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Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors de la conférence de presse sur le bilan de l'activité de la diplomatie russe en 2021, Moscou, 14 janvier 2022

30-14-01-2022

Chers collègues,

Bonjour! Bonne année à tous, sauf, pour l'instant encore, à certains de nos collègues de l'Est. Les festivités dureront encore un mois avec le Nouvel an chinois et selon le calendrier oriental.

Nous avons commencé à travailler "sur les chapeaux de roues" après les vacances. Nous avons même partiellement sacrifié des jours de congé. La situation actuelle dans le monde est telle qu'il n'y a pas de place pour le repos et la relaxation. Je ne l'évaluerai pas en détail. Vous connaissez les discours programmatiques exhaustifs prononcés par le Président russe Vladimir Poutine lors des réunions élargies des Collèges de nos Ministères des Affaires étrangères et de la Défense, et pendant la grande conférence de presse du 23 décembre 2021.

Tout le monde comprend que la situation ne s'améliore pas. Le potentiel conflictuel s'accumule. Les collègues occidentaux contribuent fortement à cette évolution négative. Ils ont entrepris de saper l'architecture des relations internationales fondée sur la Charte des Nations unies. Ils remplacent le droit international par des "règles" qu'ils veulent imposer à tous pour construire un nouvel ordre mondial. Ils créent différents "formats" dans des domaines de l'activité internationale qui figurent depuis longtemps à l'ordre du jour des organes universels du système des Nations unies. Cela crée des doublons. Ces formats étroits, les "réunions entre soi", sont présentés comme des coalitions de "pionniers" dictant de nouvelles approches qui seraient "nécessaires" pour tous les autres aujourd'hui. Ceux qui ne se joignent pas à ces événements sont qualifiés de rétrogrades, de pays qui tentent d'introduire le révisionnisme dans la vie internationale. Il semblerait pourtant que le révisionnisme est justement ce que l'Occident fait maintenant. Il tente de réviser la Charte des Nations unies. La Russie et d'autres pays qui sont nos alliés et partenaires stratégiques défendent la Charte de l'Organisation, ses principes, ses objectifs, sa structure et la défendent contre le révisionnisme.

Le "projet" le plus odieux s'est déroulé les 9 et 10 décembre 2021: un "sommet pour la démocratie". Les préparatifs de cette réunion, l'événement en lui-même et les "résultats" proclamés à Washington sont un exemple clair de la voie suivie par les collègues américains pour "réidéologiser" la vie internationale (ce dont nous nous étions débarrassés il n'y a pas si longtemps) et créer de nouvelles lignes de démarcation.

La ligne des États-Unis et de l'Alliance du Traité de l'Atlantique Nord est ouvertement proclamée comme un endiguement de la Chine et de la Fédération de Russie. Les tentatives d'élargir artificiellement l'Otan et d'aspirer l'Ukraine dans les rangs de l'Alliance se poursuivent sans relâche. Des déclarations intéressantes ont récemment été faites par les dirigeants de l'Alliance et les États-Unis, selon lesquelles les pays scandinaves non membres de l'Otan sont les bienvenus. Les tentatives de "séduction", visant à étendre artificiellement cette structure qui a perdu sa raison d'être après la Guerre froide et la disparition du Pacte de Varsovie, se poursuivent.

En décembre 2021, deux documents ont été remis aux États-Unis et aux membres de l'Otan, et rendus publics: le projet de traité entre la Russie et les États-Unis sur les garanties de sécurité et celui d'accord sur les garanties de sécurité entre la Russie et les États de l'Otan. Ils constituent un ensemble. Ils sont conçus pour empêcher tout nouveau mouvement de l'Otan vers l'Est et le déploiement de systèmes d'armements qui nous menacent à proximité des frontières de la Russie. Le 10 janvier de cette année, des pourparlers ont eu lieu à Genève entre nos experts et ceux des Etats-Unis. Le 12 janvier s'est déroulée une réunion avec les pays de l'Otan à Bruxelles. La nécessité de se concentrer spécifiquement sur l'arrêt de l'expansion d'un bloc au détriment des intérêts des autres États du continent européen a été clairement énoncée et argumentée en détail. Je pense que vous avez suivi de près la couverture détaillée de ces événements et les interviews des représentants des Ministères des Affaires étrangères et de la Défense russes.

Je souligne que nous avons besoin de garanties juridiquement contraignantes. Les engagements politiques pris dans les années 1990 (sans parler des promesses) n'ont jamais été honorés par nos partenaires occidentaux. Apparemment, ils ne comptent pas non plus s'y tenir maintenant. C'est un sujet à part. Nous avons expliqué en détail la déficience de cette approche et le caractère inacceptable d'une interprétation unilatérale des engagements politiques de ne pas étendre l'Otan et de garantir l'indivisibilité de la sécurité. Nous attendons des réponses écrites de nos collègues, "noir sur blanc". Comme nous l'avons fait avec nos propositions. Nous continuons de travailler pour être prêts en cas d'évolution, quelle qu'elle soit.

Nous sommes convaincus qu'avec de la bonne volonté et une ouverture au compromis, des solutions mutuellement acceptables peuvent toujours être trouvées. Je rappelle qu'au début de l'année 2021, il a été possible de prolonger le Traité de limitation des armes stratégiques pour cinq ans sans aucune condition, comme l'avait proposé la Fédération de Russie. Nous avons apprécié cette initiative de l'administration Biden, l'une des premières après son entrée en fonction. Lors de leur rencontre à Genève le 16 juin 2021, les présidents russe et américain Vladimir Poutine et Joe Biden ont convenu de la nécessité d'un dialogue sur toutes les questions relatives à la stabilité stratégique et aux armes qui ont une influence sur cette dernière. Une déclaration importante a été adoptée, réaffirmant le principe selon lequel une guerre nucléaire ne peut être gagnée, et ne doit donc jamais être déclenchée. Je suis heureux de constater que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ont adopté au plus haut niveau, le 3 janvier, une déclaration commune sur l'inadmissibilité de la guerre nucléaire et l'engagement des États nucléaires à tout faire pour l'empêcher. Cette démarche contribuera à la préparation du sommet des dirigeants des cinq États nucléaires, dont l'initiative revient au Président russe Vladimir Poutine. Nous attendons un accord sur les questions d'organisation et l'ordre du jour de cet événement. Nous espérons qu'il aura lieu en présentiel dès que la situation épidémiologique le permettra.

Nous travaillons sur l'axe occidental et sommes actifs dans d'autres domaines de la politique étrangère de la Russie. En 2021, la coopération en matière d'intégration au sein de l'Union économique eurasiatique (UEE) s'est développée, le processus d'intégration dans le cadre de l'État de l'Union de la Russie et de la Biélorussie a été renforcé. Cela a favorisé la promotion de l'initiative du Président russe Vladimir Poutine visant à former un Grand partenariat eurasiatique.

Dans ce cadre, nous avons développé nos relations avec les partenaires du continent asiatique. Nous avons célébré le 20e anniversaire de la signature du traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération entre la Russie et la Chine. Nous avons fait avancer le partenariat stratégique particulièrement privilégié avec l'Inde et avec la plupart des partenaires de la région Asie-Pacifique, ainsi qu'avec les États d'Afrique et d'Amérique latine. Dans la région Asie-Pacifique, une attention particulière a été accordée aux relations actives avec les États membres de l'ANASE dans le cadre de la formation d'un Grand partenariat eurasiatique. Nous avons exploité au maximum les possibilités de dialogue constructif offertes par des groupes tels que le G20, les Brics et l'OCS.

Nous nous sommes impliqués dans l'aide à la résolution de divers conflits (Haut-Karabakh, Syrie, Afghanistan, Libye), ainsi qu'au sujet du dossier nucléaire iranien, des affaires israélo-palestiniennes, de la situation sur la péninsule coréenne et d'autres "points chauds". Dans ce contexte, je voudrais mentionner la mission que les forces de maintien de la paix de l'OTSC ont remplie (les dernières questions sont en train d'être réglées). À la demande du Président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, les forces de maintien de la paix ont aidé à faire face à une menace terroriste ouverte, qui s'est retrouvée sur le territoire du pays non sans soutien de l'extérieur.

Les travaux sur la pandémie de coronavirus et ses conséquences ont fait l'objet d'un soutien diplomatique attentif. Le vaccin Sputnik V a été enregistré dans 71 pays. Dans nos contacts avec nos partenaires étrangers, nous continuons d'expliquer l'intérêt pratique évident de l'initiative du Président russe Vladimir Poutine, lors du sommet du G20 des 30 et 31 octobre 2021, concernant la reconnaissance mutuelle des certificats nationaux de vaccination. De tels accords ont déjà été conclus avec un certain nombre de pays.

En 2022, nous continuerons de travailler sur tous ces fronts. Nous défendrons le rôle central de l'Onu, la nécessité d'un respect strict du droit international tel qu'il est incarné dans les documents universellement convenus et adoptés, sans essayer de les "fragmenter" en articles séparés afin de les interpréter pour ne plaire qu'à un seul groupe de pays.

Nous lutterons contre le terrorisme et la cybercriminalité. D'importantes décisions ont été adoptées à ce sujet au cours de l'année écoulée aux Nations unies et dans d'autres formats. Nous soutiendrons et contribuerons à la consolidation du Monde russe en tant que mouvement multiethnique et multiconfessionnel. Le VIIe Congrès mondial des compatriotes russes s'est tenu en octobre 2021. D'autres plans conjoints ont été évoqués.

Les questions relatives à la garantie de la liberté d'expression et à l'égalité d'accès à l'information feront l'objet d'un contrôle particulier. À cet égard, nous continuerons d'insister auprès de nos collègues occidentaux pour qu'ils ne se dérobent pas à leurs obligations et les respectent pleinement.

Nous continuerons à communiquer avec les médias, si vous êtes intéressés. Nous y sommes prêts.

Question: Vous avez déjà parlé des résultats des pourparlers concernant les propositions russes sur les garanties de sécurité à Bruxelles et à Genève. Nous attendons maintenant une réponse écrite: des États-Unis la semaine prochaine et de l'Otan dans le courant de la semaine. En même temps, nous constatons que nos partenaires sont critiques et parfois négatifs à l'égard des dispositions qui sont importantes pour nous. Quelles démarches la Russie entreprendra-t-elle si les propositions sont rejetées par les États-Unis et l'Otan?

Sergueï Lavrov: Nous attendons une réaction écrite. Il y a des raisons de penser que nos partenaires ont compris la nécessité de le faire rapidement, concrètement, "sur le papier". Nous n'attendrons pas indéfiniment. Il est prévu de "boucler" ce processus. Pour être franc, tout le monde comprend que la perspective de parvenir à un accord dépend des États-Unis. Quoi qu'on nous dise sur la nécessité de consulter nos alliés et d'impliquer tous les membres de l'OSCE dans ces négociations, ce ne sont que des excuses et des tentatives pour faire traîner le processus.

Quand les relations entre la Russie et l'Otan ont pris forme, quand l'Acte fondateur a été conclu, quand la décision a été prise de créer le Conseil Otan-Russie - dans le cadre de tous ces processus, des accords politiques ont été négociés entre Moscou et l'Alliance sur la manière dont nous nous comporterions dans la future configuration militaire et en matière d'armements - personne n'a eu besoin de consultations. Cela n'a effleuré l'esprit de personne. Ni avec l'OSCE, ni avec l'Union européenne, qui aujourd'hui (selon les termes de Josep Borrell) "s'offense" activement d'avoir été "laissée de côté". Nous pourrons parler de ce thème séparément.

Nous voulons voir une position "sur le papier", obtenir un retour sur chacun de nos points dans les deux documents, article par article: ce qui convient, ce qui ne convient pas et pourquoi. Si quelque chose doit être complété d'une manière ou d'une autre, qu'ils formulent des correctifs.

Vous avez mentionné ce qui est sur toutes les lèvres dans les médias en ce moment - la réaction occidentale s'articule principalement autour d'une affirmation sans appel qu'il est impossible d'abandonner le principe de porte ouverte de l'Alliance du Traité de l'Atlantique Nord. Mais la Russie n'est liée par aucun accord au sein de l'Otan. Nous, les Américains, les Européens, les membres de l'Otan et les pays neutres, sommes fermement liés par des accords et des engagements politiques au sein de l'OSCE.

Dans ce contexte, l'Organisation nous fournit un cadre normatif uniquement parce qu'il a été convenu dans les années 1990 que l'indivisibilité de la sécurité ne devait pas être remise en cause et que sa propre sécurité ne devait pas être renforcée au détriment de celle des autres. Ces documents (en particulier la Charte de sécurité européenne, signée au plus haut niveau à Istanbul en 1999) fixent trois composants. Ils ont été partagés par tous, et tout le monde les a signés.

Le premier - l'Occident aime beaucoup en parler en ce moment - est le droit de choisir librement les moyens de garantir sa sécurité, y compris par des traités d'alliance. Il est dit que chaque État a le droit à la neutralité. Cela aussi ne doit pas être oublié. Puis il y a un bloc qui fait partie intégrante de ce compromis: l'entente selon laquelle chaque État respectera les droits des autres et ne renforcera pas sa propre sécurité au détriment de celle des autres. Il est spécifiquement stipulé qu'aucun État, groupe de pays ou organisation ne peut se voir attribuer la responsabilité principale du maintien de la paix et de la stabilité dans l'espace euro-atlantique, ni considérer aucune partie de la région comme sa sphère d'influence.

Nos collègues des Etats-Unis et de l'Otan, qui ont "empoché" la première partie de ce paquet indivisible (le droit de chacun de choisir ses alliances), tentent de rayer tout le reste, sans lequel la première partie ne fonctionne pas. Nous ne sommes pas liés par cette norme (sur le respect du droit de choisir des alliances) si elle est appliquée ou que l'on tente de l'appliquer en violation flagrante des autres parties de ce paquet indivisible. Cela a été expliqué de manière suffisamment détaillée. Nous attendons les réponses écrites. Après cela, s'il est clair qu'il est judicieux de relancer les négociations, ce sera la question principale.

Nous insisterons pour que nos partenaires nous expliquent comment ils se positionnent vis-à-vis de leurs engagements, en particulier ceux pris au plus haut niveau. Si nos propositions sont rejetées, nous évaluerons la situation et ferons un rapport au Président russe Vladimir Poutine. Lors de sa grande conférence de presse, il a déclaré que nous prendrions des décisions en tenant compte de tous les facteurs, avant tout dans le but de garantir notre sécurité. Je ne vais pas essayer de faire des prévisions, comme mes collègues occidentaux essaient de le faire maintenant. Je pense que c'est contre-productif. Il est important pour nous de recevoir une réponse concrète ou des contre-propositions, et qu'elles abordent les questions énoncées dans nos documents, qui sont essentielles pour empêcher que la situation évolue de manière négative dans notre région commune - l'Europe. Nous jugerons du sérieux de nos collègues par leur réaction.

La cheffe de l'équipe de négociations américaine à Genève, la secrétaire d'État adjointe Wendy Sherman, a déclaré qu'il ne s'agissait pas de négociations mais d'un examen des positions. C'est éloquent. Nous sommes arrivés à ces pourparlers avec des positions formulées "sur le papier" un mois avant la date de la réunion de Genève. Les Américains, qui n'ont pas pu, au cours de ce mois, étudier nos propositions afin de formuler une position concrète, se sont limités à des questions et à des explications verbales. C'est une étape qui a été franchie.

Question: La Russie envisage-t-elle d'étendre sa présence politique et militaro-stratégique dans certains pays ?

Sergueï Lavrov: Nous avons des liens militaires et militaro-techniques étendus avec nos partenaires, nos alliés. Nous sommes présents dans différentes parties du monde. C'est une question qui concerne les relations bilatérales. Nous nous baserons sur les intérêts de la stabilité mondiale lorsque de nouvelles mesures seront discutées avec nos alliés sur une base bilatérale dans cette direction.

Question: Le thème de la "non appartenance" de l'Ukraine à l'Otan et de l'activité de l'Alliance en Europe de l'Est est à l'ordre du jour depuis de nombreuses années. La Russie a soulevé ces questions à plusieurs reprises. Néanmoins, les responsables russes ont qualifié ces questions d'urgentes, nécessitant une solution urgente dès maintenant. Pourquoi cette question est-elle soulevée soudainement maintenant, en novembre-décembre 2021? Que s'est-il passé?

Sergueï Lavrov: C'est une accumulation. Dans la période qui a suivi les années 1990, lorsque les promesses faites de ne pas étendre l'Otan, de ne pas déplacer l'infrastructure militaire vers l'Est, de ne pas déployer de forces offensives substantielles sur le territoire des nouveaux membres ont été brutalement "jetées à la poubelle" par nos amis occidentaux. L'Otan, en cinq "vagues" d'élargissement, s'est approchée de nos frontières. Si en 1997, lorsque nous "formalisions" nos relations avec l'Otan, seule la Pologne était candidate à l'adhésion, voyez comment la situation a changé aujourd'hui. En outre, tous ces territoires font l'objet d'un développement militaire actif. Si nos propositions visent à réduire la confrontation militaire et à une désescalade de la situation générale en Europe, c'est tout le contraire qui se produit en Occident. Les pays de l'Otan renforcent leurs forces terrestres et leur aviation dans les territoires directement adjacents à l'Ukraine. Les exercices en mer Noire, leur ampleur et leur nombre ont augmenté plusieurs fois récemment, il y a encore beaucoup d'autres choses. Nous avons des raisons de croire que les déclarations retentissantes qui sont maintenant faites, selon lesquelles si la Russie ne se "soumet" pas aux demandes de l'Occident sur la façon de gérer ses troupes sur son territoire (ce qui, en soi, est absurde), alors dans les deux ou trois prochains mois, l'Occident augmentera ses forces de réaction rapide, les forces d'opérations spéciales de l'Otan autour de nos frontières.

Pour répondre à votre question, je dirais que beaucoup de choses ont changé. Ce qui a changé, c'est la configuration réelle des armements, des équipements militaires et des forces militaires en Europe. Il est inacceptable qu'on exige que nos troupes soient stationnées dans des casernes sur notre territoire, alors que dans le même temps, des Américains, des Canadiens et des Britanniques sont stationnés en permanence dans les pays baltes et d'autres pays d'Europe du Nord sous couvert d'une prétendue "rotation". Des bases sont établies en mer Noire. Les Britanniques installent des bases en Ukraine. Ils construisent une base en mer d'Azov. C'est catégoriquement inacceptable pour nous. C'est une approche inacceptable. Le moment choisi reflète une période, disons-le franchement, où l'Occident "s'énerve". En violation de toutes les obligations, du bon sens, il a opté pour l'"aggravation". L'Occident condamne les actes violents contre les civils, les violations des droits de l'homme, etc. Mais quand des coups d'État sanglants sont menés par des personnes qui jurent "allégeance" à l'Occident, celui-ci les prend simplement dans ses "bras". Ce fut le cas lors du coup d'État en Ukraine, où de nombreuses personnes sont mortes, y compris des mains de provocateurs. Le coup d'État a été approuvé par les États-Unis (c'est un euphémisme) et a ensuite été perçu comme un acte accompli par les Européens. Cette histoire est bien connue. Personne ne va enquêter sur les crimes du Maïdan, personne ne va enquêter sur le crime commis à Odessa le 2 mai 2014, quand des gens ont été brûlés vifs et que les assassins paradaient devant les caméras. C'est la colonne vertébrale du nouveau gouvernement. Rien ne change. Porochenko, Zelenski, tous ces "Secteur droit", "Azov", étaient jusqu'à récemment considérés comme extrémistes en Amérique, mais maintenant la situation a changé. Il en a été de même en Géorgie en 2008, quand Saakachvili a donné l'ordre. Une mission spéciale de l'UE a alors examiné ce qui s'était passé et a officiellement déclaré que c'était lui qui avait déclenché la guerre. Mais la Géorgie reste un ami des États-Unis. Les amis de l'interprétation occidentale ont tous les droits, comme vous le savez.

Notre patience a atteint ses limites. Et nous sommes très patients. Vous savez qu'on met du temps à s'atteler? Nous avons mis du temps à nous atteler. Maintenant, il est temps pour nous de partir. Nous attendons que le cocher de cette calèche donne une réponse concrète à nos suggestions.

Question: L'Amérique a clairement donné à comprendre qu'elle ne vous fournirait pas de garanties de sécurité en ce qui concerne la non-adhésion de l'Ukraine et d'autres pays à l'Otan. La Russie a reconnu qu'il n'avait pas été possible d'aborder tout ce qui la préoccupait lors de ces discussions. Il a été mentionné par la partie russe qu'il y aurait une réponse "militaire" si cela ne pouvait être atteint. Pourriez-vous expliquer plus en détail en quoi consiste cette "action militaire"? Qu'allez-vous faire? On parle d'une invasion? Qu'entendez-vous par "réponse militaire"?

Sergueï Lavrov: Je ne peux rien ajouter de plus à ce qu'a dit le Président Vladimir Poutine après sa conférence de presse, quand il a eu un échange supplémentaire avec des journalistes. On lui a demandé directement quelle serait la réponse si les propositions de la Russie sur les garanties de sécurité étaient rejetées. Il a déclaré que la réponse pourrait être très variée. Cela dépend des propositions que les militaires russes feront au Président russe. Il ne sert donc à rien de spéculer. Seuls nos collègues occidentaux, surtout les Américains, saisissent immédiatement le "bâton des sanctions" sans attendre que les événements se développent. Depuis plusieurs années, le département d'État américain dispose d'un poste de chef du bureau des sanctions. Il existe tout un département spécial, au sein du principal organe diplomatique, qui ne s'occupe que de punir tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ne sont pas d'accord avec les États-Unis. Certains n'ont même rien fait. Il faut juste les punir pour qu'ils ne prennent pas cette habitude. Nous sommes en faveur d'une résolution de ce problème sur la base du respect mutuel, sur la base d'un équilibre des intérêts.

La position russe, qui a été présentée par les Américains aux membres de l'Otan, est fondée précisément sur un équilibre des intérêts. Ces documents visent à assurer la sécurité de l'Europe dans son ensemble et de chaque pays individuellement, y compris de la Fédération de Russie. La position des États-Unis et de leurs alliés est qu'ils veulent assurer leur domination en Europe, établir des places d'armes militaires autour de la Fédération de Russie et créer des facteurs irritants à nos frontières.

Je voudrais de nouveau attirer votre attention sur la Charte de sécurité européenne adoptée à Istanbul en 1999. Tout ce que l'Occident dit et fait aujourd'hui constitue une violation flagrante des engagements pris alors. Je peux donner un autre exemple d'une telle tentative de notre part (pour répondre à la question précédente de savoir pourquoi nous avions attendu jusqu'à maintenant), montrant que nous n'avons pas attendu jusqu'à maintenant. Nous avons soumis un projet de Traité de sécurité européenne à nos collègues occidentaux en 2009. Nous avons été mal compris, de manière très impolie. On nous a dit que cela ne serait jamais discuté. Nous avons cité des textes de documents, dont la Charte de sécurité européenne, d'autres documents où il était écrit que l'indivisibilité de la sécurité devait être respectée. Nous avons dit que nous voulions traduire les engagements politiques que nous avions tous pris sous une forme juridiquement contraignante. La réponse a été très révélatrice: des garanties de sécurité juridiquement contraignantes ne peuvent être données qu'aux membres de l'Alliance du Traité de l'Atlantique Nord. C'est cette philosophie qui détruit tout ce qui s'est passé à l'OSCE depuis la fin de la Guerre froide, y compris le principe que j'ai cité selon lequel aucune alliance euro-atlantique n'a le droit de dicter sa volonté à tous les autres. Vous représentez les médias d'un pays membre de l'Otan. C'est ce que fait votre Union et cela semble lui plaire. Nous n'y voyons aucun plaisir, ni pour nous, ni pour les autres. Mais nous savons comment et sommes en capacité d'assurer notre sécurité face à toute éventualité. Je vous assure que nous n'allons pas attendre indéfiniment quelques changements, quelques promesses. Nous savons que l'Occident compte sur un scénario qui permettra aux Américains de se décharger de la responsabilité principale de la résolution de ces questions dans les négociations avec nous. Tout d'abord sur le Conseil Otan-Russie pour tenter de "dissoudre" tout cela en impliquant leurs (je parle poliment) "compagnons d'armes". Il est en principe impossible de négocier au sein de l'OSCE. Si l'organisation était prête à négocier, elle devrait d'abord devenir une organisation pour le faire, et elle n'a même pas de Charte. Pour que l'OSCE acquière une personnalité juridique internationale, nous proposons depuis 15 ans d'entamer des négociations sur une telle Charte. La réponse (avant tout des Américains) est que la beauté de l'OSCE repose justement dans cette "flexibilité". Les questions de sécurité dure n'ont jamais été et ne seront jamais résolues par la "flexibilité". On voit bien quelle est l'intention: tout ramener à une sorte de discussion abstraite. Nous attendrons d'eux, et fermement, comme on l'a dit aux Américains, une réaction qui devra être une réaction "adulte".

Question: La Russie respecte-t-elle la souveraineté de la Finlande et de la Suède et notre droit de prendre nos décisions de manière autonome en matière de politique de sécurité, y compris en ce qui concerne l'adhésion à l'Otan?

Sergueï Lavrov: La Russie respecte pleinement la souveraineté de la Finlande et de la Suède. Nous pensons que la politique de neutralité de ces pays est l'une des plus importantes contributions à l'architecture européenne commune et à la stabilité sur le continent européen.

Ceux qui ne respectent pas la souveraineté de la Finlande et de la Suède sont ceux qui veulent les pousser à rejoindre l'Otan, par tous les moyens. Le battage sur cette question a commencé il y a longtemps, ça ne date pas d'hier. Maintenant, à un stade où des propositions sur la fixation du "statu quo ante" de 1997 ont été faites, date à laquelle on nous avait promis beaucoup de choses violées depuis par l'Occident, on a commencé à pousser la société civile de la Finlande, de la Suède, et directement de la bouche de Jens Stoltenberg, à "appeler" Stockholm et Helsinki à entamer le processus d'adhésion à l'Alliance du Traité de l'Atlantique Nord, en disant que cela sera rapide, sans douleur, etc. C'est aux peuples finlandais et suédois de décider, cela va sans dire. Nous abordons toujours ces sujets avec nos voisins lors des négociations sur les problématiques internationales. Nous constatons que les dirigeants finlandais et suédois comprennent tous les aspects de cette question. Nous avons des raisons de croire que la contribution des États neutres à la sécurité européenne ne faiblira pas.

Question: Le New York Times a rapporté le 10 janvier que le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, avait écrit aux ministres des affaires étrangères des États membres pour leur dire qu'ils devaient faire leurs propres propositions en matière de sécurité européenne et qu'il était favorable à un dialogue direct séparé avec vous personnellement.

Avez-vous reçu de tels appels de Josep Borrell? La Russie est-elle prête à mener des négociations sur les questions de sécurité avec l'UE séparément des États-Unis et de l'Otan? Que pensez-vous de la déclaration faite par Josep Borrell ces deux derniers jours sur les résultats des discussions en matière de sécurité entre la Russie, les États-Unis et l'Otan? Pensez-vous que l'UE est plus à même de parvenir à des accords sur les questions de sécurité que les États-Unis et l'Otan?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne les commentaires faits récemment par Josep Borrell sur les garanties de sécurité dans le contexte des négociations entre nous et les Américains et de la réunion du Conseil Otan-Russie: oui, nous avons senti que l'Union européenne se sentait en quelque sorte lésée. Elle le dit haut et fort, demande que sa contribution soit prise en compte afin qu'aucun arrangement ne puisse être fait dans le dos de l'UE.

Je ne sais pas, et ce n'est pas parce que nous ne voulons pas. Ce que nous regrettons, c'est que l'UE elle-même a déjà détruit tous les mécanismes au sein desquels les aspects pratiques de la sécurité étaient discutés il y a déjà plus de sept ans. Nous nous sommes adressés aux États-Unis et à l'Otan. Avec l'Otan, au moins "sur le papier", il existe le Conseil Russie-Otan; personne n'a détruit l'Acte fondateur de 1997. Avec l'UE, tous les canaux de communication sont "cimentés" par nos collègues européens. C'est donc une question à poser à Josep Borrell, aux membres de l'Union européenne. Quand on parle de la possibilité d'un dialogue séparé avec l'UE, indépendamment des États-Unis et de l'Alliance du Traité de l'Atlantique Nord, il faut demander aux États-Unis et à l'Otan s'ils permettraient à l'UE d'agir indépendamment. Nous sommes intéressés par une Union européenne indépendante. Nous suivons de près les tendances qui se développent au sein de cette union. Elles sont ambiguës. Nous voyons comment l'Union européenne craint que ses intérêts soient ignorés. Ils l'admettent ouvertement après l'Afghanistan, après l'épopée des sous-marins australiens et après la création dudit AUKUS.

Les signaux concernant la nécessité de former une autonomie stratégique en matière de sécurité se sont intensifiés du côté de certains membres de l'UE. Dans le même temps, il existe un puissant lobby au sein de l'UE qui s'oppose à toute tentative de "découplage" de l'Otan en matière de sécurité et qui insiste sur le fait que l'Alliance est la clé de la sécurité, y compris celle de l'Union européenne. Ces questions doivent être résolues entre les deux structures. Nous ne sommes pas très préoccupés, dans l'ensemble, par la question de savoir qui négociera si le processus est dirigé par les États-Unis. C'est bien d'eux que dépend la politique de sécurité en Europe, et même dans d'autres parties du monde, où l'Otan cherche désormais activement à se "tailler" un rôle, contrairement à l'objectif initial de l'organisation. Les États-Unis ont pu reprendre leur rôle dominant sur le continent européen grâce à l'Otan. Ils poursuivent activement une politique d'harmonisation de toute activité à caractère militaire entre l'Otan et l'Union européenne. Il existe des accords spéciaux de mobilité militaire en vertu desquels les pays de l'UE non membres de l'Otan doivent mettre leur territoire et leurs infrastructures de transport à la disposition des forces de l'Alliance. Il s'agit d'un processus sérieux. La Suède, la Finlande et l'Autriche participent périodiquement, voire régulièrement, à des exercices de l'Otan, y compris des exercices dont la "légende" est loin d'être anodine.

Nous avons parlé à Josep Borrell en marge du Conseil des ministres de l'OSCE à Stockholm le 2 décembre 2021 et avons confirmé que nous ne nous évitions pas. Je lui ai rappelé que "la balle était dans le camp de l'UE". Nous n'avons "pas fait d'économies" dans nos liens. Nous avons communiqué avec Josep Borrell l'année dernière et nous sommes prêts à communiquer davantage. Tout dépend de la question de savoir s'il sera autorisé à reprendre le dialogue avec la Fédération de Russie et du caractère constructif des questions qui pourraient être soulevées de leur côté.

Question: Lors d'une vidéoconférence extraordinaire des chefs d'État de l'OTSC, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a déclaré que le mécanisme de l'OTSC était réellement enclenché. Le précédent au Kazakhstan signifie-t-il que la probabilité d'utiliser les forces de maintien de la paix de l'OTSC en cas de menaces similaires dans d'autres pays de l'organisation est désormais plus élevée? Que voulait dire le Président russe quand il a déclaré que la procédure de prise de décision pour l'utilisation des forces conjointes devait être améliorée? Comment les forces seront-elles consolidées pour combattre les cellules terroristes dormantes?

Sergueï Lavrov: Il est important que le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, se soit adressé à ses alliés en totale conformité avec le Traité de sécurité collective et la Charte de l'OTSC. La situation a montré que les efforts déployés ces dernières années pour créer une capacité de maintien de la paix avaient été efficaces et étaient demandés. Comme on dit: qui veut la paix prépare la guerre. Dieu merci, il n'y a pas eu de guerre. La capacité des forces de maintien de la paix a prouvé au monde entier qu'elles étaient capables de faire le travail. En Occident, ils ont observé avec stupéfaction la rapidité avec laquelle des unités ont été déployées à partir de tous les pays de l'OTSC pour aider le Kazakhstan, pays allié, à la demande du Président de ce pays. L'opération a été appréciée par tous à sa juste valeur, je n'en doute pas. J'espère ne pas avoir à renouveler cette expérience, mais il faut "garder la poudre au sec". Que Dieu nous préserve d'un tel scénario. Nous faisons tout ce qui est nécessaire pour empêcher cela, notamment par le biais des structures pertinentes de l'OTSC. Nous devons être prêts, car les tentatives extérieures visant à ébranler la situation en Asie centrale et dans d'autres pays de l'OTSC sont nombreuses. Ces insinuations sont devenues beaucoup plus affirmées, risquées et dangereuses depuis que les Américains ont fui l'Afghanistan avec le reste de l'Otan, laissant le pays dans l'état où il se trouve actuellement, qui doit encore reconstruire une structure étatique.

Les actions que j'ai mentionnées incluent la lutte contre les cellules dormantes. Cela ne doit pas être fait par les forces armées, mais par les services spéciaux, les services de renseignement. De telles structures existent au sein de l'OTSC, elles fonctionnent sous l'égide des conseils de sécurité. Sans aucun doute, tout cela sera pris plus au sérieux. Ce travail sera encore plus demandé.

Question: Je représente la compagnie de radiotélévision interétatique MIR, dont les bureaux ont été détruits à Almaty il y a neuf jours. Les rebelles n'ont pas été arrêtés par le fait que MIR avait été créée à l'initiative de Noursoultan Nazarbaïev et que les documents fondateurs avaient été signés par le Ministre des Affaires étrangères de l'époque, l'actuel Président Kassym-Jomart Tokaïev. Tous les équipements ont été détruits, même les radiateurs du chauffage central. Néanmoins, nos collègues continuent de travailler et de diffuser en direct. Comme le dit le proverbe: ils nous battent - nous devenons plus forts. Pourquoi était-il nécessaire de détruire la filiale nationale d'une société de radiodiffusion interétatique? Vous attendez-vous à de nouvelles sanctions de la part de l'Occident après l'utilisation des forces de l'OTSC? Pourquoi l'OSCE a-t-elle gardé le silence quand les combattants ont tout détruit, y compris les rédactions, au Kazakhstan, et commence à faire des commentaires maintenant que l'ordre a été rétabli? Elle aurait mieux fait de s'abstenir.

Sergueï Lavrov: Nous avons déjà commenté cette situation. Nous avons fait des présentations officielles à l'OSCE, avant tout au Représentant pour la liberté des médias. C'est vraiment honteux pour une organisation qui se positionne comme un "phare". L'Occident affirme que l'OSCE est "l'étalon-or". Mais il s'est avéré une fois de plus que cette norme est "double" et non "en or". Ce qui a été fait est inacceptable. Comme vous l'avez dit à juste titre, lorsque des journalistes ont été battus, menacés de mort et physiquement blessés, ils ont gardé le silence. Quand l'OTSC a aidé le Kazakhstan à se calmer et à normaliser la situation, quand les instigateurs et les auteurs de pogroms, d'incendies criminels et d'autres actions violentes ont été arrêtés, c'est seulement là qu'ils ont commencé à appeler à "vivre ensemble" et à éviter la violence.

Sur ce plan, le Secrétariat de l'OSCE n'est pas très éloigné du Secrétariat de l'Otan. Lors du Maïdan en Ukraine fin 2013, le Secrétaire général de l'Otan de l'époque, Anders Fogh Rasmussen, a lancé publiquement des appels répétés au président Viktor Ianoukovitch pour qu'il ne recoure pas à la force militaire. Mais dès que le coup d'État a eu lieu, Anders Fogh Rasmussen a tenu un discours différent. Il a commencé à demander aux putschistes, qui étaient arrivés au pouvoir par la force, de manière anticonstitutionnelle, d'utiliser la force "de manière proportionnée". En d'autres termes, ceux qu'ils considèrent comme des "présidents pro-russes" (bien que cette affirmation ne soit pas du tout correcte), n'étant "pas en harmonie" avec l'Occident, ne sont pas autorisés. Mais si les putschistes proclament qu'ils seront loyaux envers l'Occident, ils peuvent.

L'OSCE doit se débarrasser de l'image qu'elle s'est forgée ces dernières années en tant qu'instrument de promotion des intérêts occidentaux. La composition du secrétariat de l'OSCE - ce que nous avons répété à toutes les présidences de cette organisation, à tous les secrétaires généraux - est tout simplement discriminatoire par rapport à la Russie et aux autres pays de l'OTSC. Nous allons lutter contre cela. L'OSCE doit être transformée en plateforme de dialogue égalitaire, basée sur le développement d'un équilibre des intérêts et du consensus. Bien que tout cela soit prévu dans les documents relatifs à la création de cette structure, dans la pratique, l'Occident poursuit activement sa politique de privatisation des secrétariats et de l'OSCE et de toutes ses institutions. Voilà à quoi il faut se consacrer, plutôt que d'essayer de "noyer" nos initiatives en matière de garanties de sécurité dans l'organisation amorphe actuelle.

Je ne peux rien dire au sujet des nouvelles sanctions dont la menace a été brandie après l'utilisation des forces de l'OTSC. Nous ne travaillons pas en mode veille. Nous travaillons sur des choses précises. Mais nos collègues occidentaux sont capables de tout. Aujourd'hui, nous sommes menacés de sanctions à Washington: le Congrès en a préparé, certaines conviennent à la Maison Blanche, d'autres non. C'est caractéristique de leur mentalité: ils demandent qu'un train de sanctions soit préparé au cas où la Russie "attaquerait" l'Ukraine. Ils ne sont pas seuls. Des voix s'élèvent déjà pour dire que si la Russie ne retirait pas ses troupes - qui se trouvent sur son propre territoire - de la frontière ukrainienne demain ou après-demain, il faudrait déclarer des sanctions sans attendre une quelconque attaque. Vous pouvez tout attendre d'eux. Je peux vous assurer que nous sommes prêts à toute évolution. Dans le domaine économique, si nous pouvions avoir des illusions, elles se sont "évaporées" au cours des sept dernières années. Le Forum Gaïdar a récemment abordé ce sujet. Même nos économistes bien connus, réputés pour leur libéralisme, ont compris que nous devions compter sur nous-mêmes. Tous les mécanismes de relations économiques qui dépendent de structures contrôlées par l'Occident comportent des risques, mais nous nous débarrassons déjà de ces risques de manière cohérente et rapide, notamment dans le secteur des hautes technologies.

Question: Si l'on analyse les sondages en Ukraine concernant l'adhésion éventuelle - même si elle est peu probable - à l'Otan, on a l'impression que plus forte est la pression russe, plus d'Ukrainiens veulent que leur pays rejoigne l'Otan. Voyez-vous vous aussi ce lien?

Sergueï Lavrov: C'est le prolongement de ce que nous avons évoqué. L'Allemagne pense qu'il faut soutenir toutes les initiatives de l'Ukraine. Si l'Ukraine veut quelque chose, il faut mettre en œuvre ses vœux. Mais ne voulez-vous pas savoir ce que veut la Russie? Est-ce que la Russie est moins importante pour l'Europe que l'Ukraine? Nous constatons encore une fois une logique de choix exclusif: soit contenter les désirs de l'Ukraine, soit je ne sais pas quoi faire. Notre logique est la suivante: il faut que tout le monde se sente en sécurité et que personne ne se considère discriminé. Rappelons la situation qui s'est formée après la réunification de l'Allemagne. On nous a promis à l'époque que l'infrastructure militaire de l'Otan demeurerait strictement à l'Ouest de l'Oder. Comme vous le savez, il s'agit de promesses réelles. Et nous le voulions bien. L'Ukraine veut rejoindre l'Otan, mais nous voulions que l'Otan s'abstienne de s'élargir. Il existe un simple souhait ukrainien, alors que nous avons obtenu des promesses des présidents… pour rien.

Nous espérons que Berlin n'a pas oublié la position de notre pays à l'époque où l'Allemagne a voulu se réunifier. J'ai participé en 2015 à la Conférence internationale sur la sécurité de Munich et, interrogé sur la Crimée, j'ai indiqué à nos interlocuteurs qu'ils devaient se souvenir du soutien accordé par notre pays à la réunification des Allemands et que les Allemands devaient comprendre que les Russes de Crimée (qui constituent la majorité de la population de la péninsule) avaient eux aussi le droit de rejoindre leur patrie. Surtout si ces Russes subissaient des attaques de combattants néonazis proférant des slogans tels que "Dégagez de Crimée". Un député du Bundestag a alors ri fortement pour souligner qu'il s'agissait de deux questions incomparables. J'espère que l'Allemagne se souvient de la position de notre pays à l'époque où vos partenaires occidentaux actuels doutaient fort de l'utilité de sa réunification. Mais la vie suit son cours.

En ce qui concerne la Crimée et le pouvoir ukrainien que vous voulez admettre au sein de l'Otan, n'oubliez pas que juste après le coup d'État à Kiev, il s'est moqué des signatures de l'Allemagne, de la France et de la Pologne sous les ententes entre Viktor Ianoukovitch et l'opposition, a refusé de prendre en considération l'opinion de l'UE malgré toutes les demandes et promesses. Et l'Union européenne a accepté tout cela en fin de compte. Les putschistes ont donc immédiatement déclaré que les Russes de la Crimée ne penseraient et ne parleraient jamais l'ukrainien, ne célébreraient les "héros" de la Seconde Guerre mondiale, tels que Stepan Bandera et Roman Choukhevitch. Ainsi, les Criméens se sont levés contre tout cela, ont repoussé une attaque armée contre le Conseil suprême de la Crimée et ont proclamé un référendum. Quand nous évoquions le Donbass dans le cadre du Format Normandie et expliquions que Kiev devait mettre en œuvre les accords de Minsk - conformément à ces textes - nos amis allemands nous disaient jusqu'à récemment qu'il fallait laisser tranquilles les Ukrainiens et appliquer tout simplement les accords. Mais comment peut-on mettre en œuvre ces derniers sans adresser aucune demande à celui qui doit le faire? Nous répétons sans cesse que tous les problèmes actuels de l'Ukraine dans ses relations avec la Russie et ses propres citoyens ont commencé avec ce coup d'État anticonstitutionnel. Nos collègues occidentaux, notamment allemands, ont annoncé quant à eux que tout aurait commencé avec "l'annexion de la Crimée". Mais quand nous leur expliquons la gnoséologie de ce conflit, ils n'ont aucune réponse. Ils ont récemment dit que les Russes le considéraient comme un coup d'État, alors qu'ils le qualifiaient de "processus démocratique". C'est très honteux. C'est dans ce contexte que nous sommes obligés de mener des négociations sérieuses.   

L'Ukraine que vous voulez admettre au sein de l'Otan est actuellement représentée par le Président Vladimir Zelenski. L'ancien Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk a par le passé nié la nature humaine des habitants du Donbass qui s'étaient rebellés contre les néonazis. Le Président Vladimir Zelenski les a qualifiés quant à lui de "spécimens". Selon lui, ces "spécimens" sont des citoyens ukrainiens, mais se considèrent comme des Russes, veulent parler le russe et suivre la culture russe. Ainsi, ils devaient selon lui "dégager", allez en Russie. Il veut visiblement se débarrasser de tous ceux qui s'opposent au mouvement de l'Ukraine vers l'Otan, car ils comprennent les risques et menaces inhérents de ce processus. Il y a beaucoup de choses qu'on pourrait évoquer à ce sujet. Dans le contexte actuel, il ne faut pas choisir entre ceux qu'il faudrait soutenir. Il est nécessaire de se réunir pour s'entendre, comme des personnes adultes, sur les moyens nécessaires de mettre en œuvre les promesses de nos collègues occidentaux sur la sécurité indivisible et le refus de renforcer la sécurité d'un pays au détriment de celle des autres.    

Question: Que voulait réellement Moscou en engageant le dialogue sur les garanties de sécurité? La Russie savait bien quelle serait la réponse de l'Occident. Vous-même avez rappelé quelle avait été cette réponse par le passé. Pourquoi cela était-il nécessaire dans ce cas? Il existe une théorie en Ukraine selon laquelle Moscou a délibérément demandé quelque chose d'important afin d'obtenir quelque chose d'autre, peut-être en coulisses. Si ce n'est pas le cas, quels arguments la Russie a-t-elle réellement à faire valoir pour que l'Occident collectif change d'avis? Est-ce que ça pourrait être Cuba, ou autre chose?

Sergueï Lavrov: Nous n'avons pas essayé de jouer à des jeux quelconques, n'avons pas essayé de suivre le scénario que quelqu'un, comme vous l'avez dit, a mentionné en Ukraine, consistant à "demander plus pour obtenir moins". C'est une voie à sens unique bien connue, utilisée aussi bien dans la vie ordinaire qu'en politique.

C'est bien plus sérieux que cela. Nous n'acceptons catégoriquement pas l'apparition de l'Alliance du Traité de l'Atlantique Nord à nos frontières. Surtout au vu de la voie suivie par les dirigeants ukrainiens (tant le précédent que l'actuel), malheureusement. Il s'agit d'une véritable ligne rouge, et ils le savent. Même si l'Ukraine reste en dehors de l'Otan, il peut y avoir des accords bilatéraux avec les Américains, les Britanniques, d'autres pays occidentaux qui y installent des facilités militaires, des bases en mer d'Azov - c'est également inacceptable pour nous. Le déploiement d'armes offensives sur le territoire de nos voisins, en l'occurrence de l'Ukraine, qui constitueraient une menace pour la Fédération de Russie, est une autre ligne rouge. C'est là que l'Union européenne est entrée en scène. Nous avons parlé de l'Union européenne et de l'Ukraine. Les représentants de Bruxelles s'emploient maintenant activement à faire connaître leur projet d'envoyer une mission de formation militaire en Ukraine, c'est-à-dire qu'ils veulent aussi contribuer à la formation, en fait, d'unités antirusses. De plus en plus de troupes sont concentrées sur la ligne de démarcation, y compris, d'après ce que j'ai compris, les unités les plus prêtes au combat, les bataillons de volontaires, que l'Occident avait l'habitude de considérer comme des extrémistes, mais qui ont cessé de les caractériser ainsi aujourd'hui. L'Ukraine déplace des troupes sur son territoire, et on remarque un nombre inhabituellement élevé de troupes rassemblées près de la ligne de contact. Mais l'Occident n'est pas inquiet. Ce qui inquiète l'Occident, c'est ce que fait la Russie sur son territoire. Mais la Russie n'a jamais, pas une seule fois, ni publiquement ni en coulisses, menacé le peuple ukrainien. Vladimir Zelenski et ses associés le font directement. J'ai cité l'exemple de quand ce dernier a exigé que les Russes quittent l'Ukraine. C'est une menace directe. Et s'il décide sérieusement d'utiliser les unités accumulées des forces armées ukrainiennes sur place pour chasser les Russes? Après tout, un "plan B" est en cours de discussion à Kiev. Même les Croates ont été consultés par Dimitri Kouleba sur leur expérience de l'opération "Tempête", au cours de laquelle 200.000 Serbes se sont retrouvés hors de leur patrie et sont devenus des réfugiés. Je suggère à nos collègues occidentaux, lorsqu'ils évaluent qui déplace des troupes sur leur territoire et où, de regarder quels objectifs les radicaux ukrainiens, dirigés par le président, proclament, en fait, vis-à-vis des Russes et des russophones.

Question: J'ai également des questions indirectement liées à l'Ukraine. La Grèce s'efforce de soutenir les solutions communes de l'Otan, sans excès de zèle, tout en reconstruisant et en développant ses relations traditionnelles avec la Russie. Apparemment, ce n'est pas facile pour les petits pays comme la Grèce. Mais récemment, le Kremlin et la presse russe ont évoqué, par exemple, la nouvelle base américaine d'Alexandroupolis, dans le Nord de la Grèce, et la participation au transfert d'équipements militaires vers l'Ukraine. A quel point cette question est-elle critique pour la Russie? Ce sujet a-t-il été discuté avec la partie grecque? Cela fait maintenant trois ans que l'orthodoxie mondiale a connu ce qui est probablement le premier schisme géopolitique de son histoire. La situation s'aggrave. Le schisme s'élargit. Peut-être que la diplomatie pourrait d'une certaine manière aider les Eglises à ne pas détruire davantage leur tradition commune, leur histoire, à chercher des compromis et à les trouver?

Sergueï Lavrov: Vous avez dit que la Grèce soutenait l'Otan sans excès de zèle. Nous avons des liens de longue date et des racines historiques avec nos collègues grecs, avec le peuple grec, avec la Grèce en tant que pays. Nous nous souvenons de Ioánnis Kapodístrias, qui est devenu le premier souverain de la Grèce moderne après avoir servi la Fédération de Russie, soit dit en passant, sur le front de la politique étrangère. Très récemment, nous avons eu de bons entretiens avec Níkos Déndias. Nous avons discuté de tout: de nos relations bilatérales, des perspectives de développement des relations commerciales, économiques, d'investissement, culturelles et sociales. Ces relations sont riches dans tous les domaines, et notamment celui de la sécurité. Nous avons évoqué les nouvelles mesures qui ont été prises dans le cadre des relations entre les États-Unis et la Grèce pour rehausser le statut du port d'Alexandroupolis dans le sens des objectifs de la marine américaine. Nous avons lu dans quelles directions les Américains comptaient utiliser ce port.

Les Accords de Minsk interdisent explicitement la présence de militaires étrangers, d'hommes armés étrangers sur le territoire ukrainien. Il n'y a pas d'interdiction de fournir des armes à l'Ukraine. Mais il y a des militaires étrangers là-bas, et beaucoup. Il ne se comptent pas par milliers (comme on le dit parfois à tort), mais il y a plusieurs centaines d'Américains, de Britanniques et d'autres nationalités. Il n'y a techniquement pas d'interdiction à l'armement. Pour en revenir aux projets des autorités ukrainiennes actuelles, nous sommes bien sûr conscients que tout ce que l'Occident fait pour "abreuver" cet Etat en armes crée la tentation supplémentaire pour ce dernier de passer à des méthodes violentes de résolution des problèmes dans l'Est de l'Ukraine. C'est absolument inacceptable pour nous, pour des raisons évidentes. D'ailleurs, à propos des instructeurs. Du côté de l'Occident, quand nous attirons l'attention sur ce point, on nous répond toujours: ce ne sont que des instructeurs, ils ne participent pas aux opérations de combat. Je me souviens très bien de l'image télévisée pendant la guerre en Géorgie en août 2008, quand des instructeurs portant l'uniforme d'officiers de l'armée américaine (blancs et afro-américains) donnaient des instructions sur la façon de charger des armes antichars et d'autres armements. Je ne veux pas que cela se reproduise en Ukraine, car cela reviendrait à franchir toutes les "lignes rouges" possibles. Il y aurait un affrontement direct entre les citoyens russes d'Ukraine et les militaires de l'Otan. Je comprends que la Grèce est membre de l'Otan, membre de l'Union européenne. Mais nous constatons également que la Grèce ne veut pas s'engager sur la voie de sanctions antirusses plus sévères. La République est foncièrement mécontente de ce qui se passe actuellement entre l'Occident et la Fédération de Russie. Nous faisons confiance à nos amis grecs qui, dans leur sagesse, sauront faire des choix en accord avec leurs convictions.

En ce qui concerne l'orthodoxie, le problème est grave. Vous dites: peut-être que la diplomatie peut aider d'une manière ou d'une autre? En principe, la diplomatie ne doit pas s'immiscer dans les affaires de l'Église. L'État ne doit pas s'immiscer dans les affaires de l'Église. Mais il y a toujours des situations où la réalité est plus compliquée. Les États-Unis ont joué un rôle direct dans la crise actuelle de l'orthodoxie. Ils ont créé un mécanisme spécial, le "représentant spécial pour la liberté de conscience", qui ne se préoccupait pas vraiment de la liberté mais s'est employé activement à mettre en place et à financer le patriarche Bartholomée de Constantinople afin qu'il mène une politique de "schisme", y compris en Ukraine, pour créer une Église orthodoxe d'Ukraine schismatique et non canonique, qui a provoqué la plus grave discorde dans le monde orthodoxe de l'histoire. Malheureusement, les églises grecques (hellénique, chypriote et autres) subissent une énorme pression, y compris, d'après ce que je comprends, de la part du gouvernement grec. Ce sujet a été discuté de manière confidentielle, mais certains faits sont en accès libre. Si nous nous mettons d'accord avec les gouvernements de ces pays, avec les diplomates des pays où se trouvent les églises orthodoxes canoniques, pour ne pas interférer dans leur vie, conformément à leurs lois, à leurs canons, je pense que ce sera la meilleure contribution de la diplomatie et des autres structures étatiques pour garantir cette même liberté de religion.

Question: Récemment, des combats ont eu lieu à la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'Azerbaïdjan a utilisé l'artillerie, des drones... Est-ce, à votre avis, lié à l'aide de l'Arménie et de la Russie au Kazakhstan, étant donné la réaction très nerveuse de Bakou et d'Ankara à l'aide de l'OTSC aux autorités kazakhes?

Sergueï Lavrov: Je n'ai pas constaté de réaction "nerveuse" de la part des représentants officiels de Bakou et d'Ankara. À Ankara, une déclaration incompréhensible a été faite par l'un des conseillers du président Recep Tayyip Erdogan, I. Shener, qui a simplement condamné les actions du Kazakhstan qui avait invité l'OTSC. Nous avons demandé à nos collègues turcs d'expliquer ce que cela signifiait. Les hauts fonctionnaires n'ont fait aucun commentaire négatif, pas plus que les représentants azerbaïdjanais.

Nous sommes favorables à ce que l'on procède dès que possible à la délimitation de la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Cela n'est pas lié à la région du Karabakh ni aux questions de règlement. Il s'agit d'une question purement bilatérale, sur laquelle nous suggérons depuis près d'un an de commencer à travailler en mettant en place une commission de délimitation et de démarcation. Nous proposons une aide sous la forme de conseils, étant donné que l'état-major russe et d'autres structures possèdent des cartes montrant les différentes étapes de la formation de l'URSS, les changements dans ses unités administratives et les frontières entre les républiques de l'Union.

Hier encore, j'ai eu une conversation avec mon homologue arménien exactement sur ce sujet. Les parties ont fait des propositions pertinentes. Afin de créer une commission, nous devons nous mettre d'accord sur les conditions. Ces termes sont discutés actuellement, il y a des divergences. Notre position est simple: il faut s'asseoir et déjà, dans le cadre de la commission officiellement créée, résoudre toutes les questions ne font toujours pas l'objet d'une entente.

Question: La partie azerbaïdjanaise a noté à plusieurs reprises l'importance de la délimitation et de la démarcation des frontières. À Sotchi, il a été convenu qu'une commission bilatérale serait créée pour délimiter la frontière entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie et que la Russie aiderait les parties dans ce processus. Mais nous ne voyons aucune action à cet égard de la part de l'Arménie. Comment pouvez-vous commenter cela?

Sergueï Lavrov: J'en ai déjà parlé. A Sotchi, en effet, un accord de principe a été trouvé et nous avions exprimé l'espoir, lors d'un échange avec les médias, que la commission serait mise en place d'ici fin 2021. La vie est plus compliquée que cela. Il n'y a pas assez de progrès pour qu'elle soit établie. J'ai parlé hier avec nos collègues arméniens, qui ont de nouvelles propositions. Nous les transmettons à Bakou. Nous allons examiner comment lancer la commission dès que possible. Une fois encore, la divergence réside dans ce qu'il faut faire pour qu'elle commence son travail. Ce sera difficile. Nous avons vu, depuis le temps que ce sujet est discuté, qu'il serait optimal de créer cette commission en incluant à son ordre du jour les questions qui doivent être traitées en priorité.

Question: Comme on le sait, en 2014 le Président chinois Xi Jinping a assisté aux Jeux olympiques d'hiver à Sotchi. Lors d'une récente rencontre en ligne avec le Président Xi Jinping, le Président russe Vladimir Poutine a déclaré qu'il assisterait à son tour à la cérémonie d'ouverture des prochains Jeux olympiques d'hiver à Pékin et que ce serait sa première rencontre en face à face avec son vieil ami depuis près de deux ans. Pouvez-vous nous dire ce que la partie russe attend de cette visite?

Sergueï Lavrov: En effet, nous préparons un sommet officiel russo-chinois. Le Président Vladimir Poutine se rendra à Pékin le 4 février 2022, jour de l'ouverture des Jeux olympiques, à l'invitation du président Xi Jinping. Des pourparlers plein format à haut niveau auront lieu le même jour. Ils couvriront, comme toujours avec nos dirigeants, tout l'éventail de nos relations. La Russie et la Chine partagent un riche ordre du jour bilatéral, une architecture unique de liens bilatéraux. Ce n'est le cas avec pratiquement aucun autre pays, c'est-à-dire des sommets annuels, des réunions de chefs de gouvernement et des réunions des cinq commissions de niveau vice-premier qui préparent les réunions de chefs de gouvernement. Ce mécanisme s'est avéré très efficace. Des solutions sont élaborées, qui sont détaillées, réalisables et contribuent réellement à renforcer notre coopération. L'année dernière, nos échanges commerciaux ont enregistré une augmentation record, très, très significative.

À l'ordre du jour de notre coopération figurent des problématiques de politique étrangère compte tenu de l'aggravation de la situation dans le monde - que nous évoquons en détail aujourd'hui. La Russie et la Chine, ainsi que d'autres pays partisans des mêmes idées, sont unis pour défendre les normes du droit international, l'égalité, la protection de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des États, la résolution de toutes les crises par des moyens politiques et la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États. Nous promouvons ces principes lors de l'examen pratique de situations spécifiques au sein du Conseil de sécurité et d'autres organes des Nations unies et résistons, dans ce contexte, aux tentatives de remplacer le droit international par des "règles" inventées par l'Occident, qui insiste sur le fait que ce sont les "règles" sur lesquelles l'ordre mondial devrait être construit. On accuse la Russie et la Chine de "révisionnisme", alors que c'est exactement le contraire. C'est l'Occident qui révise ce qui est inscrit dans la Charte des Nations unies et d'autres normes universelles du droit international. Avec nos amis chinois et un grand groupe d'autres pays - latino-américains, africains, asiatiques - nous avons formé à New York un groupe d'amis pour la défense de la Charte des Nations unies, qui a déjà tenu deux réunions. Nous discutons actuellement de la possibilité de tenir une réunion ministérielle. Il s'agit d'un format demandé dans le contexte des attaques contre la Charte des Nations unies.

Quand nous abordons les problématiques internationales, la Chine et la Russie sont également réunies par leur vision commune des approches à adopter face aux situations de crise persistantes, comme le programme nucléaire de l'Iran et la nécessité de rétablir le plan conjoint pour le résoudre, dont l'administration Trump s'est retirée. Ça et l'Afghanistan. Nous coopérons étroitement au sein de l'OCS, où les questions relatives à l'Afghanistan et à l'Asie centrale occupent désormais une place particulière. Nous coopérons également dans le cadre du développement de l'interaction transeurasiatique. Le Président russe Vladimir Poutine a mis en avant l'initiative du Grand partenariat eurasiatique. Elle est en corrélation avec les activités de l'Union économique eurasiatique, qui a signé et met en œuvre un accord de coopération commerciale et économique avec la Chine. Dans ce contexte, les processus d'intégration dans l'espace post-soviétique sont harmonisés avec les mesures pratiques visant à mettre en œuvre le concept chinois "Une ceinture, une route". Tous ensemble, nous travaillons également avec l'ANASE en faveur de la préservation de son rôle central dans tous les éléments de l'architecture internationale de la région Asie-Pacifique. Nous voyons les risques que représente la "conception des stratégies indo-pacifiques" promue par les États-Unis et d'autres pays occidentaux, qui vise ouvertement à créer des lignes de démarcation, à saper le rôle central de l'ANASE et à introduire la confrontation, y compris avec des composantes militaires, dans la région au moment précis où celle-ci a besoin de négociations et de discussions inclusives pour répondre aux préoccupations de tous et élaborer des solutions de consensus.

Ce n'est qu'une petite partie de ce qui constitue l'ordre du jour du partenariat global et de l'interaction stratégique entre la Russie et la Chine. Je suis certain que nous discuterons de toutes ces questions au cours des préparatifs de la visite du Président Vladimir Poutine à Pékin et pendant la visite elle-même. Nous avons convenu avec mon homologue et ami, le Ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi, de nous rencontrer la veille de l'entretien entre nos dirigeants pour évoquer l'ordre du jour international.

Question: Les efforts de la Turquie et de la Russie continuent de garantir la stabilité dans le Caucase du Sud. La plateforme de coopération "3+3" a commencé son travail à cet effet. Mais la Géorgie n'a pas encore adhéré à cette plateforme. La Russie fera-t-elle quelque chose pour faire participer la Géorgie au format "3+3"? De plus, des représentants de la Turquie et de l'Arménie se rencontrent aujourd'hui à Moscou pour évoquer les relations bilatérales. Que pensez-vous de ces efforts?

Sergueï Lavrov: Nous soutenons évidemment ces efforts, et y participons activement. Ils contribuent à la normalisation de la situation dans le Caucase du Sud, aident à créer les conditions pour que les problèmes politiques qui persistent soient réglés bien plus activement, productivement, en développant la coopération économique et autre entre les trois pays du Caucase du Sud et leur trois grands voisins - la Russie, la Turquie et l'Iran.

Nous avons activement soutenu l'idée du format "3+3" quand elle a été mentionnée pour la première fois par le Président Ilham Aliev, puis par le Président Recep Tayyip Erdogan. Nous avons immédiatement vu le potentiel fédérateur de cette initiative. Dès les premiers jours des discussions à son sujet et pendant la préparation de la rencontre qui s'est tenue à Moscou, nous avons plaidé pour que nos voisins géorgiens soient également impliqués dans ce processus, en partant du principe que plus il y avait d'opportunités de communiquer, mieux c'était pour le règlement des problèmes restants. Actuellement, nous communiquons avec les collègues géorgiens dans le cadre des Discussions de Genève sur la Transcaucasie, où sont évoquées les conséquences de l'agression géorgienne d'août 2008, et dans le cadre du canal bilatéral officieux créé depuis assez longtemps entre Moscou et Tbilissi. Les processus initiés au format "3+3" sont bien plus significatifs parce que dans son cadre sont évoquées les perspectives de développement de toute cette région.

Après les activités militaires de l'an dernier, avec la contribution du Président russe, les dirigeants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan ont signé des accords pour mettre un terme aux activités hostiles, développer les liens commerciaux et économiques, débloquer tous les itinéraires dans cette région. Cela ouvre toutes les opportunités qui intéressent la Turquie, la Russie, l'Iran et la Géorgie. Je trouve qu'il est dans leur intérêt d'adhérer à ce format sans conditions préalables. Il est possible de s'entendre pour que nous évoquions au format "3+3" uniquement les thèmes d'intérêt mutuel pour tous les participants. Étant donné que nous n'avons pas de relations diplomatiques avec la Géorgie (il existe la Section d'intérêts, mais les relations diplomatiques ont été rompues par la Géorgie), notre possibilité est réduite pour leur expliquer les avantages de ce format d'interaction. Nous avons demandé à nos amis turcs et azerbaïdjanais (l'Arménie peut également aider) d'expliquer aux voisins géorgiens les bénéfices pour eux, comme pour nous tous, de la participation à ce format. Elle n'obligera à rien en ce qui concerne leurs positions politiques.

La Turquie et l'Arménie ont nommé leurs représentants spéciaux. La Russie a contribué à parvenir à une telle entente. Nous sommes ravis que la première rencontre se déroule à Moscou. Notre rôle se résume à aider à établir un dialogue direct. J'espère que nous y arriverons.

Question: L'an dernier, vous vous êtes rendu en Chine et en République de Corée mais, malheureusement, vous n'avez pas visité le Japon. La Russie commence-t-elle à oublier le Japon? Que pensez-vous des relations russo-japonaises actuelles? Y aura-t-il une rencontre cette année? Le Premier ministre Fumio Kishida vous a rencontré plusieurs fois quand il était Ministre des Affaires étrangères. On dit que vous avez bu du saké et de la vodka. Comment comptez-vous interagir avec le cabinet de Fumio Kishida? Quels nouveaux axes prioritaires de la politique avec le Japon pouvez-vous souligner? Quelle place le Japon occupe-t-il dans la politique étrangère de la Russie?

Sergueï Lavrov: Nous prévoyions effectivement une visite fin 2021. Eu égard aux changements qui ont eu lieu au Japon, il a été convenu (mutuellement) de reporter cette visite pour que le nouveau gouvernement japonais puisse déterminer sa politique sur les questions internationales et vis-à-vis de la Fédération de Russie.

Nous avons une attitude très chaleureuse entre le Japon et les Japonais. Ce sont nos voisins. Nous avons une histoire commune compliquée. Au cours des dernières décennies il a été possible de créer une atmosphère permettant de formuler amicalement tous les problèmes persistants, nécessitant une solution. Nous préférerions que la persistance de ces problèmes et le travail pour les régler ne nous empêche pas d'avancer là où nos intérêts coïncident déjà objectivement et là où la Russie et le Japon pourraient consolider leurs avantages concurrentiels sur les marchés mondiaux en unissant leurs efforts. Il existe quelques barrières pour faire avancer cette logique. Un groupe de politiciens et d'hommes d'affaires japonais pense qu'il faut d'abord régler le "problème territorial", et qu'ensuite il y aura une "manne céleste" en ce qui concerne l'arrivée d'investissements japonais "en immense quantité" en Fédération de Russie. Nous trouvons que le conditionnement aussi artificiel de nos relations par le règlement du problème du traité de paix n'est pas tout à fait dans l'intérêt de la Fédération de Russie et, surtout, du Japon. Nous avons hérité du problème du traité de paix. C'est ce que le Président russe Vladimir Poutine a dit plusieurs fois aux collègues japonais. Il a réaffirmé que nous souhaitions le régler avant tout en nous appuyant sur les ententes conclues en décembre 2016 avec le Premier ministre Shinzo Abe. Ils étaient convenus d'intensifier le travail conformément à la Déclaration de 1956, qui stipule qu'il faut avant tout signer un traité de paix, et ensuite examiner tout le reste. Nous avons transmis à nos amis japonais le projet d'articles d'un tel traité de paix. Nous sommes convaincus que ce traité de paix, étant donné qu'il ne sera pas signé en 1945 mais au XXIe siècle, ne peut pas contenir une seule phrase disant que la guerre est terminée. Il doit refléter en pratique l'intégralité des liens actuels et ouvrir des perspectives de développement.

Nous ne voulons pas de mésententes ou de malentendus avec le Japon par rapport à ce qui se passe entre nous, qu'il y ait des obstacles artificiels dans la coopération d'investissement. Nous savons que le Japon subit une pression pour réduire ses investissements en Russie. La pression a été également exercée pour que le Japon adhère aux sanctions. Et le Japon adhère aux sanctions. Pas toutes, mais plusieurs. La pression est exercée également sur les problèmes de sécurité militaire. Nous sommes préoccupés par le fait que le Japon soit devenu depuis longtemps un allié des États-Unis. Selon un accord de 1960, les Américains possèdent une très grande marge de manœuvre et d'action sur le territoire japonais. Aujourd'hui, à l'heure où les États-Unis nous ont pratiquement proclamés d'ennemi dans leurs doctrines, du moins d'adversaire et de menace principale, au même titre que la Chine, l'alliance du Japon avec un tel pays ne correspond pas vraiment à la création d'une atmosphère optimale pour développer nos relations.

Il existe un autre point qui est également reflété dans notre accord, hormis les liens commerciaux, économiques, sociaux, culturels et leurs perspectives, hormis la sécurité militaire dans cette région. Selon des rumeurs, Washington compte déployer notamment sur le territoire japonais ses fameux missiles terrestres à portée intermédiaire qui sont interdits par le traité dont les États-Unis se sont retirés. Il existe plusieurs éléments qu'il est primordial pour nous de comprendre, parce que si c'est le cas, il y aura une menace pour la Fédération de Russie.

Un grand nombre de questions concerne les affaires internationales. Nous voyons qu'à l'Onu et au sein d'autres structures internationales le Japon adopte des positions identiques à celles de Washington, des pays de l'Otan et d'autres pays occidentaux. Si nous voulons être des partenaires proches, nous devons déterminer dans quelle mesure nous pourrons surmonter ces sérieuses contradictions sur l'ordre du jour international.

Quand nous établirons un véritable partenariat "de qualité" dans tous ces secteurs, je suis certain qu'il sera bien plus facile de régler tous les problèmes, notamment liés au traité de paix, contrairement à aujourd'hui où l'atmosphère est assez conflictuelle. Des représentants officiels japonais protestent constamment contre les visites de représentants officiels et militaires russes dans les Kouriles du Sud, qui font partie intégrante de la Fédération de Russie à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, comme le confirme la déclaration soviéto-japonaise de 1956. C'est également un point qui nous retient pour l'instant. Le Japon refuse absolument de reconnaître les résultats de la Seconde Guerre mondiale. C'est un ordre du jour volumineux, positif et problématique, qui nécessite des efforts supplémentaires. C'est pourquoi nous sommes disposés à ce que notre dialogue devienne plus substantiel, concret, ouvert et axé sur le progrès du partenariat russo-japonais sans que ses perspectives soient prises en otage de vos relations avec votre allié le plus proche.

La visite aura absolument lieu. Nous nous mettons d'accord actuellement. Je pense que d'ici deux ou trois mois nous trouverons une telle date.

Question: Le Secrétaire d'État américain Antony Blinken affirme que ce que le Président russe Vladimir Poutine a fait ces deux dernières années a accéléré tout ce que le Président russe disait vouloir empêcher. D'après vous, sur quels faits et événements s'appuie le secrétaire d'État pour tirer de telles conclusions? Que pourrait dire la Russie à ce sujet?

Sergueï Lavrov: C'est une façon de parler. Les Anglo-Saxons aiment formuler de belles expressions mystérieuses. Je ne comprends pas très bien de quoi il est question en l'occurrence. Pendant toutes les années de sa présidence, notamment ces dernières années, le Président russe Vladimir Poutine accorde une attention particulière au renforcement de la souveraineté russe. Nous voyons quelles attaques l'Occident fait subir à la souveraineté de la Russie et de bien d'autres pays qui mènent une politique plus ou moins indépendante. Ce sont également des attaques dites hybrides, tous azimuts, la dissuasion militaire directe (nous avons déjà parlé des relations Otan-Russie), des attaques dans le milieu de l'information, l'utilisation de mécanismes de "soft power" à des fins malveillantes, d'ONG directement financées par l'État et bien d'autres. Les concepts de ce genre pourraient fonctionner dans certains pays, mais c'est absolument inadmissible pour la Russie. Notre expérience des années 1990 est la raison de telles déclarations de l'Occident. À l'époque, l'Occident a décidé: "Ils ont déjà atteint les objectifs qu'ils ne s'étaient pas fixé eux-mêmes, mais qui avaient été fixés par les Américains, et nous aidons à mettre en œuvre ces objectifs avec une présence physique dans le gouvernement russe, dans ses structures." C'est probablement fâcheux pour ceux qui pensaient que la Russie était "dans la poche" de l'Occident, qu'elle ne défendrait plus ses intérêts particuliers, mais qu'ensuite il s'est avéré que ce n'est pas le cas.

J'ai contacté plusieurs fois avec le Secrétaire d'État américain Antony Blinken. C'est un homme expérimenté capable d'écouter. Beaucoup de choses dites aujourd'hui publiquement sont liées à l'attisement artificiel de la tension, à la volonté de créer une atmosphère autour de la Russie, notamment comme fond supplémentaire des négociations qui ont commencé à Genève et se sont poursuivies à Bruxelles, que nous pourrons poursuivre, j'espère. Mais cela dépendra de la réponse écrite concrète des États-Unis à nos propositions.

Question: Il est clair que les relations avec l'Occident sont au plus bas ces dernières années, mais, en même temps, tout se développe à l'Est. La semaine prochaine, le président iranien Ebrahim Raïssi se rendra à Moscou. Cette visite interviendra à un moment où la situation des négociations sur le programme nucléaire à Vienne est peu claire, notamment en raison des sanctions américaines, de la situation dans le Golfe et de la situation régionale générale au Moyen-Orient. Où est l'initiative russe sur la sécurité dans le Golfe maintenant, pourquoi n'est-elle pas, d'une manière ou d'une autre, "remontée", si je puis dire? Comment la Russie peut-elle contribuer à la résolution de problèmes régionaux importants? Par exemple, au Yémen, qui est la plus grande catastrophe humanitaire contemporaine. On voit que l'Otan s'étend vers l'Est, et y a-t-il des plans, par exemple, pour étendre l'OTSC? Y compris, par exemple, à l'Iran ou d'autres pays qui peuvent renforcer le contrepoids aux politiques de l'Ouest et du Nord?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne le programme nucléaire iranien, j'adopterais une position plus optimiste. Il y a un réel progrès, une volonté partagée par l'Iran et les États-Unis de reconnaître les préoccupations spécifiques, de comprendre comment ces préoccupations peuvent être traitées dans un paquet global. Il ne peut s'agir que d'une solution globale, comme l'est d'ailleurs "le deal iranien" lui-même. Le Plan d'action global conjoint était une solution globale. Les négociateurs à Vienne sont aujourd'hui très expérimentés. Ils ont pénétré dans les moindres détails de cette affaire de négociation, et ils progressent bien. Nous espérons qu'un accord sera trouvé. Pour ce faire, il est important que nos partenaires iraniens soient aussi réalistes que possible et coopèrent avec l'AIEA, et que les participants occidentaux à ce processus de négociation n'essaient pas de créer une tension psychologique en lançant périodiquement dans les médias et l'espace public des initiatives accompagnées de critiques envers l'Iran et d'exigences à son égard. Ce qu'il faut ici, c'est une "diplomatie silencieuse", et je le répète, elle fonctionne. Dieu merci, nous avons pu surmonter la situation dans laquelle l'Occident avait imposé des conditions à la reprise du programme nucléaire iranien, qui impliquaient des restrictions du programme de missiles de l'Iran (ce qui ne figurait pas dans le JCPoA) et son "comportement" dans la région. Nous étions catégoriquement contre. Il aurait été injuste que cette approche prévale.  Il s'agissait du JCPoA, qui a été approuvé par le Conseil de sécurité de l'Onu au moment de sa signature. Il s'agissait du fait qu'après que l'administration Trump se soit retirée de l'accord, celui-ci devait être rétabli dans son intégralité, comme il avait été convenu, sans aucune exception, sans aucun ajout. En fin de compte, on a pu convenir que c'est cette approche qui serait choisie.

En ce qui concerne le programme de missiles, le "comportement de l'Iran dans la région", notre position est que tous les pays de la région, ainsi que les pays qui ne s'y trouvent pas, ont beaucoup de revendications les uns envers les autres. L'Iran a des revendications contre ses voisins arabes, les voisins arabes ont des revendications contre l'Iran. L'Occident, les États-Unis, les pays européens se posent également des questions sur ce que fait l'Iran. Il y a là-bas des pays qui ont tous un intérêt dépassant leurs frontières, qui ont une réelle influence sur les événements en Syrie, en Libye, à Djibouti, au Yémen. Vous avez donné un exemple, qui est très éloquent. Nous avons insisté pour ne pas aller au-delà de l'objectif du rétablissement du JCPoA. Nous avons dit que nous reconnaissions, et que l'Iran reconnaissait, qu'il y avait d'autres questions qui préoccupaient les pays de la région et, plus largement, leurs homologues extrarégionaux. Discutons de tous ces problèmes dans le cadre de la convocation de conférences sur la sécurité dans le Golfe et plus largement. Peut-être que le cadre devrait être plus large. Le Yémen, l'Irak: tout est lié. Il faudrait une conférence qui réunirait les Iraniens et les Arabes, et dans le cadre de laquelle l'Iran ne serait pas le sujet des discussions, mais où chaque partie mettrait ses préoccupations sur la table. L'Iran n'est pas le seul à posséder ce genre de missiles. Les pays arabes développent également la production de missiles. Il y aussi des inquiétudes à propos du Yémen, de la Syrie, de l'Irak, de nombreux autres points chauds qui, d'une manière ou d'une autre, provoquent des contradictions entre les autres pays. C'est notre conception. Vous avez demandé pourquoi elle n'avait pas "fait surface". Elle n'avait pas coulé. Nous avons organisé une nouvelle conférence académique l'automne dernier, à laquelle ont participé des politologues et des spécialistes des pays participants potentiels. Le processus de finalisation de la réactivation du JCPoA est maintenant en cours.  Le coronavirus ne nous "aide" pas beaucoup. Cette conférence reste parmi nos priorités. Nous partageons la compréhension que cette initiative en soi ne pouvait être ignorée. Nos collègues chinois ont des propositions similaires pour les pays du Golfe. Les Iraniens ont présenté l'Initiative d'Ormuz. Mais notre conception est plus large, car elle implique d'aller au-delà du groupe des États côtiers du golfe Persique pour inclure des participants des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, de la Ligue arabe et de l'Union européenne.

En ce qui concerne l'élargissement de l'OTSC. Tout est écrit dans la Charte de l'Organisation. Quiconque souhaite adhérer doit en faire la demande. Au cours de l'année et demie écoulée, les chefs d'État ont signé un protocole qui modifie la Charte. Outre les membres à part entière de l'Organisation, les statuts de partenaire et d'observateur sont en cours de création. Nous avons fait circuler cette information aux pays concernés. Au minimum, il y a un intérêt à établir des contacts avec l'OTSC. Nous vous dirons comment ce processus se développe.

Question: Le Président iranien Ebrahim Raïssi est attendu en Russie. A quel point, selon vous, cette visite est-elle importante du point de vue du renforcement futur des relations entre nos pays?

Sergueï Lavrov: Cette visite est très importante. Il est temps de renouer les liens à haut niveau. Traditionnellement, nous avons des contacts étroits et réguliers avec la République islamique d'Iran, mais ils ont eux aussi été victimes de la pandémie de coronavirus. Les dirigeants ont communiqué par téléphone. Les contacts en face à face sont beaucoup plus productifs que les discussions où l'on ne se voit pas. Il est nécessaire de faire l'inventaire de l'ensemble de notre ordre du jour en tenant compte des changements intervenus au sommet de l'Etat iranien, afin de comprendre dans quelle mesure nous pouvons assurer la continuité, et dans quelle direction. L'ordre du jour est riche sur le plan des affaires économiques bilatérales. Mais lorsqu'il y a beaucoup de projets communs, il faut être plus attentif aux détails. Le gouvernement travaille. La commission intergouvernementale compétente, dirigée par les Ministres de l'Energie, doit apporter sa contribution. Bien sûr, il y a les questions de politique internationale - le JCPoA, la situation dans le Golfe en général (dont nous venons de parler de manière assez détaillée), notre travail conjoint au sein des Nations unies et d'autres organisations internationales comme l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, et d'autres structures. Ici, l'Iran fait partie de notre équipe commune qui défend les principes du droit international, les accords universels (plutôt que ceux convenus par quelqu'un dans un cercle étroit). Téhéran défend le rôle central de l'Onu et est membre du Groupe des amis de la Charte des Nations unies. Nous entretenons une interaction étroite sur un certain nombre de questions régionales. En Syrie, évidemment. Nous participons au format d'Astana avec nos voisins turcs. Je pense que c'est un très bon exemple de la façon dont nous pouvons nous réunir (à partir de positions qui ne sont pas à cent pour cent identiques) et créer de façon pragmatique une plateforme où nos trois pays peuvent aider les Syriens à entamer un processus politique, comme nous l'avons fait en 2018. C'est justement la "troïka d'Astana", lors du Congrès du peuple syrien à Sotchi, qui a aidé à formuler le document qui a ensuite constitué le cadre des négociations. Et la "troïka" a stimulé les négociateurs de l'Onu, qui s'étaient "assoupis"(pour le dire poliment) pendant environ un an sans rien faire. Le "processus d'Astana" a stimulé les négociations qui se déroulent actuellement à Genève, non sans problèmes.

Question: De nouveaux mouvements sociaux tels que la "nouvelle éthique" ont récemment pris le dessus en Occident. Nous avons vu des universitaires et des personnalités culturelles respectées être victimes de la "culture de l'abolition" simplement parce que leurs idées et leurs points de vue ne cadraient prétendument pas avec la "nouvelle éthique". Aux États-Unis, ce processus s'est superposé au clivage déjà douloureux entre les démocrates et les républicains. Que pensez-vous de ces tendances? Vous avez été Représentant permanent de la Russie auprès de l'Onu à New York pendant 10 ans. Reconnaissez-vous les États-Unis aujourd'hui?

Sergueï Lavrov: La "nouvelle éthique"? Il y en avait donc une "ancienne"? Quand je vivais là-bas, la "vieille éthique" prévalait, quoi que cela puisse signifier. Il n'y avait pas de telles aggravations sociales. Je me base sur le fait que Dieu a créé l'homme. Nous, en tant que représentants de différents courants du christianisme, partageons les mêmes valeurs qui existent dans d'autres religions du monde: l'islam, le judaïsme, le bouddhisme, etc. Cet héritage millénaire de nos ancêtres de différentes confessions synthétise la sagesse humaine accumulée. Le fait que l'on tente aujourd'hui de remettre ce socle en question, mais aussi de le détruire purement et simplement, est dangereux. L'Unesco et les autres agences humanitaires devraient respecter strictement leurs chartes, rédigées sur la base d'une éthique traditionnelle et classique.

Question: Comment voyez-vous l'avenir des relations entre la Russie et l'Inde? Quel est le bilan de la visite du Président russe Vladimir Poutine en Inde? Le sommet RIC (Russie-Inde-Chine) aura-t-il quand même lieu dans un contexte où la situation à la frontière entre l'Inde et la Chine s'envenime?

Sergueï Lavrov: Le Président russe Vladimir Poutine s'est rendu à New Delhi en décembre 2021. Le coronavirus entrave fortement le développement du dialogue direct. Toutes les conditions nécessaires étaient réunies cette fois. Le Président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre indien Narendra Modi ont pu mener des pourparlers utiles. Nous accordons une grande importance à nos relations. Ce n'est pas un hasard si on les qualifie de partenariat stratégique particulièrement privilégié. Nous allons développer ce dernier au maximum.
Il y a la "troïka" Russie-Inde-Chine (RIC). Elle est le précurseur des Brics, que personne ne peut ignorer aujourd'hui. Le RIC ne fait plus beaucoup parler de lui aujourd'hui, mais c'est une structure très efficace. Les Ministres des Affaires étrangères des trois pays se sont réunis près de 20 fois depuis sa création. Il y a des réunions sectorielles entre les ministres, leurs adjoints et des experts dans les domaines du commerce, de l'économie et de la coopération humanitaire. La Russie, l'Inde et la Chine participent aux Brics et à l'OCS. Depuis le 1er janvier de cette année, les trois pays sont membres du Conseil de sécurité des Nations unies pour deux ans. Nous voyons l'intérêt de nos amis indiens et chinois à maintenir et développer ce format.

Il y a un dialogue direct entre l'Inde et la Chine sur de nombreuses questions, y compris la sécurité. Il existe une déclaration sur le partenariat stratégique entre l'Inde et la Chine. Si le RIC peut également être utile pour renforcer la confiance, nous soutiendrons cela activement. Outre la vocation politique, les trois pays forment une seule et même zone géographique. La "troïka" est impliquée dans des plans économiques et d'investissement tournés vers l'avenir.

Question: Vous avez déjà parlé du Moyen-Orient, des problèmes en Syrie et en Irak. Début décembre 2021, Mikhaïl Bogdanov, vice-Ministre russe des Affaires étrangères et Représentant spécial du Président russe pour le Moyen-Orient et l'Afrique, s'est rendu en Irak et au Kurdistan irakien, il a visité Erbil. Ils ont parlé de la situation politique en Irak et du règlement en Syrie. Comment voyez-vous l'avenir de la résolution de la question syrienne et du statut des Kurdes? En novembre 2021, la présidente du comité exécutif du Conseil démocratique Syrie, Ilham Ahmed, s'est rendue à Moscou.

Sergueï Lavrov: Il s'agit d'un sujet sensible, à multiples facettes et difficile, qui a prouvé sa complexité lors des dernières périodes historiques. Nous sommes intéressés par le développement de relations étroites avec l'Irak. Nous avons une longue histoire d'amitié. Les contacts économiques sont bons. Nos entreprises travaillent en Irak. Nous sommes reconnaissants pour les conditions favorables qu'ils ont créées pour elles. Plus l'Irak est stable, plus nous sommes confiants dans le développement des liens bilatéraux. Nous voulons que nos amis irakiens vivent dans un environnement pacifique. C'est une bonne chose pour les échanges entre les peuples, y compris les relations commerciales, humanitaires et militaro-techniques, qui sont assez profondes.

En Syrie, la question kurde est l'un des obstacles à des négociations à part entière. Des Kurdes font partie du Comité constitutionnel, mais ils ne représentent pas toutes les structures kurdes. Parmi ceux qui restent "en marge" du processus constitutionnel, certains se sont tournés vers les États-Unis, d'autres vers leurs voisins turcs. Quand l'ancien Président américain Donald Trump a annoncé le retrait des troupes d'Irak, les Forces démocratiques syriennes nous ont immédiatement demandé d'aider à établir un dialogue avec Damas. Dès que les États-Unis ont changé d'avis, cet intérêt a disparu. C'est la vie, je suppose. Pour les politiciens kurdes, l'horizon doit être plus lointain. Il faut envisager la perspective. Il ne fait aucun doute que ce ne sont pas les Américains qui détermineront le sort de la Syrie. Comme le reste du monde, ils réaffirment toujours leur attachement à l'intégrité territoriale de ce pays. Mais dans les faits, ils soutiennent les tendances séparatistes à l'Est de l'Euphrate.

Nos contacts, notamment avec Mme Ilham Ahmed et ses collègues, visent à leur expliquer la nécessité d'entamer une conversation sérieuse avec Damas sur les conditions dans lesquelles les Kurdes pourront vivre au sein de l'État syrien. Le gouvernement syrien affichent une certaine retenue sur ce point. Ils n'ont pas oublié que les Kurdes ont adopté une ligne anti-gouvernementale lors des phases précédentes. C'est à cela que sert la diplomatie, à surmonter le passé et à construire des relations pour l'avenir. L'expérience de l'Irak, d'Erbil, de la région autonome kurde est pertinente ici. J'étais à Erbil et à Bagdad il y a deux ans. J'ai soutenu activement la tendance à établir des contacts. Les Kurdes irakiens et syriens entretiennent de tels liens. Les Kurdes irakiens doivent être plus actifs pour transmettre leur expérience à leurs frères et sœurs syriens.

L'évaluation de la situation en Irak après les élections revient à la population de ce pays. Il y a un aspect du sujet que nous avons déjà abordé aujourd'hui - la sécurité dans le Golfe Persique et dans la région au sens large. Nous voyons comment les Américains essaient maintenant de faire de la Syrie, mais aussi de l'Irak, une arène de lutte contre l'Iran et ses intérêts.

Il y a des parallèles intéressants. Des troupes étrangères sont présentes sur le territoire irakien. Quand, à la demande du président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, l'OTSC a envoyé des forces de maintien de la paix, au tout début de l'opération, Washington a exigé que l'on explique pourquoi Noursoultan avait invité des forces de cette organisation. Ils ont déclaré que la Russie était obligée de partir dès que le Kazakhstan lui aurait dit "merci". Le Kazakhstan a dit: la Russie et l'OTSC s'en vont. Quand les Américains quitteront-ils l'Irak ? Non seulement ils n'ont pas été invités, mais le parlement de ce pays a décidé qu'il était temps pour eux de rentrer chez eux. Comme le dit le proverbe, "tout le monde est égal, sauf le plus égal". Voilà pour ce qui est de comment nos collègues occidentaux se comportent et quelles sont leurs manières.

Nous espérons que les élections qui ont eu lieu et la poursuite de la stabilisation politique contribueront à régler les problèmes de la région et qu'aucun des pays extérieurs à cette dernière ne placeront l'Irak et ses voisins devant le choix du partenaire avec lequel ils souhaitent coopérer. Voilà pour ce qui est de la question de la liberté de choix des alliances. Lorsque Washington dit de ne pas acheter d'armes à la Russie, de ne pas communiquer avec l'Iran ou un autre pays, c'est une attaque directe contre la liberté de choisir non seulement des alliances, mais aussi des partenaires élémentaires.

Question: L'année dernière a été marquée par les nouvelles mesures prises par la Russie pour promouvoir la consolidation du monde russe global et la coopération avec ce dernier: un nouveau statut des compatriotes russes est désormais inscrit dans la Constitution, une nouvelle commission spécialisée a été créée à la Douma d'État et le VIIe Congrès mondial des compatriotes a eu lieu. Dans les conditions difficiles actuelles, comment le Ministère russe des Affaires étrangères mène-t-il le travail de protection des droits et des intérêts des compatriotes russes vivant à l'étranger?

Sergueï Lavrov: Chaque année, ce travail revêt de nouvelles dimensions. Suite aux modifications de la Constitution, cette tâche est devenue constitutionnelle. Le Ministre des Affaires étrangères est président de la Commission gouvernementale des compatriotes à l'étranger. Elle existe depuis plus de dix ans. Elle mène un travail utile en établissant des contacts avec l'immense monde russe, multiethnique et multiconfessionnel.

Dans la majorité des pays où vivent nos compatriotes, des comités nationaux et régionaux ont été mis en place. Il y a le Conseil mondial de coordination des compatriotes russes vivant à l'étranger, avec lequel nous sommes en contact permanent. En 2021, environ 1.200 événements différents axés sur la jeunesse, les sports, le patriotisme et les droits de l'homme ont été organisés.

Un Fonds spécial pour le soutien et la protection des droits des compatriotes vivant à l'étranger a été créé par le Ministère russe des Affaires étrangères. Une cinquantaine de centres d'aide juridique ont été créés dans plus de 30 pays. Les services d'avocats sont proposés à ceux qui se trouvent en difficulté. Nous défendons leurs droits en tant que citoyens des pays dans lesquels ils ont choisi de vivre. Ce travail sera étendu. Nous soulevons en permanence des questions concernant nos compatriotes auprès de l'Onu, de l'OSCE et du Conseil de l'Europe, notamment dans le cadre de la protection de leurs droits linguistiques et éducatifs. Ces droits sont bafoués de manière flagrante dans les pays baltes et en Ukraine. Les conventions dont font partie les gouvernements concernés sont ignorées par ces derniers.

Il existe un programme d'État pour aider à la réinstallation volontaire des compatriotes en Russie. C'est relativement nouveau dans la pratique de notre État. À ses débuts, sa mise en œuvre a connu des difficultés, tout n'était pas optimal. La situation évolue. Au cours des neuf premiers mois de 2021, plus de 60.000 compatriotes ont déménagé en Russie pour y élire domicile. C'est un tiers de plus qu'au cours de la période précédente. Nous faisons tout pour que les régions où s'installent nos compatriotes les impliquent le plus efficacement et le plus attentivement possible dans leur retour dans leur pays d'origine.

La Commission du parti Russie unie pour la coopération internationale et le soutien aux compatriotes à l'étranger a été créée sur proposition du Président russe Vladimir Poutine. On m'a confié la tâche de la diriger. Nous avons tenu la première réunion. Nous travaillerons non seulement au format de cette Commission du parti au pouvoir, qui est la principale force politique du pays, mais aussi avec la participation d'autres factions. Cette décision a déjà été validée. Ce sera utile, car le sort du monde russe et la manière dont nos citoyens vivent et travaillent à l'étranger, ainsi que la manière dont ils sont traités, sont l'affaire de tout notre peuple et de notre État. L'une des tâches dont nous allons nous occuper rapidement est celle de simplifier les conditions de déplacement pour travailler en Russie. Nous rencontrons une compréhension de la part des autres organes, et nous planchons sur les accords appropriés.

Le VIIe Congrès mondial des compatriotes russes a été un succès. Il a réuni plus de 400 délégués de plus de 100 pays. On a vu à quel point une telle communication entre les participants entre eux et avec les représentants du gouvernement russe était importante. Malheureusement, dans certains pays, et avant tout aux États-Unis, nos compatriotes sont persécutés, tout comme les citoyens de la Fédération de Russie voyageant à l'étranger. Les actions totalement inacceptables du gouvernement américain à l'égard du Conseil mondial de coordination des compatriotes russes vivant à l'étranger aux États-Unis ont contraint cette structure de cesser son activité. Certains des dirigeants du Conseil ont été contraints de quitter leur pays car ils étaient directement menacés de poursuites pénales. C'est devenu la norme aux États-Unis.

Dans ces circonstances difficiles, nous espérons maintenir notre coopération, et la renforcer. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à tous nos compatriotes qui participent au travail de préservation de la mémoire de nos grands-pères, de nos pères, de leurs exploits et de la Grande Guerre Patriotique. Il est réjouissant de constater que le 9 mai, jour de la Victoire, a été célébré dans plus d'une centaine de pays, où se sont déroulés des défilés du Régiment Immortel et de la Bougie du Souvenir. Des Jardins du Souvenir ont été plantés. Cela renforce notre lien avec l'histoire de notre grande patrie, avec l'histoire de notre peuple. Quand nos compatriotes trouveront de nouvelles idées sur la manière de mieux mener à bien tout ce travail, nous apprécierons que ces idées nous soient envoyées. Et nous ferons de notre mieux pour les mettre en œuvre.

Question: Je voudrais exprimer mes remerciements les plus sincères pour avoir aidé à faire sortir nos compatriotes du Kazakhstan. Derrière chaque personne se cache un destin, des enfants, des petits-enfants. En d'autres termes, le Ministère russe des Affaires étrangères a fait plus que ce qu'on a pu voir. Merci beaucoup du fond du cœur pour cela! Question: Pensez-vous que le maximum a été atteint en matière de soutien aux compatriotes, ou pouvons-nous nous attendre à d'autres bonnes surprises en lien avec les compatriotes vivant à l'étranger?

Sergueï ​Lavrov: En ce qui concerne les propos aimables qui nous ont été adressés au sujet du retrait de nos compatriotes du Kazakhstan. Nous n'avons fait qu'un travail d'organisation. Le Ministère russe de la Défense s'est chargé de l'essentiel des questions matérielles. Nous étions en étroite coordination avec eux, comme dans de nombreux autres cas où ce type d'effort est nécessaire.

Pour ce qui est de la deuxième question: il n'y a pas de limite à la perfection, alors donnez-nous des indices. Nous avons notre propre vision. Nous menons des analyses sur la base des évaluations que nous recevons des comités de compatriotes, des ambassades et des centres culturels russes. Nous serons toujours heureux de recevoir des contributions supplémentaires de la part de ceux pour qui nous faisons cela.

Question: A la fin de l'année dernière, en parlant des partenaires occidentaux, vous avez évoqué le "Kamasutra". Au début de cette année, vous avez soudainement commencé à parler de leur "impuissance". Que s'est-il passé pendant les vacances?

Sergueï Lavrov: Rien n'a changé, il me semble. A propos de l'impuissance, je parlais de l'Union européenne. Nous avons commencé la conférence de presse avec l'Union européenne, et à la fin nous en parlons aussi. Je parlais de la mesure dans laquelle l'Union européenne était capable de mettre en œuvre ce qui a été convenu avec elle. J'ai donné des exemples. Il n'y a pas si longtemps, l'Assemblée générale des Nations unies a confié à l'UE des pouvoirs de médiation entre Belgrade et Pristina. En 2013, la Communauté des municipalités serbes du Kosovo a fait l'objet d'un accord. Il offrait aux Serbes du Nord du Kosovo des droits d'autonomie sérieux en matière culturelle, humanitaire, linguistique et éducative, mais aussi en ce qui concernait les liens spéciaux avec la Serbie. Cela ressemble aux droits prévus pour les républiques de Donetsk et de Lougansk dans le paquet de mesures de Minsk. Dans les deux cas, l'UE a participé aux négociations sur ces documents. Dans le premier cas, il s'agissait de l'UE, dans le deuxième cas, l'UE était représentée au sein du Format Normandie par l'Allemagne et la France. Dans les deux cas, les documents qui ont été approuvés ne sont pas mis en œuvre par l'une des parties. Dans le cas spécifique du Kosovo, c'est Pristina, et dans le cas des accords de Minsk, c'est le régime de Kiev.

A toutes nos requêtes pour que l'UE fasse respecter ce pour quoi elle a investi des efforts, du talent et de la persévérance - aucune réaction. Quant aux accords de Minsk, ils affirment que la Russie doit mettre en œuvre ce que Federica Mogherini, alors Haut représentante de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a énoncé dans ses "cinq principes" : les relations entre l'UE et la Russie se normaliseront quand la Russie mettra en œuvre les accords de Minsk. Ici aussi, nous pouvons dire, au sens figuré, qu'il s'agit de "schizophrénie politique". Car les accords de Minsk ne concernent pas la Russie, mais Kiev, Donetsk et Lougansk. Les représentants de Kiev déclarent régulièrement et officiellement à différents niveaux qu'elles ne discuteront pas avec les républiques. Lorsque nous attirons l'attention des Allemands et des Français sur ce point, ces derniers nous répondent: rien dans les accords de Minsk n'oblige Kiev à parler à ces personnes.

Pour en revenir aux médias, quand trois chaînes de télévision ont été fermées à Kiev, nous nous sommes tournés vers nos collègues français. Ils ont dit qu'ils étaient en faveur de la liberté d'expression, mais que les chaînes de télévision avaient été fermées sur la base de la législation ukrainienne. C'est suffisamment révélateur. Nous voulons que l'UE joue un rôle indépendant. Un autre exemple, toujours en Ukraine. L'UE était garante de l'accord entre Viktor Ianoukovitch et l'opposition en février 2014. Le lendemain matin, l'opposition a "craché" sur cet accord. Bruxelles a gardé le silence, et aujourd'hui certains commencent à parler du coup d'État comme d'un "processus démocratique".

Nous voulons avoir des relations normales avec l'Union européenne, nous ne les avons pas détruites. Laissons l'UE décider elle-même dans quelle mesure elle est prête à les reconstruire. Il ne dépend pas de nous que cela se fasse sur la base du respect mutuel et de la recherche d'un équilibre des intérêts, comme nous le prônons toujours.

Question: Je voudrais revenir au thème des résultats des discussions bilatérales entre la Russie et l'Occident sur les garanties de sécurité. Comme vous l'avez dit, la Russie attend des contre-propositions de ses collègues occidentaux, une réponse "noir sur blanc". Si ces propositions occidentales incluaient, par exemple, des propositions de réduction mutuelle des armements et de déploiement des troupes, mais aucune garantie de non-élargissement de l'Otan, la Russie serait-elle prête à les considérer? Que ferait exactement la Russie? Le vice-Ministre Alexandre Grouchko parle de mesures militaro-techniques, qu'entend-il par là exactement? De quoi s'agit-il et de quels délais parle-t-on?

Sergueï Lavrov: Les mesures militaro-techniques font référence au déploiement d'équipements militaires. Quand nous prenons des décisions concernant une étape particulière qui implique des équipements militaires, nous comprenons toujours ce que nous voulons dire, ce à quoi nous nous préparons. Des exercices sont régulièrement organisés sur notre territoire. Il y a eu des exercices à l'Ouest de la Fédération de Russie et maintenant il y a une vérification surprise à l'Est de notre pays. C'est notre affaire, nos décisions. Lorsqu'il y a une accumulation d'équipements et de forces militaires près des frontières russes, les Américains déplacent leurs troupes par dizaines de milliers, les Britanniques - des centaines, des milliers d'unités d'équipements militaires. Nous devons comprendre ce que cet équipement va faire dans les pays baltes, en Pologne, dans d'autres pays qui peuvent directement résoudre des problèmes sur le territoire de la Fédération de Russie avec certains types d'armes. Je ne chercherais pas de sens caché. Nous ne faisons que réagir aux menaces qui pèsent sur la sécurité de la Fédération de Russie.

Nous attendrons les propositions. On a promis de nous les envoyer dans un délai d'une semaine environ. Nous avons prévenu nos partenaires, en particulier nos partenaires américains, qu'il ne s'agissait pas d'un menu, mais d'un ensemble. Exactement le même paquet que celui dont nous avons parlé aujourd'hui quand nous avons évoqué la liberté de choix des alliances. Cet élément ne peut pas être retiré de la formule générale, approuvée au sommet, concernant l'indivisibilité de la sécurité et le caractère inacceptable du fait d'améliorer sa propre sécurité au détriment de celle des autres. C'est déjà sur le point de se produire. Nos collègues ont commencé à suggérer: discutons des mesures de confiance, de la réduction des armements, soyons transparents, racontons et montrons-nous mutuellement les exercices. Premièrement, à l'époque où elle était pertinente, l'Otan a ignoré notre proposition. Il y a presque trois ans, notre état-major a proposé de convenir d'une série d'exercices à une distance éloignée de la ligne de contact entre la Russie et l'Otan. Deuxièmement, il a également été proposé de convenir d'une distance limite pour le rapprochement des avions de combat et des navires de guerre de la Russie et de l'Otan. Elle a été tout simplement ignorée. Tout comme l'initiative du Président russe Vladimir Poutine en faveur d'un moratoire mutuel sur le déploiement des missiles terrestres à portée intermédiaire et à plus courte portée, à condition de pouvoir mener des vérifications.

Aujourd'hui, après les rencontres qui se sont déroulées à Genève, ils sont prêts à discuter sur ces trois questions (à la fois sur l'éloignement des exercices, l'adoption de mesures supplémentaires pour la prévention des incidents involontaires, et sur les missiles à portée intermédiaire). Il s'avère que lorsqu'ils nous ignoraient, ils ne nous prenaient pas au sérieux. S'ils commencent à le faire maintenant, tant mieux. Nous ne pourrons que nous en réjouir. Mais ils doivent comprendre que la clé de tout cela est de garantir que l'Otan ne s'étendra pas vers l'Est. Tout le reste s'intègrera dans l'arrangement général, mais l'entente doit porter précisément sur ça. Les Américains font un signe de tête en direction de l'Otan et disent que les États-Unis aimeraient bien parler avec nous à ce sujet, mais que Washington a des alliés. Je pense que ce n'est pas un tableau tout à fait honnête de la situation. Ils disent qu'ils ne peuvent pas décider sans leurs alliés. Washington n'a besoin de l'Otan, dans l'ensemble, que comme outil pour s'affirmer en tant que leader de l'Occident, juste pour les garder dans la lignée de ses politiques et de ses intentions. La mesure dans laquelle les États-Unis prennent en compte les intérêts de leurs alliés est démontrée par l'histoire d'AUKUS, par exemple. Vous savez comment la France a réagi aux tractations des Anglo-Saxons.

L'histoire du Nord Stream 2. L'Allemagne est également un allié des États-Unis. Comment les intérêts de l'Allemagne sont-ils pris en compte? Avec d'énormes "bricolages". L'Allemagne doit supplier pour que des sanctions ne soient pas imposées.

Les Américains ont détruit le traité FNI sans consulter leurs alliés. C'est seulement ensuite que les alliés ont commencé à "chanter en choeur" que l'Amérique avait raison, que la Russie aurait dû faire quelque chose. Au sujet du traité "Ciel ouvert" - personne n'a consulté personne. Je ne vois donc pas d'argument convaincant pour dire que les États-Unis ne peuvent pas jouer un rôle de premier plan dans ce domaine.

Question: Comment évaluez-vous les résultats et l'impact de l'État de l'Union de la Russie et de la Biélorussie dans la nouvelle architecture des relations internationales?

Sergueï Lavrov: Cet espace est seulement en cours de formation. L'État de l'Union de la Russie et de la Biélorussie est dans une phase de construction accélérée. L'année dernière, un énorme élan a été insufflé à ce processus avec la signature et l'adoption de 28 programmes, qui sont maintenant mis en œuvre sous la forme de documents à action directe. Ces accords-cadres sont en train d'être traduits dans la pratique. L'État de l'Union va évoluer vers une coordination de plus en plus poussée sur les questions économiques, l'harmonisation des mécanismes douaniers, fiscaux et autres. Nous avons un Parlement de l'Union, qui sera de plus en plus sollicité dans ces processus.

Du point de vue de nos capacités de défense, les développements récents ajoutent aux arguments (si quelqu'un en avait besoin) en faveur de leur renforcement. Il y a une compréhension totale et unie de cette tâche.

On peut et on doit mentionner les liens culturels, l'harmonisation, l'égalisation des droits de nos citoyens. Ce travail a été réalisé à 90 %. Il devrait être étendu aux sphères restantes. Il y a de petites lacunes à cet égard. Idéalement, les conditions devraient être exactement les mêmes pour voyager, pour s'enregistrer dans les hôtels, pour obtenir des services médicaux et pour bien d'autres choses qui sont importantes pour les gens au quotidien. Les conditions commerciales, en lien avec ces 28 programmes, vont converger et, idéalement, s'harmoniser totalement.

Nous avons la coordination la plus étroite, des positions communes dans les affaires internationales. Tous les deux ans, nous adoptons un programme d'action concertée. La dernière fois, nous l'avons adopté lors des réunions conjointes de nos Collèges. Chaque année, nous organisons des Collèges conjoints, des échanges de visites ministérielles. J'ai des attentes positives quant à la poursuite du renforcement de l'État de l'Union, comme l'ont décidé nos présidents, et, sur la base de leurs instructions, les gouvernements ont signé des programmes.

Question: Au plus fort de la crise au Kazakhstan, des idées ont été exprimées au sein de la communauté d'experts (en Occident, elles ont été exprimées comme des préoccupations) selon lesquelles la Russie et la Biélorussie pourraient inviter le Kazakhstan à rejoindre l'État de l'Union. Que pensez-vous de ces considérations qui inquiètent les experts occidentaux, devons-nous nous attendre à l'élargissement de l'Union?

Sergueï Lavrov: Nous n'avons pas l'habitude d'inviter qui que ce soit. Il existe une procédure selon laquelle si quelqu'un fait une demande, nous l'examinons de manière constructive. Ce sont nos collègues occidentaux ont l'habitude d'"inviter". Ils invitent maintenant tout le monde à rejoindre l'Otan. Ce n'est pas notre méthode. Nous sommes des gens polis.

Question: Quand l'exigence de garanties de sécurité est-elle apparue? Pourquoi est-elle d'actualité? De telles exigences n'étaient pas avancées sous l'Union soviétique.

Sergueï Lavrov: Cela a toujours été comme ça. Cette exigence de sécurité s'est formalisée, après la disparition de l'Union soviétique dans les années 1990, dans des engagements politiques pris au plus haut niveau. Ces engagements politiques ont été détournés par nos collègues occidentaux, qui ne les ont pas tenus. Quand, en 2009, nous avons demandé que les garanties de sécurité se transforment d'engagement politique en une obligation juridique et que nous avons proposé un document à cet effet, on nous a répondu: cela ne nous concerne pas et les garanties de sécurité juridiques ne sont données qu'aux membres de l'Otan. En trente ans, nous avons accumulé beaucoup de connaissances sur la manière de procéder. Sur la base de promesses, d'incantations politiques, rien ne fonctionne. Nous avons, comme l'a dit le Président russe, proposé des documents et insisté sur le fait que notre principale préoccupation était que la non-extension de l'Otan soit juridiquement contraignante. J'espère obtenir une réponse intelligible, qui éviterait le raisonnement consistant" à dire que cela ne convient pas à l'Occident. Voyons ce qu'ils nous  donnent "sur le papier". Nous déciderons alors de la sincérité de nos collègues occidentaux, non pas dans les années 1990 mais aujourd'hui, dans leurs relations avec la Fédération de Russie.

 

 


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