la República Libanesa
Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d'une conférence de presse à l'issue de sa visite aux États-Unis, Washington, 10 décembre 2019
Cette visite aux États-Unis à l'invitation du Secrétaire d’État américain Mike Pompeo s'achève. En plus des pourparlers avec Mike Pompeo et son équipe, après lesquels nous avons organisé une conférence de presse au Département d’État américain, s'est tenue une rencontre à la Maison blanche avec le Président américain Donald Trump, qui s'est déroulée, je trouve, dans une atmosphère d'entente notamment en ce qui concerne la responsabilité de la Russie et des États-Unis vis-à-vis de la situation dans le monde.
Nous avons constaté la présence de plusieurs problèmes graves, qui sont inévitables. Nous comprenons la spécificité de la situation actuelle, notamment de la situation politique aux États-Unis, mais les deux parties sont disposées, dans les domaines où nous pouvons travailler de manière mutuellement bénéfique et productive, à faire davantage, à déployer plus d'efforts pour déboucher sur des résultats concrets.
Nous avons accordé une attention particulière à la stabilité stratégique, à la sécurité mondiale, à la maîtrise des armements et à la non-prolifération. La situation est très grave. Il ne reste plus qu'un seul traité en vigueur entre la Russie et les États-Unis: le Traité de réduction des armes stratégiques START III. Nous avons réaffirmé notre proposition de prolonger ce Traité. Et nous pensons que le plus tôt sera le mieux - d'ici la fin de l'année, comme l'a récemment proposé le Président russe Vladimir Poutine.
Bien évidemment, nous prêtons attention à la situation autour du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Nous avons rappelé la proposition du Président russe Vladimir Poutine d'adopter un moratoire réciproque sur la création et le déploiement des armements interdits par FNI. Nous serons prêts à l'évoquer avec les collègues américains s'ils manifestaient un tel intérêt. Sinon, il n'y aurait rien à faire. Comme l'a souligné Vladimir Poutine, notre sécurité est assurée de manière fiable. Mais nous comprenons notre responsabilité pour la préservation et le renforcement des instruments en matière de désarmement, de maîtrise du contrôle des armements et de prolifération. Sur notre initiative, une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies a été adoptée à 174 voix pour le maintien de ces instruments et leur renforcement. Personne n'a voté contre. Tous les pays occidentaux ont voté pour, États-Unis y compris. Du moins, cela laisse espérer que Washington reste conscient de l'inadmissibilité de l'effondrement de tout ce système.
Dans bien d'autres domaines, nous avons la possibilité de coopérer de manière utile tant bien pour nos relations que pour la stabilité internationale. Je pense notamment aux dialogues qui se poursuivent, aux mécanismes qui fonctionnent sur la Syrie, sur l'Afghanistan, sur le problème nucléaire de la péninsule coréenne.
Nous avons parlé aujourd'hui de la nécessité de prendre des mesures pour empêcher l'approfondissement de la crise dans le Golfe, ainsi que pour régler les problèmes survenus à cause du retrait unilatéral des États-Unis du Plan d'action global commun sur le nucléaire iranien.
Pour terminer, nous avons parlé des perspectives de la coopération économique. Les échanges ont augmenté cette année de 25% par rapport à 2016. Nous comprenons que bien que cette hausse se produise dans un contexte de sanctions, ce n'est évidemment pas la limite de nos potentiels. Les entreprises des deux côtés souhaitent développer une coopération mutuellement bénéfique.
Question: Avez-vous réussi à inviter une nouvelle fois le Président américain Donald Trump à Moscou pour l'anniversaire de la Victoire? A-t-il donné une réponse? A-t-on parlé d'une éventuelle rencontre plein format entre les présidents de la Russie et des États-Unis?
Sergueï Lavrov: Le Président russe Vladimir Poutine a invité le Président américain Donald Trump aux festivités à l'occasion de la Journée de la Victoire le 9 mai 2020 à Moscou pendant leur entretien au Japon en marge du G20 en juin dernier. Aujourd'hui, sur directive de Vladimir Poutine, j'ai confirmé cette invitation. Donald Trump l'étudie.
Nous espérons que si cette opportunité se présentait il serait possible d'organiser une discussion bilatérale en plein format.
Question: Le Congrès américain a mis au point hier le projet de budget militaire incluant d'éventuelles sanctions contre le Nord Stream 2 et le Turkish Stream. Ce thème a-t-il été abordé? Si des restrictions étaient décrétées - or le Congrès est très déterminé - dans quelle mesure cela affecterait-il l'achèvement de la construction de nos projets?
Sergueï Lavrov: Selon moi, actuellement, le Congrès déborde d'envie de tout faire pour détruire nos relations. L'affaire lancée par l'administration de Barack Obama se poursuit. Comme je l'ai dit, nous sommes habitués à ce genre d'attaques. Nous savons comment y réagir. Je vous assure que ni le Nord Stream 2 ni le Turkish Stream ne s'arrêteront.
Question: Vous avez eu l'occasion de parler aujourd'hui à Mike Pompeo et à Donald Trump. Est-ce que Donald Trump s'est plaint (peut-être en privé) des démocrates qui ont initié la procédure de destitution? D'après vous, est-ce un hasard si Donald Trump vous a reçu aujourd'hui à la Maison blanche le même jour que les démocrates ont lancé une nouvelle étape de destitution?
Sergueï Lavrov: Pour répondre à la première question, j'ai déjà dit quels thèmes nous avions évoqué. En introduction j'ai dit également qu'il n'avait été question de rien d'autre. En ce qui concerne le calendrier du Congrès, honnêtement je ne m'y étais pas intéressé. Vous pensez qu'ils ont programmé leur réunion quand ils ont appris que je venais aujourd'hui?
Question: En évoquant la situation en Syrie avec Donald Trump et Mike Pompeo, avez-vous remarqué une nouvelle position susceptible de favoriser le règlement politique en Syrie?
Sergueï Lavrov: Nous avons évoqué les problèmes relatifs au règlement syrien avec Mike Pompeo. Nous avons une position commune, que nous avons confirmée aujourd'hui: il n'y a aucune solution militaire et il est nécessaire de promouvoir un dialogue national inclusif en recourant tout d'abord au processus politique dans le cadre du Comité constitutionnel qui a lancé ses travaux à Genève, et en recherchant absolument des moyens d'impliquer les Kurdes dans le processus politique, notamment via le développement de leurs contacts avec le gouvernement central syrien (nous en sommes convaincus). Nous l'évoquons avec eux, démontrons que c'est le seul moyen fiable d'assurer les intérêts des Kurdes et des autres groupes ethniques et confessionnels en Syrie. Nous avons avec les États-Unis un canal de dialogue sur la Syrie qui se développe notamment au niveau des ministères de la Défense dans le cadre du "deconflicting". Il existe également des contacts au niveau des ministères des Affaires étrangères.
Question: Que pensez-vous de la situation au Liban et en Irak?
Sergueï Lavrov: Notre position est qu'il ne sera possible de surmonter les crises actuelles dans ces pays que par un dialogue national réunissant tous les groupes politiques, ethniques et confessionnels. Au Liban, il est nécessaire de respecter les principes fondateurs de la Constitution libanaise. De notre point de vue, c'est crucial. Il est nécessaire d'éviter les situations où tel ou tel groupe ethnique serait exclu de ces processus, notamment sous prétexte de la nécessité de former certains organes techniques de pouvoir. Cela serait un écart considérable des traditions qui ont permis à la société libanaise de maintenir son intégrité et d'assurer la souveraineté du pays.
Nous sommes solidaires avec le Gouvernement de l'Irak, contraint de combattre les vestiges des groupes terroristes et de promouvoir en parallèle la consolidation de la société sur la même base interethnique et interconfessionnelle, réunissant les chiites et les sunnites, compte tenu du rôle du Kurdistan dans cet État. J'ai récemment visité l'Irak, je me suis rendu à Bagdad et à Erbil. Nous avons exprimé notre solidarité avec les efforts des dirigeants irakiens dans cette direction.
J'espère qu'on ne constatera aucune ingérence destructrice de forces extérieures dans le cas libanais ou irakien, et que tous les acteurs extérieurs encourageront les Libanais et les Irakiens à parvenir à la concorde au niveau national. C'est le seul moyen de stabiliser ces pays et la région en général.
Question: Lors de votre conférence de presse conjointe, le Secrétaire d'État américain Mike Pompeo a souligné que les États-Unis voulaient, malgré toutes les divergences, élargir la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et le trafic des stupéfiants. Pourriez-vous citer des détails concernant cette partie de votre entretien? Avez-vous obtenu des ententes sur le rétablissement du travail régulier et à part entière du groupe de travail bilatéral pour la lutte contre le terrorisme ou sur d'autres formes de coopération entre les organes de justice des deux pays?
Sergueï Lavrov: Lors de leur rencontre à Helsinki durant l'été 2018, les présidents russe Vladimir Poutine et américain Donald Trump ont soutenu notre proposition sur l'établissement de la coopération antiterroriste. Cette dernière se déroulait dans le cadre d'un groupe de travail sous l'administration de Barack Obama. Plus tard, à l'apogée des décisions antirusses adoptées aux États-Unis, elle a été gelée à l'initiative de Washington, tout comme beaucoup d'autres domaines de nos contacts. Conformément à la décision des présidents Vladimir Poutine et Donald Trump, nous avons relancé en 2019 le dialogue dans ce format: il s'agit de consultations régulières au niveau des adjoints du Ministre des Affaires étrangères et de Secrétaire d'État. La Russie est représentée par le Vice-Ministre Oleg Syromolotov, dont l'interlocuteur était John Sullivan qui termine actuellement la procédure d'audition en vue de sa nomination en tant qu'Ambassadeur en Fédération de Russie. Nous espérons qu'un nouveau chef de la délégation américaine sera trouvé rapidement. Il est à noter que les délégations des deux pays revêtent un caractère interministériel: elles réunissent des diplomates, des militaires et des responsables des services qui s'occupent directement de la lutte contre la menace terroriste. Il s'agit d'un mécanisme très utile qui permet une approche globale de l'unification de nos efforts dans ce domaine crucial.
Question (traduite de l'anglais): Vous n'avez visiblement pas considérablement progressé dans les négociations sur la prolongation du traité New Start. Vous avez promu un jour l'idée que Moscou pourrait accepter la prolongation du New Start pour moins de cinq ans. L'avez-vous proposé lors de vos entretiens avec le Secrétaire d'État Mike Pompeo et le Président américain Donald Trump? Avez-vous obtenu une réponse positive?
Sergueï Lavrov: Nous avons proposé à Washington toute option possible pour la prolongation du New Start. Voilà ma réponse, très brève, qui reflète le sens de notre discussion.
Question (traduite de l'anglais): Quelles sanctions contre la Corée du Nord est-il nécessaire de lever afin que les négociations entre Pyongyang et Washington se poursuivent?
Sergueï Lavrov: Nous estimons qu'on a déjà adopté assez de sanctions contre la Corée du Nord. Voire trop, si l'on prend en considération les sanctions unilatérales adoptées hors des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies. Comme toutes les résolutions prévoyant les sanctions au niveau du Conseil de sécurité constataient également la nécessité du processus politique, il faut à notre avis faire preuve de souplesse dans ce domaine. Entre autres, il existe des éléments humanitaires qui sont de telle ou telle façon touchés par les sanctions actuelles.
Il y a un exemple éloquent, que j'ai évoqué aujourd'hui avec Mike Pompeo qui a promis d'entrer dans les détails de la situation. L'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), basée à Rome, avait un projet absolument légal et ouvert de livraison d'aide humanitaire vers la Corée du Nord. Cette aide ne violait en rien les interdictions du Conseil de sécurité de l'Onu ou les sanctions unilatérales supplémentaires introduites par les Américains. Mais les tentatives de la FAO de trouver un fournisseur, notamment celui qui livrerait cette aide en Corée du Nord, se sont heurtées à un problème majeur: tout le monde avait peur de participer à l'opération - qui n'était pourtant interdite par personne. Il faut bien formaliser de telle ou telle manière le refus de cette "épée de Damoclès". Nos collègues américains comprennent ce problème. J'espère qu'ils comprennent également la nécessité d'encourager la Corée du Nord à coopérer en lançant des initiatives de rapprochement avec Pyongyang en réponse à ce qu'il a déjà fait. Il a longtemps gelé ses essais, mais n'a constaté aucune réponse positive. Nous continuerons de promouvoir le plan d'action élaboré par la Russie et la Chine compte tenu des commentaires des États-Unis et de la République de Corée. Nous espérons que ce plan aidera les parties à reprendre les négociations directes sans avancer d'ultimatums.
Je l'ai déjà dit et je vais le répéter: il est irréaliste d'attendre que la Corée du Nord applique toutes les exigences américaines et mène à son terme sa dénucléarisation pour n'obtenir que certains bénéfices du point de vue de l'amélioration de sa situation économique, de la levée des sanctions et de l'assurance de sa sécurité. Le terme utilisé par nos collègues américains - la dénucléarisation de la Corée du Nord - est peu correct et imprécis, car toutes les ententes stipulent la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Comme vous le comprenez bien, ce sont des choses absolument différentes. Nous continuerons d'encourager les parties à reprendre le dialogue, mais il est nécessaire de lancer à ces fins des initiatives réciproques en réponse aux mesures déjà entreprises par la Corée du Nord.
Question: Mike Pompeo a dit aujourd'hui que la Maison blanche s'apprêtait à faire prochainement une grande déclaration sur la coopération économique avec la Russie. Savez-vous de quoi il s'agit? En avez-vous parlé?
Sergueï Lavrov: Nous avons parlé aujourd'hui de l'examen de l'accord fondamental entre les présidents de nos pays conclu à Helsinki l'an dernier sur proposition de Vladimir Poutine. Je fais allusion à la création d'un Conseil consultatif d'affaires regroupant les leaders d'entreprises privées - de 7 à 10 personnes de chaque côté - avec le soutien de Moscou et de Washington pour l'élaboration d'accords concrets orientés sur le profit réciproque grâce à des projets dans le domaine économique et des investissements. Nos collègues ont dit soutenir cette idée. Sur directive de Donald Trump, ils rédigent actuellement leur réaction concrète à celle-ci. C'est probablement ce que voulait dire Mike Pompeo.
Question (traduite de l'anglais): Vous voyez depuis trois ans Donald Trump "en action" au poste présidentiel. Pensez-vous que, pour la Russie, il soit un partenaire fiable sur lequel il est possible de compter, qui fait ce que vous voulez qu'il fasse et ce qu'il promet de faire?
Sergueï Lavrov: C'est avant tout au peuple américain de juger de l'activité du Président américain Donald Trump. En ce qui concerne les relations avec la Fédération de Russie, nous ne doutons pas que Donald Trump comprend sincèrement le bénéfice pour les Américains, les entreprises américaines et les États-Unis dans l'ensemble, ainsi que pour la situation dans le monde, des bonnes relations entre la Fédération de Russie et les États-Unis. Des relations qui ne doivent contenir aucun favoritisme envers qui que ce soit, dans un sens ou dans l'autre, qui doivent s'appuyer sur un équilibre des intérêts, le pragmatisme et le profit mutuel. C'est notre impression du Président américain Donald Trump. Nous savons que peu aux États-Unis partagent sa disposition, ils cherchent à freiner la normalisation de nos relations en engageant contre nous de nouvelles sanctions. J'ai entendu qu'au Congrès le sénateur du Parti démocrate Bob Menendez exigeait des sanctions, cette fois parce que le peuple russe "souffre des oligarques". Voilà encore une nouvelle juridique intéressante. Je répète que nous ne doutons pas de la sincérité du Président américain Donald Trump et de sa compréhension du bénéfice des relations normales avec la Russie pour les États-Unis.
Question (traduite de l'anglais): Au vu de la destitution et de la pression subie par les relations américano-ukrainiennes, est-ce que cela apporte à la Russie un levier dans son dialogue avec l'Ukraine pour faire cesser le conflit entre les deux pays?
Sergueï Lavrov: Je n'ai pas compris ce que nous avions à voir avec les liens entre les États-Unis et l'Ukraine, et quel levier pouvait être utilisé. Ce sont les relations entre deux puissances souveraines. Nous les percevons comme telles.
Question (traduite de l'anglais): Est-ce que les pourparlers à Washington vous ont donné plus d'espoir pour la prolongation du START III qu'avant de venir? Quand, selon vous, sera franchi le point de non-retour, quand sera-t-il trop tard pour prolonger l'accord?
Sergueï Lavrov: Cette date est le 5 février 2021. Jusqu'à ce jour tout reste entre nos mains et entre les mains des États-Unis. Nos propositions restent sur la table. Nous avons été entendus - je le comprends. C'est à Washington de décider à présent.
Question (traduite de l'anglais): La Maison blanche a émis un communiqué à l'issue de votre entretien avec Donald Trump, qui stipule que le Président américain a mis en garde la Russie contre l'ingérence dans les élections américaines, tout en appelant à régler au plus vite le conflit avec l'Ukraine. En avez-vous parlé? Pouvez-vous parler plus en détail de cette discussion?
Sergueï Lavrov: Nous n'avons pas du tout parlé des élections. En ce qui concerne l'Ukraine, j'ai partagé avec Donald Trump et Mike Pompeo mes impressions concernant le sommet du Format Normandie hier à Paris. Ces impressions sont basées sur le document final du sommet, adopté et diffusé notamment auprès des médias.
Question (traduite de l'anglais): Que pensez-vous des approches américaines de la situation en Syrie? L'administration Trump est-elle prête au maintien au pouvoir du régime de Bachar al-Assad? A-t-on critiqué la position russe sur la Syrie, les bombardements russes d'Idleb? A-t-on parlé d'une éventuelle ouverture de l'ambassade américaine à Damas? D'après vous, quelle est l'attitude des États-Unis envers le régime de Bachar al-Assad?
Sergueï Lavrov: Pour savoir quelle est l'attitude des États-Unis envers le gouvernement syrien légitime, il faut poser la question aux autorités américaines. Du moins, le soutien accordé par les États-Unis (mais pas immédiatement, c'est vrai) au travail du Comité constitutionnel en Syrie qui, vous le savez, se compose de trois parties - la première représente les intérêts du gouvernement, la deuxième l'opposition, la troisième est formée par des représentants de la société civile - montre que les États-Unis voient et acceptent les réalités en Syrie. C'est sur ces réalités que s'est formé le Comité constitutionnel. J'ai entendu aujourd'hui l'intérêt exprimé par le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo pour qu'il obtienne un résultat dans le travail sur la réforme constitutionnelle, tel que le prévoit la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
En ce qui concerne Idleb, j'ai moi-même expliqué à Mike Pompeo que la ville était devenue un nid de terrorisme. Malheureusement, nos collègues turcs ne peuvent toujours pas tenir leur engagement pris en septembre 2018 d'effectuer la séparation entre, d'une part, l'opposition armée qui n'est pas entachée par des activités terroristes, et, d'autre part, le Front al-Nosra qui est devenu aujourd'hui Hayat Tahrir al-Cham. Nous comprenons que c'est difficile. A une époque, l'administration de Barack Obama nous affirmait qu'ils feraient la distinction entre les combattants prêts au dialogue politique et les terroristes du Front al-Nosra. Cette promesse ne s'est pas matérialisée - l'administration de Barack Obama n'a pas réussi à le faire. Nous avions encore des doutes concernant l'attitude de Washington envers le Front al-Nosra en soupçonnant que ce groupe était épargné pour l'utiliser contre le gouvernement légitime de Bachar al-Assad. Quoi qu'il en soit, contrairement à l’État islamique qui a subi de lourdes pertes et survit pour l'instant sous la forme de groupuscules divisés, le Front al-Nosra a pris le contrôle de la zone de désescalade d'Idleb et lance des frappes contre les positions des forces syriennes, l'infrastructure civile et la base aérienne russe de Hmeimim. Nous ripostons à chacune de ces attaques. Bien sûr, cette situation ne peut pas durer éternellement. La situation doit déboucher au final sur la libération complète de cette zone des terroristes et le rétablissement du contrôle du gouvernement légitime sur l'ensemble du territoire. Il est inquiétant que les terroristes qui se sont retranchés dans cette zone se répandent à travers la région, dont un grand nombre a été aperçu en Libye où ils jettent de l'huile sur le feu dans les affrontements qui empêchent la reprise du dialogue politique.
Nous avons évoqué en détail la situation syrienne, ainsi que ce qui se passe à l'Est de l'Euphrate où la coalition menée par les États-Unis, qui n'a été invitée par personne en Syrie, s'occupe activement de l'aménagement de la vie de la population locale en s'appuyant sur les unités kurdes, en provoquant dans de nombreux cas une confrontation entre les Kurdes et les tribus arabes sur les territoires desquelles s'installent par moment des Kurdes qui veulent y rester. Nous avons proposé aux États-Unis de régler les problèmes de la rive Est à travers la réalisation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Syrie, tel que le stipule la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies pour laquelle a voté Washington.
Question: Seulement quelques heures après votre entretien avec Donald Trump, des journalistes et des politiciens américains critiquent déjà le format de cette rencontre - à huis clos, sans la presse. Le chef de la Commission du renseignement de la Chambre des représentants Adam Schiff a qualifié cette rencontre de "succès de la propagande russe". Avez-vous senti un succès?
Sergueï Lavrov: Premièrement, aucun média n'était présent, pas seulement américain ou russe. Si Adam Schiff qualifie ainsi les contacts élémentaires pour tout autre pays au niveau des ministres des Affaires étrangères et la réception du ministre des Affaires étrangères par le président du pays-hôte, s'il le considère comme le "triomphe de la diplomatie russe", alors peut-être qu'après l'accusation de nos sportifs de recourir au dopage on exigera d'appliquer contre nous des sanctions pénales. L'absurdité de cette position d'Adam Schiff est parfaitement évidente pour moi, tout comme pour toute personne sensée.
Question (traduite de l'anglais): La dernière fois que vous étiez venu aux États-Unis, le Président américain Donald Trump vous avait dévoilé des informations secrètes. Selon vous, parmi les sujets évoqués aujourd'hui, que faut-il qualifier d'information secrète?
Sergueï Lavrov: Je pourrai connaître la réponse à votre seconde question seulement à partir de ce que vous écrirez. En ce qui concerne notre première rencontre avec Donald Trump, personne n'avait révélé d'informations confidentielles ou secrètes à l'autre, cela a été dit plusieurs fois. Si quelqu'un pense différemment, nous voudrions savoir de quelles informations concrètes il est question dans cette histoire qui prend une dimension surréaliste.
J'ignore ce que vous considérerez comme une information secrète. Nous avons parlé des sujets que je vous ai honnêtement exposés. Réfléchissez. Si vous y trouverez un secret, vous aurez un scoop.
Question: Un scandale a éclaté au Royaume-Uni concernant la publication d'un dossier révélant les détails des négociations entre Londres et Washington sur le système national de santé. Certains politiques, notamment Jeremy Corbyn, ont accusé la Russie du fait que la publication de ce dossier relevait de l'ingérence dans les élections britanniques. Que pouvez-vous dire à ce sujet?
Sergueï Lavrov: Je ne l'ai pas entendu, mais je ne suis pas du tout surpris. Je n'ai pas entendu parler de cet aspect concret - le domaine de la santé - de notre "ingérence" dans les prétendues relations entre les États-Unis et le Royaume-Uni. J'ai entendu que mon ancien homologue, le Premier ministre britannique Boris Johnson, avait ouvertement déclaré qu'il n'y avait aucune ingérence de la Russie dans les affaires britanniques ni pendant le Brexit ni dans ce qui se passe aujourd'hui. En l'occurrence, je le crois.
Question: Votre visite a coïncidé avec l'examen de plusieurs projets de sanctions au Sénat. Prenez-vous en considération les risques de sanctions lors de la mise en œuvre des décisions en matière de politique étrangère? Prévenez-vous les dirigeants du pays de ces risques?
Sergueï Lavrov: Hasard du calendrier, notre délégation est arrivée à Washington le jour de l'examen de nouvelles sanctions. Avant cela, on indiquait que notre visite coïncidait avec l'examen de la procédure de destitution. Il semblerait qu'il soit absolument impossible de choisir une journée de visite à Washington sans que cela coïncide avec les sanctions, la destitution, etc.
Question (traduite de l'anglais): Le commentaire de la Maison blanche indique spécialement que le Président Donald Trump vous a prévenus de ne pas vous ingérer dans les élections américaines. Vous confirmez que rien de tel n'a été avancé?
Sergueï Lavrov: Je n'ai pas lu le commentaire de la Maison blanche sur notre entretien. Nous avons publié notre propre commentaire: lisez-le. Le Secrétaire d'État Mike Pompeo a mentionné au cours de la conférence de presse au Département d'État que les États-Unis prévenaient la Russie de ne pas s'ingérer dans les élections et j'y ai répondu. J'ai dit à Donald Trump que Mike Pompeo l'avait publiquement mentionné. En réponse, j'ai publiquement rappelé que nous avions proposé à l'administration actuelle de rendre publique la correspondance entre Moscou et Washington d'octobre 2016 à janvier 2017 via le canal qui avait été spécialement établi en cas d'apparition de risques dans le cyberespace. Cette correspondance démontrera notre volonté de coopérer sur n'importe quelle question concernant les suspicions américaines sur notre ingérence dans les élections. L'administration de Barack Obama a refusé catégoriquement d'établir cette coopération. Si l'on rejette une expression directe de notre volonté d'évoquer toutes les préoccupations américaines et si l'administration actuelle refuse de publier cette correspondance (pour des raisons peu compréhensibles), que pouvons-nous encore faire? Nous l'avons publiquement évoqué lors de la conférence de presse au Département d'État.
Question: Quelle est votre impression concernant votre entretien personnel avec le Président ukrainien Vladimir Zelenski? Est-il possible que le catalyseur du règlement du conflit dans le Donbass se trouve non seulement à Kiev et à Moscou, mais aussi à Washington? Faut-il que les États-Unis rejoignent le Format Normandie?
Sergueï Lavrov: L'atmosphère des négociations, au sein du Format Normandie ou entre les présidents russe et ukrainien Vladimir Poutine et Vladimir Zelenski, a été constructive, respectueuse et pragmatique. Il n'y avait aucune idéologisation des problèmes ukrainiens - comme se le permettent publiquement beaucoup de politiciens ukrainiens. Les deux parties ont fait preuve d'une approche professionnelle et concrète qui ne visait pas des propos retentissants ou la volonté d'attirer l'attention de sa circonscription électorale, mais la recherche de solutions.
En ce qui concerne les capitales où il faut rechercher des ressources supplémentaires pour assurer le règlement des problèmes de l'Ukraine et la mise en œuvre des accords de Minsk, je ne citerais pas, après Kiev, Moscou ou Washington, mais Donetsk et Lougansk. C'est le sens du problème, la colonne vertébrale des accords de Minsk: un dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk. Les nationalistes, les radicaux et les néonazis ukrainiens organisent actuellement un véritable show, demandent à Vladimir Zelenski de ne pas céder sa patrie, de ne pas capituler, de ne pas accepter la haute trahison, de s'abstenir de tout contact direct avec Donetsk et Lougansk. Par ailleurs, ce mouvement est pratiquement mené par Piotr Porochenko, qui a personnellement signé les accords de Minsk. Ces actions visent à empêcher tout règlement, à continuer de profiter de la guerre. C'est regrettable.
Nous espérons que Vladimir Zelenski suivra fermement ses promesses électorales: arrêter la guerre et la mort, assurer la paix sur tout le territoire de l'Ukraine. On peut le faire en mettant en œuvre les accords de Minsk. C'est ce qu'on a évoqué en premier lieu à Paris. L'absence de toute alternative aux accords de Minsk a été confirmée par le premier alinéa du texte adopté hier par les présidents russe, ukrainien et français et la chancelière allemande. Tout pays, y compris les États-Unis, n'importe quel État occidental ou non-occidental, pourrait aider s'il encourageait la partie ukrainienne sur laquelle il a une influence (dans le cas des États-Unis, il s'agit de Kiev) à mettre en œuvre les accords de Minsk de manière responsable.
Si les États-Unis campaient sur les positions établies et promues par Kurt Volker, ancien Envoyé spécial pour l'Ukraine, tout cela finirait mal. Rappelons que ce dernier proposait de déployer dans le Donbass des forces d'occupation sous le drapeau de l'Onu, de dissoudre toutes les structures qui assuraient la vie des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, d'y former une administration internationale et d'y introduire la police internationale pour résoudre la crise et organiser les élections. Ces dernières seraient évidemment une affaire "cosmétique" pour l'administration d'occupation après l'entrée des forces d'occupation. Nous espérons que notre travail d'explication de la situation autour des accords de Minsk ne sera pas inutile. Et que nos collègues étrangers aideront à mettre en œuvre rigoureusement la résolution 2202 du Conseil de sécurité de l'Onu qui a unanimement approuvé les accords de Minsk.