Commentaire et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov au sujet de sa visite au Tadjikistan, Douchanbé, le 2 avril 2015
Bonjour,
Nous venons de terminer une journée de travail bien chargée à Douchanbé.
Avant tout je voudrais parler du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'OTSC. Nous avons examiné un certain nombre de questions importantes et convenu d'organiser une série d'événements dans le cadre de notre travail commun lié à la préparation au 70e anniversaire de la Victoire dans la Grande guerre patriotique. Nous avons approuvé une déclaration conjointe qui sera diffusée à l'Onu, à l'OSCE et sur d'autres plateformes internationales. Nous avons convenu des aspects spécifiques de la célébration de cet événement à Moscou et dans d'autres capitales des pays de l'OTSC.
Il est très important que ces projets aient été soutenus par le Président en exercice de l'OSCE, le Ministre serbe des Affaires étrangères Ivica Dacic, et par le Chef du Centre régional de l'Onu pour la diplomatie préventive en Asie centrale Miroslav Jenca, qui ont participé à la réunion d'aujourd'hui. L'Onu et l'OSCE ont décidé de célébrer dignement l'anniversaire de la Grande Victoire, et nous avons convenu avec nos partenaires des détails spécifiques de son organisation.
Nous avons également approuvé le Plan de consultations des membres de l'OTSC sur les questions de politique étrangère, de défense et de sécurité. C'est un document au contenu très riche qui prévoit plus de 20 rendez-vous. Dans le cadre du Programme de coordination de la politique étrangère à travers la présentation des positions communes aux forums internationaux, lancé il y a quelques années, nous avons approuvé un ensemble de nouvelles déclarations conjointes qui sera développé à l'Onu, à l'OSCE, au Conseil de l'Europe et dans d'autres structures par nos ambassadeurs et nos représentants auprès des organisations internationales. Au total, nous avons convenu de dix thématiques qui constitueront la base des déclarations conjointes.
Nous nous sommes aussi penchés sur l'interaction entre l'OTSC et l'OSCE et avons décidé que, dans le cadre de sa présence aux réunions ministérielles annuelles de l'OSCE, le Secrétaire général de l'OTSC puisse participer plus activement – avec d'autres chefs des organisations régionales – à l'élaboration des moyens de sensibilisation à la sécurité européenne. Cette thèse a été soutenue par le Président de l'OSCE Ivica Dacic.
Le processus "Helsinki +40" est en marche, et il nous est important que le caractère indivisible de la sécurité, proclamé il y a longtemps, soit mis en œuvre et traduit par des mécanismes concrets qui permettraient à chaque pays de l'espace de l'OSCE, indépendamment de leur appartenance à un bloc quelconque, de se sentir aussi en sécurité que les autres pays. C'est un problème très grave, et le fait qu'il n'ait pas été résolu de manière systématique est l'une des raisons de la persistance des conflits dans l'espace de l'OSCE, y compris l'émergence d'une grave crise ukrainienne interne.
En outre, nous avons tenu à Douchanbé des négociations bilatérales avec les dirigeants de la République du Tadjikistan. Nous venons d'achever la rencontre avec le Président du Tadjikistan Emomalii Rahmon. Nous avons exprimé notre satisfaction face au développement des relations entre nos deux pays.
Dans le domaine économique, plusieurs questions dont la solution vise à promouvoir notre interaction ont été examinées à la réunion de la Commission intergouvernementale sur la coopération commerciale et économique qui a eu lieu le mois dernier. Nous nous sommes clairement prononcés en faveur de la mise en œuvre rapide et efficace de tous ces accords.
La coopération interparlementaire se développe également. L'année dernière, les chefs des parlements de la Russie et du Tadjikistan ont échangé des visites. L'automne dernier, le forum interrégional a eu lieu à Moscou avec la participation des régions du Tadjikistan et les sujets de la Fédération de Russie. C'est un niveau très important de liens humains qui scelle l'amitié entre nos deux peuples. Nous avons également exprimé notre satisfaction face à la résolution des questions législatives et relatives au confort maximal pour les travailleurs migrants du Tadjikistan. Nous avons déjà préparé quatre accords additionnels qui permettront de résoudre le nombre maximal de problèmes dans cette région. On constate des progrès, et le but principal est de faire sortir ces gens "de l'ombre", d'assurer leurs droits et leur sécurité pour que personne ne puisse les exploiter.
Nous avons également évoqué le développement de la coopération militaire et technique, l'aide militaro-technique de la Russie au Tadjikistan en tant qu'allié de l'OTSC, surtout en tenant compte des menaces croissantes venant du Sud, suite à la détérioration de la situation en Afghanistan où, malgré toutes les déclarations contraires, à côté des groupes extrémistes traditionnellement présents tels que le Mouvement islamique d'Ouzbékistan, le Mouvement islamique du Turkestan et Al-Qaïda, l'État islamique a également pris racine. Nous avons réaffirmé notre engagement à remplir nos obligations envers le Tadjikistan pour renforcer sa capacité de défense tant de manière bilatérale que dans le cadre des décisions prises par l'OTSC.
Aujourd'hui, nous avons également signé le Programme de coopération entre les ministères des Affaires étrangères de la Russie et du Tadjikistan. C'est un document traditionnel qui assure la coordination de nos actions dans le cadre des organisations internationales et de nos ambassades à l'étranger.
En conclusion, le Président du Tadjikistan, Emomalii Rahmon, a confirmé sa gratitude pour l'invitation reçue du Président russe Vladimir Poutine à prendre part aux événements prévus à Moscou à l'occasion du Jour de la Victoire, y compris le sommet informel des dirigeants des pays de la CEI le 8 mai, le défilé et d'autres événements qui seront organisés le 9 mai.
Question: Des négociations sont en cours sur le programme nucléaire iranien à Lausanne. À votre avis, quelles sont les raisons qui empêchent les parties de tomber d'accord, et où est le principal problème des négociations?
Sergueï Lavrov: Je ne veux pas entrer dans les détails des négociations. Ces derniers jours, j'ai été à Lausanne deux fois. La situation sort de l'ordinaire - je dirais même qu'elle est sans précédent. Les ministres des Affaires étrangères des plus grands États du monde y passent des jours, et certains d'entre eux des semaines. Cela signifie une chose: tout le monde est intéressé par un résultat rapide dans le dossier nucléaire iranien.
Ces négociations durent depuis plus de dix ans. Elles ont été commencées par nos partenaires européens qui, par la suite, ont été rejoints par la Russie, la Chine, les États-Unis et les responsables de la politique étrangère de l'Union européenne. Au cours de la dernière année et demie, elles ont connu une dynamique très sérieuse qui a abouti, en novembre dernier, à l'adoption d'un accord intermédiaire, par lequel les parties (l'Iran et les négociateurs occidentaux) ont pris des engagements concernant l'atténuation du régime des sanctions unilatérales qui, en grande partie, avaient été imposées contre l'Iran de façon illégale. Nous avons convenu que nous tous – les six médiateurs (la Russie, la Chine, les USA, la France, l'Allemagne, la Grande Bretagne et le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) –, de concert avec la partie iranienne, allions tout faire pour enfin clore ce dossier avant le 30 juin 2015.
Les questions négociées actuellement sont proches d'un accord. Il ne reste que les derniers pas à faire, et dans certains cas des demi-pas. Certaines choses sont déjà convenues, mais au moment où l'on a lancé ces négociations, nous avions décidé de les mener sur la base du principe "rien n'est convenu tant que tout n'est pas décidé". Donc, maintenant, on est à l'étape décisive. Nous avons également contribué à l'organisation de ce cycle, et c'est à nous qu'appartient l'élaboration du principe de progressivité et de réciprocité - quand l'accord est basé sur des pas réciproques. Ainsi, quand l'Iran fait un pas vers les exigences de la communauté internationale, ses partenaires extérieurs répondent, à leur tour, de manière constructive.
Ce qui se dessine maintenant s'inscrit parfaitement dans la conception proposée par le Président de la Russie Vladimir Poutine, fixée dans son décret "Sur les mesures pour mettre en œuvre la politique étrangère de la Fédération de Russie" du 7 mai 2012, qui dit que nous sommes favorables au règlement de ce problème sur la base de la reconnaissance inconditionnelle des droits de l'Iran à un programme nucléaire pacifique, à condition qu'il soit soumis au contrôle fiable de l'AIEA et que toutes les sanctions imposées contre ce pays soient levées. À l'étape actuelle des négociations, à laquelle j'ai participé moi-même, nous avons clairement réaffirmé ces approches russes. Certes, ce n'est qu'un cadre général qui suppose la solution de plusieurs questions spécifiques dans les paramètres donnés.
Encore une fois, nous avons le temps jusqu'au 30 juin d'élaborer un document juridique techniquement professionnel qui précisera toutes sortes de questions permettant de résoudre tous les problèmes de manière exhaustive. À cette étape, il s'agit de convenir d'un accord-cadre politique dont toutes les composantes sont déjà claires.
Mais, comme cela arrive toujours, à la dernière étape des négociations chaque partie tente de marchander quelque chose de plus en espérant que, sous la pression du temps, on lui donnera satisfaction. Ce n'est pas notre façon de procéder mais certains participants sont justement guidés par cette logique. J'espère qu'ils vont arriver à un consensus. Les questions promues par la Fédération de Russie ont déjà pris une place stable dans les accords qui se profilent, et nos représentants, y compris mon adjoint Sergueï Riabkov qui reste en permanence à Genève, veillent à ce que nos intérêts ne soient pas compromis.
Maintenant, le principal problème consiste dans le fait que, comme vous le savez, à part les sanctions imposées contre l'Iran par le Conseil de sécurité de l'Onu, perdurent tout un ensemble de restrictions unilatérales et illégitimes qui ont été adoptées par les États-Unis, l'UE et certains autres pays. Les principaux différends se situent aujourd'hui entre les Iraniens et ceux qui ont imposé contre eux des sanctions unilatérales. Ils négocient et cherchent comment atténuer ce fardeau. Mais nous avons suffisamment de clarté concernant les actions que le Conseil de sécurité de l'Onu devra entreprendre après la conclusion de l'accord, tel qu'il se dessine maintenant.
Question: Que pensez-vous de l'attaque contre le Consulat général de Russie à Aden et de l'évacuation de nos diplomates et de nos citoyens du Yémen? La Russie peut-elle soulever la question de la situation au Yémen au Conseil de sécurité de l'Onu?
Sergueï Lavrov: Il faut dire que la situation au Yémen est déjà examinée au Conseil de sécurité de l'Onu. Un groupe d'auteurs, avant tout des pays arabes du golfe Persique, a présenté un projet de résolution. Malheureusement, la résolution a été présentée après les événements dramatiques dans ce pays, et la coalition formée par l'Arabie saoudite a déjà lancé une action militaire.
Nous aurions, bien sûr, préféré que la demande au Conseil de Sécurité de l'Onu précède toute utilisation de la force. Maintenant, nous essayons de rédiger un texte qui ne visera pas le soutien d'une des parties de la tragédie yéménite, mais qui demandera que les Houthis arrêtent toutes les actions militaires dans le Sud de la République du Yémen, et que la coalition qui mène une opération par des frappes aériennes sur les positions des Houthis suspende également ses actions, et finalement, que les représentants des parties yéménites, y compris le président Abd Rabo Mansour Hadi, les Houthis et d'autres forces politiques de ce pays, s'assoient à la table des négociations, comme ils en ont convenu il y a longtemps. J'espère que cette approche sera soutenue. Au moins, nous croyons que l'Europe et les États-Unis comprennent la nécessité d'une telle solution. Parce que l'alternative qui consiste à soutenir une partie dans ce conflit est totalement contraire à tous les principes qui sont à la base de l'activité de l'Onu et de son Conseil de sécurité.
En ce qui concerne le sort des citoyens russes, dès le début de cette phase grave, nous avons entrepris toutes les démarches nécessaires pour contacter les autorités yéménites (je parle du président Hadi et de l'opposition, y compris les Houthis) pour assurer la sécurité de nos missions diplomatiques – de l'Ambassade à Sanaa et du Consulat général à Aden. Nous avons préparé des plans d'évacuation et les avons transmis aux parties yéménites et à la coalition par son leader – l'Arabie saoudite. Nous avons convenu des itinéraires et des moyens par lesquels nous allions procéder aux évacuations. Notre navire de guerre a déjà évacué les Russes d'Aden. On a fait sortir du pays tous nos diplomates, ainsi que des citoyens de la CEI et de certains États arabes qui en ont exprimé le désir.
Quant à Sanaa, qui n'est pas une ville portuaire, on y a envoyé deux avions russes. Nous avons prévenu tous les pays survolés et le leader de la coalition – l'Arabie saoudite. Nous avons obtenu la confirmation sur les survols et sur l'évacuation de Sanaa des citoyens de Russie, des pays de la CEI et d'autres pays, intéressés à se joindre à cette opération. Malheureusement, les avions ont été forcés de faire demi-tour dans l'espace aérien avant le Yémen. L'un a dû atterrir au Caire, l'autre à Djibouti.
Nous avons pris toutes les mesures nécessaires pour que l'avion qui avait effectué un atterrissage forcé au Caire puisse atterrir à Sanaa et prendre en charge tous ceux qui voulaient partir par ce vol. Le deuxième avion partira de Djibouti à Sanaa dans les prochaines heures.
Bien sûr, le fait qu'au cours de ces négociations et des incidents liés au survol dans l'espace aérien des pays voisins une attaque soit survenue sur le quartier où se trouve le Consulat général de Russie à Aden est très alarmant. Nous sommes convaincus que cette attaque n'était pas planifiée. Néanmoins, dans la préparation de telles opérations, il faut tenir compte des promesses qui nous ont été données. Il est possible qu'un tel acte soit accidentel, mais nous avons à plusieurs reprises transmis les coordonnées de nos missions diplomatiques sur le territoire du Yémen et nous espérons que de telles erreurs n'auront plus lieu.
Le Consulat général est détruit et, en grande partie, pillé par les représentants chiites. La réparation des dommages et la restauration du site n'est pas une question urgente. Dès que la confrontation militaire prendra fin, nous allons nous en occuper. Mais pour qu'elle prenne fin, le Conseil de sécurité de l'Onu doit se prononcer catégoriquement pour la prévention de toute violence sans prendre parti dans la crise yéménite.