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Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à l'Université fédérale de la Baltique Kant, Kaliningrad, 6 juin 2017

1128-06-06-2017

Mesdames et messieurs,

Chers collègues,

Chers amis,

Je suis ravi de me rendre à nouveau à l'Université fédérale de la Baltique Kant, qui a connu de nombreux événements marquants et noms glorieux. Forte de ses riches traditions et célébrant cette année son 70e anniversaire l'université vit dans l'air du temps, elle a acquis la réputation d'un des principaux centres d'enseignement supérieur en Russie où l'on prépare des spécialistes qualifiés. Nous apprécions vos efforts pour élargir la coopération internationale contribuant à la promotion des liens humanitaires avec des partenaires étrangers, qui sont plus de cent à ce jour. Enfin, vous œuvrez pour le maintien de l'amitié et de la confiance sur la scène internationale. Nous continuerons de soutenir vos initiatives dans cette voie.

Je me souviens de l'accueil chaleureux ici quand j'étais avec les ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne et de la Pologne il y a six ans en mai 2011 pendant l'entretien au format trilatéral. Nous disions à l'époque que les trois pays n'étaient pas indifférents quant à l'avenir de notre continent commun, la garantie de son développement harmonieux, stable, sûr et continuel, nous avions souligné la nécessité d'utiliser plus efficacement le puissant potentiel de la coopération.

Malheureusement, depuis, la situation en Europe et dans le monde en général s'est sérieusement dégradée. Nous y voyons, malheureusement, un résultat logique de la réticence des partenaires à construire un dialogue équitable, d'une aspiration obstinée à imposer à tous leur volonté, leurs valeurs, leurs voies de développement, de la tentative de freiner le processus objectif de formation d'un ordre mondial polycentrique plus juste et plus stable.

On entend souvent des affirmations prétendant que Moscou enfreint ses engagements internationaux et qu'ainsi il est responsable de la situation actuellement tendue dans la région euro-atlantique. A cet égard je voudrais rappeler que la suppression de l'héritage de l'époque de confrontation bipolaire et de Guerre froide a été possible avant tout grâce à une immense contribution de la Russie. Il nous appartient, sans exagération, un rôle décisif dans la réunification de l'Allemagne. Notre pays a rempli tous les accords pour retirer les troupes et les armes des pays d'Europe de l'Est, des pays baltes, puis de Géorgie.

Le principe de bon voisinage est un axiome pour nous vis-à-vis de l'Union européenne et des membres de l'UE, avec qui nous avons non seulement des racines historiques, culturelles et civilisationnelles communes, mais également des échanges commerciaux, économiques et socioculturels actifs. Nous cherchons continuellement à promouvoir un agenda positif, unificateur et paneuropéen tourné vers l'avenir, vers la garantie d'une vie pacifique dynamique. Nos nombreuses initiatives visaient l'accroissement d'une large coopération mutuellement bénéfique – de l'annulation d'un rudiment comme les visas à un travail conjoint avec l'UE pour régler la crise et unifier les marchés énergétiques de nos Etats. Nous avons tout fait pour que la communication interétatique dans la région euro-atlantique se développe sur la base des principes du droit international. En 2008 déjà nous avions proposé de signer un traité sur la sécurité européenne qui codifierait juridiquement tous les engagements politiques pris auparavant au sommet dans l'OSCE sur l'indivisibilité de la sécurité, où personne n'aurait le droit de renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité des autres.

Malheureusement, les partenaires n'ont pas soutenu cette initiative. Ils ont préféré la ligne de réfrènement militaro-politique de la Russie qui s'est traduite par une conquête avide et affairée de l'espace géopolitique libéré, par l'expansion de l'Otan vers l'est, malgré les garanties claires du contraire données au gouvernement soviétique, ainsi que par le programme de l'UE Partenariat oriental. Ce programme, comme les autres actions mentionnées de l'Occident, s'inscrivait dans la logique d'un faux choix "soit avec l'Occident, soit avec la Russie", et non dans le cadre des promesses solennelles, de l'attachement à la philosophie de la "maison paneuropéenne".

A une époque l'Otan a ouvertement déclaré que seuls les membres de l'Alliance pouvaient avoir des garanties juridiques. Le coup d'Etat armé en Ukraine commis par les forces ultra-radicales, qui continuent de mener le bal dans ce pays et bloquent tous les efforts pour mettre en œuvre les Accords de Minsk, et soutenu par Washington et Bruxelles, a particulièrement mis en évidence la nuisibilité d'un tel "jeu à somme nulle". Leurs protecteurs occidentaux sont impuissants et ne peuvent pas rappeler les radicaux à l'ordre.

En mai 2017 nous avons célébré le 20e anniversaire de la signature de l'Acte fondateur Otan-Russie et le 15e anniversaire de la Déclaration de Rome sur les relations Otan-Russie. Cependant, l'objectif fixé dans ces documents de surmonter les vestiges de la confrontation et de la rivalité, de renforcer la confiance réciproque et la coopération n'a pas été atteint avant tout parce que l'Otan est restée une institution de Guerre froide, qui s'est avérée incapable de réagir de manière adéquate aux défis du nouveau millénaire. Aujourd'hui l'Alliance prend des décisions qui violent grossièrement les termes de l'Acte fondateur. L'envergure de l'activité militaire s'est décuplée, la présence militaire et l'infrastructure s'élargissent dans les régions frontalières avec la Russie, y compris à la frontière de la région de Kaliningrad. Il est évident que ces agissements détériorent la situation et mènent vers un nouveau cycle de la course aux armements. Ce que l'Otan appelle honteusement le "flanc Est" risque en réalité de se transformer en "front Est" avec toutes les conséquences destructives que cela implique pour l'Europe.

Les relations avec l'UE traversent également une période très difficile. Cherchant à détourner l'attention de leur échec en Ukraine, quand les organisateurs du coup d'Etat ont piétiné l'accord approuvé par l'Allemagne, la France et la Pologne, l'UE a commencé à chercher un bouc émissaire et à dérouler la spirale de sanctions. On politise pratiquement toutes les collaborations, y compris énergétique, qui jouait un rôle consolidant dans nos liens depuis de nombreuses années. Le gouvernement polonais actuel s'en donne beaucoup de mal. Il est difficile de trouver une logique dans sa décision de fermer le régime simplifié mutuellement bénéfique de circulation frontalière avec la région de Kaliningrad. Les tentatives de justifier législativement la démolition des monuments aux guerriers soviétiques libérateurs sont blasphématoires, il n'y a pas d'autre mot. Or c'est à l'héroïsme de nos soldats que l'Etat et le peuple polonais doivent leur existence.

Ces derniers temps la Russie est accusée d'essayer de s'ingérer dans les affaires intérieures des USA, des Etats européens et de saper l'unité de l'Europe. Je ne peux que citer Emmanuel Kant, dont votre université porte le nom, qui a prôné la nécessité de réfléchir par soi-même – "la capacité de jugement est un don particulier qui demande de l'exercice, mais qui ne s'apprend pas". Il est évident que toute cette hystérie vise à rejeter sur les autres la faute de ses propres problèmes et lacunes au lieu d'une réflexion critique sur les événements dans l'UE, qui traverse une crise systémique. La Russie souhaite sincèrement que l'UE soit forte et unie, capable de déterminer elle-même les priorités en politiques extérieurs sans conseils extérieurs.

Les récentes déclarations des dirigeants de certains pays européens prêtent à croire que le "processus est en cours". Nous verrons. Quoi qu'il en soit, on voudrait que les partenaires cessent de construire le dialogue avec nous selon le principe du "dénominateur inférieur" où la position de toute l'UE se forme sur les approches d'une minorité peu nombreuse mais extrêmement russophobe et agressive.

Dans l'ensemble, nous sommes persuadés qu'il n'existe pas de problèmes insolubles dans nos relations avec l'Occident. Tout le monde doit prendre conscience de la nécessité de construire le dialogue sans arrogance ni mentorat, uniquement sur les principes d'équité, de respect mutuel, de prise en compte des intérêts réciproques et de recherche d'un équilibre de ces intérêts. Respecter rigoureusement le droit international, intégralement et non de manière sélective, cesser de s'ingérer dans les affaires intérieures d'Etats souverains. En d'autres termes, revenir aux principes de la Charte de l'Onu et de l'Acte final d'Helsinki de l'OSCE. En somme, comme l'a dit le Président russe Vladimir Poutine il y a quatre jours au Forum économique international de Saint-Pétersbourg, "nous avons besoin de sagesse et de la responsabilité, de la disposition à chercher ensemble des décisions sortant de l'ordinaire".

Nous savons qu'en Europe, qui subit des milliards de pertes à cause des sanctions, nombreux sont ceux qui s'opposent à la destruction du vaste capital de coopération acquis depuis des décennies. Nous soutenons une telle disposition. Bien sûr, nous jugerons en fonction des actes, et non des paroles. Cela concerne à part entière les USA, où se déroule une bacchanale antirusse sans la moindre preuve dans la tentative de rejouer les résultats des élections. C'est dommage. Tout cela crée un agenda surréaliste dans l'espace médiatique en détournant l'attention des tâches prioritaires pour tous – l'élaboration d'approches communes des menaces réelles, et non fictives. Notre peuple est patient, nous le savons. Je suis certain qu'en fin de compte cette pagaille cessera et les dirigeants occidentaux prendront conscience des intérêts fondamentaux de leurs peuples et reviendront aux relations normales avec la Fédération de Russie.

Pendant ce temps nous continuerons de remplir les tâches relatives au développement de notre pays et d'approfondir une coopération productive avec les partenaires étrangers qui sont prêts à travailler avec nous à égalité et de manière pragmatique sans agenda caché ni se retourner sur les perturbations de la conjoncture politique. Or ces pays représentent une grande majorité. Comme l'a prouvé le Forum de Saint-Pétersbourg de 2017 avec la participation de 8 000 participants de 62 pays.

Le Président russe Vladimir Poutine a proposé de former un Grand partenariat eurasiatique prévoyant l'établissement d'une coopération bilatérale et multilatérale entre les pays membres de l'Union économique eurasiatique (UEE), l'OCS, l'ANASE, et à terme d'autres pays d'Asie et d'Europe. Nous pourrions saluer la participation à ce travail des pays de l'UE dans le but de former un espace humanitaire et économique commun de l'Atlantique au Pacifique, comme le prônait à une époque les grands dirigeants visionnaires de l'Europe. L'établissement de liens durables entre l'UEE et la Commission européenne à Bruxelles contribuerait au renforcement de la coopération. Fin 2015 nous avions déjà transmis à la Commission européenne nos propositions. Nous attendons une réponse.

La Russie est ouverte à un large partenariat international pour surmonter efficacement les nombreuses menaces de notre époque, avant tout le terrorisme et l'extrémisme. Ce faisant, la sécurité de nos citoyens sera garantie en toutes circonstances. Comme l'a noté le Président russe Vladimir Poutine lors de son discours du 9 mai sur la place Rouge, les Forces armées russes sont capables de parer toute agression potentielle. Nous continuerons à suivre de près et à réagir opportunément aux démarches affectant nos intérêts - notamment le déploiement de nouveaux potentiels militaires de l'Otan à proximité des frontières russes, la mise en place de l'ABM global américain et de son segment européen. Dans le même temps, nous invitons l'Otan à un dialogue honnête sur l'évaluation des menaces et les doctrines militaires, à comparer les potentiels réels déployés dans la région euro-atlantique, à élaborer sur cette base des mesures pour la désescalade et le renforcement de la confiance, ainsi qu'à garantir la sécurité en Baltique. Pour l'instant, l'Alliance esquive un tel dialogue et ne réagit pas de manière constructive à nos propositions.

Chers amis,

Les efforts des autorités de la région reçoivent une estime méritée. Pendant la réunion plénière du Forum économique international de Saint-Pétersbourg 2017, le Président russe Vladimir Poutine a souligné que la région de Kaliningrad faisait partie des trois régions russes enregistrant une amélioration conséquente du milieu d'affaires. De notre côté nous avons l'intention de rester focalisés sur les questions de sécurité, de soutien à la vie, et d'augmentation de l'attractivité en termes d'investissements et de tourisme. Nous avons évoqué en détail toutes ces questions ce matin pendant notre entretien avec le Gouverneur Anton Alikhanov.

Très prochainement, vous devrez prendre la responsabilité de la situation dans le pays, assurer son développement dynamique. J'espère que beaucoup d'entre vous défendront les intérêts de la Patrie dans le service public. En tout temps ce travail était respecté à juste titre et apportait de bonnes opportunités d'auto-réalisation. Il y a plus de 200 ans, le célèbre écrivain Ernst Hoffmann, qui est né et qui a fait ses études ici, a noté que grâce au service public il avait "acquis une vision plus large sur les choses" et, "en grande partie", avait "évité l'égoïsme". J'espère que la réunion d'aujourd'hui sera utile pour vous.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

Question: Ma question concerne les guerres qui se déroulent à travers le monde – je fais allusion aux guerres médiatiques. Comme le montrent les exemples de la Syrie et de la Crimée. La région de Kaliningrad subit une très forte pression médiatique de la part des pays de l'UE. Dites-nous, s'il vous plaît, comment ne pas céder à de telles provocations médiatiques? Comment leur faire face?

Sergueï Lavrov: C'est tout un métier. Les guerres médiatiques sont menées par des professionnels. C'est également aux professionnels de divulguer les divagations et les fakes. Cela demande une analyse quotidienne honnête des faits, une attention permanente à ce que disent ceux qui souhaitent diaboliser la Fédération de Russie, noircir notre politique. Les exemples sont nombreux. Si je ne travaillais pas à mon poste, j'ignorerais une telle diffamation et bacchanale. En parlant humainement. Mais professionnellement, étant donné que la sphère médiatique devient un lieu de confrontation acharnée, bien sûr, il faut se battre pour les "cœurs et les raisons" des hommes – pas seulement de nos citoyens car ils sont également affectés, comme vous l'avez dit, par cette propagande agressive, mais également des citoyens d'autres pays qui se font une certaine image de notre pays.

Il ne s'agit pas de "rendre la monnaie de sa pièce" ou de se venger simplement en leur "mettant le nez" dans leur mensonge. C'est bien plus vaste. Nous souhaitons une coopération et une entente mutuelle, nous voulons une amitié entre les peuples, aussi banal que ce terme puisse paraître. Il ne sera pas très facile de promouvoir ces approches constructives sans confiance ni démystification du mensonge. Le meilleur moyen - et le plus simple - pour établir la vérité consiste à inviter tous ceux qui se mettent à croire les divagations en Russie, leur montrer comment les gens vivent en Crimée, comment nous réglons les questions sociales, quel est notre climat d'investissement, comment nous réalisons nos projets avec nos partenaires, y compris en prenant l'exemple des projets dans la région de Kaliningrad. Ces derniers temps, nous menons également très activement des projets de coopération frontalière avec la Pologne et la Lituanie. Des dizaines de millions d'euros sont alloués par nos partenaires européens et la Fédération de Russie pour réaliser des projets vitaux pour l'activité quotidienne de la région et des citoyens. Comme l'a mentionné le Gouverneur de la région de Kaliningrad Anton Alikhanov, tout cela est rendu possible grâce à l'enthousiasme des régions frontalières, grâce à l'enthousiasme et à la position des personnes qui ne veulent pas "jouer à la politique" à l'instar de leurs gouvernements mais voient les avantages directs d'une communication quotidienne pratique et concrète, car on doit vivre ensemble. C'est le fond des efforts que nous devons entreprendre pour diffuser une image positive de la Russie à la communauté internationale. Je ne veux pas que nous propagions une "image positive". Je veux que nous nous montrions objectivement, tels que nous sommes. Je pense que là sera notre force.

Question: En matière de diplomatie populaire, la coopération internationale de jeunesse est actuellement la plus pertinente. Le Parlement de jeunesse près la Douma d’État de l'Assemblée fédérale russe propose de mettre en place une plateforme pour organiser des stages internationaux. La région de Kaliningrad est proposée en tant que région d'essai. Le Ministère russe des Affaires étrangères est-il prêt à soutenir une telle initiative?

Sergueï Lavrov: Si j'ai bien compris, il est question d'un mouvement de jeunesse au niveau des parlements.

Question: Oui, une initiative parlementaire de jeunesse.

Sergueï Lavrov: Bien sûr, nous sommes prêts à la soutenir. Avec de nombreux collègues des pays partenaires dans le cadre de la CEI, des Brics et de l'OCS il existe des structures spéciales pour contribuer aux contacts entre les jeunes. Au niveau du Ministère russe des Affaires étrangères, nous encourageons les contacts entre les conseils de jeunes diplomates (ils existent également). Nous saluerions une coopération parlementaire de jeunesse. Honnêtement, je n'en ai pas entendu parler mais si vous nous écrivez une lettre concrète formulant votre souhait de bénéficier d'une forme de soutien et que nous pouvons vous l'accorder, nous le ferons.

Question: D'après vous, dans quelle direction faut-il orienter la politique étrangère russe: vers l'est ou vers l'ouest?

Sergueï Lavrov: Nous n'avons pas le choix: il faut travailler partout parce que Dieu, la nature, nos ancêtres et nos prédécesseurs nous ont laissé en héritage un immense pays qui occupe une grande partie de l'Eurasie. Ce terme englobe les axes européen et asiatique de notre politique étrangère. Nous n'avons aucun doute quant à la nécessité de travailler sur plusieurs axes, tel que le formule le Concept de politique étrangère de la Fédération de Russie, afin d'englober tous les vecteurs par son activité.

A l'ouest et à l'est j'ajouterai le nord et le sud. Au nord, en Arctique, se déroule un panorama très intéressant de contacts internationaux et de projets concrets liés aux méthodes plus efficaces et technologiques d'exploitation des hydrocarbures à cause de la fonte des glaces, ainsi qu'à la nécessité de prendre des mesures strictes pour la protection de l'environnement. La Russie accueille actuellement l'Année de l'écologie. Les services compétents et le Président russe Vladimir Poutine personnellement accordent une attention particulière à l'Arctique en matière de "ménage", si je puis dire.

 Bien sûr, nous avons également des intérêts au sud, notamment aujourd'hui que nos voisins chinois avancent des initiatives telles que la Ceinture économique de la Route de la soie. Récemment Pékin a organisé une conférence internationale intitulée "La Ceinture et la Route", qui suppose un travail très actif pour préparer des itinéraires de transport et énergétiques le long du périmètre sud de notre pays.

Ainsi, il ne faut pas s'enfermer "à gauche" ou "à droite". Nous devons être plus actifs partout, partout défendre nos frontières et la sécurité, mais garder ces frontières ouvertes à la coopération avec tous ceux qui y sont disposés sur une base équitable, en s'appuyant sur le respect mutuel et les intérêts réciproques.

Je comprends les raisons de votre question. Il y a aujourd'hui de nombreuses analyses et conversations sur le fait que, dans les conditions de ses relations actuelles avec l'Occident et avec l'UE, la Russie a décidé de se tourner vers l'est. Nous n'avons pas le droit de tourner le dos à qui que ce soit - ni à l'Europe ni à l'Asie - car nous ne ferions que nuire à nos intérêts et à nous-mêmes. La limitation artificielle, par l'UE, de notre coopération économique et politique est un "fait médical" que nous ne pouvons pas ignorer. Mais dès que l'Europe décidera d'en finir avec cette époque douloureuse, dès qu'elle guérira de cette maladie de sanctions, nous serons prêts à rétablir les relations exactement dans la mesure et à la vitesse avec laquelle nos partenaires européens seront prêts à le faire.

La région Asie-Pacifique, indépendamment des sanctions et des querelles avec l'UE, est un objectif stratégique, une locomotive de l'économie mondiale où se forment de nouvelles alliances technologiques. Depuis des années, nous sommes membres de structures qui travaillent dans cette région – la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (CEAP), le mécanisme des Sommets de l'Asie orientale (SAO), nous coopérons avec l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE). Il y a de nombreux formats dans lesquels nous travaillons activement depuis longtemps. L'objectif de rattraper le manque d'attention pour l'Asie-Pacifique jusqu'ici est d'actualité et indépendant de tout autre facteur. Le Président russe Vladimir Poutine l'a fixé bien avant le refroidissement des relations avec l'UE. Il faut travailler partout. C'est notre pays, il a d'immenses avantages géopolitiques qu'il faut pleinement utiliser.

Question: Récemment, le journal Washington Post a qualifié la tournée européenne du Président américain Donald Trump d'échec. La Chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que l'Europe ne devait désormais compter que sur elle-même en politique étrangère. D'après, vous, les dirigeants européens construiront-ils à terme leur politique étrangère sans se tourner vers l'administration américaine?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne l'appréciation de la tournée européenne du Président américain, c'est aux Américains d'en décider. C'est leur président, il défendait les intérêts de sa population, c'est à elle de donner son estimation. Je doute que qui que ce soit d'autre, y compris les Européens, doive le voir de "sa propre hauteur" en prenant la décision pour les électeurs américains.

Oui, j'ai entendu qu'Angela Merkel avait déclaré qu'après le Brexit et la visite européenne de Donald Trump, l'Europe devait compter sur elle-même. Nous avons toujours prôné la présence d'un plus grand nombre d'acteurs autonomes dans le monde. Si c'est une reconnaissance que jusqu'à présent l'Europe n'était pas autonome, alors je salue cet éveil et je souhaite qu'il s'exprime dans les affaires internationales.

Question: Arriverez-vous à assister à un match de la Coupe des confédérations? Quelle équipe supportez-vous?

Sergueï Lavrov: Vous demandez sérieusement quelle équipe je supporterai pendant la Coupe des confédérations?

Question: Je voulais dire, quelle équipe russe supportez-vous?

Sergueï Lavrov: Je ne sais pas si vous arriverez à voir d'ici… (montre son portable avec le logotype du Spartak Moscou).

Question: C'est bien connu que M. Lavrov est un supporter du Spartak Moscou.

Sergueï Lavrov: Moi-même j'essaie de jouer. Anton Alikhanov est également un sportif, j'ai subi plusieurs blessures. Cela va avec le hobby.

Question: Quel rôle l'art joue-t-il dans votre vie? Le Ministre russe des Affaires étrangères est-il avant tout l'interprète habile d'une politique déjà formulée où avez-vous la liberté sur certaines questions et créez-vous de la politique sur certains thèmes?

Sergueï Lavrov: Conformément à notre Constitution, la politique étrangère est déterminée par le Président russe. Bien sûr, le Président ne travaille pas de manière isolée et reçoit une quantité colossale d'informations du Ministère des Affaires étrangères, des renseignements, des services spéciaux, du bloc économique du gouvernement, du milieu académique, de ses conseillers qui sont plusieurs à travailler dans différent secteurs. Ces informations contiennent généralement des propositions. Il est important non seulement de rapporter les faits, mais également de proposer des mesures pour réagir. Parfois, il ne faut pas seulement rapporter les faits et proposer une réaction mais surtout analyser la situation dans une certaine région, dans un secteur précis de la politique étrangère du point de vue des prévisions – on se questionne sur ce qui pourrait se produire et des mesures préventives sont proposées. Toutes ces analyses et propositions (qui peuvent contenir plusieurs options) arrivent sur le bureau du Président, et à partir de l'analyse de cette masse d'informations il prend une décision. Bien sûr, ces décisions ne sont pas prescrites jusqu'à la dernière virgule, jusqu'à chaque phrase que les diplomates doivent dire dans les pourparlers avec leurs partenaires. Le Président fixe un vecteur, un objectif, après quoi vient le moment de la créativité, de l'ingéniosité. Pour cela les diplomates doivent être très cultivés, érudits, connaître l'histoire de leur pays et d'autres États.

Dans l'ensemble c'est ainsi que cela se passe.

Question: Au vu de la récente adhésion du Monténégro à l'Otan, la situation géopolitique va-t-elle changer en Europe? Si oui, de quelle manière vont évoluer nos relations avec le Monténégro?

Sergueï Lavrov: Nous nous sommes déjà exprimés à ce sujet à la veille de la décision formelle concernant l'adhésion du Monténégro à l'Otan. La question était réglée d'avance.

Du point de vue de la sécurité paneuropéenne, l'expansion de l'Otan vers l'est ou dans toute autre direction n'ajoute rien de positif. A la fin des années 1990 les dirigeants des pays d'Europe, des USA et du Canada ont solennellement proclamé le principe d'indivisibilité de la sécurité, en déclarant que la sécurité pouvait être seulement commune, égale et indivisible pour que personne n'entreprenne de démarches portant atteinte à la sécurité des autres. C'est écrit dans les documents des sommets de l'OSCE et dans ceux des réunions du Conseil Otan-Russie au sommet. Cela ne suppose pas le maintien des blocs militaro-politiques mais l'élaboration d'une base juridique commune mettant au même niveau tous ceux qui se trouvent dans l'espace euro-atlantique.

L'adhésion du Monténégro à l'Otan, tout comme les "vagues" d'expansion de l'Otan ces 15 dernières années, montre que l'Alliance ne souhaite pas de sécurité commune égale. En effet, quand nous avons proposé de signer un traité sur la sécurité européenne qui fixerait sous forme juridique des garanties d'indivisibilité de cette sécurité, ils ont refusé en disant qu'ils n'étaient prêts à fournir de garanties juridiques qu'à ceux qui adhèrent à l'Otan. Suscitant ainsi la tentation d'autres pays, y compris en Europe de l'Est et centrale. Puis ils se sont attaqués à l'espace postsoviétique. En 2008, pendant le sommet de l'Otan, il a été annoncé que la Géorgie et l'Ukraine rejoindraient l'Alliance. La même année Mikhaïl Saakachvili l'a manifestement perçu comme un encouragement à l'action et à l'impunité et il a attaqué son propre peuple. L'Ossétie du Sud faisait partie de la Géorgie, ils avaient un conflit, mais il était régulé par les accords dans le cadre de l'OSCE, des casques bleus y étaient présents. Mikhaïl Saakachvili a "perdu la tête" en entendant qu'il allait rejoindre l'Otan. Il y a trois ans les radicaux ukrainiens ont également décidé que tout leur était permis et ont organisé un coup d’État. Nous avons vu à quoi conduisent de telles promesses irréfléchies.

Cela fait longtemps que l'Otan a des vues sur les Balkans et veut aspirer tous les pays de cette région dans sa structure. Quant à la sécurité paneuropéenne et à l'expansion de l'Otan, y compris l'adhésion du Monténégro, ils maintiennent les lignes de démarcation au lieu de les effacer comme ils l'avaient promis. Du point de vue de la sécurité de l'Alliance, l'adhésion du Monténégro n'apporte rien - hormis probablement le fait que désormais il faudra également protéger le Monténégro. En réalité, on y déploiera simplement des éléments supplémentaires d'infrastructure militaire. Le pays a d'excellentes baies, il y a de quoi faire. La sécurité du Monténégro se renforcera-t-elle? J'en doute. Personne n'avait ni n'a l'intention d'attaquer ce pays. A une époque, quand l'ex-Yougoslavie s'est effondrée en laissant seulement la Communauté d'États de Serbie-et-Monténégro, cette Communauté a été modelée par Bruxelles qui a fait signer un document à Belgrade et Podgorica dans lequel les deux parties s'engageaient à rester pendant trois ans un État d'union, après quoi chacune aurait le droit d'organiser un référendum sur leur avenir – commun ou séparé. Après ce délai de trois ans Javier Solana, Haut représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, nous a soudainement demandé de persuader les Monténégrins de ne pas organiser le référendum sur l'indépendance. Nous avons demandé: qu'est-ce que la Russie a à voir dans cette histoire? Réponse: ils écoutent Moscou, nous avons une histoire commune, ils se souviennent que nous les avons libérés de nombreuses guerres, du joug turc, pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors j'ai demandé: pourquoi, après avoir signé ce document et convenu de marquer une pause de trois ans, ils chercheraient aujourd'hui à modifier leurs propres règles? Pas de réponse. J'ai demandé: pourquoi n'ont-ils rien fait pendant trois ans? Ils espéraient que pendant ce délai ils ouvriraient à la Serbie et au Monténégro la voie pour adhérer à l'UE, mais rien n'a été fait. Et voici qu'ils nous demandent de persuader les Monténégrins de ne pas s'engager sur la voie de l'indépendance. Nous avons refusé en disant que c'était leur droit. A l'époque les Monténégrins nous avaient remerciés, alors que les dirigeants actuels ne sont pas seulement ingrats: ils se sont retrouvés dans une très mauvaise situation. A une époque ils ont eu des démêlés avec la justice, ils ont fait l'objet d'accusations, y compris pénales, du côté des pays européens. Je pense que cela a joué un rôle dans l'acceptation des Monténégrins d'adhérer à l'Otan, tout comme leur volonté de se distancer de la Fédération de Russie. J'ignore pourquoi. C'est effectivement une démarche qui ne contribue pas à la sécurité ni de la communauté euro-atlantique, ni de l'Otan, ni du Monténégro. Leur décision de justifier l'adhésion à l'Otan par de prétendues machinations de Moscou, par l'ingérence dans leurs élections, par l'envoi d'espions et par le recrutement de politiciens en exercice, est malhonnête. La campagne russophobe lancée sur fond d'adhésion à l'Otan montre que le Monténégro ne se préoccupe pas des principes paneuropéens et veut vendre au plus offrant ses déclarations antirusses. Dieu les jugera mais nous ne pouvons pas l'ignorer.

J'ai entendu que le flux de touristes russes au Monténégro s'était réduit de 20%. Nous avertissons que leur russophobie dépasse les limites. Le fait que nos compatriotes soient arrêtés et kidnappés dans certains pays européens pour être extradés de l'autre côté de l'océan doit également être pris en compte.

Je répète que le Monténégro n'est pas sûr aujourd'hui de ce point de vue, même si j'adore ce pays qui a une nature magnifique et des habitants merveilleux. Mais les dirigeants actuels tentent de changer nos relations.

Question: De nombreuses organisations de jeunesse sont aujourd'hui actives autour du monde, qui reproduisent le fonctionnement des institutions officielles (parlement, ministères, etc.). Quelle est l'attitude à leur égard et comment leurs décisions influencent-elles les décisions prises par les organismes "adultes"?

Sergueï Lavrov: L'attitude est très positive. J'ai déjà répondu à une question similaire. Il est très important que les jeunes communiquent et fassent connaissance. Auprès du Ministère russe des Affaires étrangères existe l'agence Rossotroudnitchestvo dans le cadre de laquelle nous organisons régulièrement des tournées de jeunesse en Russie - et nous augmentons le nombre de places pour participer à de telles tournées. La même chose est faite au niveau des parlements.

Nous pensons que les jeunes doivent toujours bénéficier d'une attention particulière car ils sont notre avenir. Honnêtement, je ne sais pas dans quelle mesure les recommandations adoptées par les structures parlementaires de jeunesse sont mises en œuvre car s'il s'agit de structures parlementaires qui conseillent les parlements "adultes". Auprès du Ministère des Affaires étrangères existe le Conseil des jeunes diplomates dont les membres inventent régulièrement quelque chose, ils posent sur la table des idées que nous examinons. Beaucoup d'entre elles sont prises en compte. Je communique régulièrement avec eux. De plus, nous organisons différents concours de jeunes diplomates pour un meilleur travail sur différents thèmes de politique étrangère, ce qui stimule également le processus de réflexion et aide les jeunes à mieux prendre leurs marques et à s'engager dans le travail au niveau adulte.

Question: Aujourd'hui vous êtes le diplômé le plus célèbre de l'Institut des relations internationales de Moscou (MGIMO), et auteur de l'hymne de l'Université. Vous suivez le monde étudiant depuis plusieurs années. Quelles sont vos impressions quant à l'évolution des jeunes dans l'histoire de la nouvelle Russie?

Sergueï Lavrov: J'aime bien les jeunes. Je vois maintenant des visages beaux et intéressés, il y a une perception vivante de la communication.

Chaque année, le 1er septembre, je me rends au MGIMO. Avant j'y lisais de longs discours, maintenant je me contente d'une salutation d'une page et demie, après quoi je réponds aux questions de manière interactive. Ce sont des personnes très intéressantes, ayant leurs propres idées, autonomes et reflétant déjà les réalités du nouvel ordre technologique moderne avec lequel les adultes doivent également se familiariser, comme l'a déclaré le Président russe Vladimir Poutine pendant le Forum économique international de Saint-Pétersbourg. J'apprécie les jeunes, je veux les soutenir pour qu'ils entrent de manière confortable, productive et avec perspective dans l'avenir post-universitaire.

Question: Je vous considère comme le meilleur homme politique de toute la scène internationale. Il serait donc intéressant de connaître votre avis sur le règlement du conflit dans le Haut Karabagh. Quelles solutions voyez-vous à ce problème?

Sergueï Lavrov: Seulement s'entendre, il n'y a pas d'autre solution. Depuis que les négociations ont commencé - et elles sont longues - plusieurs accords ont été signés, sous différentes formes. Nous nous sommes approchés du dénouement à plusieurs reprises (parfois très près), puis se déclenchait un instinct de méfiance d'un côté ou de l'autre. Mais il faut poursuivre le travail. Il y a un ensemble de principes approuvés globalement par tous, mais le diable est dans les détails. En présence d'un accord des parties sur la forme du dénouement, à différentes étapes, il faut convenir d'abord d'un ensemble de détails très complexes relatifs aux questions délicates pour chacune des parties, y compris de politique nationale. Nous ne baissons pas les bras. Comme vous le savez la Russie, avec les USA et la France, est coprésidente du Groupe de Minsk de l'OSCE. Dans ce "trio" et avec le représentant spécial de l'OSCE nous rencontrons régulièrement les parties. Les experts du "trio" se rendent régulièrement à Bakou, à Erevan et à Stepanakert.

Nous changerons prochainement d'équipe car les nouveaux présidents des USA et de la France doivent encore nommer leurs nouveaux représentants. Dans le cadre de ce "trio" nous réfléchirons aux solutions pour surmonter les détails mineurs en apparence, mais en réalité très sérieux qui ne sont pas encore convenus.

Question: La situation géographique de la région de Kaliningrad est unique. Nous sommes entourés de magnifiques pays. Je pense que tout habitant de Kaliningrad a un ami polonais, lituanien ou allemand. Nous communiquons tous et soutenons les relations internationales. L'an prochain nous accueillerons la Coupe du monde de football. Quelle politique comptez-vous mener pour normaliser les relations avec les pays qui nous entourent et dont nous recevrons les représentants. Comment comptez-vous attirer les touristes?

Actuellement on tente de remettre la ville en ordre, la publicité répugnante a été retirée, ainsi que les bâches des clôtures derrières lesquelles on ne voyait ni les gens, ni les voitures. Dans la rue centrale de Zelenogradsk on change les pavés, mais de telle manière que cela provoque des trous et des fissures empêchant de marcher. Il reste très peu de temps avant le Mondial. J'espère qu'hormis la publicité à Kaliningrad et les passages piétons à Zelenogradsk, d'autres choses seront aménagées au centre-ville.

Sergueï Lavrov (répond après Anton Alikhanov): Anton Alikhanov, Gouverneur par intérim de la région de Kaliningrad, déploiera toute son énergie pour que les résultats soient visibles, je n'en doute pas. Il réglera toutes les questions concernant l'image de la ville et de la région pour faire en sorte qu'elles soient les plus attractives possibles pour les touristes, en plus de ses trésors et curiosités qui attirent déjà de nombreux étrangers.

En ce qui concerne votre question sur ce qui peut être fait pour attirer davantage de touristes: nous y travaillons. Le Gouverneur par intérim de la région de Kaliningrad Anton Alikhanov a dit que dans le cadre du régime de zone économique particulière avait déjà été préparé un projet pour délivrer assez rapidement et facilement des visas électroniques. La question sera de savoir quels pays feront partie de cette liste. Nous essaierons, je l'ai promis et je le dis publiquement, de faire en sorte qu'elle soit la plus large possible et assure un maximum de confort pour les citoyens des pays voisins et d'autres pays qui veulent venir ici et être amis avec vous. Après tout, vous avez des amis en Lituanie, en Pologne et en Allemagne?

En parlant des solutions qui permettraient de faciliter la communication, nous ne devrions pas oublier que c'est une "route à double sens". Quand la Lituanie construit une clôture, quand la Pologne annule la circulation frontalière réduite (on ne sait pas pourquoi), cela cause des problèmes réels à vos amis. Quand vous communiquez avec vos amis, rappelez-le-leur. Qu'ils montent un mouvement pour que les barrières artificielles physiques ou de visa n'empêchent pas votre amitié.

Question: Il est difficile de surestimer le rôle des réseaux sociaux dans notre espace médiatique actuel. Pour de nombreux citoyens de notre pays, qui plus est pour les jeunes, les réseaux sociaux sont devenus le principal fournisseur d'informations. Je voudrais savoir si vous suivez les informations à votre sujet sur internet? Quelle est votre réaction?

Sergueï Lavrov: Je n'ai pas le temps de chercher spécialement des informations sur moi sur internet ni l'intérêt, à vrai dire. La porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova, qui n'a pas pu venir cette fois, me fait parfois part de ce qu'on écrit sur le Ministère russe des Affaires étrangères et sur moi. Parfois c'est amusant.

Question: D'après vous, dans quels pays augmentera prochainement l'intérêt pour la langue russe? Sur qui devons-nous parier?

Sergueï Lavrov: Je ne peux pas vous citer les statistiques tout de suite mais elles existent. On constate une hausse de l'intérêt pour le russe dans de nombreuses régions du monde. Nous nous sommes entretenus aujourd'hui avec Miroslav Lajcak, Ministre slovaque des Affaires étrangères, pour parler de ce que vous venez de demander. L'intérêt pour le russe augmente également dans son pays. Je peux formuler le même constat à l'issue de la plupart de mes entretiens avec mes homologues de différentes régions – d'Afrique, d'Amérique latine, d'Europe et d'Asie. Si nous avons des données statistiques globales, nous vous les enverrons. Pariez sur l'internationalisme!

Question: Que peut faire l'Université fédérale baltique Emmanuel Kant pour développer la coopération frontalière entre la Russie, la Lituanie, la Pologne et l'Allemagne?

Sergueï Lavrov: Je suis certain que vous avez des partenaires dans le milieu universitaire d'autres pays. Si vous voulez parler de mon attitude envers les jeunes: sachez que je leur fais confiance. Organisez des festivals sportifs tour à tour à domicile et à l'étranger, des concours, par exemple, des concours d'allemand à Kaliningrad pour la meilleure connaissance de l'allemand et de la langue russe en Allemagne. Il n'y a pas de limites à l'imagination.

Question: Au niveau international, la migration de travail est significativement influencée par la politique étrangère. Nous nous souvenons tous des conflits et des complications dans les relations avec la Turquie, et des mesures de rétorsion russes qui ont limité la migration de travail en provenance de ce pays. L'amélioration des relations et le rapprochement des positions avec la Moldavie, la Serbie et la Chine peuvent-ils se traduire par une intensification de la migration de travail en provenance de ces pays?

Dans quelle mesure les partenaires européens tendent-ils aujourd'hui leur volonté vers la création d'un espace économique commun de Lisbonne à Vladivostok et engagent des démarches dans ce sens?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne la migration extérieure, le confort des migrants de travail dans un pays dépend d'un très grand nombre de facteurs dont le plus important est probablement l'état général des relations bilatérales au niveau étatique: si les relations sont bonnes et amicales, si les autorités des deux pays cultivent des relations amicales entre les deux peuples, alors en général les migrants se sentent très bien. Mais si dans l'un des pays, pour des raisons conjoncturelles ou autres, les autorités décident de mener une politique antirusse, alors je ne pense pas qu'il soit plus facile pour les migrants du premier pays de venir vivre et travailler en Russie. Car quand on crée une confrontation à l'égard d'un État les citoyens de ce dernier, si ce sont des gens normaux, commencent à se méfier de ce qui se trouve derrière cette confrontation. Je comprends que les gens ordinaires ne sont pas responsables de ce que font parfois les politiciens qu'ils ont portés au pouvoir. Mais c'est un facteur objectif, la nature humaine. De toute façon, psychologiquement, on créera un fond négatif pour nos relations en matière de migration. Nous sommes opposés à l'utilisation de la migration de travail comme un levier à des fins géopolitiques, tout comme nous sommes opposés à l'instrumentalisation de toute sphère des relations à ces fins. Il faut le voir de la manière suivante. Par exemple, nous accueillons actuellement sur notre territoire un très grand nombre de migrants ukrainiens - on estime que les ressortissants de ce pays sont 2 à 3 millions en Russie. Je pense que c'est le cas, et peut-être sont-ils même plus nombreux. Quand, aujourd'hui en Ukraine, on nous accuse sérieusement de tous les péchés, on légitime les putschistes qui ont renversé le président impopulaire mais légitime en violant l'accord signé la veille avec le soutien de la France, de l'Allemagne et de la Pologne, qui se sont mises ensuite à justifier ce qui s'est produit, quand on verse de la boue et on interdit de séjour nos artistes et personnalités culturelles, quand on confisque aux investisseurs russes leur entreprise, quand enfin on parle sérieusement de l'instauration d'un régime de visa, d'après vous, devons-nous simplement l'accepter et ne pas répondre par la réciproque? Nous n'avons établi aucune liste noire anti-ukrainienne, à l'exception de cas isolés. Mais si un régime de visa était instauré, alors évidemment nous réagirions par un régime de visa. Les personnes concernées ne doivent pas garder le silence et dire à leur gouvernement qu'elles sont également des citoyens ukrainiens, avec des intérêts légitimes. C'est une immense partie de la population, plusieurs millions de personnes: qu'elles exigent une politique raisonnable.

Le gouvernement moldave vient d'expulser cinq diplomates de notre Ambassade, essentiellement des attachés - or ce sont des personnes qui assurent le fonctionnement de la Commission de contrôle unifiée qui se compose de représentants de la Moldavie, de la Transnistrie et de la Russie. Ils évoquent et règlent régulièrement les questions liées à la garantie de la sécurité sur la ligne de contact entre la Transnistrie et le reste de la Moldavie. Ils ont été simplement expulsés. Cette commission ne pourra pas travailler. On interdit constamment des vols dans l'espace aérien de la Transnistrie, on exige de respecter certaines conditions. Nous avons réagi en demandant à cinq diplomates moldaves de quitter la Russie. Mais je ne cache pas que nombre de nos collègues étaient tentés de décréter des sanctions, y compris des restrictions de travail pour les migrants moldaves, ce qui aurait été regrettable. Le Président russe Vladimir Poutine a décidé de ne pas le faire à l'étape actuelle, il s'est entretenu avec le Président moldave Igor Dodon à Saint-Pétersbourg et ils sont parvenus à un tel accord. Mais comprenez qu'il est très difficile de tolérer éternellement les tentatives d'humiliation. Comme je l'ai dit, notre peuple est patient, compatissant, et ces qualités restent présentes mais il est également fier, il est prêt à se défendre quand on tente de provoquer artificiellement une réaction irritée. Or nous savons que ce n'est pas une initiative de Chisinau, qui n'a aucune marge de manœuvre. Nous savons parfaitement qui cherche à nous brouiller avec nos voisins. Dans certains cas ils ont réussi, comme dans celui de l'Ukraine. Une grande partie du pays a été dressée contre la Russie.

Les migrants de travail sont un facteur de consolidation. Des gens vivent ici, ils voient comment se développe la Russie, qui sont les citoyens du pays. La majorité de la population a de très bonnes relations avec eux. Ceux qui souhaitent provoquer des décisions pour compliquer la vie des migrants de travail sont des provocateurs. Ils le font à des fins peu louables, pour nous brouiller à nouveau avec des peuples fraternels.

En ce qui concerne votre seconde question. Charles de Gaulle fut le premier à parler d'une Europe unie "de l'Atlantique à l'Oural". Toutefois, la Russie ne se termine pas aux limites de l'Oural, c'est pourquoi on dit aujourd'hui "de l'Atlantique à Vladivostok". En fait, je ne verrais aucun problème si nous commencions aujourd'hui à parler d'un espace économique commun de l'hémisphère Nord – après tout, les USA et le Canada sont membres de l'OSCE. Il existe donc dès à présent des formats qui permettent d'évoquer les intérêts communs. D'autant que l'OSCE dispose également d'un "panier" commun pour examiner certaines questions concrètes relatives à la coopération économique. Le projet "de l'Atlantique à Vladivostok" était déjà abordé pendant les années où notre dialogue avec l'UE traversait une meilleure phase. Nous proposions même d'entamer les consultations pour conjuguer le niveau d'intégration atteint en UE et ce qui a été obtenu à l'étape actuelle dans le cadre de l'Union économique eurasiatique (UEE). Il y a un an et demi, la commission de l'UEE a proposé à la Commission européenne d'ouvrir des consultations techniques mais aucune réponse n'a été donnée. Ces derniers temps, nous recevons des signaux indiquant que l'Allemagne songerait à organiser des contacts au moins techniques et non contraignants. Nous y sommes prêts.

J'ai mentionné l'initiative "La Ceinture et la Route", qui ne se limite pas non plus à l'Asie et prévoit des itinéraires économiques de transport très vastes jusqu'en Europe. L'idée est la même: il faut unir le potentiel et les avantages comparatifs de tous nos pays. Je trouve que le projet eurasiatique est très prometteur.

Question: Comment évaluez-vous les relations entre la Russie et l'Ouzbékistan après l'élection d'un nouveau président dans ce pays?

Sergueï Lavrov: Avec l'Ouzbékistan nous avons traditionnellement des relations très chaleureuses et d'alliés depuis de nombreuses années. Nous avons un Accord sur les relations d'alliés qui englobe toutes les sphères – la politique, l'économie, la coopération militaire et technique. Après l'élection du nouveau Président de l'Ouzbékistan nos relations continuent de se développer. Chavkat Mirzieev s'est rendu en Russie en visite officielle en avril 2017 pour convenir de plusieurs nouveaux aspects, nous avons également senti l'intérêt accru de l'Ouzbékistan pour une participation aux projets multilatéraux dans le cadre de la CEI en plus des très bonnes relations bilatérales, stratégiques et d'alliés que nous avons nouées. Nous pouvons et nous profiterons plus activement de la participation conjointe de nos pays aux structures multilatérales dans notre espace commun.

Question: Quelle est la principale leçon de vos treize ans au poste de Ministre des Affaires étrangères?

Sergueï Lavrov: Répondre à cette question nécessiterait plusieurs tomes de mémoires. Globalement, la diplomatie est un travail très intéressant. D'ailleurs, je maintiens fermement que que c'est le plus vieux métier du monde - et je suis prêt à défendre cette idée. Le plus vieux métier du monde était la diplomatie car il fallait d'abord s'entendre. La diplomatie est l'art de s'entendre, ce qu'on n'arrive pas toujours à faire, comme dans la vie. Mais quand des semaines et des mois de négociations conduisent à un résultat, comme ce fut le cas en février 2015 à Minsk, quand avec notre participation les présidents ont débouché sur les Accords de Minsk après 17 heures de travail, vous n'imaginez pas le sentiment que l'on éprouve. Puis cela a été approuvé au Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui est également très important. Bien sûr, l'heure est à la déception aujourd'hui parce que nous sommes dans l'impasse et que nos voisins ukrainiens ne veulent pas, ne peuvent pas et ne rempliront pas les accords. Nous espérons que les nouvelles autorités des pays qui aident à chercher des solutions pour la mise en œuvre à part entière des Accords de Minsk détermineront leurs approches et influenceront Kiev plus efficacement qu'elles ne l'ont fait jusqu'à présent.

Nous recevons des informations indiquant que, dans le cadre de contacts privés avec les autorités ukrainiennes, les Européens parlent assez franchement et exigent qu'ils entament tout de même des démarches pour remplir ces Accords de Minsk, au même titre que les mesures pour accomplir les engagements de Minsk pris par le gouvernement ukrainien dans la lutte contre la corruption, la mise en œuvre des réformes économiques, etc. Mais malgré toute la fermeté des contacts privés et du ton approprié, les exigences ne sont pas exprimées dans la sphère publique car ces personnes ont été prises sous une aile, on a légitimé la méthode qui leur a permis d'arriver au pouvoir. Il est regrettable que le résultat d'accords diplomatiques bute dans l'incapacité ou la réticence à les remplir.

Ce fut également le cas des négociations que nous avons menées durant toute l'année dernière avec le Secrétaire d’État américain John Kerry, avec la participation de nos miliaires, pour lutter plus efficacement contre les terroristes en Syrie. Nous avions enfin mis au point un accord, approuvé par le Président russe Vladimir Poutine et le Président américain Barack Obama début septembre quand ils se sont rencontrés en Chine en marge du G20. Trois jours plus tard, nous avons fixé avec John Kerry toutes les formulations sans exception, et dans ces formulations les USA s'engageaient à identifier sur la carte les positions des groupes d'opposition qui ne font pas partie des structures terroristes et qui coopèrent avec les USA. Il était prévu de le faire en même temps, pour que ces désignations sur la carte soient un signal montrant que nous n'attaquerions pas ces territoires et agirions de manière coordonnée sur les autres territoires. En d'autres termes, il est précisément question de la distinction entre les terroristes et l'opposition normale, dont nous avons beaucoup parlé. Nous nous sommes entendus, tout a été écrit, les Américains ont pris des engagements dans le cadre de ce document mais ont été incapables de le remplir. Toute cette construction s'est effondrée. Alors que s'ils avaient tenu leur promesse, la situation aujourd'hui serait différente en Syrie. Cet accord impliquait des choses très sérieuses qui assuraient la coordination des frappes de l'aviation russe et de la coalition menée par les USA. D'un autre côté, quand les accords conclus sont mis en œuvre, cela ajoute des sentiments positifs. Cela arrive également.

Question: En réagissant aux sanctions et en interdisant des produits en provenance de certains pays, nous privons nos producteurs du facteur de concurrence avec les marchandises étrangères. L'espoir que la qualité augmente et que les prix baissent s'estompe. Ne pensez-vous pas que ces mesures nous ont plus porté atteinte qu'elles n'ont eu d'effet?

Sergueï Lavrov: Quand on compare l'ampleur des pertes financières, on voit que non. Les Autrichiens ont calculé que les pertes de l'UE étaient colossales - pas loin de 100 milliards de dollars. Selon certains calculs, cela représente plusieurs centaines d'emplois. Je suis d'accord sur le fait que la concurrence est un moteur de progrès, tout comme l'entrepreneuriat privé, comme disait un héros de la littérature. Mais il ne faut pas oublier l'origine de nos mesures de rétorsion. Car quand les USA, l'UE et d'autres pays ont décrété l'interdiction de plusieurs opérations financières avec la Russie, cela limitait également les capacités qu'avaient nos banques d'emprunter de l'argent (le délai de 90 jours a été réduit à 30 jours). Cela a notamment touché la Rosselkhozbank qui créditait nos producteurs agricoles et garantissait ces opérations en grande partie en empruntant dans les pays qui ont précisément interdit de nous délivrer des prêts "à long terme". Cela augmente justement la concurrence car les producteurs agricoles des pays ayant adopté des sanctions continuaient de profiter des crédits de leurs banques, rendant ainsi leur production plus compétitive par la concurrence déloyale. C'est pourquoi il a été décidé de placer nos producteurs dans cette situation pour qu'ils puissent les concurrencer. Si la concurrence est sapée par les partenaires, alors voilà ce qui se produit. Regardons le résultat. De quels produits manque-t-on aujourd'hui?

Question: Pendant deux ans, la Pologne sera membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Quels changements ou détériorations pour la position de la Russie en politique étrangère attendez-vous compte tenu des déclarations que se permettent de faire certains représentants polonais?

Sergueï Lavrov: Je ne m'attends à aucune conséquence. La russophobie continuera de "couler" comme elle le faisait. La Pologne, comme la Russie et l'Ukraine, fait partie du groupe d'Europe de l'Est à l'Onu - il y a les groupes d'Europe de l'Est, d'Europe occidentale, d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine. Ces groupes existent avec pour seul objectif de s'entendre pour savoir qui sera élu dans tel ou tel organe de l'Onu, y compris au Conseil de sécurité des Nations unies. La Russie est l'un des membres permanents du Conseil de sécurité et une place de membre non permanent est réservée aux autres membres. Très souvent, à l'intérieur du groupe d'Europe de l'Est, les candidats sont plus nombreux que les places disponibles. Mais dernièrement les candidats étaient toujours unis. La dernière fois l'Ukraine, actuellement membre, a été élue pour deux ans. Aujourd'hui la candidature de la Pologne a été approuvée hors concurrence. Nous ne nous y sommes pas opposés. Nous ne voulons pas reporter sur le fonctionnement des organisations internationales l'"anormalité" créée à Kiev et à Varsovie vis-à-vis de la Russie. Mais quand il y a quelques temps la candidature des Ukrainiens a été validée pour représenter le groupe d'Europe de l'Est, ils assuraient qu'ils n'abuseraient pas de leur statut de membre au Conseil pour promouvoir leur agenda individuel antirusse, sachant qu'ils le disaient à d'autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies, pas à nous. Ils avaient menti. Si les Polonais promeuvent également leurs idées russophobes via le Conseil de sécurité des Nations unies en détournant l'attention des questions réellement importantes, nous le prendrons philosophiquement. Le temps passera et remettra tout à sa place.

Question: J'ai une question sur la sécurité de notre État. Vous avez parlé de l'aspiration des USA à contrôler les Balkans. Dans quelle mesure l'aspiration des USA à contrôler non seulement les Balkans mais aussi d'autres pays frontaliers du territoire de la Russie pèse-t-elle sur notre État et son avenir? Cela va-t-il conduire à une nouvelle guerre mondiale?

Sergueï Lavrov: Il ne faut pas s'attendre à une guerre mondiale dans sa notion classique: la guerre propagandiste, dans le champ médiatique, se déroule depuis longtemps. Il faut faire quelque chose car depuis de nombreuses années, avec nos partenaires des Brics et de l'OCS, nous proposons d'élaborer à l'Onu des règles communes de conduite dans le cyberespace. Chaque année nous soumettons des résolutions sur la sécurité informatique internationale. Un groupe d'experts gouvernementaux a été créé et il a déjà préparé le premier rapport. Maintenant un autre groupe d'experts a été créé et son mandat est encore plus concret. Par ailleurs, dans les propositions soumises depuis longtemps à l'Onu se trouvait celle de s'entendre sur la lutte contre le piratage, d'empêcher les hackers de porter préjudice à la sécurité de l’État, à ses intérêts, à la santé publique, etc. A l'époque les pays occidentaux n'y avaient pas accordé beaucoup d'attention, se référant à la liberté d'expression. Récemment j'ai entendu la Première ministre britannique Theresa May dire qu'il fallait prendre des mesures pour empêcher qu'internet soit utilisé par les terroristes. Mais c'est une démarche imposée par les circonstances.

Même si cela ne sera pas simple, je pense que nous arriverons à nous mettre d'accord sur les règles qui permettront de surmonter le monopole du contrôle de l'internet pour rendre ce contrôle plus transparent, plus juste et plus sûr afin de lutter contre ceux qui voudraient utiliser illégalement ses possibilités à des fins militaro-politiques, pour promouvoir les idées terroristes et d'autres formes de crime organisé comme la pornographie, la pédophilie, etc.

En ce qui concerne l'intérêt des USA et d'autres pays pour influencer nos voisins, renforcer leurs positions dans les régions voisines et en principe renforcer leurs positions notamment dans les régions où se croisent les voies commerciales internationales, où le commerce est actif, où se trouvent des ressources naturelles qui peuvent faire l'objet de projets mutuellement bénéfiques, ce n'est pas honteux ou contre nature. De nombreux pays ayant la capacité de développer des relations avec des régions en retard en profitent, et c'est absolument normal du point de vue du droit international. Mais quand on se met à renforcer son influence pour entre autres - voire surtout - travailler contre la Russie, c'est illégal et illégitime. Prenez l'exemple de l'Afghanistan. Quand les USA y ont introduit les contingents de l'Otan après le 11 septembre 2001, ils ont organisé une lutte contre le terrorisme, ils devaient lutter contre le trafic de stupéfiants, mais rien ne s'est produit. Jusqu'à présent ils n'arrivent pas à expliquer les communiqués très véridiques et qu'on a tenté d'étouffer indiquant que l'aviation militaire américaine a servi à transporter des drogues en Europe, et à partir de là dans d'autres régions du monde. Selon les estimations de l'Onu, depuis l'arrivée des pays de l'Otan l'industrie de la drogue a décuplé dans ce pays. Une immense partie de ce poison arrive en Russie. La menace terroriste ne s'est pas réduite. En outre, hormis les talibans qui sont le produit de la société afghane et qui doivent être inclus à la réconciliation nationale, l’État islamique y a significativement renforcé ses positions au nord, à proximité des pays d'Asie centrale avec lesquels nous n'avons pas de frontière. Tirez-en les conclusions. Sans compter les cas d'envoi de terroristes dans notre Caucase du Nord depuis le territoire des pays où cette influence est exercée. Nous voulons que les intérêts des USA et de tous les autres pays soient pris en compte en réglant les problèmes qui surviennent dans les États voisins. L'Afghanistan est un très bon exemple. C'est un pays déchiré depuis des décennies par les contradictions, où il est difficile de trouver une entente nationale acceptable. C'est un système tribal, où le pouvoir central n'a jamais été puissant. Le compromis était recherché par une entente avec les gouverneurs des provinces. Vous souvenez-vous quand l'URSS était en Afghanistan, les Américains formaient activement les moudjahidines, leur fournissaient des armes et les soutenaient? Cela a donné naissance à Al-Qaïda. Quand l'Irak a été envahi en 2003 sous un prétexte absolument faux, l’État islamique s'est formé. Les tentatives d'utiliser des méchants pour nuire à son rival géopolitique sur le plan conjoncturel, puis quand l'objectif est atteint vouloir à nouveau contrôler ces méchants, sont indécentes car c'est Al-Qaïda, créé par des moudjahidines alimentés par les Américains en Afghanistan, qui a commis l'attentat du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles aux USA.

Nous prônons le respect des intérêts de tous les pays, y compris à la frontière américaine. En ce qui concerne l'Afghanistan nous ne cherchons pas à imposer quoi que ce soit à qui que ce soit, à exclure qui que ce soit. Au contraire, il y a un mois nous avons organisé à Moscou une réunion avec la participation de l'Inde, du Pakistan, de la Chine, de l'Iran et des cinq pays d'Asie centrale. Les voisins de l'Afghanistan y étaient présents. Nous avons invité les USA. On ignore pourquoi ils ont refusé de venir. S'ils y ont des intérêts et que leurs intentions sont pures, alors c'est une raison de plus pour s'asseoir, écouter les autres et élaborer des approches communes.

Nous respectons le fait que de nombreux pays puissent avoir des intérêts dans différentes régions du monde. Mais il faut que ce soit transparent, que ces intérêts soient légitimes, n'entrent pas en contradiction avec le droit international et ne nuisent pas aux intérêts légitimes de la Fédération de Russie.

Question d'Anton Alikhanov: Vous avez déjà mentionné le thème de l'intégration, notamment dans le cadre de la Commission eurasiatique, de la Commission économique eurasiatique et de la Commission européenne. J'ai travaillé à la Commission économique eurasiatique et je voudrais donc connaître votre avis sur les limites de l'intégration. On sait que dans de telles associations, les pays eux-mêmes ralentissent ces processus en disant qu'une intégration plus profonde pourrait porter atteinte à leur souveraineté. Je voudrais poser également une question sur les possibilités de la région d'essai pour une intégration accélérée. Si nous disons que nous construisons un espace commun, par exemple, avec l'Union européenne, Kaliningrad pourrait-elle devenir une région d'intégration d'essai ou accélérée avec l'UE?

Sergueï Lavrov: C'est une question très intéressante et stratégique. En ce qui concerne l'UEE, nous ne pouvons pas encore en déterminer les limites, non pas parce que c'est difficile pour l'instant mais parce qu'on ne les voit pas encore. Vous avez noté justement que cette contradiction entre l'intégration et la souveraineté existait réellement. Elle apparaît quand sont évoquées les mesures supplémentaires pour instaurer des normes et des règles communes dans notre espace commun. D'autant que tout le monde regarde vers d'autres processus. En UE cette contradiction entre l'intégration et la souveraineté ne fera que s'aggraver. L'UE analyse actuellement la possibilité de réaliser le principe que nous avons appliqué dans la CEI – le principe d'une intégration à deux vitesses et à deux niveaux quand il y a un noyau de pays prêts à aller loin, et que les autres participent à certains formats pas forcément à part entière dans tous les aspects ni immédiatement.

D'ailleurs, au sein de l'Union économique eurasiatique nous régulerons les conséquences de l'adhésion de tous nos pays à l'Organisation mondiale du Commerce. Nous l'avons fait il n'y a pas si longtemps. Avant nous l'OMC a été rejointe par le Kirghizstan, puis le Tadjikistan (qui n'est pas encore membre de l'UEE), l'Arménie (membre de l'UEE), le Kazakhstan y a adhéré récemment, la Biélorussie termine les négociations. Cela pourrait également prendre un certain temps. Dans chacun de ces cas il y a une différence d'attitude envers les exceptions admises. Il faudra donc encore incorporer tout cela au Code douanier de l'UEE. C'est un travail d'experts très laborieux avec un crayon, une calculatrice et un ordinateur entre les mains.

En ce qui concerne les conditions d'intégration des partenaires étrangers, cette idée est nouvelle. Je pense qu'il ne sera pas facile d'isoler une région à part – la région de Kaliningrad ou une autre région frontalière - et d'élaborer pour elle des schémas d'intégration avec un État voisin. Il ne sera probablement pas facile d'intégrer l'économie régionale ou de la conjuguer avec l'économie de tout un État. En ce sens, les liens d'une région avec une autre région constituent une perspective bien plus plausible. C'est par exemple le cas avec la Chine: l'Extrême-Orient et la Sibérie orientale ont noué des liens avec les régions du nord-est de la Chine. Il existe tout un programme, des dizaines de projets qui permettent de conjuguer leur activité économique. D'ailleurs, les régions ne doivent pas forcément être frontalières – il existe le projet Volga-Yangzi. Ils ont également trouvé des projets mutuellement bénéfiques qui fonctionnent réellement. C'est probablement un certain prototype de ce dont nous parlons. Il y a le projet de coopération frontalière Russie-Lituanie, Russie-Pologne auquel participe la région de Kaliningrad et vos voisins. Je pense que toutes ces choses pourront être évoquées quand un dialogue normal sera rétabli avec l'UE

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