Intervention de S.V.Lavrov, Ministre des affaires étrangères de la Russie, à la 63e session de l'Assemblée générale de l'ONU, New York, le 27 septembre 2008
Le 11 septembre 2001, le monde a changй, serrant ses rangs dans la lutte contre la menace du terrorisme commune pour tous et ne connaissant pas de frontiиres. Le monde a fait une preuve de solidaritй sans prйcйdent, balayant les vieilles phobies et stйrйotypes. On pouvait croire, que la coalition antiterroriste globale йtait une nouvelle rйalitй, qui allait dйsormais dйfinir le dйveloppement des relations internationales sans doubles normes et pour le bien commun.
La cohйsion face aux menaces mortelles, partant d'Al-Qaida et des autres dйtachements de «l'internationale terroriste», avait permis а la premiиre йtape d'obtenir de sйrieux succиs. Puis les problиmes sont apparus.
Un coup sensible а la cohйsion de la coalition antiterroriste йtait portй par la guerre en Irak, oщ sous un prйtexte, qui s'est avйrй faux, de la lutte contre la terreur et la prolifйration d'armes nuclйaires, le droit international йtait violй. On a artificiellement crйй une trиs profonde crise, que l'on n'a jamais rйussi а surmonter jusqu'а la fin.
Toujours plus de problиmes surgissent en relation de ce qui se passe en Afghanistan, avant tout а propos du prix admissible des pertes parmi la population civile dans cette opйration antiterroriste, de qui dйfinit les critиres de l'usage proportionnй de la force, de pourquoi les contingents internationaux ne veulent pas participer а la lutte contre la menace croissante de drogue, dont souffrent toujours plus les pays de l'Asie Centrale et de l'Europe.
Ces facteurs et plusieurs autres permettent de parler des phйnomиnes de crise au sein de la coalition antiterroriste. Si l'on cherche le fond du problиme, il serait dans ce que cette coalition manque d'unitй collective, qui suppose la participation йgale de tous dans la dйfinition de la stratйgie et surtout de la tactique des actions. Il est arrivй, que pour gйrer la situation fonciиrement nouvelle, formйe aprиs le 11 septembre et qui exigeait un travail rйellement conjoint, y compris l'analyse et la concertation en commun des pas pratiques, on a commencй а utiliser le mйcanisme, crйй pour le monde unipolaire, oщ les dйcisions sont prises dans un seul centre, et tous les autres sont sensйs les exйcuter.
On a vu une sorte de privatisation de la solidaritй, apparue au sein de la communautй internationale sur la vague de la lutte antiterroriste.
L'inertie de l'idйologie du monde unipolaire s'est manifestйe aussi dans d'autres sphиres de la vie internationale, y compris les pas unilatйraux dans le domaine de la dйfense antimissiles et la militarisation de l'espace, les tentatives de s'йcarter de la paritй dans le cadre du rйgime de contrфle des armements, l'йlargissement des blocs militaro-politiques, la politisation des problиmes de l'accиs aux ressources йnergйtiques et de leur transit.
L'illusion du monde unipolaire a gкnй plus d'un. Chez d'aucuns, elle a mкme fait naоtre le dйsir de miser inconditionnellement dessus. En йchange а la totale loyautй, ils espйraient recevoir un blanc-seing pour rйsoudre tous leurs problиmes par n'importe quelle mйthode. Le complexe du tout permis ainsi formй a йchappй а tout contrфle dans la nuit du 8 aoыt, quand a commencй l'agression contre l'Ossйtie du Sud. Les bombardements de la ville endormie de Tskhinval, l'assassinat des civils et des pacificateurs ont foulй aux pieds tous les accords de rиglement et mis fin а l'intйgritй territoriale de la Gйorgie.
La Russie a aidй l'Ossйtie du Sud а repousser l'agression, a fait son devoir de dйfense de ses citoyens et de respect de ses obligations pacificatrices. La reconnaissance par la Russie de l'Ossйtie du Sud et de l'Abkhazie est devenue la seule mesure possible de la garantie non seulement de leur sйcuritй, mais de la survie de leurs peuples, compte tenu de toute l'expйrience de l'attitude chauvine envers eux des dirigeants gйorgiens – а commencer par le leader gйorgien Z.Gamsakhourdia, qui, en 1991, sous le mot d'ordre «la Gйorgie pour les Gйorgiens», avait exigй de dйporter les Ossиtes vers la Russie, aboli le statut autonome de l'Ossйtie du Sud et de l'Abkhazie, et puis avait dйclenchй la guerre contre elles. A l'йpoque, on a rйussi а l'arrкter au prix de plusieurs vies humaines, а crйer les mйcanismes de pacification et de nйgociations, approuvйs par l'ONU et l'OSCE. Cependant, l'actuelle administration gйorgienne menait de maniиre consйcutive la ligne а l'йchec de ces mйcanismes, utilisant des provocations permanentes, et a finalement foulй aux pieds le processus de paix, commenзant une nouvelle guerre sanglante dans la nuit du 8 aoыt.
Maintenant, ce problиme est clos. L'avenir des peuples de l'Abkhazie et de l'Ossйtie du Sud est fiablement protйgй par les traitйs de Moscou avec Soukhoum et Tskhinval, et avec la mise en pratique du plan de D.A.Medvйdev-N.Sarkozy, auquel nous sommes fermement attachйs, la situation autour de ces deux rйpubliques doit se stabiliser dйfinitivement. Il est seulement important, que ce plan soit immanquablement respectй par tous. On reste sur nos gardes devant les tentatives de le rййcrire а posteriori comme le veut Tbilissi.
Je crois, que tous sont dйjа las de tenir le rфle des intermittents du rйgime gйorgien, dont les paroles ne contiennent rien qui ressemble а la vйritй, et dont les agissements en politique йtrangиre ne visent que provoquer la confrontation au monde pour rйsoudre ses propres tвches, qui n'ont rien а voir ni avec les intйrкts du peuple gйorgien, ni avec les tвches de la garantie de la sйcuritй au Caucase.
Aujourd'hui, il faut analyser la crise au Caucase du point de vue de ses consйquences non seulement pour la rйgion, mais pour toute la communautй internationale.
Le monde a de nouveau changй. Il est devenu clair, que la solidaritй, dont tous ont fait preuve aprиs le 11 septembre, doit renaоtre sur les bases йpurйes de toute conjoncture gйopolitique, sur la base de l'abandon des doubles normes dans l'opposition а tout attentat au droit international – de la part des terroristes, des extrйmistes militants de la politique et de tous les autres.
La crise au Caucase a une fois de plus montrй, que rйsoudre les problиmes actuels dans les oeillиres du monde unipolaire devient non seulement impossible, mais aussi dangereux. Le prix а payer en vies et sorts humains est trop йlevй.
On ne peut plus accepter les tentatives de rйgler les conflits par voie de la rupture des accords internationaux et de l'usage illйgal de la force. En admettant une seule fois l'aventure pareille, nous risquons tous de provoquer une rйaction en chaоne.
On ne peut pas appeler abstraitement а «la responsabilitй de la dйfense» et se rйvolter, quand ce principe est utilisй en pratique, ceci dit, en stricte conformitй avec l'article 51 de la Charte de l'ONU et des autres normes du droit international. En Ossйtie du Sud, la Russie a dйfendu la valeur suprкme parmi nos valeurs communes, le droit suprкme de tous les droits de l'homme – le droit а la vie.
L'architecture de la sйcuritй actuelle en Europe n'a pas passй le test des derniers йvйnements. Les tentatives d'adapter cette architecture aux lois de l'unipolaire ont fait qu'elle a йtй incapable de retenir l'agresseur et de prйvenir qu'on lui livre les armes offensives malgrй tous les codes de conduite, qui existent а ce propos.
Nous proposons de jeter un regard d'ensemble sur le problиme de la sйcuritй. D.A.Medvйdev, Prйsident de la Russie, intervenant le 5 juin а Berlin, a avancй l'initiative de l'йlaboration du traitй sur la sйcuritй euro-atlantique, une sorte d'«Helsinki-2». On pourrait commencer ce travail au sommet europйen avec la participation tant des йtats que de toutes les organisations agissant dans cet espace.
Le traitй est appelй а crйer un systиme collectif fiable, qui garantira une sйcuritй йgale а tous les йtats, fixera dans un format lйgalement contraignant les bases de la coopйration entre tous ses membres afin de consolider la paix et garantir la stabilitй, et finalement – la cohйsion et la gouvernabilitй du dйveloppement de la vaste rйgion euro-atlantique. Il s'agit du processus, dans le cadre duquel tous confirmeraient leur attachement aux principes fondamentaux du droit international, comme le non-usage de la force, le rиglement pacifique des conflits, la souverainetй, l'intйgritй territoriale et la non-ingйrence dans les affaires intйrieures, l'inadmissibilitй du renforcement de sa sйcuritй aux dйpens de celle des autres. Il faut aussi rйflйchir ensemble aux mйcanismes, dont on a besoin pour garantir efficacement le respect de ces principes fondamentaux.
Certes, ce traitй doit s'inscrire de maniиre organique dans les cadres juridiques de la Charte de l'ONU et des principes de la sйcuritй collective qu'elle prйvoit.
La «guerre froide» avait dйformй le caractиre des relations internationales, les transformant en l'arиne de la confrontation idйologique. Et ce n'est que maintenant, aprиs sa fin, que l'ONU, crййe sur la base de la vision polycentrique du monde, peut faire jouer tout son potentiel. Maintenant, il est important comme jamais, que tous les йtats confirment leur attachement а l'Organisation des Nations unies comme а un forum international sans alternative, qui possиde le mandat universel et la lйgitimitй reconnue, comme а un centre des dйbats ouverts et honnкtes et de la coordination de la politique mondiale sur les bases justes, sans doubles normes. C'est extrкmement important pour que le monde retrouve son йquilibre.
La diversitй des dйfis, qu'affronte l'humanitй, dicte le besoin de renforcer l'ONU par tous les moyens. Pour correspondre aux exigences du temps, l'ONU a besoin des rйformes ultйrieures rationnelles pour s'adapter progressivement aux rйalitйs politiques et йconomiques qui changent. Nous sommes en gйnйral satisfaits du cours des rйformes, y compris les premiers rйsultats de l'activitй de la Commission d'йtablissement de la paix et du Conseil des droits de l'homme. Concernant l'extension des membres du CS de l'ONU, nous saluerons les initiatives, qui ne scindent pas les membres de l'Organisation, mais contribuent а la recherche des compromis universellement acceptables et forment une large cohйsion.
Une importance grandissante revient au dйveloppement du dialogue et du partenariat des civilisations. La Russie soutient «l'Alliance des civilisations», ainsi que d'autres initiatives dans ce domaine. Nous confirmons notre proposition de crйer sous l'йgide de l'ONU un Conseil consultatif des religions, qui tient compte du rфle croissant du facteur religieux dans la vie internationale. Cela contribuera au renforcement tant nйcessaire des bases morales en politique mondiale.
Ces derniers temps, au nombre des nouvelles pistes prioritaires de l'activitй de l'ONU sont entrйes en trombe les tвches comme l'opposition а la modification du climat, la garantie de la sйcuritй alimentaire et йnergйtique. Ces problиmes ont un caractиre global, sont liйs entre eux, leur rиglement exige un partenariat global de niveau de qualitй nouvelle – avec un rфle actif de l'йtat, de la science, du business, de la sociйtй civile.
L'actuelle crise financiиre exige une attention urgente particuliиre et l'union des efforts. Les initiatives importantes ont йtй avancйes depuis cette tribune par le Prйsident de la France, et qui visent la recherche en commun des voies de l'assainissement du systиme financer international avec la participation des йconomies leaders du monde. Dans ce contexte, nous soutenons le devenir ultйrieur du partenariat des membres actuels du G8 avec les йtats clй de toutes les rйgions en dйveloppement. Le Conseil йconomique et social de l'ONU pourrait aussi y jouer son rфle.
La Russie va continuer sa participation responsable au travail des divers organes du systиme de l'ONU et dans d'autres formats pour rechercher les voies du rиglement juste de tous ces problиmes.
Les mйcanismes d'assistance au dйveloppement international, crййs en Russie, permettront d'augmenter le volume et l'efficacitй de notre participation а l'activitй internationale de lutte contre la famine et les maladies, d'йlargir l'accиs а l'enseignement, а surmonter la pauvretй йnergйtique, seront un apport supplйmentaire а l'obtention des objectifs du dйveloppement du millйnaire. Il est absolument naturel, que, cela dit, nous allions prкter une attention particuliиre au soutien des йtats qui nous sont proches.
Tous les pays ont des partenaires, avec lesquels ils sont liйs par les rapports traditionnellement amicaux, par l'histoire et la gйographie communes. Il est nuisible de saper artificiellement ces rapports pour faire plaisir aux schйmas gйopolitiques et malgrй la volontй des peuples. Nous continuerons de travailler avec tous nos voisins, avant tout avec les pays de la CEI, nous allons continuer de dйvelopper les processus d'intйgration dans le cadre de l'OTSC et de la CEEurAs, afin de maintenir et de multiplier le patrimoine culturel et civilisationnel, qui est dans notre monde en globalisation une ressource importante de la Communautй et de chacun de ses йtats membres. Lа est notre intйrкt particulier а l'interaction avec ces pays, et lа est aussi leur perception de la Russie en tant qu'espace de leurs intйrкts particuliers. Nous allons dйvelopper nos liens uniquement sur la base de l'йgalitй, des avantages mutuels, du respect et de la prise en compte des intйrкts rйciproques, du respect des accords existants, y compris sur le problиme du rиglement pacifique des conflits. Nous entendons sur ces mкmes fondations dйvelopper nos rapports avec les partenaires dans les autres rйgions du monde – ouvertement, sur la base du droit international, sans jeux а rйsultat zйro. C'est cette piste qui est dйfinie dans le Concept de politique йtrangиre de la Fйdйration de Russie, approuvйe par le Prйsident D.A.Medvйdev en juillet dernier.
La Russie met en pratique de maniиre consйcutive la diplomatie de rйseau, en dйveloppant l'interaction dans les formats les plus divers : OCS, BRIC, mйcanismes de partenariat avec l'UE, l'ASEAN, l'Organisation de la confйrence islamique, la Ligue des йtats arabes, les unions rйgionales en Amйrique Latine.
Les йvйnements du 8 aoыt font rйflйchir une fois de plus а la responsabilitй pour la couverture honnкte des йvйnements. La dйformation de la rйalitй aggrave les efforts internationaux de rиglement des conflits et crises, fait renaоtre la pire pratique des temps de «la guerre froide».
Si nous ne voulons pas, que la vйritй redevienne la «premiиre victime de la guerre», il faut tirer les conclusions appropriйes, y compris sur le plan du dйveloppement des dispositions de la Dйclaration de 1970 relative aux principes du droit international, qui dit que «les йtats ont le devoir de s'abstenir de toute propagande en faveur des guerres d'agression». Dans ce lit, vont «Les principes directeurs pour la dйfense de la libertй de parole et de l'information dans les situations de crises», rйcemment approuvйs par le Comitй des ministres du Conseil de l'Europe. Nous proposons, que l'ONU dise aussi son mot sur ce problиme – dйjа dans le contexte universel.
Les consйquences йvidentes globales de la crise au Caucase disent, que le monde a changй pour tous. On a moins d'illusions et moins de prйtextes pour йluder les rйponses aux dйfis les plus aigus de l'actualitй. C'est ce qui donne la raison d'espйrer, que la communautй internationale pourra enfin, sur la base du bon sens, former le programme des actions conjointes au XXIe siиcle.