Королевство Норвегия
Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d'une conférence de presse conjointe avec Vladimir Makeï, Ministre des Affaires étrangères de la République de Biélorussie, à l'issue de leur entretien, Minsk, 30 juin 2022
Monsieur Makeï,
Mesdames et messieurs,
Comme vient de le dire mon homologue et ami, notre entretien s'est déroulé dans une atmosphère véritablement amicale, de confiance, il a été très substantiel, comme il se doit entre des alliés et partenaires stratégiques. Je voudrais avant tout remercier encore une fois nos amis biélorusses pour leur hospitalité traditionnelle dans la ville magnifique de Minsk et l'excellente organisation de notre travail.
Cette visite coïncide avec une importante date historique, les 30 ans de l'établissement des relations diplomatique (25 juin). Bien évidemment, c'est une nouvelle étape importante dans l'histoire séculaire commune des deux peuples véritablement frères. À cette occasion, nous venons d'oblitérer les enveloppes spécialement éditées pour cette date, et nous avons également signé une déclaration anniversaire commune dont vous prendrez connaissance, j'espère. Elle le mérite.
Nous avons souligné en particulier que ces dernières années nous avions parcouru un grand chemin dans le renforcement de la construction d'intégration. Les ministères des Affaires étrangères de la Russie et de la Biélorussie assurent un accompagnement diplomatique dans la mise en œuvre de 28 Programmes d'alliés d'intégration économique approuvés en novembre 2021 par le Haut Conseil d'État de l'État de l'Union.
Nous avons examiné aujourd'hui l'agenda des relations bilatérales. Nous avons évoqué le calendrier des contacts à venir, notamment la préparation d'une réunion conjointe des collèges des ministères des Affaires étrangères de la Russie et de la Biélorussie prévue pour le quatrième trimestre de 2022. Nous avons analysé la mise en œuvre du Plan des consultations interministérielles pour 2022-2023.
Nous estimons qu'un certain progrès particulier a été obtenu dans la coopération commerciale, économique et d'investissement. Les échanges ont approché de la barre des 40 milliards de dollars l'année dernière. Nous réalisons de grands projets communs tels que la construction d'une centrale nucléaire en Biélorussie, par exemple. Nous renforçons la coopération industrielle et mettons en place de nouvelles chaînes de production et logistiques.
Nous trouvons positif le large développement de liens interrégionaux. Le 9e Forum des régions de la Russie et de la Biélorussie commence aujourd'hui à Grodno, où il est prévu de signer des contrats pour une somme record, qui pourrait s'élever à 1 milliard de dollars, selon les estimations.
Nous avons beaucoup parlé des thèmes régionaux et internationaux. Nous sommes convenus de poursuivre le renforcement de la coordination en politique étrangère, de défendre ensemble les intérêts de nos pays sur la scène internationale conformément aux programmes biennaux d'actions de concert en matière de politique étrangère.
Nous nous sommes prononcés pour l'intensification de la coopération dans les structures multilatérales, avant tout dans le cadre de l'Union économique eurasiatique (UEE), de l'OTSC et de la CEI. Notre vision coïncide presque entièrement sur le développement de l'intégration eurasiatique.
Nous sommes convenus de poursuivre la coordination dans d'autres formats multilatéraux, notamment dans le cadre de l'ONU et de l'OSCE. Nous avons parlé de la mise en œuvre de projets au niveau de l'ONU en Biélorussie, dont plusieurs sont financés par la Russie. Nous continuerons de lutter activement contre les tentatives de politiser le thème des droits de l'homme. De telles approches sans perspective ont lieu à l'ONU et à l'OSCE. L'Occident les poursuit avec obstination.
Nous sommes sérieusement préoccupés par l'activité de l'Otan à proximité immédiate de nos frontières, notamment dans les pays baltes et en Pologne. Nous sommes d'avis que de tels actes sont franchement conflictuels et conduisent à une escalade de la tension et à la fragmentation de l'espace européen de la sécurité et de la coopération, autrement dit, ils entraînent des résultats pour empêcher lesquels l'OSCE a été créée. Maintenant ils détruisent tout cela de leurs propres mains, notamment le principe de l'indivisibilité de la sécurité, qui a été haut et fort proclamé au sommet à l'OSCE à la fin des années 1990 et en 2010: aucun État ne doit renforcer sa sécurité au détriment des autres. L'Occident a enterré ce principe par ses actions.
À la lumière des démarches ouvertement hostiles des États-Unis et de leurs satellites envers nos pays, nous avons réaffirmé notre ferme détermination à continuer d'entraver toute tentative des Occidentaux de s'ingérer dans nos affaires intérieures. Nous sommes convenus de continuer à unir nos efforts afin de contrer les actions unilatérales illégitimes de Washington et de Bruxelles et de leurs alliés sur la scène internationale.
Nous avons fait part à nos collègues de nos évaluations de l'opération militaire spéciale en Ukraine. Le dialogue sur ces questions est régulier. Récemment, nos présidents ont évoqué ce sujet au plus haut niveau lors d'une réunion le 25 juin à Saint-Pétersbourg.
Nous sommes reconnaissants à nos alliés biélorusses de la compréhension absolue des raisons, des buts et des objectifs de l'opération militaire spéciale, dont le président Vladimir Poutine a parlé hier dans son discours à l'issue du sommet des Cinq de la mer Caspienne à Achgabat.
Au cours de l'échange de vues sur la stabilité stratégique et la maîtrise des armements, une attention particulière a été accordée à la sécurité biologique. Nous sommes unanimes que les activités des Américains dans l'espace post-soviétique sont très dangereuses et opaques. Les risques qu'elles comportent sont mis en évidence par le travail des biolaboratoires américains du Pentagone découverts en Ukraine. Nous avons découvert ces faits et, sans recevoir de réponse des Américains, avons engagé le processus prévu par la Convention sur les armes biologiques et à toxines en pleine conformité avec son article 5. Nous avons envoyé des demandes aux pays participant à cet important traité international. Nous voyons des menaces à la sécurité nationale de la Russie et de la Biélorussie, la réticence des États-Unis à assurer la transparence de leurs activités biologiques militaires dans de nombreux pays, surtout autour de la Fédération de Russie et de la Biélorussie dans l'espace post-soviétique. Nous avons un accord dans le cadre de l'Organisation du Traité de sécurité collective pour établir une coopération étroite et transparente sur ces questions afin de contrer les tentatives de promouvoir en coulisses, sans transparence, de tels projets qui préoccupent nos pays.
Un autre dossier sur lequel nous coopérons est la lutte contre la sale guerre de l'information déclenchée par "l'Occident collectif" contre nos pays. Nous sommes convenus de développer et d'améliorer la coopération russo-biélorusse dans le domaine des médias, ce qui devrait vous intéresser particulièrement.
Nous sommes satisfaits des résultats des pourparlers. Ils contribuent à faire progresser davantage la coordination de notre politique étrangère sur la base d'un partenariat allié et stratégique pour le bien de nos pays et peuples frères.
Question: Redistribution énergétique (matière première) risquée du monde. Sur quoi comptent les États-Unis et l'UE en renonçant aux importations russes?
Sergueï Lavrov: Je pense que tout le monde le comprend. Ils n'hésitent pas à en parler. Ils l'ont déclaré hier au sommet de l'Otan à Madrid, comptant sur l'obéissance inconditionnelle de tous les autres États à leur volonté, reflétant leurs intérêts égoïstes, en premier lieu les États-Unis. Nous avons été convaincus plus d'une fois que l'Europe contemporaine, représentée par l'UE, perd son indépendance (ou même les signes d'indépendance) qu'elle avait. Elle se soumet totalement aux positions que lui imposent les États-Unis, y compris dans le domaine des sanctions économiques, renonçant aux importations russes, détruisant les chaînes logistiques et financières qui étaient créées depuis des décennies.
Regardez la liste actuelle des sanctions. Une analyse intéressante. Je recommande de la faire. Comparez les restrictions imposées par les pays européens contre la Russie et la Biélorussie avec les restrictions américaines correspondantes. Les États-Unis s'épargnent et essaient de ne pas être actifs dans des domaines où de graves dégâts peuvent être causés à leur propre économie. Oui, les États-Unis sont également touchés par de telles activités, mais l'Europe souffre beaucoup plus. Je pense que la tâche n'est pas seulement de "punir" nos pays, mais aussi d'affaiblir l'Union européenne en tant que concurrent des États-Unis.
Question: Au sommet de Madrid, l'Otan a déclaré que, dans son nouveau concept stratégique, elle considérait la Russie comme la principale menace pour l'Alliance. Après de telles déclarations et la décision de renforcer le flanc oriental, la Russie se considère-t-elle liée par les obligations de l'Acte fondateur Otan-Russie, ou peut-on dire que ce document est caduc?
Sergueï Lavrov: Au sens juridique, l'Acte fondateur continue d'exister. Nous n'avons pas engagé la procédure de résiliation de cet accord. Au sein de l'Otan, à la veille du sommet, il y a eu de longues discussions sur la question de savoir si l'Acte fondateur était nécessaire ou s'il valait mieux y renoncer. Finalement, ils ont décidé de ne pas toucher à ce sujet, mais les décisions prises le violent de manière flagrante, principalement en ce qui concerne les obligations de l'Otan de ne pas déployer en permanence des forces de combat importantes sur le territoire des nouveaux membres (je parle d'Europe de l'Est) de l'Alliance.
Nous allons faire une analyse de la situation et déciderons en fonction de la concrétisation et de la forme des décisions adoptées et annoncées de l'Otan.
Question: Est-il possible à l'avenir de rétablir des relations politiques et diplomatiques plus ou moins normales avec les pays de l'UE? S’agit-il d’un nouveau rideau de fer? Avons-nous un bloc à l'instar de l'Otan et de l'UE?
Sergueï Lavrov (ajoute après Vladimir Makeï): Je peux souscrire à presque tout. Quant aux relations avec l'Union européenne, la Russie n'en a plus depuis 2014. Bruxelles a "avalé" le geste humiliant de l'opposition, qui a mené à un coup d'État en Ukraine au mépris des garanties de l'UE. En réponse, les Criméens ont refusé de vivre dans un État néonazi. Les régions de l'est de l'Ukraine ont fait de même, l'Union européenne n'a pas trouvé le courage de raisonner les putschistes qui se sont illégalement emparés du pouvoir, et a de fait commencé à les soutenir dans l'offensive, y compris physique, contre les habitants de la Crimée et de l'est de l'Ukraine. Lorsque la volonté du peuple s'est concrétisée en Crimée et que la RPD et la RPL ont été proclamées, l'Union européenne, au lieu d'exiger le respect des accords qu'elle avait préparés entre le président Viktor Ianoukovitch et l'opposition, s'est rangée du côté du régime ultranationaliste néonazi qui a proclamé pour objectif la lutte contre la langue et la culture russes. Toutes les années suivantes, les régimes de Piotr Porochenko et Vladimir Zelenski prouvent la loyauté de Kiev envers cette position.
En 2014, lorsque tout cela s'est produit, l'UE, impuissante et consciente de sa propre incapacité à mettre en œuvre ses propres propositions, a désigné la Fédération de Russie comme responsable. Elle a imposé des sanctions contre notre pays et annulé le sommet Russie-UE prévu pour juin 2014, détruit tous les autres mécanismes créés entre nous pendant des décennies: sommets qui se tenaient deux fois par an, réunions annuelles du gouvernement russe et de la Commission européenne, 4 espaces communs avec 4 "feuilles de route", 20 dialogues sectoriels, dont ceux sur un régime sans visa et bien plus encore.
Tout cela a été détruit du jour au lendemain. Les relations n'existent plus depuis. De temps en temps, il y avait des contacts techniques, mais rien de plus. Pas étonnant qu'il n'y ait pas de relations en ce moment, mais nous ne "fermons" jamais. Désormais, nous ne ferons confiance ni aux Américains ni à l'UE. Nous faisons tout le nécessaire pour ne pas dépendre d'eux dans les secteurs critiques pour la vie de l'État, de la population et de notre sécurité. Quand et si leur obsession passe et qu'ils se tournent vers nous avec des propositions, nous allons étudier ce que cela signifie exactement. Nous n'agirons pas au profit de leurs désirs unilatéraux. S'il s'agit de reprendre le dialogue, nous exigerons exclusivement l'égalité et l'équilibre des intérêts de tous les participants, dans l'équité.
En ce qui concerne le rideau de fer. Il est presque descendu. Qu'ils fassent juste attention à ne rien se pincer. Le processus a commencé. Pour le reste, nous avons une position claire: nous sommes pour la justice.
Nos "partenaires" ont refusé en 2014 de tenir un sommet alors que des évènements graves s'étaient produits: un coup d'État, un référendum en Crimée, un changement radical de la situation dans la région de la mer Noire. Si vous voulez sérieusement chercher des solutions, il fallait convoquer cette réunion et discuter honnêtement des revendications et des questions que les partenaires de la Fédération de Russie ont à poser à l'UE. La rupture de tout contact qui a eu lieu après mars 2014 montre seulement que l'Union européenne n'est pas intéressée par un tel dialogue, ne veut pas comprendre et écouter nos intérêts. Elle veut seulement que tout le monde soit d'accord avec ce qui est décidé à Bruxelles. Or il y a été décidé ce qui a été décidé à Washington. Nous l'avons vu ces dernières années.
Question: La Norvège a refusé l'entrée de marchandises russes à Svalbard. Il s'agit de la nourriture, des médicaments et du matériel nécessaire. Quelles mesures seront prises pour résoudre le problème de livraison? Quelle pourrait être la réponse, le cas échéant?
Sergueï Lavrov: D’abord nous voulons voir comment la Norvège réagira à nos appels faits immédiatement après l'incident. Nous avons envoyé une note officielle avec une demande urgente d'expliquer comment cela est compatible avec les obligations de la Norvège en vertu du traité concernant le Spitzberg de 1920. J'espère qu'ils répondront rapidement. Ensuite, nous analyserons la situation. Nous le ferons vite.