reportage d'aujourd'hui. Il s'agit de choses sérieuses,des déclarations des témoins.
Question : Aujourd'hui des informations circulent sur le fait qu'au cours des négociations de Kofi Annan avec le président syrien de Bachar el-Assadà Damas ont discuté certaines particularités de la période de transition. Pourriez-vous nous présenter ces informations : y a-t-il des argumentspour le soutiendu plande Kofi Annan ?
M. Lavrov : En ce qui concerne les discussions qui ont eu lieu chezM. Annan à Damas etensuite à Téhéran et Bagdad en présence des autres parties, je pense que je n'ai pas le droit d'en parler maintenant. Nous attendons un compte rendu détaillé et une information de premièremain. L'essentiel est que nous sommes persuadés que peu importe le schéma choisi, il ne fonctionnera qu'àcondition de garantir la simultanéité des actions des forces gouvernementales et de l'opposition armée. Sinon, cela ne fonctionne pas.
Question : La déclaration du représentant du ministère russe des affaires étrangères au sujet de l'Arabie Saoudite dans le cadre des événements qui y avaient eu lieu portant sur les questions relatives aux droits de l'homme a été publié récemment. Cette déclaration a été suivie d'unevive réaction de la part des autorités saoudites. Tout cela est lié aux événements qui se déroulent en Syrie actuellement. Quel commentairepouvez-vous donner sur cette situation ?
M. Lavrov : Jetrouve que la déclaration mentionnée est rédigéesur un ton correctet ne vise pas du tout à interveniraux affaires intérieures de ces pays. Et encore moins aux affaires intérieures de l'Arabie Saoudite qui est notre partenaire. Nous entretenons un dialogue et des échanges étroits avec l'Arabie Saouditeainsi qued'autres pays de la région, y compris du golfe Persique. C'est vrai que nos avis sur les événements en Syrie divergent mais ce n'est pas une raison pour présenter tous les autres aspects de façon négative.
Nous ne nous mêlons pas dans les affaires intérieures des autres payscar, si l'on se base sur les pratiques depuis longtempsadmises par la communauté internationale, l'inquiétude face au respect des droits de l'homme ne représente pas une intervention dans les affaires intérieures. Je veux dire encore autre chose à cet égard : on ne peut pas considérer la situation en Syrie de façon isolée tout comme on ne pouvait pas examiner de façon isolée les événements se déroulant en Libye, au Yémen, dans la région duSahel et quelques autres pays. Il existe un risque de déstabilisation de la situation dans cette vaste région géopolitique très importante. On ne peut pas être assuré contre les risques qui se manifestent déjà, notamment, dans nombre de pays du golfe Persique. Ces pays sont nos partenaires et nous ne souhaitons pas du tout que leur situation intérieure se déstabilise.
Hier HillaryKlinton est intervenue en Egypte avec de nombreuses déclarations, notamment, sur le sens de la démocratie. Elle a dit que la démocratie était représentée non seulement par les élections mais aussi par le devoir du vainqueur d'assurer les droits des minorités.
Je dirais même que, indépendamment de cette déclaration, les droits des minorités ethniques, religieuses et politiques, etc. doivent être garantis dans tous les pays. Cela représente un gage de stabilité et unconsensus national dans la société. En ce qui concerne les risques ou, plutôt, de la présence réelle de l'influence d'Al-Qaïda et de groupes terroristes et extrémistes qui y sont affiliés dans la région, je pense que personne n'a le droit de l'ignorer. Il s'agit de notre ennemi commun. Ensemble avec l'Arabie Saoudite, d'autres pays du golfe Persique et ceux de la région, nous sommes engagés à faire tous les efforts possibles pour ne pas lui donner de prétexte au recrutement de nouveaux partisans.
Question : Vous avez caractérisé la situation en Syrie et dans la région en général comme très complexe. Quel est votre avis concernant son futur développement ? Qu'est-ce quela Russie vaentreprendre à cet égard ?
M. Lavrov : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qui est déjà dit. Nous avons des pronostics plutôt pessimistes si la tendance actuelle se maintient. Si les groupes d'opposition principaux choisissent la révolution, cela signifie qu'ils ne s'arrêteront pas.
Il m'est également difficile d'imaginer que dans cette situation les forces gouvernementales accepteront de se désarmer ou de quitter les villes et les villagessous leur contrôle. C'est une invitation à la poursuite et à l'aggravation du conflit. Si l'on considère la variante idéale, je l'ai déjà mentionnée. Je répète : tous les acteurs extérieurs doivent influencer les groupements syriens dans une seule optique : cessez le feu, et nous assurerons un mécanisme de contrôle de la situation pour éviter la violation de ces obligations de la part de qui que ce soit ; préparez-vous aux négociations, nommez les négociateurs. Le gouvernement de la République syrienne arabe l'a fait. Nous incitions la direction du Conseil national syrien et d'autres militants de l'opposition à se mettre d'accord au plusvite pour désignerles représentants aux négociations résultant du communiqué de Genève communément soutenu. Au cours de ces négociations doivent être désignés les membres d'un « organisme administratif de transition » qui devra préparer les élections, etc. Pour l'instant, il n'y a pas de candidature de la part de l'opposition. Nous espérons vivement que les pays qui le peuvent useront de leur influence pour inciter l'opposition à désignerdesnégociateurs au plus vite tout en introduisant des mesures de cessez-le-feuglobales, impliquant le retrait des troupes armées et detechnique militaires des villes.
Question : Le ministre iraniendes affaires étrangères Ali AkbarSalekhi a proposé d'organiser les négociations des différentes parties syriennes en Iran et a déclaré que Téhéran créera dans ce but un climat nécessaire. Qu'est-ce que vous en pensez ?
M. Lavrov : La Fédération de Russie, à son tour, propose de tenir n'importe quelle étape de négociations à Moscou. Nous pouvons également créer les conditions convenables. La question n'est pas là : Genève arrangeait parfaitement tout le monde. Nous nous sommes engagés de réserver un accueil chaleureux à Moscou également. Cela n'a pas d'importance. C'est le sens quiest essentiel et non la forme ni le lieu.
Question : M. Lavrov, plus de trois mois ont passé après l'approbation du plan de Kofi Annan. Tous les jours nous apprenons la mort d'environ cent personnes en Syrie. Aujourd'hui vous avez une réunion avec Kofi Annan. Avez-vous quelques propositions concrètes pour redonner vie au plan de M. Annan ?
M. Lavrov : Je serais très prudent quant aux statistiques des victimes qui continuent à se multiplier. Il faut se baser sur desfaits objectifsprovenant avant tout de ceux qui travaillent sur le terrain. Nous savons la fréquence de publication sur Internet dephotos faites à partir deportables et qui ne sont pas très claires. Je me garderais bien d'en tirer des conclusions ayant des conséquences importantes au niveau politique et militaire. Bien évidemment, la situation nous émeut vivement et tout notre travail vise à arrêter le plus vite possible toute violence et effusions de sang en Syrie.
Quant aux propositions de « ranimer » le plan de Kofi Anna, cela ne dépend pas de nous. Nous réalisons avec honnêteté et conscience tout ce qui est dans nos prérogatives. Nous respectonsnos engagements dans notre collaboration quotidienne avec les autorités syriennes et dans les contacts réguliers avec pratiquement tous les groupes de l'opposition. Si nos positions, basés sur les accords du Conseil de sécurité de l'ONU et la conférence de Genève sont retransmises avec le même enthousiasme par les autres acteurs extérieurs dans la même optique, je pense que nous avons une chance de faire sortir la situation du point mort et de commencer à lui donner une dimension politique. Si ces conseils envoyés par nos différentspartenaires aux représentants de l'opposition sont directement rejetés, aucune proposition ne pourra aider.
Je le répète encore une fois : il faut respecter ses engagements. Le communiqué de Genève proclame clairement que tous les acteurs extérieurs influenceront les différentesparties syriennes dans le but de les inciter au dialogue et à l'arrêt des violences. Il s'agit d'efforts communsprovenant non seulement de la Fédération de Russie mais également de tous les pays.
Question : Si le Conseil de sécurité propose de voter le projet de résolution occidental basé sur le Chapitre VII de la Charte de l'ONU, est-ce que la Russie se prononcera contre ?
M. Lavrov : J'ai déjà répondu à cette question en disant que nous ne pouvons pas adopter une telle résolution. Il faudrait que vous appreniez les synonymes de la langue russe.
Question : Au cours de l'une de vos conférences de presse a été abordée la question qui intéresse la Turquie sur son avion abattu le 22 juin de cette année. Vous avez dit que vous possédiez des informations concrètes et objectives à ce sujet.
J'imagine que je ne l'ai pas dit par hasard et que la Russie détient, en effet, quelques informations réelles. Cette question préoccupe la société turque. Je ne sais pas si le gouvernement de la Turquie a demandé ces informations maisl'opinion publique veut les connaître. Pourriez-vous expliquer quellesinformations vous possédez et par quel biais ?
M. Lavrov : La Russie, comme de nombreux autres pays développés d'un point de vue militaire, a lapossibilité d'obtenir des informations objectives par desmoyens du contrôle technique. Je peux seulement vous dire que nous avons porté ces informations à l'attention de nos homologues turcs.
Question : Vous avez dit tout à l'heure que la situation dans le Conseil de sécurité de l'ONUest presque inextricable. En ce moment au sud de la Turquie il y a 35000 réfugiés syriens. Est-ce que la Russie a l'intention d'héberger chez elle la moitié de ces personnes ?
M. Lavrov : Je ne qualifierais pas cette situation d'inextricable. Nous ne perdons quand même pas l'espoir de nousmettre d'accord, bien évidemment, dans le cadre des engagements pris à Genève et du communiqué de Genève.
Nous avons déjà exposé notre position concernant le nombre de réfugiés. Selon les estimations, il y a 35000 réfugiésen Turquie, et encore plus de 35000 en Jordanie et au Liban. Il ne faut pas oublier qu'en Syrie réside environ 500000 réfugiés iraquiens et environ 250000 à 300000 Palestiniens. Il faut s'occuper de tous ces réfugiés.
La Russie est signataire des conventions relatives à ce problème. Lorsque la population des pays voisins est en détresse, nous les aidons conformément à nos obligations. Je peux seulement ajouter que la direction du Haut-commissaire de l'ONU pour les réfugiés accorde une grande attention au problème des réfugiés syriens. En ce moment la situation est encore davantage aggravée car les 750000 réfugiés qui se trouvent en Syrie s'abritent dans des camps, des tentes et ne sont pas installés dans les conditions idéales. J'espère qu'ils ne vivront pas éternellement là-bas, que le problème palestinien sera résolu un jour et que les Irakiens pourront aussi revenir dansleurs foyers.
Il est évident que les réfugiés syriens provoquent maintenant le plus grand intérêt, notamment, pour des raisons politiques. Je sais que le HCR de l'ONU est prêt et dispose de tout le nécessaire pour leur apporter toute sorte d'assistance. Après la proposition d'aide, nos homologues turcs ont dit qu'ils y arrivaient eux-mêmes. Si un tel besoin apparaît, je suis persuadé que nous pourrons leur venir en aide. Nous espérons examiner toutes ces questions très bientôt avec les autorités turques.
Question : A Genève il n'y avait pas de représentants iraniens et saoudites. Est-ce qu'il existe une solution permettant d'inciter ces pays à participer au problème syrien ?
M. Lavrov : Bonne question. Lorsque nous étions à l'origine de cette conférence, la liste initiale de participants proposée par nous comportait, en plus des pays présents à Genève le 30 juin, l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Organisation de la coopération islamique.
Nous trouvions que l'Arabie Saoudite et l'Iran, pour des raisons explicables, avaient de l'influence sur cette situation. L'Organisation de la coopération islamique, quant à elle, est importante car elle est l'une des structures dont fait partie la Syrie et ses voisins. Mais certains participants de la réunion de Genève, en particulier, nos homologues américains et ceux decertains pays occidentaux, se sont prononcés fermement contre la participation de l'Iran. Pour équilibrer, l'Arabie Saoudite n'a pas été invitée non plus.
Voyez-vous, à mon avis, il s'agit d'une approche idéologisée et non celle de politiciens responsables. Cette approche ne nous avance pas, surtout que la nécessité d'établir le dialogue avec l'Iran et l'Arabie Saoudite est évidente pour tout le monde, ce que Kofi Annan est en train de faire. Au lieu d'initier ces états au processus une seule fois par son intermédiaire, ilserait beaucoup plus utile de les inviter aux négociations pour qu'ils nous aident à élaborer les décisions appropriées.
J'espère que lors de la préparation de la prochaine réunion du « Groupe d'action », selon la dénomination que se sont donné les participants dela conférence de Genève, nous prendrons en considération les possibilités de l'élargissement du cercle des participants pour que tous les partenaires extérieurs influents assistent à cet événement.
Merci.