16:09

De la Galicie-Volhynie à l’Ukraine occidentale

Kirill Chevtchenko  Docteur ès sciences historiques,  
Professeur de l’Université sociale d’État de Russie

 

DE LA GALICIE-VOLHYNIE À L’UKRAINE OCCIDENTALE
LES PERSONNALITÉS RUSSO-GALICIENNES
À PROPOS DU MOUVEMENT UKRAINIEN EN GALICIE
AU XIX – DÉBUT DU ХХ SIÈCLE

 

La Galicie orientale, considérée traditionnellement comme rempart du nationalisme ukrainien, n’a pris définitivement cet aspect ethnoculturel qu’après le génocide des militants russo-galiciens déclenché par les autorités austro-hongroises au cours de la Première guerre mondiale. Même dans le premier quart du XX siècle l’identité ukrainienne ne s’était pas encore pleinement enracinée parmi la population russo-galicienne de la Galicie. Les chercheurs estiment qu’à cette époque « la moitié de paysannerie galicienne n’avait pas de conscience nationale exprimée et faisait objet d’une lutte « pour les âmes »[1]. Ainsi, à Stanislavov (aujourd’hui Ivano-Frankovsk), un des centres du mouvement ukrainien en Galicie orientale, l’ethnonyme « Ukrainien » n’a commencé à remplacer l’auto-désignation « ruthène » qu’après 1917»[2]. En même temps, il était fréquent chez l’intelligentsia russo-galicienne de percevoir les Ruthènes comme une partie intégrante du peuple russe trinitaire « depuis les Carpates jusqu’au Kamtchatka ».

Au début du XX siècle, à Lvov autrichien, aussi bien que dans les années 1920-1930, à Lvov déjà polonais, des journaux en russe étaient publiés qui défendaient l’idée de l’unité panrusse des Grands Russes et des Petits Russes et polémiquaient avec les nationalistes ukrainiens. « Le parti populaire russe en Galicie prêche… l’unité nationale et culturel de tout le peuple russe et reconnaît donc comme les siens les fruits du travail culturel millénaire de tout le peuple russe en tenant compte de l’appartenance de la population russe de la Galicie à la peuplade petite-russe du peuple russe »[3], déclarait le congrès du parti populaire russe de la Galicie qui a eu lieu le 27 janvier (7 février) 1900 à Lvov. Au début du XX siècle déjà, les personnalités publiques de la Galicie notaient une large diffusion des sentiments « pro-moscovites » parmi « le peuple russe de la Galicie »[4] en indiquant en même temps que les Galiciens dépassaient « le peuple petit-russe et grand-russe en Russie dans le développement de leur conscience nationale, dans leur patriotisme et l’attachement profond à la tradition et à l’église russes »[5]. Il est à noter que les militants du mouvement ukrainien se sont vus obligés de le reconnaître, tout en regrettent que les paysans galiciens soient « pro-moscovites par leur nature »[6].

La même caractéristique de la population galicienne au début du ХХ siècle a été donnée également par le personnage russo-galicien et slave bien connu Dmitri Vergoun qui soulignait que, «  malgré son détachement de la racine russe pendant six siècles, elle n’a pas perdu la conscience de son appartenance au monde russe. L’idée du séparatisme national « ukrainien » n’a fasciné qu’une petite poignée de la semi-intelligentsia locale qui dépendait de telle ou telle manière des gouvernements de Vienne et de Budapest. La population en masse, l’idée du séparatisme n’y a pas pénétré…»[7].

Le nationalisme ukrainien radical est une image ethnoculturelle toute neuve du point de vue historique de la Galicie ancienne et tant de fois éprouvée, violée et défigurée par la terreur sanglante austro-hongroise pendant la « Grande guerre » de 1914-1918. Des siècles auparavant la Galicie-Volhynie est restée la pierre angulaire de l’idéologie panrusse en engendrant une multitude de penseurs qui ont justifié l’idée de l’unité panrusse et de martyrs qui ont sacrifié leurs vies dans la lutte pour ces idéaux. L’agression, la cruauté, l’étroitesse d’esprit sauvage et l’insuffisance mentale aigüe des nationalistes ukrainiens sont une manifestation vivante du « complexe de néophyte » bien connu des psychologues. Ce sont les nouveaux convertis ou néophytes qui ont tendance à recourir à des moyens extrêmes, parfois brutaux pour prouver leur loyauté à une croyance ou une idée nouvellement adoptée par eux, comme les dogmes primitives et artificielles du nationalisme ukrainien pour les néophytes ukrainiens. John A. Armstrong a noté que le nationalisme ukrainien, à la différence des autres versions de « nationalismes intégraux », présentait un degré élevé de totalitarisme, de mysticisme irrationnel, un culte hypertrophié de la violence, de la guerre et de la terreur, aussi bien qu’un penchant pour l’imaginaire et l’artificiel[8].

Ossip Montchalovski, représentant éminent du mouvement russo-galicien, a donné en 1904 déjà une évaluation accablante du nationalisme ukrainien en le qualifiant de « dérogation à la langue et la culture séculaires, élaborées par toutes les branches du peuple russe, l’auto-transformation en un haillon entre les peuplades, un chiffon à essuyer tantôt les bottes polonaises, tantôt les bottes allemandes…, la renonciation aux sources authentiques de son peuple »[9]. Il est à noter que le mouvement ukrainien était évalué de la même manière par Karel Kramář, homme politique et militant tchèque éminent, qui soulignait qu’en Autriche-Hongrie les politiciens ukrainiens provenant de la Galicie servaient d’instruments dociles entre les mains de Vienne et de Berlin[10]. Les arrière-grands-pères des radicaux ukrainiens modernes de Galicie se disaient Ruthènes sans rendre compte de l’existence des « Ukrainiens » et en se considérant partie intégrante d’un peuple russe trinitaire. D’ailleurs, comme l’a très justement souligné Nina Pachaeva, auteure de la première monographie russe sur le mouvement russe en Galicie, les petits-enfants et arrière-petits-enfants des Ruthènes de Galicie, « ne voudront probablement pas de se souvenir de leurs grands-pères et arrière-grands-pères russes »[11]. Il convient d’ajouter que les Galiciens d’aujourd’hui non seulement ne veulent pas, mais ne peuvent pas se souvenir de leurs ancêtres russes car le passé russe de la Galicie a été fondamentalement écrasé sous le rouleau compresseur abruti et impitoyable de la censure politique et quasi-scientifique ukrainienne qui a effacé des manuels, de la littérature de recherche et de la vie publique ces informations mortelles pour la nouvelle élite politique ukrainienne.

Si les militants du mouvement ukrainiens cherchaient à prouver l’existence distincte des Grands Russes et des Ukrainiens déjà à l’époque de la Rus de Kiev en essayant de discerner une composant « ukrainienne » dans l’histoire et la littérature russes anciennes, les penseurs russo-galiciens partaient de l’unité primordiale de toutes les terres russes. Patriotes de la Galicie, les militants russo-galiciens soulignaient le rôle colossal des Galiciens dans l’histoire générale de la Russie en notant que les originaires de la Galicie-Volhynie ont beaucoup contribué à l'ascension de la Principauté de Moscou à l’époque de la fragmentation féodale et du joug mongol-tatar. Parmi les plus célèbres d’entre eux il faut citer le métropolite Pierre, originaire de Galicie, qui, pour soutenir la politique unificatrice du prince russe Ivan Kalita, a transféré le trône métropolitain à Moscou en rendant cette dernière le centre spirituel de la Russie. Les militants galiciens percevaient la personnalité de Pierre comme un des symboles d’unité panrusse en soulignant que « l’un des conseillers les plus proches d’Ivan Kalita était Pierre, le premier métropolite de Moscou, appelé aussi Pierre de Rata car il était né en Galicie actuelle et vivait près de la rivière Rata… »[12]. C’est donc un Galicien qui était à l’origine de la transformation de Moscou en capitale ecclésiastique des terres russes, ce qui est bien symbolique.

L’activité du métropolite Pierre a été hautement estimée également par le militant russo-galicien connu Dmitri Vergoun, selon lequel « l’instinct du rassemblement de la terre russe, l’instinct de la nécessité d’unir les peuplades pour préserver la force est un trait distinctif de tous les originaires de la Russie subcarpatique qui ont occupé des places importantes dans la culture générale russe… Après la destruction tatare, aux temps de désarroi général, seul Pierre de la « Russie rouge » a fait clairement et consciemment retentir son appel au « rassemblement de la terre russe ». Il… s’est orienté vers Moscou, vers Ivan Kalita, il a marqué le début de ce mouvement qui, dans sa croissance ultérieure, a amené au mariage d’Ivan le Grand avec l’héritière du trône byzantin et a défini la mission de Moscou comme « troisième Rome »[13].

En décrivant la situation de la Russie galicienne faisant partie de la Pologne qui a envahi les terres galiciennes dans les années 1340, les militants russo-galiciens soulignent que la politique des rois polonais visait à « interrompre et détruire les liens entre les sujets russes de la Pologne et les habitants russes de la grande principauté de Moscou en train de surgir dans le Nord, d’autant plus que les sujets russes de la Pologne ne différaient ni par leur foi, ni par leur langue, ni par leur écriture des habitants russes de la principauté de Moscou… L’union ecclésiastique signée à Brest servait à ces mêmes fins »[14].

Les représentants de la pensée publique russo-galicienne ont souligné le rôle colossal des originaires de la Petite Russie dans le développement de la science et de la culture russes. Ainsi, Montchalovski notait que Moscou, bien que centre politique de la Rus libre, « n’a pas été un centre d’instruction » pendant longtemps et « n’offrait pas de terrain commode pour percevoir et diffuser l’éducation. …La lumière de l’instruction nouvelle destinée à se refléter plus tard sur Moscou elle-même s’est enflammée aux frontières sud-ouest de la Russie tombées en partie entre les mains de la Pologne et en partie de la Lituanie. Les fratries orthodoxes engendrées par les poursuites de la Pologne et du catholicisme romain… consacrent tous leur moyens spirituels et matériels à la diffusion de l’instruction et fondent des écoles »[15].Un rôle particulier dans cette activité appartenait à Kiev et à l’Académie Moguila de Kiev créée par le métropolite Pierre Movilă (Moguila en russe) en 1631 ; elle « produisait les gens les plus instruits de toute la Russie... Les fruits de cette instruction se sont manifestés par le fait que parmi la population russe de la Pologne et de la Lituanie… toute une série de militants se produit qui créent une littérature polémique et théologique. Ce même milieu produit des savants qui ne se bornent pas à s’opposer à la propagande contre le peuple en Russie méridionale, mais pénètrent à Moscou et jettent les premières bases pour la littérature éducative russe »[16].

Comme Alexeï Miller l’a noté à juste titre, « la culture que nous connaissons aujourd’hui comme la culture russe a été créée au XVIII et dans la première moitié du XIX siècle par les efforts communs de l’élite russe et ukrainienne, si l’emploi de ces termes d’une origine plus moderne est bien possible ; ou, ce qui serait plus correct, par les efforts de l’élite grande-russe et petite-russe. C’est cet héritage commun que les nationalistes ukrainiens se sont vus plus tard obligés de combattre, y compris Mikhaïl Grouchevski qui a mis beaucoup de travail à critiquer « le schéma traditionnel de l’histoire russe » surgi à Kiev »[17]. La conception du « schéma traditionnel de l’histoire russe » auquel les historiens ukrainiens, gérants du « projet ukrainien », ont déclaré plus tard une guerre impitoyable, a été énormément appuyée par la contribution des scientifiques galiciens et carpato-russes qui ont beaucoup influencé la pensée publique russe en général. Ainsi, l’historien Youri Veneline (Hutza) qui était « à l’origine de la slavistique russe a exercé une influence sérieuse non seulement sur le développement de la slavistique en Russie, mais aussi sur certains scientifiques et écrivains, y compris Mikhaïl Pogodine, Konstantin Aksakov, Alexeï Khomiakov, Ossip Bodianski etc. »[18]

Un exemple flagrant de l’outrage au bon sens et de la déformation arrogante des événements historique est l’interprétation par les idéologues ukrainiens des acteurs de la renaissance nationale en Russie hongroise et galicienne comme partisans de « l’idée ukrainienne ». En réalité, comme les penseurs russo-galiciens l’ont montré, le début de la renaissance nationale en Russie hongroise et galicienne était déterminé par l’activité des partisans fervents de l’unité panrusse. Denis Zoubritski dont le nom est associé aux premières manifestations de la renaissance nationale des Ruthènes galiciens était considéré de plein droit comme leader du vecteur « russe », il entretenait les contacts avec Mikhaïl Pogodine, professeur de l’Université de Moscou et historien célèbre, et était un ardent défenseur de la langue littéraire russe comme langue « de la culture et de la science en Galicie »[19]. Dans sa lettre au célèbre militant national tchèque Václav Hanka du 27 décembre 1852 (8 janvier 1853) Denis Zoubritski s’est prononcé tout à fait clairement en faveur de la langue littéraire russe pour toutes les branches du peuple russe. « Tout comme les Allemands à Strasbourg, à Dorpat, à Zurich, à Hambourg écrivent dans une seule langue et se comprennent, les Russes doivent eux aussi écrire dans un seul dialecte, déjà solidement fondé et élégamment affiné »[20], affirmait Denis Zoubritski dans sa lettre à Václav Hanka en parlant de la langue russe littéraire. Le désir d’adopter la langue littéraire russe chez l’intelligentsia russo-galicienne n’était pas d’ailleurs quelque chose d’unique à l’époque, car des idées similaires, y compris l’idée de la langue russe comme langue littéraire commune de tous les Slaves, étaient exprimées également par des représentants des autres peuples slaves, y compris les Croates, les Slovaques et les Tchèques[21].

À part Denis Zoubritski, l’étape initiale de la renaissance nationale en Galicie est associée avec les noms de Markian Chachkevitch, Ivan Vaguilevitch et Ïakov Golovatski, inscrits dans l’histoire de la Galicie-Volhynie sous le nom de « Trio russe ». L’almanach littéraire « La sirène de Dniestr » publié en 1837 par le « Trio russe » et devenu « un jalon important dans l’histoire de la renaissance nationale de la Galicie » démontrait de manière convaincante des motifs panrusses visibles. Ainsi, le poème de Markian Chachkevitch « Souvenir » publié là-dedans glorifiait les sujets de l’histoire panrusse, y compris l’âge d’or d’Iaroslav le Sage, aussi bien que la puissance et la gloire de Novgorod. Il est à noter que le contenu de « La sirène de Dniestr » a déplu aux fonctionnaires autrichiens vigilants. En conséquence, l’almanach a été interdit en Galicie et confisqué par la police et ses auteurs ont été punis par l’exclusion du Séminaire théologique de Lvov[22]. Ainsi, les premières manifestations de l’activité culturelles nationale des Ruthènes témoignaient directement de leur conscience de l’unité historique et spirituelle des terres russes et de leur volonté de bâtir leur activité culturelle sur ce fondement. En commentant les tentatives des acteurs ukrainiens de « s’approprier » l’héritage des premières Lumières russo-galiciennes, Montchalovski écrivait que « les pro-ukrainiens aiment citer les personnalités éminentes qui ne sont plus en vie et en faire les partisans de leurs idées, vu que « les morts ne sauraient être déshonorés » et ne vont pas protester. En Russie, ils ont fait leur partisan d’Ivan Kotliarevski, en Galicie, de Markian Chachkevitch »[23]. Cependant les œuvres de ces écrivains et personnalités publiques, d’après Montchalovski, « n’ont pas une seule trace de séparatisme pro-ukrainien »[24].

Pendant la révolution de 1848, l’administration autrichienne, afin de faire face au mouvement révolutionnaire des Polonais galiciens, a dû s’appuyer sur le mouvement national émergent des Ruthènes de Galicie. À cette époque les autorités autrichiennes ont démontré leur volonté de s’opposer par tous les moyens à l’identité panrusse des Ruthènes galiciens en favorisant chez eux la formation d’une auto-conscience particulière. Au cours de sa rencontre avec la délégation russo-galicienne en 1848 le comte Franz Stadion, gouverneur de la Galicie à l’époque, a posé à la délégation des Ruthènes galiciens la question « Qui êtes-vous ? » en l’accompagnant d’une sorte de suggestion que « si vous vous considériez des Russes, je ne pourrais pas vous aider »[25]. Car les Ruthènes étaient intéressés par l’aide du gouvernement, en réponse à cette question du gouverneur, afin de ne pas provoquer de mécontentement et d’obtenir l’aide de Vienne, ils ont déclaré, en évoquant les différences confessionnelles avec les Russes, qu’ils ‘étaient pas des Russes, mais des « Ruthènes »[26]. Plus tard Ivan Naoumovitch, représentant éminent du mouvement russo-galicien, regrettait cet épisode en l’expliquant par les considérations pragmatiques des Ruthènes obligés à ne pas déclarer au gouverneur ce qu’ils voulaient dire, mais ce qu’il voulait entendre. À cette époque-là, d’après Ossip Montchalovski, « il n’y avait pas de partis en Galicie-Volhynie, et un parti des « pro-ukrainiens » ne saurait même être imaginé »[27].

Le flirt de Vienne avec les Ruthènes engendré par les objectifs tactiques de la politique autrichienne dans le contexte des bouleversements révolutionnaires ont intensifié considérablement l’activité nationale des Ruthènes galiciens, ce qui s’est manifesté par l’apparition de la presse russo-galicienne et d’une série d’organisations nationales. Notamment, pendant la révolution de 1848-1849 la Maison du peuple et la Matica (poutre apparente) russo-galicienne ont été fondées à Lvov, qui, « ensemble avec l’Institut stavropégique, sont devenues pour presque un siècle les centres culturels du mouvement russe »[28]. Bien qu’après la répression de la révolution de 1848 Vienne soit revenue à son union avec la noblesse polonaise de la Galicie, les organisations culturelles et instructives russo-galiciennes créées pendant la révolution ont survécu et ont joué ultérieurement un rôle important dans le développement du mouvement russe en Galicie. Le congrès de l’intelligentsia russo-galicienne à Lvov en 1848 a décidé de favoriser la purification du « langage russo-galicien » des mots d’origine polonaise et son rapprochement avec la langue littéraire russe.

En ce qui concerne le mouvement ukrainien en Galicie, d’après les militants russo-galiciens, il a reçu un élan énorme en relation avec la préparation de l’insurrection polonaise de 1863. Les politiciens polonais, déjà convaincus du caractère contreproductif des mesures visant à la polonisation des Ruthènes galiciens et à leur intégration au sein du peuple polonais, entreprennent des tentatives de transformer les Ruthènes de Galicie en instrument de lutte contre la Russie. « Au début des années 1860, les préparations à l’insurrection polonaise de 1863 étaient en cours. Les agents polonais, désirant entraîner la jeunesse russo-galicienne dans la révolte, se sont mis à diffuser activement parmi eux l’idée de séparatisme petit-russe, écrivait Ossip Montchalovski. À ces fins, « Dziennik Literacki » et d’autres éditions polonaises publiés des poèmes petits-russes imprégnés de haine envers « Moskwa », c’est-à-dire la Russie, et regrettant le destin de la pauvre « Ukraine-Rus »... Le mouvement pro-ukrainien a considérablement accru après l’insurrection de 1863. Des foules d’émigrés polonais depuis la Russie ont afflué en Galicie, et, fait notable, ils étaient tous des pro-ukrainiens fervents »[29]. L’administration polonaise de la Galicie contribuait activement à l’emploi des émigrés polonais pro-ukrainiens dans les établissements publics, scientifiques et éducatifs locaux où ils essayaient d’influencer les esprits des jeunes Galiciens. Notamment, c’est à cette époque que l’opinion de François Duchiński commence à se répandre sur la différence fondamentale entre la Russie du Nord et du Sud et sur la nécessité pour les Petits-Russes de s’unir aux Polonais pour leur « libération ». Il est symbolique que c’est en 1863 qu’une des premières éditions pro-ukrainiennes a commencé à paraître – « Meta » (« but ») éditée par Xénophon Klimkovitch qui a immédiatement engagé la lutte contre les Galiciens russes. « Meta » a publié pour la première fois « le chant « L’Ukraine n’est pas encore morte » paraphrasant le chant polonais bien connu Jeszcze Polska nie zginela »[30]. Il est à noter que Doukhnovitch, Dobrianski, Pavlovitch et d’autres militants parmi les Ruthènes hongrois ont réagi de façon extrêmement négative aux tentatives de réformer l’écriture russo-galicienne et de créer une langue littéraire ukrainienne en les percevant comme un séparatisme dangereux. Ainsi, Adolf Dobrianski estimait que l’apparition d’une langue littéraire distincte chez les Petits-Russes était « une perfide trahison » non seulement du peuple russe, mais de tout le monde gréco-slave. D’après Dobrianski, « le séparatisme littéraire du Sud de la Russie pourrait entraîner la mort de certaines branches périphériques du Slavisme, affaiblirait son centre russe et deviendrait donc… l’avant-garde du germanisme dans sa lutte contre le monde gréco-slave »[31]. Dobrianski traitait la nouvelle langue littéraire créée en Galicie de « russo-polonaise » après laquelle, « le passage au polonais pur ne poserait plus guère de difficultés »[32].

Avec le temps, l’orientation pro-ukrainienne en Galicie s’est renforcée, provoquant l’augmentation du fossé culturel entre les Ruthènes de Galicie et des Carpates. Il est à noter que les tentatives des militants ukrainiens Vladimir Gnatiouk et Mikhaïl Dragomanov d’établir des contacts avec leurs « frères » au sud des Carpates à la fin du XIX siècle ont amené à un embarras décevant. Les militants ukrainiens déploraient une attitude fortement négative de la part des Ruthènes des Carpates[33]. Dans son œuvre « Ruthènes en Hongrie » publiée dans le journal tchèque Slovanský přehled en 1899, Vladimir Gnatiouk a constaté avec regret que les Ruthènes hongrois se distinguaient par leur position pro-moscovite, empêchant à son avis leur évolution nationale[34]. En décrivant l’intelligentsia russe des Carpates, Gnatiouk notait avec une certaine ironie que « les souvenirs les plus agréables de ces gens sont les histoires de la campagne de l’armée russe. Leurs yeux s’enflamment, leurs lèvres sourient, leurs visages s’éclaircissent… D’après leurs convictions, tous les Slaves doivent devenir des Russes »[35].

Avec l’invention de l’écriture phonétique ukrainienne par Panteleïmon Koulich (la soi-disant « koulichivka ») créée en opposition à l’écriture étymologique russe, les ingénieurs ethnoculturels autrichiens-polonais ont reçu un nouvel instrument efficace pour isoler l’écriture russo-galicienne de la langue littéraire russe et un moyen d’influencer l’auto-conscience de la population locale. On sait que Panteleïmon Koulich lui-même réagissait de façon très négative à l’utilisation de l’alphabet phonétique qu’il a créé par les polonais afin d’approfondir le fossé culturel et linguistique entre les Petits-Russes et les Grands-Russes. Dans sa lettre au militant éminent russo-galicien Bogdan Deditski en 1867 Koulich a déclaré franchement que, « voyant ce drapeau (la koulichivka) entre les mains de l’ennemi, je serais le premier à l’attaquer et je renoncerai à mon orthographe au nom de l’unité russe »[36]. Cependant les gérants du « projet ukrainien » en Galicie ont cherché à exploiter non seulement l’alphabet phonétique ukrainien inventé par Koulich, mais sa personne même en tant que figure d’autorité du mouvement ukrainien en Russie. Désirant faire de la Galicie orientale un centre du mouvement nationaliste ukrainien et le transformer en projet politique plutôt que culturel et linguistique, l’élite polonaise de la Galicie a proposé à Koulich de diriger l’édition de la presse ukrainienne en Galicie. En caractérisant l’état de la société polonaise dans la seconde moitié du XIX siècle, Adolf Dobrianski a remarqué à juste titre que « tous les fonctionnaires polonais, tous les professeurs, tous les instituteurs, même les prêtres se sont mis surtout à la philologie, et non masurienne ou polonaise, mais uniquement à notre philologie russe, pour créer, avec l’assistance de nos traîtres, une nouvelle langue russo-polonaise, de laquelle le passage au polonais pur ne poserait plus guère de difficultés »[37].

En 1881 Koulich a visité Lvov ou il a négocié avec les représentants de l’aristocratie polonaise, y compris R. et J. Czartoryski et le prince A. Sapieha, la publication du journal ukrainien « Khoutor » (« Ferme ») en Galicie et la transformation de Lvov en centre du mouvement ukrainien. Les magnats polonais ont proposé à Koulich des conditions financières très avantageuses. Ainsi, J. Czartoryski a promis d’allouer 14 000 florins à la publication de « Khoutor » et A. Sapieha, 6000 ; les grands propriétaires polonais se sont engagés à faire venir « Khoutor » dans leurs villages russes[38]. Mais, aussitôt conscient que les politiciens polonais voulaient l’utiliser comme instrument pour détruire l’unité panrusse, indigné par le transfert des monastères russes de Galicie aux jésuites, Panteleïmon Koulich a préféré quitter la Galicie et revenir en Russie[39].

Ainsi, ni Panteleïmon Koulich, créateur de l’alphabet phonétique ukrainien, ni l’historien célèbre Nikolaï Kostomarov, qui étaient à l’origine de la phase initiale culturelle du mouvement ukrainien n’ont pas voulu en faire une affaire politique et rompre avec l’idée de l’unité panrusse. On sait que Nikolaï Kostomarov, remarquant en 1863 « l’intention des politiciens polonais de profiter des humeurs pro-ukrainiennes pour les fins de l’insurrection et la tendance de certains Petits-Russes de tomber dans le panneau polonais », a proclamé solennellement « l’anathème à celui qui conçoit la séparation de l’Ukraine de la Russie »[40]. Mais ce que Nikolaï Kostomarov et Panteleïmon Koulich ont refusé de faire sera fait plus tard par Mikhaïl Grouchevski dont les œuvres historiques seront appelées à justifier les différences civilisationnelles profondes entre la Russie du Sud et du Nord. « La présente tendance pro-ukrainienne, écrivait  Ossip Montchalovski en 1898 en commentant l’évolution des militants ukrainiens, n’est pas la tendance noble et naturelle de Kostomarov, Chevtchenko et Koulich…, car avec le temps, sous l’influence de la politique hostile, mais ingénieuse des ennemis du peuple russe, l’humeur pro-ukrainienne, initialement pure et littéraire, exprimée par l’amour à sa langue maternelle, aux mœurs de la Russie du Sud, s’est transformée en sectarisme national et politique »[41].

Le renforcement des contradictions entre les galiciens russes et les pro-ukrainiens a été orchestré par l’administration polonaise de la Galicie en 1890 quand « après avoir préalablement consulté le gouverneur de la Galicie Kasimir Badeni et le métropolite Sylwester Sembratowicz, le député du Seimas galicien Ioulian Romantchouk a proclamé le projet d’un accord national avec les polonais sous le nom de « Nouvelle ère »[42]. Dans son programme présenté à la réunion du Seimas galicien du 13 (25) novembre 1890 Ioulian Romantchouk a proclamé exactement les dispositions que Badeni exigeait de lui. Les points principaux du programme de Romantchouk disaient que « nous, les Ruthènes, sommes un peuple indépendant, différent des peuples polonais et russe, et sur ce fondement nous souhaitons développer notre identité et notre langue. Nous sommes fidèles à la foi et la tradition gréco-catholique »[43]. En fait, ce programme signifiait la « renonciation aux liens des peuples avec le monde russe restant et séparait même les Petits-Russes uniates de la Galicie des Petits-Russes orthodoxes de la Bucovine, sans parler des Petits-Russes en Russie »[44]. Les représentants des Galiciens russes se sont opposés catégoriquement aux thèses de Romantchouk car elles niaient l’idée de l’unité panrusse qui était à la base de la conception du monde des Galiciens pro-russes. L’accord de la partie pro-ukrainienne des Galiciens avec les Polonais connu sous le nom de « Nouvelle ère » a été marqué par l’approfondissement de la scission civilisationnelle entre les Galiciens russes et les pro-ukrainiens qui s’appuyaient sur le soutien de Vienne et des Polonais galiciens. En conséquence, le « Club russe » au sein du Seimas galicien, précédemment uni, s’est divisé, « dans toute la Galicie, une lutte acharnée des partis a commencé… En même temps tous qui se sont opposés au « programme » se sont retrouvés harcelés ».[45]

La proclamation de la « Nouvelle ère » a servi de préparation idéologique pour l’attaque contre les Galiciens russes et la langue littéraire russe en Galicie. À partir de 1892, l’orthographe phonétique (la « koulichivka ») a été introduite dans les écoles de Galicie au lieu de l’écriture étymologique traditionnelle pour les Ruthènes et adoptée en Russie avant la révolution, grâce à laquelle les Ruthènes pouvaient lire librement les livres publiés en Russie. Mais l’introduction de l’orthographe phonétique en Galicie s’est heurtée à de grandes difficultés. Ainsi, l’édition de l’intelligentsia russo-galicienne « Galitchanin » à Lvov annonçait avec ironie en février 1893 que le journal des Galiciens pro-ukrainiens « Dilo » (« Affaire »), tout en critiquant vivement les défenseurs de l’orthographe étymologique traditionnelle et se prononçant en faveur de la phonétique, quand même, « employait l’écriture étymologique dans ses colonnes »[46].

L’introduction officielle de la phonétique a déclenché la campagne de poursuite de la langue littéraire russe. Ainsi, « on a interdit aux élèves du Séminaire théologique de Lvov de l’apprendre, les élèves se sont vu confisquer les livres écrits en langue littéraire russe, les sociétés d’étudiants « Bucovine » à Tchernovtsy et « Cercle académique » à Lvov ont été fermées »[47]. Les hiérarques de l’église gréco-catholique de la Galicie ont aussi participé activement à la lutte contre la langue littéraire russe, y compris le métropolite Sylwester Sembratowicz, « humble serviteur du comte Kasimir Badeni »[48]. C’est Sembratowicz qui a été « à l’origine de la publication de l’épître pastoral interdisant au clergé et aux laïques de faire venir et de lire l’édition du parti russe « Russie rouge », a enlevé les insignes et les privilèges de doyens à beaucoup de prêtres qui n’ont pas accepté le soi-disant « programme de la nouvelle ère »[49]. Les persécutions ont concerné également les Galiciens russes au service du gouvernement. D’après Montchalovski, « celui qui voulait se distinguer ou corriger sa réputation aux yeux des dirigeants, atteignait son but en dénonçant un collègue appartenant au parti russe… »[50]. Depuis les années 1890 les déformations de l’histoire par les militants ukrainiens de la Galicie se sont renforcées, concernant toute la sphère publique depuis l’éducation jusqu’à la presse. Les publicistes russo-galiciens notaient à cet égard le contenu ouvertement tendancieux des manuels petits-russes pour les écoles galiciennes, notamment le fait que les Galiciens pro-ukrainiens « évitent tout ce qui pourrait déplaire aux politiciens polonais et n’hésitent même pas à corriger leur idole Taras Chevtchenko »[51].

Les persécutions du mouvement russo-galicien en Galicie après la proclamation du « programme de la nouvelle ère » en 1890 sont devenues la répétition générale des répressions massives qui ont frappé les Galiciens pro-russes pendant la Première guerre mondiale au cours de laquelle des manifestations de génocide ouvert des Ruthènes de Galicie et de la Rus hongroise ont eu lieu. Prévoyant les cataclysmes à venir et caractérisant l’ambiance en Galicie dans les années 1890, l’édition de l’intelligentsia russo-galicienne « Galitchanin » à Lvov écrivait en janvier 1893 que « depuis que le gouvernement regarde la Galicie d’un œil particulièrement attentif en tant que base des opérations militaires, nous, la Rus, sentons sur nous des opérations d’une autre sorte, à savoir, la tendance systémique au dépeuplement (i.e. dénationalisation – K.Ch.) de la population russe »[52].

L’approfondissement de la scission entre les Galiciens russe et pro-ukrainiens après l’adoption du « programme de la nouvelle ère » est devenu le témoignage du passage définitif du mouvement ukrainien de sa phase « ethnographique et littéraire » sur le trajet politique soigneusement préparé par Vienne et l’administration polonaise de la Galicie. L’élément clé pour la construction de l’identité ukrainienne en Galicie était la défiguration systémique de toute l’histoire de la Galicie Volhynie depuis le Moyen Âge jusqu’au ХХ siècle en faveur de la conjoncture politique dictée par l’administration polonaise et autrichienne de la Galicie. À cet égard, la caractéristique du nationalisme ukrainien par un des leaders du mouvement russo-galicien Ossip Montchalovski comme une « dérogation à la langue et la culture séculaires, élaborées par toutes les branches du peuple russe » et la « «renonciation aux sources authentiques de son peuple »[53] s’avère tout à fait correcte et toujours actuelle de nos jours.

 

***

 

[1] Федевич К.К. Украинцы и не только. Особенности национального самосознания украинцев Восточной Галиции в 1920-1930-е годы // Славяноведение. 2014. № 5. P. 3.

[2] Ibid. P. 5.\

[3] О.А.Мончаловскiй Главныя основы русской народности. Львовъ: Типографiя Ставропигiйскаго Института. 1904. P. 17-18.

[4] О.А.Мончаловскiй Литературное и политическое украинофильство. Львовъ: Типографiя Ставропигiйскаго Института. 1898. P. 187.

[5] Ibid.

[6] Ibid. P. 185.

[7] Д.Н.Вергун Что такое Галиция? Петроград. 1915. P. 13.

[8] Voir John A. Armstrong Ukrainian Nationalism. Third Edition. Englewood, Colorado. 1990. P. 14.

[9] О.А.Мончаловскiй Главныя основы русской народности. Львовъ: Типографiя Ставропигiйскаго Института. 1904. P. 10.

[10] К.Крамарж В защиту славянской политики. Прага – Париж, 1927. P. 14.

[11] Н.М.Пашаева Очерки истории русского движения в Галичине XIX-XX вв. Москва. 2007. P. 7.

[12] О.А.Мончаловскiй Святая Русь. Львовъ: Из типографiи Ставропигiйскаго Института. 1903. P. 27.

[13] Д.Н.Вергун Что такое Галиция? Петроград. 1915. P. 22.

[14] О.А.Мончаловскiй Святая Русь. Львовъ: Из типографiи Ставропигiйскаго Института. 1903.. P. 47.

[15] О.А.Мончаловский Литературное и политическое украинофильство. Львовъ: Типографiя Ставропигiйского Института. 1898. P. 168.

[16] Ibid. P. 169.

[17] A.Miller The Ukrainian Question. The Russian Empire and Nationalism in the Nineteenth Century. Budapest – New York. 2003. P. 22.

[18] Т.Байцура Закарпатоукраинская интеллигенция в России в первой половине XIX века. Словацьке педагогiчне видавництво в Братiславi. 1971. P. 168.

[19] Н.М.Пашаева Очерки истории русского движения в Галичине XIX-XX вв. P. 39.

[20] Письма к Вячеславу Ганке из славянских земель. Издал В.А Францев. Варшава: Типография Варшавского Учебного Округа. 1905. P. 389.

[21] M.Daniš, V. M.F.Matula Rajevskij a Slováci v 19 storočí. Bratislava. 2014. S. 14.

[22] О.А.Мончаловскiй Святая Русь. P. 87.

[23] О.А.Мончаловский Литературное и политическое украинофильство. P. 33.

[24] Ibid.

[25] О.А.Мончаловскiй Святая Русь. P. 90.

[26] Ibid.

[27] Ibid. P. 91.

[28] Н.М.Пашаева Очерки истории русского движения в Галичине XIX-XX вв. P. 34.

[29] О.А.Мончаловскiй Литературное и политическое украинофильство. P. 71, 74.

[30] Ibid. P. 75.

[31] Ф.Ф.Аристов Карпато-русские писатели. Москва. 1916. P. 147-235.

[32] А.И.Добрянский О современном религиозно-политическом положении австро-угорской Руси. Москва. 1885. P. 12.

[33] Voir P.R.Magocsi The Shaping of а National Identity. Subcarpathian Rus, 1848-1948. Harvard University Press, 1978. P. 60-63. 

[34] Hnat’uk V. Rusíni v Uhrách // Slovanský přehled. 1899. Ročník I. S. 220.

[35] Ibidem.

[36] О.А.Мончаловскiй Литературное и политическое украинофильство. P. 78.

[37] А.И.Добрянский О современном религиозно-политическом положении австро-угорской Руси. P. 12.

[38] О.А.Мончаловскiй Литературное и политическое украинофильство. P. 79-80.

[39] Ibid. P. 80.

[40] Ibid. P. 181.

[41] Ibid. P. 24.

[42] Н.М.Пашаева Очерки истории русского движения в Галичине XIX-XX вв. P. 80.

[43] О.А.Мончаловскiй Литературное и политическое украинофильство. P. 83.

[44] Ibid.

[45] Ibid.

[46] Галичанинъ. Львов, 4 (16) лютого 1893. Ч. 25.

[47] Н.М.Пашаева Очерки истории русского движения в Галичине XIX-XX вв. P. 81.

[48] О.А.Мончаловскiй Литературное и политическое украинофильство. P. 83.

[49] Ibid. P. 84.

[50] Ibid. P. 85.

[51] Ibid. P. 160-161.

[52] Галичанинъ. Львов, 8 (20) сичня 1893. Ч. 4.

[53] О.А.Мончаловскiй Главныя основы русской народности. Львовъ: Типографiя Ставропигiйскаго Института. 1904. P. 10.