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Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov au cours de la conférence de presse commune avec ses homologues soudanais Ibrahim Ghandour et sud-soudanais Barnaba Marial Benjamin à l'issue de leurs consultations trilatérales, Moscou, 10 septembre 2015

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Mesdames et Messieurs,

Les consultations trilatérales que nous venons de mener avec mes homologues soudanais Ibrahim Ghandour et sud-soudanais Barnaba Marial Benjamin, hier et aujourd'hui à Moscou, sont sans précédent. C'est la première fois que des négociations sur le processus de paix inter-soudanais se tiennent dans ce format.

Nous remercions nos collègues et amis du Soudan et du Soudan du Sud d'avoir accepté notre proposition de profiter de la "plateforme moscovite" pour poursuivre le dialogue sur les questions en suspens dans les relations entre les deux pays. Nous avons senti l'utilité et la commodité de cette plateforme pour nos invités, qui souhaitent y avoir recours de nouveau. Bien sûr, nous y serons prêts. Mes collègues vous en parleront eux-mêmes.

Nous avons été informés que des décisions importantes ont été prises pendant la réunion bilatérale des ministres des Affaires étrangères du Soudan et du Soudan du Sud, avant tout concernant la nécessité de remplir rapidement et à part entière tous les termes des accords pour le règlement du conflit inter-soudanais signés ces dernières années. Nous serons prêts à réagir aux requêtes de nos partenaires également dans le cadre des efforts entrepris par le mécanisme de médiation de l'Union africaine (UA) et nous continuerons d'apporter un soutien logistique mais aussi substantiel à ces négociations. Nous partons du fait que l'UA, à travers ses mécanismes, continuera de jouer un rôle primordial dans l'accompagnement du processus de paix inter-soudanais. Nous contribuerons à ce travail non seulement en mettant à disposition la plateforme moscovite en plus de la plateforme de l'UA, mais aussi au Conseil de sécurité des Nations unies où certains aspects de cette situation sont régulièrement évoqués.

Pendant les entretiens d'hier et d'aujourd'hui, nous avons évoqué d'autres questions, notamment la situation en Afrique et au Moyen-Orient. Nous nous sommes entretenus également sur les relations bilatérales entre la Russie et le Soudan, ainsi que la Russie et le Soudan du Sud. Nous apprécions le haut niveau des relations entre Moscou et Khartoum – nous menons un dialogue politique actif et prenons des mesures concrètes pour développer notre coopération commerciale, économique et d'investissement. La Commission intergouvernementale russo-soudanaise pour la coopération commerciale et économique y joue un rôle central, nous avons réaffirmé la nécessité et notre disposition à organiser une troisième réunion à Khartoum d'ici la fin de l'année.

Nous avons été informés de l'initiative du Président Omar El-Béchir d'entamer un dialogue national global. Nous soutenons ces efforts et espérons que leur réalisation aidera à renforcer l'unité de la société soudanaise et à normaliser la situation dans le sud du pays. Bien évidemment, cela concerne le Darfour et les questions relatives à l'aide humanitaire au profit de la population via les canaux des organisations internationales.

Nous communiquons souvent avec le Ministre des Affaires étrangères de la République du Soudan du Sud Barnaba Marial Benjamin, qui s'est rendu à Moscou à deux reprises en 2014. Nous avons poursuivi hier notre conversation sur les perspectives d'approfondissement de la coopération, y compris dans les domaines comme la construction, l'énergie, les transports, le secteur pétrolier et gazier et la formation de cadres. Évidemment, la formation de cadres est également l'un des thèmes de notre coopération avec la République du Soudan. Ces dernières années, des milliers de Soudanais et de Sud-soudanais ont suivi une formation en URSS et en Russie. C'est un domaine très important de nos contacts humains et culturels, qui aide à développer les relations en nous appuyant sur des liens humains très amicaux et étroits. Nous contribuerons aussi aux contacts directs entre les milieux d'affaires de nos trois pays.

Nous saluons les efforts déployés pour stabiliser la situation au Soudan du Sud, où des processus conflictuels se déroulent depuis 2013, ainsi que la signature en août d'un accord de paix entre le Gouvernement du Soudan du Sud et l'opposition. Nous espérons que les parties en conflit resteront attachées à leurs engagements. Nous les soutiendrons en ce sens et continuerons de prôner le règlement politique et diplomatique de toutes les questions en suspens, y compris en adoptant une position appropriée au Conseil de sécurité des Nations unies.

Je pense que l'échange de points de vue que nous avons eu avec mes homologues sur les questions bilatérales et les principaux thèmes internationaux et régionaux a confirmé la coïncidence ou la proximité de nos positions sur la plupart des sujets soumis à l'examen de la communauté internationale.

Nous coopérons très étroitement à l'Onu. Nous sommes reconnaissants envers ces deux pays pour leur soutien aux approches de principe de la Fédération de Russie à l'Onu et sur la scène internationale en général.

Je remercie encore une fois mes homologues de leur coopération et d'avoir accepté notre invitation.

Question: Est-ce que la prochaine réunion des chefs de la diplomatie au "format Normandie" pourrait aider à faire avancer le processus de paix de Minsk, qui continue de "faire du surplace"? Que pense la Russie des élections dans le Donbass? Est-ce que les républiques peuvent les organiser compte tenu du fait que Kiev bloque l'adoption de la loi sur leur statut particulier?

Sergueï Lavrov: Aujourd'hui tout tourne autour du problème des élections locales dans le Donbass. Les Accords de Minsk du 12 février 2015 prévoyaient des consultations immédiates entre Kiev, Donetsk et Lougansk sur les modalités d'organisation des élections locales sur ces territoires, conformément à la loi ukrainienne, sous la surveillance de l'OSCE. Tout a été écrit. Longtemps après l'entrée en vigueur des Accords de Minsk et leur approbation par des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, leur accordant le statut de document juridique international, les autorités ukrainiennes ont refusé de remplir la partie de l'accord impliquant des consultations directes avec Donetsk et Lougansk sur les modalités d'organisation des élections locales et continuent d'insister sur le déroulement de ces élections en conformité avec la loi adoptée par le Parlement ukrainien et avec l'implication à part entière de l'OSCE en la personne de son Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH).

Je le répète, la première condition pour la préparation des élections dans le Donbass sont les consultations directes et la concertation sur les modalités de l'organisation de ces élections. Donetsk et Lougansk étaient prêts à les organiser conformément à la loi ukrainienne et à accorder aux observateurs de l'OSCE le droit de surveiller ce processus, mais ils veulent s'entendre à ce sujet en consultant les autorités ukrainiennes, parce qu'il existe plusieurs aspects qu'il est impossible de contourner ou de régler sans consulter les républiques autoproclamées. Par exemple, elles s'opposent (et on peut les comprendre) à ce que les organisations comme Pravy sektor et d'autres radicaux puissent se présenter aux élections sur leur territoire, ce qui contredit la loi ukrainienne qui accorde à ces organisations le droit d'y participer. Ce sont des nuances de taille. Je ne vois pas comment des radicaux pourraient être admis aux élections alors qu'ils menacent quotidiennement les habitants du Donbass, leur culture et leur mémoire historique et les insultent. Ils menaçaient même d'y organiser un nettoyage et feraient aujourd'hui partie du champ politique? Certainement pas.

Surtout, l'absence de consultations directes n'est pas limitée aux élections locales. Le dialogue sur la réforme constitutionnelle et l'entrée en vigueur de la loi sur le statut particulier du Donbass est aussi au point mort – tout cela a été évoqué hier en détails pendant la conversation téléphonique entre les dirigeants de la Russie, de la France, de l'Allemagne et de l'Ukraine. Ces derniers ont confirmé leur volonté d'organiser la réunion des ministres des Affaires étrangères le 12 septembre à Berlin et ont convenu de se rencontrer personnellement à Paris le 2 octobre.

On peut relever également une autre circonstance importante concernant les élections, que je n'ai pas mentionnée – le problème systémique. Le gouvernement ukrainien, contrairement à ce qui a été écrit dans les Accords de Minsk, insiste pour que toutes les questions concernant le statut particulier du Donbass et la réforme constitutionnelle relative à ces territoires soient réglées après les élections locales. Dans le même temps, les autorités ukrainiennes font tout pour que ces élections n'aient pas lieu dans ces régions. La loi sur les élections locales, fixées en Ukraine le 25 octobre, exclut directement la possibilité d'organiser ces élections sur les territoires incontrôlés par Kiev et bien d'autres territoires qui sont adjacents à la ligne de démarcation dans le Donbass. C'est un cercle vicieux: le gouvernement de Kiev insiste sur le fait qu'il remplira ses engagements uniquement après les élections, et ce sans consultations avec le Donbass, et adopte en même temps une loi interdisant d'y organiser les élections avant un changement de gouvernement. Cela n'a aucune logique (impossible d'interpréter la position de Kiev autrement) sauf celle de saboter tout le concept des Accords de Minsk, mettre tout sens dessus dessous et rendre impossible la mise en œuvre des termes de Minsk 2. En ce sens, nous avons attiré l'attention sur le fait que les partenaires occidentaux, certains pays européens et les États-Unis, commencent à jouer à un jeu très dangereux en déclarant que si les élections locales se déroulaient dans le Donbass conformément aux décisions que Donetsk et Lougansk ont été contraints de prendre au vu du refus de Kiev de respecter les Accords de Minsk sur les consultations pour organiser ces élections, cela signifierait un échec de Minsk 2. Nous soulignons que le gouvernement de Kiev a constamment agi en parfaite contradiction avec les Accords de Minsk dès leur entrée en vigueur. Cela concerne l'adoption de la loi sur le statut particulier (ou plutôt sa non-adoption), l'absence de dialogue direct sur la réforme constitutionnelle, l'amendement très controversé à la Constitution ukrainienne concernant les particularités des autonomies locales sur le territoire des régions autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, ainsi que la loi promise sur l'amnistie, sans laquelle il serait très difficile d'espérer que les élections soient justes et honnêtes.

Nous sommes entièrement attachés à l'esprit et à la lettre des Accords de Minsk. Nous ferons tout pour que l'appréciation de leur mise en œuvre ne soit pas partiale et sélective, mais à part entière et dans l'ordre exact. Nous en parlerons à la réunion des ministres des Affaires étrangères à Berlin samedi prochain. Les dirigeants de nos pays se sont entendus pour que cette rencontre soit consacrée avant tout aux aspects politiques des Accords de Minsk: les élections, le statut du Donbass, les amendements à la Constitution et, si je comprends bien, les problèmes de l'amnistie, de l'échange de prisonniers – tout ce qui doit être fait pour créer une bonne atmosphère afin de mettre en œuvre tous les aspects des Accords de Minsk du 12 février 2015.

Question: Que peut dire le Ministère russe des Affaires étrangères concernant les selfies de militaires russes en Syrie?

Sergueï Lavrov: Nous avons déjà dit tout ce qu'il y avait à dire. Des militaires russes sont présents en Syrie depuis de nombreuses années. Leur présence est associée à la livraison d'armements aux forces armées syriennes, qui endosse le fardeau principal de la lutte contre le terrorisme - l'Etat islamique et d'autres organisations extrémistes. Les militaires russes y sont présents pour aider les Syriens à se familiariser avec ce matériel et le préparer pour la lutte antiterroriste.

Question: Que transportaient les avions russes qui ont atterri à Lattaquié?

Sergueï Lavrov: La Fédération de Russie envoie par avion des produits militaires conformément aux contrats en vigueur, et une aide humanitaire. En fonction de la nature de la cargaison, nous demandons une autorisation en parfaite conformité avec les normes internationales.

Question: Quel impact pourrait avoir la campagne concernant un prétendu renforcement de la présence militaire russe en Syrie sur les efforts internationaux pour régler la crise dans ce pays?

Sergueï Lavrov: Cette logique m'échappe complètement. Il n'y en a aucune, pour être plus exact. Nous avons déjà déclaré à plusieurs reprises dans nos communiqués que l'armée syrienne était la force la plus efficace qui combattait, sur le terrain, la menace terroriste. Depuis le début du conflit en Syrie, quand certains de nos collègues étrangers misaient sur les entités opposées au régime de Bachar al-Assad et n'écartaient même pas leur coopération avec des groupes franchement extrémistes, nous aidions et nous continuons d'aider le Gouvernement syrien en armant son armée de manière adéquate pour qu'elle empêche la répétition du scénario libyen et d'autres événements tragiques qui se sont produits dans cette région à cause de l'obsession de certains partenaires occidentaux par l'idée de renverser des régimes indésirables. D'ailleurs, nous n'aidons pas seulement la Syrie. La Russie fournit également des armes en Irak et dans d'autres pays de la région qui sont en première ligne du combat contre la menace terroriste. Nous le faisons sans aucune condition politique, tandis que d'autres partenaires de Bagdad accompagnent leur aide en armements aux forces irakiennes d'exigences politiques, ce qui est également un sérieux frein à l'union efficace des efforts.

Je voudrais réitérer les propositions du Président russe Vladimir Poutine: la Russie prône la formation d'une coalition coordonnée efficace pour s'opposer à l’État islamique et d'autres groupes de ce genre. Pour que cette lutte soit efficace, elle doit être menée sans doubles standards et s'appuyer sur le principe d'une union de tous ceux qui combattent l'EI, rejettent ses pratiques et son idéologie et sont prêts à tout pour empêcher les plans très dangereux de création d'un califat du Portugal au Pakistan, comme le professent les idéologues de ce groupe terroriste.

Il ne devrait probablement pas s'agir d'une coalition dans le sens classique du terme. L'idée n'est pas de créer une "super-armée" unie sous un commandement commun – c'est impossible. Elle doit être souple et assurer la coordination des efforts et des actions des troupes qui combattent l’État islamique sur le terrain, dans les airs ou en mer. Cela suppose l'implication des armées de la Syrie, de l'Irak et des rebelles kurdes de ces pays, l'orientation commune des unités de l'opposition patriotique syrienne armées par leurs sponsors étrangers, la compréhension et les signaux de tous les acteurs étrangers qui doivent être unifiés. Cela sous-entend également la participation et la prise en compte de tous ces aspects et des tâches réalisées sur le terrain lors de la planification des frappes portées par la coalition qui combat l'EI créée, malheureusement, par les États-Unis en dehors du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous n'avons jamais caché notre présence militaire. Nos spécialistes militaires travaillent en Syrie pour aider l'armée syrienne à se familiariser avec l'armement russe. La Russie n'entreprend aucune démarche supplémentaire à l'heure actuelle. Si c'était nécessaire, nous agirions en pleine conformité avec la législation russe, le droit international et nos engagements et uniquement à la demande et sur accord du Gouvernement syrien ou des gouvernements d'autres pays de la région, s'il était question de les aider dans ce combat contre le terrorisme.

Lors de mes contacts réguliers avec le Secrétaire d’État américain John Kerry, y compris pendant notre conversation téléphonique d'hier, nous évoquons ces sujets dans le détail. Il s'est dit préoccupé par les rumeurs répandues actuellement par les médias occidentaux et a exprimé une idée très étrange, selon laquelle le soutien de Bachar al-Assad dans la lutte antiterroriste ne faisait que renforcer les positions de l’État islamique, parce qu'à leur tour les sponsors alimenteront davantage cette organisation terroriste en armes, en argent et avec tout le nécessaire pour mettre en œuvre ses plans sinistres. C'est une logique absolument inversée et encore une tentative d'encourager ceux qui instrumentalisent les terroristes pour combattre les régimes indésirables. La création d'une coalition par les USA, sans aucune interaction avec les autorités syriennes, était une erreur colossale, tout comme l'annonce de ce que ses pays membres comptaient faire en procédant à des attaques sur le territoire syrien, comme ils disent, "contre les positions de l'EI".

L'Australie a annoncé hier qu'elle rejoignait les frappes en Syrie sans aucun contact avec le Gouvernement syrien. Comme l'a déclaré le Premier ministre britannique David Cameron, son pays a tué sur le territoire syrien plusieurs djihadistes qui étaient des citoyens britanniques, et ce serait la "réalisation du droit inhérent de la Grande-Bretagne à la légitime défense". C'est pourquoi quand on nous accuse sans preuves de faire quelque chose d'illégal et de "renforcer l’État islamique", je demanderais de regarder de plus près les méthodes concrètes employées par la coalition sous l'égide américaine.

Nous sommes persuadés qu'il est tout à fait possible de coordonner tous les efforts dont je parle, tous les acteurs sur ce front antiterroriste crucial si, je le souligne, on renonçait au deux poids deux mesures pour agir sur la base du droit international avec un rôle de coordination central du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous sommes prêts à cela.


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