La République islamique d'Iran
Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse conjointe à l'issue de son entretien avec le Ministre iranien des Affaires étrangères Mohammed Javad Zarif et le Ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu, Moscou, 28 avril 2018
Mesdames et messieurs,
Notre entretien d'aujourd'hui s'est déroulé dans un contexte où l'on observe, autour du processus de paix syrien, plusieurs événements pas toujours positifs. Nous avons déjà mentionné l'attaque illégitime contre la Syrie perpétrée par les USA, la France et le Royaume-Uni le 14 avril sous un prétexte absolument fallacieux sans attendre que les experts de l'OIAC commencent leur travail. Évidemment, cette attaque a repoussé à l'arrière-plan les efforts visant à promouvoir le processus de paix.
Néanmoins, nous nous sommes fermement prononcés aujourd'hui pour poursuivre ces efforts. Nous sommes convenus de mesures concrètes qui seront entreprises par nos trois pays collectivement et individuellement pour que tous les acteurs reviennent sur la trajectoire du progrès durable vers les objectifs de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies.
En même temps, nous avons fait remarquer que nous nous opposerions aux tentatives de saper notre travail commun. Nous avons souligné que le format d'Astana tenait solidement sur pied. Nous continuerons de régler les questions fondamentales liées à la désescalade, à la diminution de la tension et du potentiel de conflit. Il y a une violation du cessez-le-feu. Nous disposons d'un mécanisme d'observation de ces violations. Nous surmonterons cette situation et essaierons de renforcer au maximum la confiance entre les parties sur le terrain.
Dans ce sens, notre coopération trilatérale a un caractère unique. Grâce à cette coopération, nous avons réussi il y a quelques temps à renverser la situation sur le champ de bataille contre les terroristes de Daech et du Front al-Nosra et à aider des centaines de milliers de Syriens à éviter une catastrophe humanitaire.
Nous avons adopté aujourd'hui une Déclaration conjointe, qui sera diffusée. Elle reflète les principaux résultats de notre réunion. Quoi qu'il en soit, nous sommes fermement attachés à l'absence d'alternative au règlement politico-diplomatique de la crise en Syrie en s'appuyant sur la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies et les recommandations du Congrès du dialogue national syrien à Sotchi. Je rappelle que le Congrès de Sotchi, au nom de tous les groupes ethniques, confessionnels et politiques syriens qui y ont participé, a fixé 12 principes-clés pour régler la crise syrienne qui ont été avancés à l'époque par l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura. Ce qui était déjà un progrès dans les efforts pour surmonter la crise syrienne, parce qu'avant Sotchi les tentatives d'approuver ces 12 principes dans le cadre des efforts pour réanimer le processus de Genève n'avaient pas donné de résultats. Je rappelle qu'hormis cet exploit à Sotchi, nous avons tous aidé les participants syriens à approuver la tâche de créer le Comité constitutionnel, de convenir des principes de base pour sa formation et son fonctionnement avec la contribution de l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura.
Aujourd'hui, en plus de confirmer ces tâches, nous avons également noté l'inadmissibilité absolue des tentatives de diviser la Syrie selon des critères ethno-confessionnels.
Nous avons échangé nos avis concernant les contacts de l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura à Téhéran, à Ankara et à Moscou la semaine dernière. Nous avons évoqué le déroulement des préparatifs de la 9e réunion internationale sur la Syrie à Astana qui se tiendra mi-mai. En lien avec cette réunion, selon notre entente, s'y tiendra également la réunion du Groupe de travail pour la libération de détenus/otages, le transfert des corps des défunts et la recherche des personnes portées disparues.
Dans le contexte des efforts pour réanimer la plateforme de négociations de Genève, nous trouvons très destructives certaines déclarations faites par des représentants de l'opposition extérieure qui associent le règlement du conflit syrien à des négociations politiques avec des conditions préalables - notamment l'exigence de changer de régime et de traduire des dirigeants syriens en justice en tant que criminels de guerre. Ces approches ne sont pas seulement contraires à l'essence et à la lettre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, mais visent clairement à compliquer au maximum le travail pour relancer les négociations compte tenu des percées atteintes durant le Congrès du dialogue national syrien à Sotchi.
Nous avons également réaffirmé aujourd'hui la nécessité de poursuivre les efforts pour acheminer l'aide humanitaire. Nous ferons en sorte qu'elle soit la plus efficace possible. Nous travaillerons avec le gouvernement syrien, avec l'opposition et, évidemment, avec nos collègues à l'Onu, au Comité international de la Croix-Rouge, au Croissant-Rouge arabe syrien et au sein d'autres structures internationales. Il est important que la contribution internationale, notamment l'aide au déminage, soit accordée aux régions qui reviennent à la vie pacifique grâce à nos efforts communs sans aucune politisation ni aucune condition politique préalable.
Je suis sincèrement reconnaissant envers mes collègues et amis pour la poursuite de notre travail conjoint. Je suis certain que les pourparlers d'aujourd'hui, dont les résultats se reflètent dans la Déclaration conjointe, aideront à consolider nos efforts pour l'accomplissement consciencieux et complet de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Question: Des citoyens turcs continuent de rencontrer des problèmes de visa. Avez-vous évoqué aujourd'hui ce thème avec le Ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu? Quand verrons-nous des démarches concrètes en la matière?
Sergueï Lavrov: Nous avons évoqué aujourd'hui certaines questions relatives à la simplification du régime de visa. Il y a quelque temps, la Russie avait déjà proposé quelques démarches concrètes: premièrement, rétablir le régime sans visa pour les détenteurs de passeports de service et, deuxièmement, assurer un franchissement sans visa de la frontière pour les chauffeurs routiers effectuant des itinéraires internationaux. Nos amis turcs ont promis de réagir. Ce serait une démarche palpable pour un grand nombre de nos citoyens. Nous avons l'intention d'élargir les catégories qui bénéficieront du régime sans visa. Dans l'ensemble, nous souhaitons avancer vers cet objectif, comme l'a dit à plusieurs reprises le Président russe Vladimir Poutine durant ses entretiens avec le Président turc Recep Tayyip Erdogan. Il est évident qu'aujourd'hui, nous nous trouvons tous sous une forte pression de la menace terroriste, notamment nos amis turcs qui éprouvent les problèmes provenant des pays voisins. A cet égard, nos services compétents doivent établir une coopération concrète maximale en temps réel pour tracer les combattants terroristes étrangers.
Nous sommes convenus de mener un tel travail et d'échanger régulièrement en temps réel des informations sur les individus proclamés "interdits d'entrer" en Turquie ou en Russie. Il est également très important pour nous d'obtenir en temps opportun des informations sur les individus qui sont extradés de Turquie. Nous répondrons par la réciproque en nous basant sur la Convention consulaire entre nos pays.
Question: Des doutes ont été exprimés récemment concernant le processus d'Astana, notamment ses succès et fonctions. Je voudrais avoir votre avis à ce sujet.
L'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura s'est récemment rendu dans les pays-garants du processus d'Astana – l'Iran, la Russie et la Turquie. Avez-vous un plan de coopération avec l'Onu concernant la Syrie?
Sergueï Lavrov (répond après les ministres des Affaires étrangères de l'Iran et de la Turquie): Je me joins à ce qui vient d'être dit par mes homologues. J'ajouterai que depuis le début du processus d'Astana, l'Onu a été invitée à y participer. Staffan de Mistura ou son adjoint ont assisté à toutes les réunions d'Astana. Aujourd'hui, l'Onu pourrait faire beaucoup pour que le processus d'Astana évolue efficacement sur tous les aspects. Il y a quatre aspects principaux.
Le premier (qui est l'invention originale du processus d'Astana) est la mise en place des zones de désescalade dans lesquelles le cessez-le-feu doit être respecté, évidemment à l'exception des groupes terroristes qui tentent de se cacher dans ces zones et de spéculer sur leur statut. Cette lutte contre les terroristes sera absolument sans compromis, et les troupes d'opposition armée qui sont patriotes et veulent la paix dans leur pays doivent immédiatement s'éloigner des terroristes et les chasser de ces zones de désescalade. Bien sûr, l'Onu qui a des contacts avec tous les principaux groupes armés, les forces politiques de l'opposition syrienne et ceux qui soutiennent et dirigent le travail de ces opposants pourrait plus clairement faire passer le message qu'il ne faut pas "se mélanger" avec les terroristes, créer des alliances avec eux, même situationnelles. C'est un aspect très important de notre coopération avec l'Onu.
Le deuxième thème prioritaire aux réunions d'Astana est celui de l'aide humanitaire. Nous aidons activement les Syriens à revenir à la vie pacifique. La Russie œuvre beaucoup en ce sens, tout comme l'Iran et la Turquie. Bien sûr, l'Onu doit prendre conscience de sa responsabilité pour l'organisation d'une vaste campagne visant à régler les problèmes des personnes qui reviennent dans leur foyer, veulent revenir à la vie pacifique, établir des bases élémentaires de la vie. Ici nous sommes également en contact avec les structures humanitaires de l'Onu, nous les aidons à conclure des accords avec le gouvernement syrien conformément aux normes du droit international pour savoir comment, concrètement, mener des projets humanitaires en Syrie. Nous incitons nos collègues syriens de Damas à être plus souples, disposés de manière plus constructive, même si parfois ce n'est pas simple compte tenu des approches discriminatoires qu'ils constatent de la part de certains partenaires occidentaux. Néanmoins, nous le faisons. Dans le même temps, nous appelons l'Onu à éviter la pression visant à politiser les fournitures humanitaires, l'aide humanitaire. L'Onu n'a évidemment pas le droit de donner des armes à ceux qui déclarent que l'aide sera accordée seulement aux régions contrôlées par l'opposition. Ce n'est pas tout: l'Onu doit hausser le ton face à de telles approches.
Le troisième aspect fondamental pour le processus d'Astana et pour tout le processus de paix syrien est le dialogue politique, les négociations politiques. J'ai déjà mentionné, comme mes homologues, que dans ce sens aussi le processus d'Astana, notamment avec un point culminant lors du Congrès de Sotchi, a fait plus que toutes les autres tentatives d'établir des contacts politiques durables. Au Congrès de Sotchi ont été convenus les principes du processus de paix syrien suggérés entre autres par l'Onu (voilà en ce qui concerne la question de la coopération avec l'Onu), ainsi que la nécessité de créer un comité constitutionnel une nouvelle fois sous l'égide de l'Onu pour préparer, dans le cadre des pouvoirs de l'Envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu, une nouvelle Constitution pour la Syrie. C'est d'ailleurs le plus grand appui aux efforts de Staffan de Mistura. C'est pourquoi il est parfois étrange que certains cherchent à l'influencer pour qu'il critique le processus d'Astana et les résultats du Congrès de Sotchi. Je répète qu'à ce jour la déclaration de Sotchi est le plus important appui que possède Staffan de Mistura pour remplir avec succès le mandat prévu par la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Pour conclure, je voudrais dire que l'Iran, la Turquie et la Russie, dans toutes leurs actions, malgré toutes les nuances dans nos approches (nous ne les cachons pas) cherchent à aider à trouver des solutions concrètes, aider les Syriens eux-mêmes à s'entendre sur la réconciliation nationale, à trouver un moyen pour faire revenir leur pays à la vie pacifique et le faire dans le cadre des principes de la Charte de l'Onu.
Ceux qui critiquent le processus d'Astana et les résultats du Congrès de Sotchi sont probablement guidés par d'autres objectifs. Pour faire très simple, ces objectifs consistent à essayer de prouver qu'aujourd'hui ce sont eux qui décident de tout dans notre monde. Malheureusement pour eux, mais peut-être heureusement pour tout le monde, ce temps est révolu depuis longtemps.