Conférence de presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, suite à la semaine de haut niveau de la 76e session de l'Assemblée générale de l'Onu, New York, 25 septembre 2021
Question (traduite de l'anglais): Quels risques et opportunités représente le nouvel "Émirat islamique d'Afghanistan" créé par les talibans? La Russie craint-elle que la présence des talibans soit susceptible de nourrir l'extrémisme islamique dans la région? Si oui, quelles actions seraient envisageables?
Sergueï Lavrov: Tout le monde entend parler de l'Afghanistan. Nous estimons, et ce depuis le début, que tous ces événements constituent une réalité. Malheureusement, le retrait précipité - pour ne pas dire plus - des troupes des États-Unis et d'autres pays de l'Otan a été effectué sans aucune réflexion concernant les répercussions possibles, notamment le fait qu'il reste actuellement beaucoup d'armes en Afghanistan. Nous devons visiblement tous garantir que ces armes ne soient pas utilisées à des fins non constructives.
La réalité actuelle du pays se base sur les propos des talibans qui ont annoncé leur volonté de combattre l'extrémisme et le terrorisme - y compris Daech et Al-Qaïda - et de ne pas projeter l'instabilité sur les pays voisins. Ils ont également promis de respecter les droits des femmes et de former un gouvernement inclusif. Vous savez tout cela. L'essentiel est aujourd'hui que toutes ces promesses soient tenues.
Le premier pas, la formation d'une structure gouvernementale provisoire, ne reflète pas tout l'éventail de la société afghane d'un point de vue ethnique, religieux ou politique. Nous maintenons nos contacts avec les talibans. Ils existent depuis des années. Nous le faisons notamment dans le cadre de la troïka élargie réunissant la Russie, les États-Unis, la Chine et le Pakistan. Des représentants de la Russie, de la Chine et du Pakistan se sont récemment rendus à Doha et à Kaboul pour s'entretenir avec les talibans et des responsables du pouvoir laïc. Je parle de l'ancien président Hamid Karzai et de l'ancien chef du Conseil de réconciliation nationale Abdullah Abdullah. L'entretien a principalement porté sur la nécessité de former une structure gouvernementale réellement représentative. Les talibans affirment qu'ils envisagent d'atteindre cet objectif et que le gouvernement actuel est provisoire. L'essentiel est d'assurer la mise en œuvre de leurs promesses publiques. Notre priorité principale, que vous venez de mentionner, est d’empêcher à tout prix la propagation de l'extrémisme vers les pays voisins et le maintien de menaces terroristes sur le territoire afghan. Nous soutiendrons par tous les moyens la résolution des talibans à combattre Daech et les autres groupes terroristes, ferons en sorte d'assurer qu'elle se traduise en actions pratiques.
Question: La Russie étudie-t-elle un assouplissement ou une levée des sanctions nationales contre les talibans qui font partie du nouveau gouvernement afghan, afin de faciliter les contacts? Quelle sera la position russe dans les débats sur l’assouplissement ou la levée des sanctions contre les talibans à l'Onu?
Sergueï Lavrov: La situation actuelle ne limite pas, n'empêche pas, nos contacts avec les talibans. Qui plus est, les sanctions du Conseil de sécurité de l'Onu, formulées dans les résolutions correspondantes, n'interdisent pas les contacts de ce genre. Au contraire, les résolutions du Conseil de sécurité de l'Onu stipulent qu’il est nécessaire de promouvoir le processus politique, ce qui est impossible sans travailler avec les talibans.
Nos contacts, que nous maintenons depuis des années avec ce mouvement, visent tout d'abord à assurer la sécurité des citoyens russes, à favoriser la réconciliation afghane et le processus politique. À ce que je sache, personne n'a évoqué au Conseil de sécurité la nécessité d'examiner un assouplissement ou une levée des sanctions internationales au cours d'une réunion future. Les objectifs de notre travail actuel avec les talibans ne l'exigent pas.
Nous tous attendons des talibans la mise en œuvre de leurs promesses justes. Ensuite, nous vérifierons si les menaces terroriste et narcotique ont en effet été éliminées sur le territoire afghan.
Question (traduite de l'anglais): Le secrétaire général de l'Onu a averti des répercussions catastrophiques que pourrait avoir l'effondrement de l'économie afghane. Que pensez-vous de l'idée de "dégeler" les fonds afghans détenus par des structures internationales?
Selon vos propos, vous envisagez de juger les talibans sur leurs actions. Quelle est la différence entre l'idéologie des talibans et celle d'autres groupes islamistes dans d'autres régions du monde, notamment des groupes syriens que vous bombardez?
Sergueï Lavrov: Comme vous le savez, il existe en Syrie un "nœud terroriste". Pratiquement tout le territoire syrien a été libéré, mais il reste la province d'Idleb où, dans la zone dite de "désescalade", c'est Hayat Tahrir al-Cham, créature du Front al-Nosra, qui donne le la. Toutes les décisions du Conseil de sécurité de l'Onu soulignent clairement la nature de ces organisations terroristes. Je ne vois donc rien de problématique dans l'élimination des terroristes en Syrie.
Nous poursuivons le dialogue avec nos partenaires turcs qui ont signé avec nous il y a deux ans un accord spécial soulignant qu'ils combattraient les terroristes dans la zone de désescalade d'Idleb et feraient une distinction entre les extrémistes et les groupes armés n'étant pas terroristes et coopérant avec les militaires turcs. Une nouvelle rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdogan devrait se dérouler dans quelques jours. Ils évoqueront concrètement la mise en œuvre de cet engagement. Cette dernière est lente. C'est évident.
En ce qui concerne la différence entre les talibans et les autres groupes, nous ne pouvons pas diviser les terroristes en bons et mauvais. Les sanctions introduites contre les talibans contiennent suffisamment d'exceptions, qui permettent notamment de dialoguer avec le mouvement. Cela signifie que le Conseil de sécurité de l'Onu reconnait les talibans comme faisant partie intégrante de la société afghane, ce qui ne concerne pas le Front al-Nosra ou Hayat Tahrir al-Cham en Syrie. C'est la différence.
Nous appellerons ceux qui ont pris le pouvoir à Kaboul après la fuite des contingents étrangers à se comporter de manière civilisée.
Nous avons déjà évoqué le "dégel" des fonds. Il est nécessaire, à notre avis, d'examiner cette question d’un point de vue pratique, en se basant sur les positions que vous venez de mentionner en citant le secrétaire général de l'Onu.
Question: Le gouvernement des talibans a choisi ses candidats pour le poste d'ambassadeur afghan à Moscou. La Russie sera-t-elle prête à accorder son agrément à l’un des candidats avancés par les talibans?
Sergueï Lavrov: Nous n'avons pas d'informations indiquant que quelqu'un nous aurait demandé un agrément. L'ambassadeur nommé par le gouvernement précédent travaille toujours à Moscou. Personne ne pose actuellement la question de la reconnaissance internationale des talibans. Nous nous laisserons guider par ce principe si nous recevons, à un certain moment, une demande de nomination d'un nouvel ambassadeur.
Question: Nous avons entendu l'intervention du président américain Joe Biden. Il a proclamé la fin de l'époque des guerres et le début de celle de la diplomatie intensive. Est-ce crédible, à votre avis?
Qu'en est-il de notre propriété diplomatique? Y a-t-il un progrès?
Des membres de la délégation russe ont fait face à des problèmes de visas, et il existait un risque qu'elle puisse être interdite d'accès à l'Assemblée générale de l'Onu en raison des exigences de vaccination. S'agit-il de tentatives de créer des obstacles partout où cela est possible?
Sergueï Lavrov: Je ne pense pas que l'on tente de créer des obstacles. Il s'agit probablement d'une légère confusion liée à la reprise des réunions régulières de l'Assemblée générale de l'Onu. Je ne peux pas en vouloir aux autorités de New York pour leur volonté d'adopter des mesures de protection supplémentaires. Il s'agit d'un événement sérieux. Il y a ici beaucoup de personnes venues du monde entier. Il existe déjà plusieurs variants du virus. Des mesures préventives sont donc absolument nécessaires.
En même temps, comme vous l'avez justement indiqué, nous n'acceptons pas les tentatives de discriminer les vaccins qui n'ont pas été certifiés aux États-Unis mais ont déjà prouvé leur efficacité à plusieurs reprises. Cela concerne notamment le Spoutnik V. Plusieurs pays de l'UE - par exemple la Hongrie et la Slovaquie - ont certifié nos vaccins. C'est un modèle pour les autres membres de l'UE et de l'Alliance atlantique.
En ce qui concerne les visas de la délégation russe, leur octroi était lié non seulement à la situation épidémiologique, mais aussi à un certain retard motivé par des raisons politiques. Nous avons clairement constaté ce dernier. Plusieurs de nos employés n'ont pas encore obtenu leurs visas. Cela concerne également des parlementaires russes inclus dans la délégation. Nous demanderons au Secrétariat de l'Onu de mettre en œuvre tous les engagements fixés par l'accord entre l'Onu et le pays hôte de son siège, les États-Unis. Nous constatons beaucoup de problèmes liés à des violations grossières de cet accord et des obligations du pays hôte, ce qui concerne notamment l'expropriation de la propriété diplomatique que vous avez mentionnée. Le Comité de l'Assemblée générale pour les relations avec le pays hôte a déjà qualifié ce comportement d'inacceptable et d'injuste. Le Secrétaire général aurait dû lancer il y a plusieurs années une procédure d’arbitrage sur ces actions des États-Unis. Nous nous sommes entretenus hier et je lui ai rappelé ce fait. Heureusement, son conseiller juridique Miguel de Serpa Soare, qui doit lancer les initiatives dans ce domaine, était présent à notre rencontre. Car il y a un retard considérable.
Le président américain Joe Biden a dit que les États-Unis n'utiliseraient plus jamais la force afin de changer l'ordre dans d'autres pays. "Ne dis jamais jamais". Tout le monde sait que l'administration de Donald Trump a quitté l'accord sur le nucléaire iranien, signé par l'administration de Barack Obama. Aujourd'hui, à l’heure où l’on négocie le rétablissement complet du plan d'action sur le règlement de la situation du nucléaire iranien, les Iraniens posent cette question aux Américains: serait-il possible d'inclure dans le rétablissement du plan une clause statuant son respect absolu par les futures administrations américaines? Les Américains répondent que c'est impossible en raison de leur système qui est, visiblement, indépendant du droit international.
Le président américain Joe Biden a annoncé le début de l’ère de la "diplomatie intensive". Cela signifie que les États-Unis utiliseront d'autres moyens afin de tenter d'aménager la vie d'autres pays conformément aux normes américaines. Notamment via des révolutions de couleur. Elles ne font pas partie de méthodes musclées mais sont aussi dévastatrices: regardez la Libye, l'Irak, la Syrie ou l'Ukraine, notre voisine.
Nous voudrions que les États-Unis fassent un pas supplémentaire et s'engagent à non seulement ne pas utiliser la force pour changer d'autres pays, mais aussi à renoncer à tous les agissements de ce genre. Il leur faut reconnaître que tous les pays sont différents. Nous avons différentes racines culturelles et civilisationnelles. Mais nous nous trouvons tous sur la même planète. Il faut faire preuve de respect mutuel.
Question: Selon nos informations, on prépare activement une visite de la sous-secrétaire d'État Viktoria Nuland à Moscou. À quelle étape se trouvent actuellement ces négociations? À quelle date aura lieu la visite? Qu'est-ce que Moscou attend en échange de cette levée temporaire des restrictions visant une personne figurant sur une "liste noire" russe?
Sergueï Lavrov: Si vous avez telles sources d'information, posez ces questions à ceux qui vous ont transmis ces informations. Nous préparons tout un nombre de contacts au niveau du Ministère russe des Affaires étrangères et du Département d'État américain. Ce n'est pas le seul domaine évoqué.
Nous partons du principe que si les deux pays s'entendent sur la date et le sujet des contacts, ils feront une annonce à ce sujet.
Question (traduite de l'anglais): Je voudrais poser une question sur le Plan d'action global commun. Le Secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré qu'il fallait agir plus vite, que le temps s'écoulait. Le Ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian a déclaré hier qu'ils étaient prêts. Ils reçoivent manifestement des signaux contradictoires des États-Unis, mais un accord devrait être trouvé bientôt. Vous avez participé à la signature de cet accord. Pouvez-vous supposer, en tant qu'acteur des négociations, ce qui arriverait si les États-Unis ne revenaient pas dans le cadre de l'accord et si l'Iran continuait de développer son programme nucléaire? Quel serait le pire des scénarios?
Sergueï Lavrov: L'Iran ne fait rien d'interdit parce qu'il respecte le Traité de non-prolifération et le protocole additionnel à l'accord sur les garanties. Actuellement, si l'Iran ne respecte pas la majorité de ses engagements dans le cadre du Plan d'action, c’est parce qu’ils ne sont plus en vigueur aujourd'hui du fait que les Américains ont détruit cet accord.
Les discussions portent sur son rétablissement à part entière. Dans ce cas, l'Iran n'aurait aucune raison de faire des exceptions dans ses engagements. L'AIEA, notamment son Directeur général, est en contact avec les Iraniens. Ils possèdent un tableau complet de la situation sur place. Leur accès aux travaux menés par l'Iran dans le cadre de son programme nucléaire n'est pas bloqué. L'AIEA n'a aucune raison de penser que la conclusion tirée en 2015 sur l'absence de signes de réorientation du programme nucléaire pour des besoins militaires a changé. Ils n'ont aucune raison de revoir cette conclusion. Ils le disent clairement.
Bien évidemment, nous voulons que les négociations sur la reprise à part entière du Plan d'action reprennent au plus vite. Mais, premièrement, le gouvernement iranien vient d'être constitué. Ils disent avoir besoin d'une semaine ou deux (pas plus, j'espère), pour former leur équipe de négociateurs. Des changements ont eu lieu. Deuxièmement, quand les États-Unis se sont retirés du Plan d'action, l'Iran a tenu pendant plus d'un an ses engagements conformément à ce document en attendant que les États-Unis reviennent à la raison et à cet accord. N'importe qui peut dire aujourd'hui que le temps est écoulé, mais certainement pas Washington. Certes, c'était le fait de l'ancienne administration, mais c'est un héritage reçu par l'administration actuelle qui, justement, a participé à la rédaction du Plan d'action. Une raison de plus pour s'occuper plus activement du règlement de tous les problèmes associés à cela.
Il existe un autre sujet: les sanctions décrétées illégalement par les Américains contre l'Iran pour leur prétendue violation du Plan d'action. Mais ces sanctions ne concernent pas seulement l'Iran. Ils ont imposé des sanctions à tous ceux qui commerçaient légalement avec l'Iran, notamment dans le domaine du matériel militaire n'étant plus frappé d’interdiction. Ces sanctions doivent être levées dans le cadre de la reprise du Plan d'action. Et aucun partenaire commercial de l'Iran, dans tous les domaines des échanges, ne doit être touché par ce geste unilatéral américain.
Question (traduite de l'anglais): L'économie iranienne serait-elle menacée d’effondrement si le Plan d'action n'était pas rétabli?
Sergueï Lavrov: Nous n’étudions même pas de tels scénarios. Nous avons grand espoir - et un optimisme réfléchi - de pouvoir déboucher sur un résultat. Du moins, tout le monde le souhaite, y compris les États-Unis et l'Iran.
Question (traduite de l'anglais): La situation dans le Nord-Ouest de la Syrie s'est aggravée après que la Russie a renforcé les frappes aériennes dans cette région au cours des dernières semaines. Cela se déroule à l’approche de l'entretien entre le Président russe Vladimir Poutine et le Président turc Recep Tayyip Erdogan. La Russie prévoit-elle suspendre les attaques en prévisions du sommet?
A-t-il été possible de trouver un accord ou un consensus sur la situation à l'Est de l'Euphrate après les pourparlers à Genève entre le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Verchinine et Brett McGurk, coordinateur au Moyen-Orient du Conseil de sécurité nationale des États-Unis?
Sergueï Lavrov: Nous utilisons la force au Nord-Ouest de la Syrie conformément aux exigences de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies ordonnant de lutter sans compromis contre le terrorisme sur le sol syrien.
J'ai mentionné que le Président russe Vladimir Poutine et le Président turc Recep Tayyip Erdogan avaient passé un accord spécial sur Idleb. Nos collègues turcs se sont engagés à faire la distinction entre les opposants normaux, raisonnables, d’une part, et les terroristes de l’autre. Cela aurait dû être fait il y a longtemps. Mais rien n’a été entrepris. Le progrès est lent, et les menaces terroristes émanant des bandits de la zone de désescalade d'Idleb se renouvellent constamment. Ces individus attaquent les positions de l'armée syrienne et ont tenté plusieurs fois de lancer des drones d'attaque contre notre base aérienne de Hmeimim.
Nos amis turcs savent parfaitement que nous ne nous résignerons pas à un tel comportement et à une telle attitude de ces bandits envers le rôle joué par les militaires turcs dans la zone de désescalade d'Idleb. Nous discuterons objectivement dans le contexte de la préparation de la rencontre entre les deux présidents. Au sommet du 29 septembre, l'une des questions centrales sera de savoir comment nous pouvons réaliser notre entente et empêcher les terroristes de "mener la danse".
En ce qui concerne les contacts avec les États-Unis concernant l'Est de l'Euphrate, ils sont organisés périodiquement. Nous attirons l'attention sur le caractère illégitime de la présence des États-Unis sur le territoire syrien, sur la situation révoltante de la zone d'al-Tanf (55 km de rayon) qu'ils ont occupée, et sur la situation sur le territoire du camp de Roukban contrôlé par les Américains. C'est une longue histoire.
Les contacts noués au niveau des ministères des Affaires étrangères et des conseils de sécurité portent principalement sur le fait que les Américains s'y trouvent illégalement, illégitimement, mais y sont présents. C'est la réalité. Compte tenu de leur aspiration à tirer à volonté avec toutes les armes, nous nous entendons avec eux sur ce qu'on appelle un mécanisme de désescalade. Il fonctionne. Je souligne qu'il fonctionne malgré les interdictions juridiques des contacts au niveau des militaires décrétées par le Congrès américain. Récemment, la direction du Comité unifié des chefs d'état-major des États-Unis a publiquement déclaré que c'était déraisonnable et qu'il fallait lever les restrictions sur les contacts au niveau des militaires. Je pense que cela profitera non seulement à la désescalade en Syrie, mais également au développement de notre dialogue sur les problèmes liés à l’armement dans l'ensemble.
Question (traduite de l'anglais): La Turquie a exprimé sa préoccupation quant à la participation des habitants de la Crimée aux récentes législatives russes. Et ce malgré l'aide humanitaire accordée par la Russie à la Turquie pour lutter contre la pandémie de coronavirus, ainsi que la coopération militaro-technique. Que pouvez-vous dire sur un tel déséquilibre dans les relations bilatérales?
Sergueï Lavrov: La Turquie n'est pas la seule à avoir dit être "préoccupée" et à "condamner" le vote en Crimée. J'explique ce "brouhaha" par deux choses. Premièrement, il y a cinq ans, pendant les précédentes législatives, personne n'avait fait de telles déclarations. Du moins pas d'une manière aussi résonnante. Je m'en serais rappelé du moins, mais ce n'était pas le cas.
Maintenant, certains se sont accrochés au "dossier criméen", notamment avec la réunion fébrile de ce qu'on appelle la "Plateforme de Crimée" à Kiev, le brouhaha concernant le vote. Je pense que c'est une tentative de détourner l'attention de l'échec honteux des autorités de Kiev, Président Zelenski en tête, de leurs engagements pris dans les Accords de Minsk pour mettre un terme au conflit intérieur ukrainien dans l'est du pays. C'est évident. Des lois sont adoptées pour interdire d'accorder un statu quo au Sud-Est de l'Ukraine, comme l'exigent les Accords de Minsk.
Nous avons attiré l'attention des collègues allemands et français, de l'UE, sur le fait que leurs "clients" tirent un trait sur les décisions du Conseil de sécurité des Nations unies, parce que c'est ce dernier qui a approuvé les Accords de Minsk. Malheureusement, ils baissent tous honteusement les yeux. Et pendant ce temps, le Président Zelenski a compris qu'il devait détourner l'attention de son propre échec, du sabotage des Accords de Minsk. C'est pourquoi ils ont commencé à utiliser le "dossier criméen".
La seconde raison pour laquelle ils agissent ainsi est leur manque de professionnalisme diplomatique. Les professionnels savent parfaitement que la question relative à la Crimée est close une bonne fois pour toutes.
Question (traduite de l'anglais): La France et d'autres pays européens ont exprimé leur préoccupation vis-à-vis de la présence de militaires russes "sous contrat" au Mali. Quelle est la position de Moscou à ce sujet?
Sergueï Lavrov: J'ai entendu ces questions. Elles m'ont été posées par le Ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et le Haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell.
Un gouvernement de transition est actuellement en place au Mali. Il s'efforce de revenir à une vie dans le cadre constitutionnel, de préparer les élections et de revenir à une forme de gouvernance civile. Les élections sont prévues pour février et se dérouleront sous l'égide de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et de l'Union Africaine.
Le gouvernement de transition du Mali souligne son attachement aux engagements internationaux, et lutte contre le terrorisme. Il s'est adressé à une société militaire privée russe parce que, si je comprends bien, la France souhaite réduire significativement son contingent militaire qui se trouvait dans le pays et devait combattre les terroristes retranchés au Nord dans la région de Kidal. Mais ils n'ont rien pu faire et les terroristes continuent d'y "mener la danse".
Puisque les autorités maliennes ont jugé leurs propres capacités insuffisantes sans soutien extérieur, réduit par ceux qui s'étaient engagés à les aider à éradiquer le terrorisme, elles se sont adressées à une société militaire privée russe. Nous n'avons rien à voir avec cette décision. Cette activité se déroule dans un cadre légal et concerne avant tout les relations entre le pays d'accueil - c'est le gouvernement légitime reconnu par tous en tant que structure de transition - d'une part, et ceux qui proposent leurs services de spécialistes étrangers de l’autre.
Je souligne qu'au niveau de l'État (pas des sociétés militaires privées) nous apportons également une contribution au renforcement de la capacité défensive du Mali, de son opérationnalité pour éradiquer les menaces terroristes et d’autres, en fournissant du matériel militaro-techniques à titre d'aide. Dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies, nous participons à l'élaboration d'approches optimales pour poursuivre les efforts de maintien de la paix.
Je ne vois aucune raison de remettre cela en question. Le Ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale Abdoulaye Diop, que j'ai rencontré hier, a parlé aux journalistes à ce sujet. Cela ne suscite aucune question. Il vaut mieux parler d'autre chose. Nos collègues de l'UE, comme me l'a dit Josep Borrell, nous demandent de "ne pas travailler du tout" en Afrique parce que "c'est leur place". Il serait préférable de synchroniser les actions de l'UE et de la Fédération de Russie en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme non seulement au Mali, mais également dans la région du Sahara-Sahel dans l'ensemble. Dire "nous étions les premiers ici, vous devez partir", premièrement, est insultant pour le gouvernement de Bamako, qui a invité les partenaires extérieurs, et deuxièmement, ce n'est certainement pas une manière de parler à qui que ce soit en général.
Question: À la veille des législatives russes, le Parlement européen a adopté une résolution appelant la Commission européenne à ne pas reconnaître les résultats du vote russe. En avez-vous parlé avec le Haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell? L'UE reconnaît-elle les résultats des législatives russes?
Sergueï Lavrov: Nous n'avons entendu aucun avis de la part de l'UE en tant que telle, parce que le Parlement européen n'est pas une structure qui détermine la politique de l'UE. J'en ai parlé avec Josep Borrell. J'ai cité quelques avis exprimés pendant son discours au Parlement européen, notamment les déclarations absolument inadmissibles selon lesquelles l'UE fait une distinction entre le "régime" de Moscou et le peuple russe.
Il s’est justifié maladroitement et indistinctement. On voyait qu'il comprenait que c'était, pour le moins, une mauvaise phrase. J'espère que c'était seulement une phrase, pas une pensée. Il arrive parfois qu'un mot échappe, puis qu’on le regrette.
Nous n'avons aucune information selon laquelle qui que ce soit réfuterait officiellement les résultats de nos élections, qui viennent d'être annoncés.
Question: La France appelle à vérifier si l'accord entre les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni pour la vente de technologies de sous-marins nucléaires est conforme au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Quelle est votre opinion à ce sujet? Que pensez-vous de cette nouvelle troïka qui fait tellement de bruit et contredit les accords de partenariat de l'Otan et d'autres textes?
Sergueï Lavrov: Cet événement, survenu immédiatement après la fuite d'Afghanistan, suscite inévitablement des questions chez les membres de ces alliances. La France, probablement, est non seulement offensée d'un point de vue commercial, mais réfléchit aussi à la fiabilité de ces unions et à l'actualité des débats sur l'autonomie stratégique de l'Europe. Il s'agit de questions majeures pour le "camp occidental", qui doivent être résolues.
Nous n'avons aucune envie de nous ingérer dans ces affaires, mais nous pourrions ressentir les répercussions de ces événements. Cela pourrait influer sur nos relations avec l'Union européenne, pourrait pousser l'UE vers la coopération avec la Russie en utilisant les avantages géopolitiques et géostratégiques évidents de notre présence sur le même continent gigantesque, notamment dans le contexte du déplacement du centre de développement mondial vers l'Asie.
Nous l'avons évoqué avec beaucoup de mes interlocuteurs qui représentaient ici l'Union européenne et n'appréciaient pas ces évolutions. D'autant plus si l'UE affirme qu'elle nous "repoussera, contiendra et impliquera". J'ai demandé à Josep Borrell des précisions sur cette "implication". Savez-vous ce qu'il m'a répondu? "Quittez le Mali". C'est le sens de cette politique, de cette troïka. C'est sa valeur réelle. Je le dis ouvertement. Je ne pense pas que je viole des normes éthiques car ils en parlent eux-mêmes. Je cite tout simplement des exemples reflétant leur mode de pensée.
Cette question est activement débattue "dans les couloirs" à Vienne du point de vue du Traité sur la non-prolifération. L'AIEA est responsable du régime de non-prolifération et de l'absence de la composante militaire de ces activités. Les sous-marins ont besoin d'uranium enrichi à 90%. D’uranium militaire. Nous serons probablement obligés de demander une expertise à l'AIEA.
Nous avons constaté il y a dix ans des tentatives similaires d'un pays non-nucléaire de créer des sous-marins de ce type. Ce projet a été annulé, ce qui a donc levé cette question. Aujourd'hui, l'accord a été conclu. Si l'AIEA confirmait que tout est correct du point de vue de la protection des technologies et de l'absence de composante militaire, il aurait beaucoup de clients potentiels pour des submersibles de ce type.
Question (traduite de l'anglais): À la veille de la semaine de haut niveau, le Secrétaire général de l'Onu Antonio Guterres a averti que le monde pourrait être impliqué dans une nouvelle "guerre froide" très dangereuse si les États-Unis et la Chine ne normalisaient pas leurs relations, entièrement effondrées à l’heure actuelle. Il a appelé à éviter à tout prix une nouvelle confrontation et a averti qu'elle serait plus dangereuse que la Guerre froide entre l'URSS et les États-Unis, et qu'il serait bien plus difficile de surmonter ses conséquences. Quelle est la réaction de la Russie à de telles déclarations?
Sergueï Lavrov: Ne pensez pas que ce problème nous était inconnu avant que le Secrétaire général de l'Onu Antonio Guterres ne le pointe. Nous voyons comment la tension monte dans les relations entre la Chine et les États-Unis. Nous savons qui joue le "premier violon" dans cette évolution assez désagréable de la situation. Cela nous inquiète. Aucune méthode conflictuelle ne contribue à ce que la population de notre planète commune puisse vivre une vie normale. Que ce soit les "stratégies indopacifiques" récemment annoncées, proclamant directement pour objectif d'endiguer le développement de la Chine, notamment en mer de Chine méridionale. Que ce soit le Quad (Dialogue de sécurité quadrilatéral) créé dans le cadre de ces stratégies. Ou encore la triple alliance Australie-États-Unis-Royaume-Uni dont l'objectif consiste à aider l'Australie à endiguer la "menace chinoise".
Aujourd'hui et hier, j'ai rencontré plusieurs ministres représentant les pays de l'ASEAN. Je leur ai demandé quelle était la situation. Les négociations entre la Chine et l'ASEAN se déroulent lentement mais progressivement sur la mise au point d'un code de conduite juridiquement contraignant en mer de Chine méridionale. C'est le moyen le plus sûr de garantir la liberté de la navigation et de régler tout ce qui inquiète les partenaires occidentaux - raison pour laquelle ils organisent constamment des manœuvres navales, provocatrices ou non, en créant des schémas géopolitiques antichinois. Nous souhaitons que les relations entre les grandes puissances soient mutuellement respectueuses et ne dégénèrent jamais en guerre nucléaire. Les présidents de la Russie et des États-Unis, Vladimir Poutine et Joe Biden, ont réaffirmé lors du sommet de Genève qu'elle était inadmissible. Toute guerre entre les puissances nucléaires est inadmissible, car les risques de transformation en conflit nucléaire sont immenses. L'humanité n'a rien inventé de nouveau ici. Il faut s'entendre, chercher un compromis, un terrain d'entente. Comme disait Donald Trump, "to deal". C'est le bon terme aussi bien pour les affaires que pour la politique. La politique est nécessaire pour créer les conditions d’une vie normale, pas pour que quelqu'un promeuve les ambitions de quelqu'un, pour que tout le monde décide qu'il est "le meilleur sur Terre". C'est évident pour les gens normaux. Les grandes puissances doivent sentir la responsabilité qui leur incombe devant leur population et le reste de l'humanité.
Le Président russe Vladimir Poutine a proposé d'organiser un sommet des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce travail a pris un peu de retard à cause de la pandémie. Nous le reprenons aujourd'hui. Nous voulons nous entendre avec nos partenaires chinois et les trois membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité des Nations unies sur les questions concrètes qui seront à l'ordre du jour et sur le format (nous pourrions pour commencer utiliser le format à distance). Les négociations sont le seul moyen de régler tous les problèmes. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies doivent montrer l'exemple aux autres.
Question (traduite de l'anglais): Dans le contexte du retrait des contingents étrangers, ainsi que des mercenaires officiels et non-officiels de la Libye, certains se demandent s'il ne serait pas plus opportun d'effectuer ce retrait après les élections, sur la base d'une demande officielle du futur gouvernement en ce sens. D'autres disent que tout cela devrait se dérouler avant le 24 décembre 2021 afin d'assurer des élections honnêtes et légitimes. Le porte-parole du Conseil présidentiel a déclaré aujourd'hui que vous aviez souligné deux points au cours de votre rencontre avec Mohammed el-Menfi: la nécessité d’un règlement obtenu par les Libyens et le retrait des troupes étrangères. Est-il nécessaire de le faire avant ou après les élections, selon la Russie?
Sergueï Lavrov: La date exacte du retrait n'est pas cruciale. L'essentiel est que le texte final de la deuxième Conférence internationale sur la Libye, organisée en juin dernier à Berlin, a clairement statué que tous les groupes armés étrangers devaient quitter la Libye. Nos collègues turcs ont souligné qu'ils avaient été invités dans le pays par le président du gouvernement d'union nationale Fayez el-Sarraj. Mais l'autre partie de la société libyenne - le parlement de Tobrouk - n'est pas moins légitime. Ces deux organes ont été formés en conformité avec l'accord de Skhirat. Le parlement légitime et l'armée nationale libyenne légitime ont invité des hommes armés de l'étranger et paient leurs services. Nous avons constaté parallèlement l'apparition de mercenaires. Des combattants arrivent de Syrie (dans les deux camps), du Tchad et d'autres pays d'Afrique.
Quand la question du retrait a été soulevée, nous avons dit dès le début que nous soutenions cette initiative. Comme il y a beaucoup de combattants étrangers dans les deux camps du conflit libyen, il est nécessaire d'assurer que ce retrait s'effectue par étapes et de manière synchronisée, pour ne pas offrir un avantage militaire à l’un des camps. Le cessez-le-feu est respecté en Libye depuis plus d'un an. Il faut donc éviter toute tentation de revenir aux méthodes militaires et de régler les problèmes du pays par la force.
Question (traduite de l'anglais): La Russie facilite-t-elle le retrait des troupes de Libye?
Sergueï Lavrov: Il faut que cela soit assuré par le comité 5+5. Nous sommes disposés à aider, mais s'ils continuent de se focaliser sur des aspects non-prioritaires, les élections du 24 décembre 2021 n'auront pas lieu. Ils viennent d'adopter une base législative pour les élections. Ensuite, le parlement a voté la légitimité du gouvernement d'unité nationale d'Abdel Hamid Dbeibah. Il faut les pousser vers une conversation sérieuse sur l'avenir. Il y a déjà des spéculations concernant la possibilité, pour les dirigeants actuels, de présenter leur candidature - si je ne me trompe pas, il y a eu une entente sur le fait qu’ils ne participeront pas aux élections, mais ils le veulent. Nos collègues du Secrétariat tentent de créer des difficultés artificielles concernant le format de la présence de l'Onu en Libye. Il vaut mieux se focaliser aujourd'hui sur la mise en œuvre des ententes obtenues il y a un an. Personne ne s'y attendait. Il ne faut pas tenter de modifier la situation en faveur d'un camp ou de promouvoir un agenda caché.
Question (traduite de l'anglais): À quelle étape se trouvent les négociations russo-américaines sur la sécurité stratégique? Quelle est la réaction russe aux tirs de missiles récents des deux Corées du point de vue de l'utilisation de l’arme nucléaire? Qu'est-ce qui pourrait pousser Kim Jong-un à revenir aux négociations?
Sergueï Lavrov: J'ai entendu que Pyongyang exprimait son intérêt pour la normalisation de ses relations avec Séoul. Nous avons toujours soutenu un dialogue direct entre le Nord et le Sud. Je ne peux pas dire la même chose de l'administration américaine précédente, qui voulait contrôler ce processus. J'espère que, dans ce nouveau contexte, l'administration de Joe Biden sera prête à des initiatives constructives visant à favoriser la reprise de contacts normaux entre les Corées du Nord et du Sud.
Les tirs de missiles ne favorisent pas ce processus. Nous avons constaté que Séoul avait tenté cette fois de ne pas dramatiser la situation. Je pense que c'est juste. Des condamnations publiques n'encouragent pas un dialogue diplomatique, professionnel et calme. Un accord final ne peut être atteint qu'à l'aide de négociations calmes et confidentielles, au lieu d'accusations réciproques retentissantes.
En ce qui concerne les négociations avec les États-Unis sur la sécurité stratégique, le premier cycle a eu lieu en juillet dernier tandis que le deuxième devrait se dérouler la semaine prochaine.
Question: Parallèlement aux séances de l'Assemblée générale de l'Onu, le tribunal du district Sud de New York a encore une fois rejeté la demande du citoyen russe Konstantin Iarochenko, toujours emprisonné aux États-Unis tout comme Viktor Bout. La presse a publié à plusieurs reprises des informations sur leur échange éventuel contre des Américains. Dans quel camp est la balle? Ce scénario d'échange est-il réaliste?
Sergueï Lavrov: Il est difficile de faire des pronostics et des promesses à la place des États-Unis. Nous avons tenté à de nombreuses reprises d'aider nos citoyens via la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l'Europe sur le transfèrement des personnes condamnées. Les Américains participent à cette convention, tout comme la Russie. Mais ils ne veulent rien entendre, y compris les arguments indiquant que ces deux citoyens russes (tout comme beaucoup d'autres) se sont retrouvés dans un piège à cause d'une ruse provocatrice. Ils ont été littéralement kidnappés en violation de la loi. Il s'agit d'une violation de la législation thaïlandaise dans le cas de Viktor Bout (toutes les procédures n'ont pas été respectées) ou de celle du Libéria dans le cas de Konstantin Iarochenko. On peut également citer le kidnapping digne de la mafia de Roman Seleznev aux Maldives: il a été mis dans un avion et emmené. Personne n'était au courant. Il s'agit de méthodes d'attaque préméditée contre nos citoyens visant un certain objectif. Pour les forcer à coopérer ou je ne sais quoi. C'est inacceptable.
Concernant les échanges. Vladimir Poutine et Joe Biden ont évoqué entre autres cette question à Genève. Ils se sont entendus pour que nos structures de sécurité mandatées, chez nous et à Washington, concertent des options mutuellement acceptables. Mais nous ne nous sommes toujours entendus sur rien. Les États-Unis veulent tout simplement récupérer leurs citoyens et ne prennent pas nos souhaits au sérieux. Ils s'intéressent notamment à Paul Wilan, condamné pour espionnage (il a été pris en flagrant délit). Ce crime est incomparable avec les motifs de l’emprisonnement pour 20 ans de Konstantin Iarochenko et de Viktor Bout. Nous sommes prêts au dialogue. Il y a d'autres citoyens américains. Mais ils n'intéressent pas Washington pour une certaine raison. Dans tous les cas, il est toujours préférable de parler que de garder le silence.
Question (traduite de l'anglais): Ma première question concerne l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPoA). Les États-Unis veulent inclure le programme nucléaire iranien au programme des négociations. Qu'en pensez-vous? Deuxièmement, pourquoi Damas ne permet-il pas à l'Onu de déployer des troupes de maintien de la paix en Syrie? À ce que je sache, il existe une entente à ce sujet au Conseil de sécurité de l'Onu. La Syrie estime qu'il ne faut pas laisser entrer les contingents humanitaires de l'Onu sur son territoire.
Sergueï Lavrov: Concernant le JCPoA. Les discussions portent uniquement sur le fait qu’il revienne en vigueur sans aucune condition préalable. Les tentatives d'ajouter de telles conditions, notamment des exigences d'inclure le programme de missiles iranien aux négociations ou d'évoquer le "comportement" de l'Iran dans la région, comme le disent nos collègues occidentaux, n'ont aucune perspective. On ne compare pas des pommes avec des oranges. L'accord sur le nucléaire constitue un travail isolé. Quant aux préoccupations vis-à-vis du comportement de certains acteurs, elles n’existent pas que chez les partenaires régionaux de l'Iran. Téhéran a lui aussi des prétentions, ce qui est une situation absolument normale dans n'importe quelle région du monde.
Les pays du Golfe ont une activité très large dans le domaine de la politique étrangère, qui dépasse les frontières de la région. Il est nécessaire de tenir compte de ce fait. Dans ce contexte, il faut rappeler que la Russie a élaboré il y a des années la Conception de sécurité collective dans le Golfe persique qui proposait un dialogue similaire à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Cette structure devait examiner des mesures de confiance, contribuer à la transparence dans le domaine militaire, mettre en place une observation mutuelle des exercices militaires et des projets conjoints positifs. Nous avons déjà organisé des débats politologiques à ce sujet, qui ont réuni des chercheurs des pays de la région et d'autres États. En août dernier, nous avons mis à jour notre approche du maintien de la sécurité collective dans le Golfe. Elle a été publiée en tant que document officiel de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l'Onu. Il nous semble qu'un tel forum - j'espère que nous arriverons à le convoquer - est susceptible de réunir les conditions nécessaires pour évoquer les préoccupations liées à l'apparition de missiles dans la région (non seulement en Iran) et à la politique de tel ou tel acteur. Le conflit au Yémen constitue un exemple éloquent des intérêts des pays arabes et de l'Iran. Il est nécessaire de s'entendre. Un tel forum doit être plus large que la zone du Golfe. Il est impossible de se passer de l'Irak, de l'Égypte ou de la Jordanie qui doivent participer à la formation d'une plateforme commune de dialogue constructif. Il faut impliquer la Ligue arabe et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'Onu. L'Union européenne, visiblement, sera également intéressée. À notre avis, il s'agit d'une approche concrète et réaliste. Dans tous les cas, j'ai ressenti l'intérêt de nos collègues. Je me suis entretenu hier avec le Conseil de coopération du Golfe. Ils s'intéressent à ce sujet. Nous nous sommes entendus pour y accorder une attention spéciale dans le cadre de la reprise de nos contacts ministériels.
Concernant l'aide humanitaire à la Syrie. J'ai évoqué hier en détail cette question avec le Secrétaire général de l'Onu Antonio Guterres. Nous ne pouvons pas accepter la pratique grossière et criarde du "deux poids, deux mesures". Il y a le problème des réfugiés - il y en a six millions voire plus - au Liban, en Jordanie et en Turquie. En novembre 2020, Damas a organisé, avec le soutien de la Russie et d'encore 20 pays, une conférence visant à réunir les conditions nécessaires pour leur retour dans le pays, désiré probablement par la plupart des réfugiés. Nous avons été frappés par le fait que les États-Unis ont tout fait pour intimider les invités de la conférence de Damas et que l'Onu n'a pas participé à cet événement. Son représentant à Damas a seulement assisté à la conférence en tant qu'observateur. J'ai indiqué à l'époque au Secrétaire général de l'Onu Antonio Guterres qu'il s'agissait d’une non-application des exigences de la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l'Onu, qui devait former la base du travail des Nations unies en Syrie et stipulait clairement la nécessité d'organiser les livraisons d'aide humanitaire et de réunir les conditions pour le retour des réfugiés.
Au début de l'année, l'Union européenne a organisé à Bruxelles sa conférence annuelle sur les réfugiés syriens, qui ne prévoyait pas la participation de la Syrie mais était coprésidée par l'UE et le Secrétaire général de l'Onu. Cela nous surprend. D'autant plus que cette conférence a non seulement ignoré la Syrie (ce qui constitue une violation grossière du droit humanitaire international), mais les fonds qu’elle a recueillis n’ont pas servi à créer en Syrie l'infrastructure nécessaire pour le retour des réfugiés: ils ont financé l'hébergement de ces derniers en Jordanie, au Liban et en Turquie. Tout est fait pour qu'ils ne reviennent pas chez eux. Je voudrais donc demander à nos amis des médias qui sont préoccupés par la situation des gens ordinaires dans les zones de conflit de porter leur attention sur cette mise à mal du droit humanitaire international.
Nous avons adopté en juillet une résolution "de compromis". Elle prolonge en effet de six mois le mécanisme transfrontalier de livraison d'aide humanitaire, notamment depuis la Turquie, vers la zone de désescalade d'Idleb. Toutefois, dans un contexte où l'Occident se tient tout simplement à ce mécanisme non-concerté avec Damas et qui contredit le droit humanitaire international, nous avons des raisons solides de penser qu'il existe ici un ordre du jour caché. Nous n'avons aucune information sur ce qu'on livre dans ces camions vers la zone de désescalade d'Idleb. Les représentants de l'Onu jurent qu'ils examinent chaque camion, mais il est impossible de le confirmer. D'autant plus que personne ne sait comment cette aide (quoi qu’il se trouve dans ces cartons) est distribuée au sein de la zone de désescalade d'Idleb ou si elle est accessible aux terroristes d’Hayat Tahrir al-Cham ou d'autres structures inacceptables.
Si l'on n'adopte pas aujourd’hui de mesures concrètes visant à débloquer les livraisons d'aide humanitaire via Damas, conformément aux normes du droit humanitaire international, nous offrirons une couverture à cette activité transfrontalière opaque. D'autant plus que depuis l'adoption de la résolution qui exige d'envoyer également une aide via Damas, nous n'avons constaté qu'un seul convoi incomplet sur cet itinéraire. Environ la moitié des cargaisons attendues pendant près d'un an n'a pas été livrée dans les régions désignées. Qui plus est, le convoi préparé par le Comité international de la Croix-Rouge et la Croissant-Rouge arabe syrien en avril 2020 n'est encore parti nulle part. Ceux qui sont tellement préoccupés par le sort des populations affamées doivent donc s'adresser aux pays occidentaux qui sont en mesure de changer la donne, ainsi qu'aux dirigeants de l'Onu qui sont obligés de mettre en œuvre cette résolution. Outre les aspects purement humanitaires du soutien à la Syrie et des itinéraires humanitaires, cette résolution contient l'exigence de lancer des projets de reconstruction primaire: l'approvisionnement en eau, l'électricité, les habitations, les écoles, les hôpitaux. Tout cela est nécessaire. Et le Secrétariat de l'Onu est parfaitement au courant. Les Syriens se trouvent dans une situation difficile. Mais le Secrétariat de l'Onu se comporte de manière très passive en ce qui concerne les conditions du retour des réfugiés depuis le début de la crise syrienne. Il existe cependant une résolution du Conseil de sécurité de l'Onu, qui a été adoptée à l’unanimité et qu'il est nécessaire de mettre en œuvre.
Question (traduite de l'anglais): Le Président palestinien Mahmoud Abbas a déclaré hier que si Israël ne cessait pas l'occupation dans l’année, les Palestiniens retireraient leur reconnaissance de l'État d'Israël. Cela entraînerait un état de chaos au Proche-Orient. Que peut faire la Fédération de Russie, en tant qu'ami des Palestinien et pays qui entretient de bonnes relations avec Israël, pour empêcher un tel scénario? Depuis que les Palestiniens ont perdu la foi en l'efficacité du processus de paix, ont-ils le droit de se défendre, de s'opposer à l'occupation?
Sergueï Lavrov: En ce qui concerne les problèmes israélo-palestiniens. Oui, les problèmes sont graves. Ils ne sont pas aidés par les "gestes" de l'ancienne administration américaine tels que la reconnaissance du plateau du Golan et la tentative de promouvoir de facto l'annexion dans le cadre de la création d'un pseudo-État palestinien. Il est important que l'administration de Joe Biden a réaffirmé son attachement à la solution à deux États. Mais le Premier ministre israélien ne confirme pas cet attachement, bien que les politiciens israéliens de son parlement aient des visions différentes des moyens de garantir la sécurité de l'État hébreu sans vivre dans une tension permanente, sans éliminer les cibles à partir desquelles une menace pourrait provenir pour Israël, mais en trouvant un accord et en instaurant durablement une vie pacifique à travers l'existence de deux États vivant dans la sécurité et la prospérité, comme le stipulent les principes du processus de paix approuvés par le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Assemblée générale des Nations unies. Le gouvernement israélien actuel entretient des contacts qui se limitent principalement à garantir la sécurité sur les territoires palestiniens.
Nous pensons que ce serait une grande erreur si, derrière tous les processus à l’œuvre dans la région - la Libye, la Syrie, l'Irak, le Yémen -, nous oubliions le problème palestinien. Car il représente le résultat du plus long conflit sur Terre, d'un conflit que l'on a cherché à régler par la création de deux États. Un État a été rapidement créé. Le second État ne peut toujours pas l’être.
Je trouve que la décision prise par la Ligue arabe à l'initiative du Roi d'Arabie saoudite il y a presque 20 ans était sage. Avec l'adoption de l'Initiative de paix arabe stipulant que dès qu'un État palestinien viable serait créé conformément à tous les critères définis par l'Onu, les pays arabes normaliseraient immédiatement leurs relations avec Israël. C'était une approche étatique sage. L'administration de Donald Trump a tenté de tout mettre sens dessus dessous. Les accords d'Abraham avancés par plusieurs pays arabes partaient précisément de la logique qu'il fallait d'abord normaliser les relations entre les Arabes et Israël, et seulement après penser au problème palestinien. Nous saluons toute normalisation des relations entre les États. Mais pas au détriment de la Palestine en l'occurrence. Il est réjouissant que les signataires de ces accords à l'époque, dont Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Soudan et le Maroc, ont souligné qu'ils étaient entièrement attachés aux décisions de l'Onu sur le problème palestinien. Il faut rester sur cette position.
Vous avez demandé s'ils avaient le droit de se battre. Ils ne demanderont à personne. Le non-règlement du problème palestinien est le facteur le plus grave alimentant les sentiments radicaux dans la "rue" arabe. Quand des prédicateurs extrémistes disent que leur peuple est offensé, qu'un État leur a été promis il y a 80 ans mais qu’ils ont été trompés. Les jeunes, surtout sans éducation, sont réceptifs à une telle propagande. Quand j'explique aux collègues israéliens cet aspect de la situation au Proche-Orient et l'impact du non-règlement du problème palestinien sur la stabilité dans cette région, ils se vexent. Ils disent que ce n'est pas du tout le cas, que le problème n'est pas si sérieux. C'est une approche imprévoyante.
C'est pourquoi nous avons soutenu la proposition du Président palestinien Mahmoud Abbas de convoquer une conférence internationale. Mais nous sommes convaincus qu'il faut bien la préparer, c'est pourquoi nous voulons absolument relancer l'activité du quartet de médiateurs internationaux en la personne de la Russie, des États-Unis, de l'UE et de l'Onu, ainsi que faire participer au travail conjoint, par exemple, le quartet arabe entretenant des relations avec Israël: l'Égypte, la Jordanie, les Emirats arabes unis et Bahreïn. Il faut probablement inviter également l'Arabie saoudite en tant qu'auteur de l'Initiative de paix arabe. Ce qui fait "4+4+1+2" (Israël et la Palestine). S'il semblait prématuré pour l'une des parties de se réunir dans ce format, nous serions prêts à mettre à disposition notre territoire et à soutenir toute autre invitation d'Israël et de la Palestine pour des négociations directes. Mais on ne peut plus faire traîner les choses. Nous chercherons à promouvoir cette approche.
Le plus important. Si tout ce que nous venons d'évoquer avec vous dépend de nombreux facteurs (quelque chose d'Israël, quelque chose d'autres membres de structures régionales), il existe un aspect qui dépend uniquement des Palestiniens. C'est l'unité palestinienne. Des tentatives ont été entreprises de la rétablir il y a deux ans. Des accords ont été conclus, un cycle d'élections a été annoncé. Rien de cela n'a été fait. L'absence d'entente entre Ramallah et Gaza comporte un noyau très négatif. Si les Palestiniens se réconciliaient, ce serait plus simple et efficace pour eux de parler à Israël lors des futures négociations.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu disait à l'époque qu'il ne savait pas avec qui négocier si l’on ne savait qui Mahmoud Abbas représentait. À première vue, seulement Ramallah, et il y avait d’autres représentants à Gaza. Ces questions impactent sérieusement les tentatives d'obtenir de grands résultats politiques. Les Palestiniens ne veulent pas régler leurs problèmes de réconciliation. Mais nous travaillons activement avec toutes les fractions des Palestiniens. Nous les avons invités à Moscou plusieurs fois. Tout le monde est venu. Pendant les discussions, ils reconnaissent qu'ils doivent se réconcilier, mais ensuite cela ne fonctionne pas.
Question (traduite de l'anglais): Cette semaine, la Commission européenne a accusé la Russie d'être impliquée dans des cyberattaques contre des représentants politiques européens et des journalistes, notamment des policiers et des représentants officiels allemands à l’approche des élections auxquelles ils participent, qui auront lieu demain. Que pouvez-vous dire de ces accusations? Avez-vous des attentes concernant l'issue des élections en Allemagne?
La famille de Trevor Reed estime qu'il a été injustement accusé et condamné à une longue peine de prison. Pouvez-vous aussi commenter ces déclarations?
Sergueï Lavrov: En ce qui concerne Trevor Reed, j'en ai déjà parlé, comme de Paul Whelan. Ce dernier a été arrêté pour espionnage. Il a été pris en flagrant délit. Savez-vous quelle est la sentence aux États-Unis pour attaque contre un policier avec usage de la force? Lourde, il me semble. Alors que Konstantin Iarochenko et Viktor Bout ont été simplement attirés sous un faux prétexte dans un accord pour qu'ils prennent un avion dans un but précis, puis il s'est avéré qu'ils avaient été inculpés pour contrebande d'armes et de drogues. Ils ont écopé de plus de 20 ans sans jamais avoir frappé quelqu'un et sans projeter d'enfreindre les règles internationales du commerce de telles ou telles marchandises. C'est pourquoi nos collègues américains doivent être cohérents s'ils se vexent pour l'arrestation de quelqu'un ici. Ils doivent appliquer des standards communs. Dans le cas des attaques contre les policiers, regardez ce qui arrivera au procès sur l'assaut du Capitole.
En ce qui concerne les accusations de la Commission européenne. Nous sommes prêts à examiner tous les faits mais on refuse de nous les donner, justement. Nous sommes seulement accusés gratuitement d'avoir prétendument empoisonné Alexandre Litvinenko avec du polonium à Londres en 2007. Aucune preuve n'a encore été apportée, mais le procès a été fermé au public, passé au niveau "officiel", ce qui permet aux juges d'examiner des dossiers confidentiels à huis clos. Maintenant ils veulent faire la même chose avec le procès de la femme décédée à Salisbury dans le contexte de l'affaire Skripal. On veut également fermer son procès pour ne pas dévoiler de prétendus documents confidentiels. Personne ne nous les fournit. Tout en nous accusant de tout. Avec les Skripal c'est la même histoire que dans le cas du Boeing malaisien - nous sommes accusés. La cour de La Haye a jugé qu'il y avait des raisons de croire les États-Unis, qui avaient déclaré posséder des images satellites prouvant que la Russie l'avait fait. Mais ils n'ont montré ces images à personne. La cour néerlandaise estime que c'est normal. Si les Américains l'ont dit, on les croit. Arnold Schwarzenegger dit "trust me", et Ronald Reagan ajoute "but verify". Et nous voulons précisément vérifier. L'Ukraine refuse de fournir les informations radar. Comme quoi ils se seraient tous "éteints" pendant la catastrophe. Ils refusent de fournir les conversations entre le contrôleur aérien et l'avion. C'est très visible. Entre autres.
Nous sommes accusés d'ingérence dans les élections américaines. J'ai parlé plusieurs fois à ce sujet avec mes homologues, notamment l'ancien secrétaire d'État américain Rex Tillerson. Il a déclaré un jour qu'ils possédaient des preuves irréfutables de l'ingérence de la Russie dans les élections américaines de 2016, j'ai demandé de les présenter. Il a dit qu'ils ne nous les montreraient pas, nous ont renvoyé vers nos propres renseignements qui comprendraient de quoi il est question. C'est toute la conversation. Est-ce normal?
Même chose avec les cyberattaques. Les autorités américaines nous ont accusé (le Président américain Joe Biden a soulevé cette question pendant l'entretien avec le Président russe Vladimir Poutine) du fait que nos hackers extorqueurs avaient attaqué une usine de viande, un gazoduc, en exigeant de l'argent. Personne ne nous a montré quoi que ce soit. Toutefois, le Président américain Joe Biden a déclaré que, selon leurs informations, cela n’avait pas été fait par le gouvernement russe, mais par des personnes depuis le territoire de la Fédération de Russie.
Nous avons attiré leur attention sur le fait qu'en un an la plupart des cyberattaques contre nos ressources avaient été commises depuis le territoire américain (environ la moitié). Partiellement d'Allemagne également, et d'autres pays. Nous avons envoyé 45 demandes officielles aux collègues américains pointant des faits concrets nécessitant des explications. Nous avons reçu seulement neuf réponses. Près de dix requêtes officielles nous ont été envoyées. Des réponses ont été données à chacune d'elles. Je suis satisfait qu'après la discussion à ce sujet entre le Président russe Vladimir Poutine et le Président américain Joe Biden à Genève, les Américains ont accepté de passer des accusations et plaintes sporadiques à un travail systémique. Des canaux spéciaux ont été mis en place entre les services chargés de la cybersécurité. Nous espérons que cette affaire avancera.
En ce qui concerne les élections en Allemagne. Nous souhaitons à tous de la réussite!
Question: La semaine dernière ont été publiés les résultats préliminaires de l'enquête du procureur John Durham, chargé de la vérification de l'affaire "Russiagate". Elle démasque notamment l’un des initiateurs de cette affaire. Ce n'est pas la première fois que nous constatons une situation aussi paradoxale, quand des responsables américains démentent eux-mêmes les accusations avancées plus tôt par les États-Unis contre la Russie.
Tout cela crée une situation paradoxale: il y a des démentis mais les sanctions, adoptées de manière préventive, ne sont pas levées. Quelle est la position de Moscou? Qu'en disent les partenaires américains?
Sergueï Lavrov: Vous avez déjà répondu à votre question. Il est absolument anormal d'annoncer des mesures de ce genre sans avoir réfléchi et élucidé tous les faits. Et de ne rien entreprendre ensuite pour faire marche arrière afin de ne pas nuire aux relations bilatérales. Tel est le comportement américain. Nous nous y sommes habitués. Nous ne demanderons jamais à lever les sanctions. Nos voisins ukrainiens ont déjà épuisé le "quota" de demandes, qui ne cessent de formuler des requêtes sans rien comprendre à la situation. Nous ne ferons pas ça.
Nous n'avons pas d'autres partenaires. Nous constatons dans certains domaines - la stabilité stratégique, la cybersécurité - la formation progressive d'un dialogue qui permet d'espérer que nous arriverons un jour à établir une coopération systémique et mutuellement avantageuse ne serait-ce que sur quelques aspects de la vie et des communications interétatiques.
Question (traduite de l'anglais): Ma question concerne la Palestine. On dit souvent que les colonies en Palestine occupent un territoire important, et qu’un demi-million d'habitants y vivent déjà. Qu'en pensez-vous, est-il temps que la communauté internationale résolve le problème en contribuant à la formation d'un État pour deux peuples? Quelle est votre position?
Comme vous le savez, David Beasley, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial des Nations unies, a dit il y a deux jours qu'au moins 50.000 Yéménites souffraient de la faim, tandis que des millions d'autres avaient besoin d'aide humanitaire et d'aliments. Pensez-vous que la communauté internationale, dont la Russie fait partie, a joué un mauvais tour au peuple du Yémen en raison d’un manque de pression sur les parties en conflit, notamment sur l'Arabie saoudite?
Sergueï Lavrov: Je ne peux pas dire que la communauté internationale n'entreprenne pas assez d'efforts pour que les belligérants lancent de véritables négociations afin de s'entendre au lieu de s'échanger des accusations. Il existe dans cette affaire tout un nombre de facteurs qui sont absolument subjectifs et liés à la volonté de certaines personnes de rester au pouvoir le plus longtemps possible, mais affectent, malheureusement, le déroulement des négociations et la possibilité d'atteindre un compromis. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais le fait que le Yémen fait face à la plus grande catastrophe humanitaire mondiale a été annoncé il y a longtemps, encore au début du conflit, pendant sa phase active.
Nous participons via notre ambassade. Notre ambassadeur au Yémen travaille actuellement depuis Riyad. Il existe là-bas un groupe formé par les ambassadeurs qui soutiennent ce processus et l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu. J'espère que tout le monde se rendra compte du fait que de nouveaux retards dans les ententes ne feront que mener dans une impasse.
En ce qui concerne les colonies, nous avons toujours dénoncé la colonisation et avons lancé des avertissements concernant ce que vous avez dit: cette activité crée des faits accomplis sur le terrain, ce qui empêche de former l'État palestinien. J'ai entendu parler d'un État unique offrant les mêmes droits à tout le monde. Je doute qu'il soit réaliste. Beaucoup de scientifiques estiment que cela pourrait torpiller le caractère juif d'Israël. En même temps, si l'on n'accordait pas les mêmes droits à tous les habitants du pays, cela pourrait former un État d'apartheid.
Je suis persuadé que la solution à deux États est le seul chemin viable. Je voudrais souligner que beaucoup de représentants des élites politiques israéliennes sont du même avis et estiment qu'il faut s'en occuper très activement.