la République du Nicaragua
Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d'une conférence de presse conjointe avec Félix Plasencia, Ministre des Affaires étrangères de la République bolivarienne du Venezuela, à l'issue de leurs pourparlers, Moscou, 8 novembre 2021
Mesdames et messieurs,
Nous sommes heureux de recevoir la délégation menée par le Ministre vénézuélien des Affaires étrangères Félix Plasencia. Nous connaissons bien ce diplomate professionnel et bon ami de notre pays.
Les pourparlers d'aujourd'hui ont confirmé la volonté mutuelle de renforcer notre partenariat stratégique conformément aux ententes entre le Président russe Vladimir Poutine et le Président vénézuélien Nicolas Maduro au profit des populations de nos deux pays. Nous avons évoqué aujourd’hui les grands projets que nous menons dans tous les domaines des relations bilatérales, à l’occasion des 25 ans de la signature du Traité d'amitié et de coopération (1996) qui a posé les bases solides des relations équitables, véritablement amicales et mutuellement avantageuses entre nos deux États. Nous avons accompli beaucoup de choses en 25 ans. Nous avons prouvé que les relations fondées sur la confiance réciproque et le profit réciproque étaient durables. Qu’elles permettaient de régler tous les problèmes malgré les nombreux risques et défis engendrés par la pandémie de coronavirus et les démarches hostiles entreprises par les États-Unis qui tentent de ralentir le développement de l'économie et du secteur social du Venezuela. Toutes ces conditions ne détériorent pas le développement progressif de notre partenariat stratégique.
Nous avons constaté la réussite de la nouvelle réunion de la Commission intergouvernementale russo-vénézuélienne de haut niveau pour les questions économiques, et avons souligné que la Fédération de Russie continuait d'apporter une grande contribution au Venezuela en matière de livraisons de vaccins contre le coronavirus et d'organisation de la production sous licence de ces vaccins sur le territoire vénézuélien. Nous poursuivrons la réalisation de tous les projets prévus au niveau de la commission intergouvernementale de haut niveau dans les secteurs commercial, économique et d'investissement. Il y a des idées d'envergure, qui sont déjà proches d'être réalisées, notamment la coopération dans l'exploitation pacifique de l'espace extra-atmosphérique, dans le secteur des transports, de la logistique, du pétrole et du gaz ainsi que du tourisme. De nouveaux vols, en plus des vols directs mis en place en mai entre Moscou et Caracas, contribueront aux affaires touristiques. À partir du 9 novembre, nos compagnies aériennes effectueront des vols réguliers entre Moscou, Saint-Pétersbourg, Iekaterinbourg, d'une part, et l'île Margarita de l'autre.
Le Ministre Félix Plasencia et sa délégation nous ont informés de l'évolution de la situation politique intérieure au Venezuela. Nous soutenons activement les mesures prises par les autorités vénézuéliennes, et personnellement par le Président Nicolas Maduro, visant à stabiliser la situation, avant tout dans le secteur socioéconomique. Ils nous ont parlé des préparatifs des élections régionales et municipales au Venezuela le 21 novembre. Nous sommes prêts à apporter toute la contribution nécessaire à nos amis dans leur organisation, et enverrons nos observateurs. Nous notons que l'invitation à envoyer des experts compétents a été également adressée à l'UE et à l'Onu. Nous espérons que ces invitations seront également acceptées.
Je souligne encore une fois notre rejet mutuel des restrictions unilatérales illégales – lesdites sanctions - dans le cadre du Groupe des amis pour la défense de la Charte de l'Onu créé à l'initiative du Venezuela avec un soutien actif de la Russie. Il compte déjà près de vingt membres et en accueillera d'autres. Nous n'en doutons pas. Dans le cadre de ce projet, nous avons soutenu la proposition du Venezuela de créer un "front de partisans des mêmes idées" qui rejettent les sanctions unilatérales illégitimes et sont prêts à lutter contre leur application grâce à la mobilisation de la communauté internationale. Il y a déjà du progrès dans notre travail. Nos efforts ont permis de créer à l'Onu le poste de Rapporteur spécial sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales, qui travaille activement. Récemment, la Rapporteuse spéciale de l'Onu s'est rendue au Venezuela et a présenté un tableau assez objectif de la manière dont ces restrictions illégales affectaient de manière négative la situation de la population civile.
Nous continuerons d'apporter une contribution constructive pour un règlement pacifique des différends intervénézuéliens en respectant la souveraineté du Venezuela. Nous notons la position active et ouverte du Président Nicolas Maduro et de son gouvernement dans le cadre des consultations qui ont commencé il y a quelque temps dans la capitale mexicaine avec la médiation norvégienne et la participation de plusieurs États, dont la Russie, en tant que médiateurs. Nous souhaitons que ces négociations aboutissent à une solution. Nos amis nous ont informés aujourd'hui de la manière dont ils envisageaient les perspectives de ce processus.
Nous poursuivrons notre interaction à l'Onu, notamment pour défendre la Charte de l'Onu, le droit international, contre les tentatives de substituer les conventions universelles par un prétendu "ordre basé sur des règles" promu par nos collègues occidentaux menés par les États-Unis, qui cherchent à le présenter comme une base pour régler tous les problèmes uniquement selon des formules bénéfiques pour l'Occident.
Nous coordonnerons nos actions sur tous les autres axes de la vie internationale, notamment au niveau du Mouvement des non-alignés qui a fêté ses 60 ans cette année et au sein duquel la Russie a obtenu le statut d'observateur. Nous avons des contacts étroits dans tous les domaines des relations bilatérales, notamment au niveau culturel, social et éducatif. Nous continuerons de contribuer à la formation de cadres vénézuéliens. Nous avons augmenté le nombre de bourses de 77 à 100 places pour chaque année scolaire. Nous sommes convenus aujourd'hui de permettre aux diplomates vénézuéliens d'effectuer régulièrement des stages au sein de l'Académie diplomatique de note Ministère.
Nous avons parlé également de la coopération constructive nourrie dans le secteur militaire et militaro-technique.
Monsieur le Ministre m'a invité à me rendre au Venezuela. J'ai accepté cette invitation volontiers. Nous fixerons les dates très prochainement.
Question (adressée aux deux ministres, traduite de l'espagnol): Pourriez-vous commenter les élections d'hier au Nicaragua?
Sergueï Lavrov: Nous avons envoyé des observateurs de la Douma d'État, du Conseil de la Fédération de l'Assemblée fédérale et de la Commission électorale centrale de la Fédération de Russie aux élections générales d'hier au Nicaragua. Selon eux, le scrutin s’est déroulé de manière organisée en parfaite conformité avec la législation nicaraguayenne, dans le respect de toutes les règles épidémiologiques dictées par la pandémie et avec une participation significative des électeurs.
La préparation et les élections elles-mêmes se sont déroulées dans les conditions d'une pression sans précédent des États-Unis sur les autorités du Nicaragua. Une campagne de non-reconnaissance de leurs résultats a été lancée bien avant le déroulement des élections. Hier soir, quand les élections étaient terminées, la Maison Blanche a annoncé son refus de les reconnaître et a appelé tous les autres pays à en faire de même. Nous jugeons cela inadmissible. Nous condamnons fermement une telle politique.
Conformément à la Constitution du Nicaragua, tout comme celle d'autres pays d'Amérique latine et d'autres régions dont les États-Unis, c'est le peuple qui est détenteur de la souveraineté. Il est le seul (en l'occurrence, le peuple du Nicaragua) à le droit de juger de la légitimité du processus électoral dans son propre pays. Je rappelle les sages propos de Simon Bolivar selon qui chaque État doit choisir sa forme de gouvernement, et tous les autres doivent respecter ce choix.
La pression sur le Nicaragua n'a pas commencé aujourd'hui ou hier, mais en 2018 quand ce pays a fait l'objet d'une ingérence non dissimulée dans ses affaires intérieures. Malheureusement, les tentatives de renverser le gouvernement actuel du Nicaragua se poursuivent et ne sont pas vraiment camouflées. Je voudrais rappeler qu'une nouvelle aventure de révolution de couleur, de renversement de régime, cette fois au Nicaragua, n’apporterait ni stabilité ni prospérité à cette région.
Rappelons comment se sont terminées les "nobles" initiatives des "démocratisateurs" occidentaux en Irak, en Libye, en Syrie et dans bien d'autres pays. Dans un autre pays où des élections ont eu lieu au cours des vingt dernières années (je fais allusion à l'Afghanistan), pendant toute la période d'occupation de l'Afghanistan, les Américains et d'autres pays de l’Otan y organisaient et proclamaient des "élections démocratiques". Les campagnes électorales s'accompagnaient toujours de scandales résonnants et de procédures honteuses, appelons les choses par leur nom.
Il y a cinq ans, lors des dernières "élections démocratiques" en Afghanistan selon les recettes activement promues par l'Occident, qui avait même tenté d'utiliser l'OSCE pour couvrir leurs résultats, le candidat Abdullah Abdullah avait gagné au premier tour. Le décompte du premier tour a duré plusieurs mois parce qu'il fallait transporter les bulletins des électeurs des camps de réfugiés au Pakistan sur des mulets. Ils ont été comptés et Abdullah Abdullah a été déclaré vainqueur.Puis, à l'initiative des États-Unis, la Commission électorale afghane avait annoncé qu'il fallait recompter les voix. Ce qui a duré encore trois mois. Puis, sans annoncer de chiffres concrets, on a dit que ce n’était pas Abdullah Abdullah qui avait gagné, mais Ashraf Ghani, et ce dernier est devenu président de l'Afghanistan. Si de tels standards conviennent aux Américains quand il s'agit de leurs "clients", alors il faut les traiter précisément comme des "clients". Dans tous les autres cas il faut suivre les procédures démocratiques et respecter le choix de la population.
Question: Quelles seront les prochaines démarches du Ministère russe des Affaires étrangères compte tenu des exercices de l'Otan en mer Noire? Peut-on dire qu'ils sont provoqués par l'escalade en République populaire de Donetsk (DNR)? Un observateur de l'OSCE y a été récemment attaqué.
Sergueï Lavrov: Les exercices de l'Otan sont liés à l'aspiration des États-Unis et de leurs alliés à renforcer la politique d'endiguement de la Fédération de Russie malgré toutes les promesses faites dans les années 1990 et reflétées dans l'Acte fondamental du Conseil Otan-Russie. Il a été complètement bafoué dans sa partie clé proclamant l'engagement de l'Otan à ne pas déplacer son infrastructure militaire vers l'Est, sur le territoire de nouveaux membres. On parle actuellement comme allant de soi de la volonté des États-Unis de créer des bases navales en Roumanie et en Bulgarie. C'est une violation directe non seulement des promesses faites plusieurs fois par des dirigeants américains et européens au gouvernement soviétique, mais également du document signé. Tout le monde le présentait comme un modèle non seulement pour une coexistence pacifique, mais également pour l'établissement d'un partenariat entre la Fédération de Russie et l'Alliance.
Le Ministère russe des Affaires étrangères a déjà exprimé plusieurs fois son avis. Il vient de le réaffirmer et de le compléter. J'attire l'attention sur les propos tenus lors des récentes réunions de Sotchi sur les questions militaires. Le Président russe Vladimir Poutine s'est exprimé sur les incursions de nos "visiteurs" en mer Noire. Le Ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, en répondant aux questions des correspondants, a expliqué en détail comment nous réagirions. Il a confirmé que nous étions prêts à absolument n’importe quel scénario. Dans les relations avec l'Otan, nous nous sommes habitués depuis des années à nous préparer à n’importe quelle provocation. Je vous assure: l'état opérationnel est garanti.
J'ignore dans quelle mesure cela est lié aux violations continues du cessez-le-feu dans le Donbass par les forces armées ukrainiennes. Je sais seulement que les derniers "remaniements" au gouvernement ukrainien ont donné à cette structure un profil plus "faucon". Le nouveau ministre ukrainien de la Défense a déclaré sans hésitation que, premièrement, l'Ukraine avait le droit d'utiliser des drones d'attaque et continuerait de le faire. Deuxièmement, que les Accords de Minsk devraient être remplacés par quelque chose d'autre où les États-Unis joueraient un rôle central.
Je rappelle à cet égard que pendant la rencontre entre le Président russe Vladimir Poutine et le Président américain Joe Biden à Genève en juin dernier, lors des visites récentes en Russie de la secrétaire d'État adjointe Victoria Nuland, du directeur de la CIA William Burns et de leurs contacts avec des responsables russes, pendant toutes ces rencontres le Président américain et ses subordonnés ont confirmé la nécessité de remplir les Accords de Minsk, y compris en ce qui concerne le statut particulier du Donbass. Si les États-Unis expliquaient au nouveau ministre ukrainien de la Défense et à tous les autres membres du régime de Kiev, Président ukrainien Vladimir Zelenski en tête, que c'est la position de Washington et qu'il faut la respecter (d'autant que c'est également la position du Conseil de sécurité des Nations unies), alors le règlement de la crise ukrainienne avancerait bien plus vite.
Question: On parle souvent en ce moment des pourparlers au format Normandie. Dans quelle mesure est-ce proche de la réalité? Quel sera l'objet des négociations?
Sergueï Lavrov: Le 11 octobre, le Président russe Vladimir Poutine, le Président français Emmanuel Macron et la Chancelière allemande Angela Merkel se sont entretenus par téléphone pour activer le Format Normandie et entamer l'examen d'accords éventuels au niveau des ministres des Affaires étrangères. Dans la continuité des propos du Président russe Vladimir Poutine selon lesquels il était important pour nous de ne pas se rencontrer simplement pour se rencontrer, mais d'avoir un contact substantiel basé sur la mise en œuvres de toutes les ententes précédentes, le 29 octobre, nous avons envoyé aux collègues de Berlin, de Paris et de Kiev notre vision du projet de document final d'une éventuelle rencontre ministérielle au format Normandie. Il était honnête, assez vaste et couvrait tous les problèmes clés sur lesquels bute actuellement le règlement de la crise ukrainienne, notamment sur le refus du gouvernement ukrainien de faire quoi que ce soit pour tenir ses engagements et remplir les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le 30 octobre, en marge du sommet du G20 à Rome, j'ai rencontré le Ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Ce dernier a rappelé que les dirigeants de la Russie, de la France et de l'Allemagne avaient évoqué par téléphone la nécessité d'organiser une rencontre entre les chefs de diplomatie. Jean-Yves Le Drian a proposé de l'organiser à Paris le 11 novembre 2021. J'ai dit que nous voudrions avoir une réaction des collègues à ces propositions substantielles, car c'est l'aspect substantiel de l'affaire qui est prioritaire, et non les ententes protocolaires de "se voir", poser devant les caméras et envoyer ainsi un signal montrant que le format Normandie fonctionne. Nous n'avons pas besoin de telles performances démonstratives. J'ai demandé si Jean-Yves Le Drian avait vu nos propositions envoyées la veille à Paris. Il a dit qu'il n'avait pas encore eu le temps de les consulter. Il s'est mis de nouveau à souligner la nécessité de se rencontrer le 11 novembre. J'ai réaffirmé que, premièrement, nous attendions une réaction à nos propositions sur le fond. Deuxièmement, même si ces ententes avaient déjà mûri et que leur contenu était prêt, j'ai un programme chargé à Moscou le 11 novembre, qui inclut la visite d'un ministre des Affaires étrangères d'un pays ami. La porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova a également déclaré publiquement que le 11 novembre était tout simplement physiquement impossible pour nous. Néanmoins, nous avons récemment reçu un autre message commun des ministères des Affaires étrangères de l'Allemagne et de la France où le 11 novembre est désigné pratiquement comme une date sans alternative. Sans parler d'éthique diplomatique, c'est humainement malpoli.
Nous avons envoyé des arguments supplémentaires pour dire qu'il fallait s'occuper du fond de la question et non d'une planification d'activités pour la forme. Nous avons énuméré les démarches concrètes entreprises par le régime de Kiev pour torpiller les Accords de Minsk. De plus, on parle d'un projet de loi qui interdirait aux représentants ukrainiens officiels de remplir ces accords. Cela a été souligné par le Président russe Vladimir Poutine pendant l'entretien téléphonique avec les dirigeants de l'Allemagne et de la France. Ils ont assuré qu'ils faisaient tout pour que cette loi ne soit pas adoptée. Mais elle a passé l'expertise de la Commission de Venise du Conseil de l'Europe, ce qui ne fait pas honneur à cet organe qui veut encore qu'on le respecte. Voilà la situation.
Il n'y aura rien le 11 novembre. Nous ne parlons pas de nouvelles dates. Il faut d'abord comprendre quel sera le "produit" d'une telle rencontre et dans quelle mesure il s'appuiera sur l'accomplissement par l'Ukraine et son gouvernement de toutes les décisions précédentes au format Normandie, notamment de la décision du sommet de Paris du quartet Normandie en décembre 2019.