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Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse conjointe à l'issue de son entretien avec le Ministre algérien des Affaires étrangères Abdelkader Messahel, Moscou, 19 février 2018

266-19-02-2018

 

Mesdames et messieurs,

Les pourparlers avec mon homologue le Ministre algérien des Affaires étrangères Abdelkader Messahel ont été productifs.

Nous avons constaté l'évolution dynamique de nos liens politiques, commerciaux, économiques et militaro-techniques en parfaite conformité avec la Déclaration de partenariat stratégique entre la Russie et l'Algérie signée en 2001. Une impulsion supplémentaire a été apportée à notre coopération en octobre 2017 avec la visite du Premier ministre russe Dmitri Medvedev en Algérie, pendant laquelle ont été signés des documents sur la coopération dans différents secteurs. Nous sommes convenus de travailler sur leur mise en œuvre dans tous les domaines au niveau de tous les ministères et services.

L'Algérie fait partie de nos principaux partenaires commerciaux et économiques au Moyen-Orient et, dans l'ensemble, sur le continent africain. L'activité de la Commission intergouvernementale russo-algérienne mixte pour la coopération commerciale, économique, scientifique et technique, dont la 8e réunion s'est tenue en Algérie en septembre 2017, est positive. A la même période s'est déroulée la réunion du Conseil d'affaires russo-algérien, qui aide à développer les contacts directs entre les milieux d'affaires de nos deux pays. Nous préparons le prochain forum d'affaires russo-algérien en marge de l'exposition Innoprom-2018 en juillet prochain à Ekaterinbourg.

Notre coopération dans le cadre du forum des pays exportateurs de gaz est très prometteuse. Un institut spécial est actuellement créé en Algérie dans le cadre de ce forum, et les représentants russes du monde des affaires et des institutions publiques souhaitent contribuer activement à cette initiative. A l'invitation de nos représentants, l'Algérie se joindra à l'Association internationale des transporteurs de pétrole. Le Ministre algérien des Affaires étrangères Abdelkader Messahel l'a confirmé aujourd'hui.

Nous avons souligné notre intérêt réciproque à intensifier les liens sociaux et les échanges éducatifs. Près de 20 000 Algériens sont diplômés de nos universités. L'Association des diplômés travaille activement pour contribuer aux relations entre nos deux pays.

Nous avons noté les bonnes perspectives de la coopération militaro-technique. Une attention particulière a été accordée à la lutte contre le terrorisme. Nous sommes satisfaits par l'adhésion de l'Algérie à la Banque de données internationale pour la lutte contre le terrorisme créée par le Service fédéral de sécurité de Russie, qui compile les informations sur les combattants terroristes étrangers et sur leurs déplacements. Ce thème et d'autres questions liées à la lutte contre les nouveaux défis ont été évoqués durant la visite du Secrétaire du Conseil de sécurité russe Nikolaï Patrouchev en Algérie fin janvier 2018.

Nos approches coïncident largement sur les affaires régionales et internationales. Nous souhaitons que les crises au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ainsi que dans toutes les autres régions soient réglées de manière uniquement pacifique en s'appuyant sur le droit international avec un rôle central de l'Onu.

Nous avons évoqué la situation en Syrie et informé nos partenaires des résultats du Congrès du dialogue national syrien qui, nous en sommes convaincus, contribueront à l'intensification des négociations entre le gouvernement syrien et les représentants de l'opposition afin de remplir la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies sous l'égide de l'Onu.

Nous avons réaffirmé tenir en grande estime les efforts de l'Algérie pour contribuer au règlement durable de la crise en Libye. Il n’y a pas d’altérnative au dialogue entre les principaux acteurs, Tripoli et Tobrouk, qui représentent l'est et l'ouest de ce pays. Nous soutenons les démarches entreprises par le représentant spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Libye Ghassan Salamé, ainsi que par les pays de la région. Nous pensons qu'hormis l'Algérie, qui fait preuve d'un intérêt actif pour contribuer au passage de la situation sur une ligne constructive, d'autres pays voisins jouent également un rôle utile: la Tunisie et l’Égypte. Nous partons du principe que tous les efforts doivent être coordonnés au niveau de l'Onu. Aujourd'hui, nous avons réaffirmé notre disposition à contribuer à ces efforts, notamment dans nos relations avec l'Algérie, en matière de règlement de crises.

Nous avons évoqué la situation dans la région du Sahara-Sahel, notamment au Mali. La voie vers le règlement de la situation dans ce pays a été ouverte par la signature, en juin 2015 en Algérie, d'un accord de paix et de réconciliation. Nous pensons que ce document reste la base pour aller de l'avant. Nous appelons toutes les parties maliennes à tenir leurs engagements. Dans d'autres parties du Sahara-Sahel se manifestent les conséquences très négatives de la situation qui perdure en Libye, à travers laquelle continuent de passer des combattants et des armes. Nous sommes d'accord sur le fait que si la crise libyenne était réglée, on pourrait gérer bien plus productivement les problèmes du Sahara-Sahel. La Russie soutient avant tout les efforts des pays africains, qui doivent recevoir le soutien de la communauté internationale. Nous continuerons d'aider les pays de la région à renforcer leur potentiel antiterroriste.

En ce qui concerne le Sahara occidental, nous avons réaffirmé la nécessité de chercher des accords entre le Maroc et le front Polisario dans le cadre de la mise en œuvre des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous tenons en grande estime le travail de la mission de l'Onu, qui compte des officiers russes dans ses rangs, pour organiser un référendum au Sahara occidental.

Nous avons évidemment noté que malgré toute l'urgence des problèmes dont il est question - que ce soit la Syrie, la Libye, le Yémen et d'autres dossiers relatifs à cette région - il ne faut pas relâcher notre attention pour les foyers de tension qui perdurent, et avant tout le conflit israélo-palestinien. Nous prônons le règlement au plus vite de ce conflit sur la base des décisions qui ont été prises à l'Onu et de l'Initiative de paix arabe, ce qui a été évoqué en détail pendant les récentes visites en Russie du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, du Président palestinien Mahmoud Abbas et du Roi Abdallah II de Jordanie.

Je pense que notre entretien confirme le haut niveau de confiance réciproque qui caractérise nos relations, ainsi que la disposition de nos États à renforcer la coopération et le partenariat stratégique, à promouvoir les liens bilatéraux dans tous les domaines et à renforcer la coordination sur les problèmes régionaux et internationaux.

Question: La Fédération de Russie pourrait-elle profiter de la grande expérience de l'armée algérienne en matière de lutte contre le terrorisme? Y a-t-il des mécanismes d'échange d'expérience entre la Russie et l'Algérie?

Sergueï Lavrov: Je voudrais confirmer les propos de mon ami. L'Algérie et la Russie possèdent une riche expérience dans le domaine antiterroriste. Malheureusement, cette expérience a été acquise suite à un travail pour poursuivre et éliminer les organisateurs et les exécutants d'attentats qui ont emporté de nombreuses vies parmi nos citoyens. Nous avons effectivement établi des canaux de coopération non seulement au niveau des ministères des Affaires étrangères (dans ce cadre nous évoquons également les tâches antiterroristes globales), mais également au niveau des ministères de la Défense et des conseils de sécurité de nos pays. Comme je l'ai déjà dit, le Secrétaire du Conseil de sécurité de Russie Nikolaï Patrouchev s'est récemment rendu en visite en Algérie où il a été reçu par le Président algérien Abdelaziz Bouteflika. Il s'est entretenu avec ses collègues sur les aspects concrets des efforts à faire dans la lutte antiterroriste, dans le contexte de la coordination de nos actions. L'Algérie participe aux activités et aux réunions internationales organisées régulièrement en Russie dans le cadre du Conseil de sécurité et du Service fédéral de sécurité de Russie. Comme je l'ai déjà dit aujourd'hui, l'Algérie a rejoint la Banque de données internationale sur les combattants terroristes étrangers créée par le FSB. C'est un pas supplémentaire vers une coopération étroite pour prévenir la menace terroriste. Je suis absolument d'accord avec le fait que c'est l'un des domaines stratégiques de notre partenariat, qui a une dimension bilatérale et multilatérale dans le cadre des efforts régionaux et mondiaux sous l'égide de l'Onu.

Question: Les USA qualifient d'"incontestables" les informations publiées vendredi sur la prétendue ingérence de la Russie dans leurs élections et se sont dit étonnés que les Russes ne voient pas les faits évidents. Vous en avez parlé plusieurs fois. D'après vous, que cherchent les USA en continuant d'accuser la Russie? Quelles preuves, si elles existent, pourraient convaincre la Russie?

Sergueï Lavrov: Soyons concrets. Vous avez dit que les USA avaient publié des informations. Quelles informations? Si je comprends bien, il s'agit d'une liste de noms de treize individus accusés d'ingérence dans les affaires intérieures des USA, mais je n'ai pas vu de faits concrets – de dates, de formes d'ingérence, d'autres informations qui pourraient ressembler à des preuves. Des accusations sont avancées sans aucune preuve. Quand nos collègues américains disent que la Russie ne reconnaît pas les faits évidents, pour nous ce ne sont pas des faits et ils ne sont pas du tout évidents. Nous avons dit plusieurs fois que nous examinerions toute requête concrète, nous avons proposé à plusieurs reprises, notamment pendant l'entretien du Président russe Vladimir Poutine avec le Président américain Donald Trump à Hambourg en juillet 2017, de relancer un dialogue non médiatique mais professionnel pour examiner toutes les préoccupations dans le domaine de la cybersécurité. Bien que les USA aient positivement réagi au niveau de leur Président, ils ont esquivé ensuite cet accord. Ceux qui y étaient opposés ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas établir un dialogue avec la Russie sur un thème représentant précisément une sphère d'ingérence russe dans les affaires américaines. C'est une logique très tordue. Si, avec tout ce qui se passe entre nos pays et dans le monde en général, certains prêchent cette logique et perçoivent tous les problèmes à travers le prisme de la culpabilité de la Russie, alors il ne faut probablement s'attendre à aucun dialogue.

J'ai déjà dit que j'avais demandé au Secrétaire d’État américain Rex Tillerson de me présenter ce qu'il considérait comme des "preuves irréfutables de l'ingérence russe dans les élections américaines". Il m'a répondu que ce n'était pas nécessaire parce que "les renseignements russes étaient déjà parfaitement au courant". Ce n'est probablement pas le niveau d'un échange intellectuel. C'est à classer dans le même registre que l'"histoire néerlandaise" autour des prétendues déclarations du Président russe Vladimir Poutine sur sa "volonté de faire renaître l'URSS" - qui a déjà atteint un niveau anecdotique et caricatural - ou que les déclarations des dirigeants militaires britanniques selon lesquelles ils disposeraient d'informations concernant des "projets russes d'occuper les îles britanniques". Franchement, c'est difficile à prendre au sérieux.

Je répète que la Russie promeut depuis plusieurs années l'initiative d'établir un dialogue professionnel mutuellement respectueux, sans deux poids deux mesures, sur la cybersécurité. A notre initiative, des résolutions pour avancer vers un système de sécurité informatique international sont adoptées à l'Assemblée générale des Nations unies. Des groupes dédiés d'experts gouvernementaux y travaillent. Avec ses partenaires de l'OCS, la Russie a soumis un projet de règles de conduite dans l'espace de l'information et un projet de convention internationale sur la lutte contre la cybercriminalité. Tout cela s'ajoute à nos initiatives pour développer les contacts bilatéraux dans la lutte contre les cybercrimes dans les relations avec les USA et d'autres pays occidentaux qui sont préoccupés par ce problème. Comme les autres pays, nous souhaitons que ce domaine soit effectivement un champ de coopération honnête et non de spéculations comme c'est encore le cas, malheureusement.

Question: Les forces du général Souheil al-Hassan ont publié hier en Syrie une vidéo qui montre qu'un grand nombre d'armements lourds est avancé vers la Ghouta orientale, indiquant qu'un assaut serait possible parce que les négociations avec les combattants auraient échoué. Ne craignez-vous pas un grand nombre de victimes civiles en cas d'assaut? Ne pensez-vous pas que nous pourrions profiter de l'expérience acquise par la Russie pendant la libération d'Alep?

Sergueï Lavrov: Actuellement, l'Onu débat activement des problèmes humanitaires dans la Ghouta orientale et à Idleb. Ce thème est reflété dans différentes initiatives, notamment à l'Onu où sont relayés les appels de l'armée gouvernementale syrienne à cesser l'offensive. Une initiative propose de marquer au moins un mois de pause pour calmer la situation et acheminer une aide humanitaire. Le problème est qu'à Idleb et dans la Ghouta orientale sévissent les combattants du Front al-Nosra, une organisation reconnue terroriste par le Conseil de sécurité des Nations unies. Conformément aux accords en vigueur, la lutte contre le terrorisme ne peut être limitée par quoi que ce soit. Nous sommes très inquiets de voir qu'en réalité, seule l'armée syrienne et l'aviation russe qui la soutient tentent d'écraser cette branche terroriste d'Al-Qaïda – le Front al-Nosra et ceux qui coopèrent avec lui. Derrière tous les appels actuels à cesser l'offensive de l'armée syrienne, et parallèlement au refus de nos propositions de garantir l'anéantissement du Front al-Nosra, se cache (on n'arrive pas à voir la situation autrement) une aspiration persistante à épargner le Front al-Nosra.

Je suis d'accord avec le fait que toutes les opérations militaires doivent tenir compte des éventuelles conséquences humanitaires, de la vie des civils. Nous espérons que toutes les mesures de précaution seront prises. L'expérience d'Alep, où un accord avait été passé avec les combattants pour leur évacuation organisée, est tout à fait applicable à la Ghouta orientale. Au prix d'immenses efforts, on a réussi plusieurs fois à s'entendre sur une évacuation médicale, avant tout des enfants et d'autres personnes qui avaient besoin d'une aide médicale urgente. Mais les efforts qui ont suivi pour engager des actions de plus grande envergure pour faire évacuer des civils butaient sur le refus du Front al-Nosra, qui voudrait les y retenir en tant que bouclier humain. Il est à noter que le Front al-Nosra ne s'y trouve pas seulement: il attaque constamment des sites civils, y compris les quartiers résidentiels de Damas, notamment l'Ambassade de Russie qui a été visée plusieurs fois et, très récemment, le bâtiment de la Représentation commerciale russe à laquelle de sérieux dégâts ont été infligés. C'est pourquoi nous demandons à nos collègues occidentaux qui ont des leviers d'influence sur le Front al-Nosra (ils ne le nient pas) de faire tout de même en sorte, quand on veut parler du règlement des problèmes humanitaires, de discipliner avant tout cette structure qui est terroriste - sinon, elle doit être détruite. Et il ne doit y avoir aucun doute. Mais il faut prendre toutes les mesures de précaution nécessaires pour que la société civile ne soit pas touchée, pour minimiser les risques.

 

 

 

 


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