República de Belarús
Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, accordée aux radios Sputnik, Echo de Moscou, Govorit Moskva et Komsomolskaïa Pravda, Moscou, 28 janvier 2022
Question: Faut-il s'attendre à une guerre? Nous leur avons envoyé nos propositions, avons attendu leur réponse et l'avons reçue en fin de compte. Mais leur réponse ne nous a pas satisfaits -ce qu'il fallait démontrer. Nous avons déjà dit plus tôt et avons fait comprendre dans la bouche de différentes personnes que si leur réponse nous semblait insatisfaisante, nous nous réserverions le droit de répondre et de protéger nos intérêts par des moyens très fermes. Pouvez-vous expliquer de quoi il s'agit concrètement? Qu'allons-nous faire? Il ne s'agit évidemment pas d'interdire McDonald's en Russie… Je voudrais citer mes abonnés qui posent la question de la manière suivante: "Quand frappera-on Washington?", "Y aura-t-il une guerre?", "Combien de temps encore traînerons-nous les pieds?", "Y aura-t-il une guerre?"
Sergueï Lavrov: Si cela dépendait de la Fédération de Russie, il n'y aurait pas de guerre. Nous ne voulons pas de guerre, mais nous ne pouvons pas non plus permettre que nos intérêts soient piétinés ou ignorés. Je ne peux pas dire que les négociations ont pris fin. Comme vous le savez, les États-Unis et l'Otan ont examiné nos propositions très simples, présentées dans notre projet d'accord avec Washington et notre projet d'entente avec l'Alliance atlantique, pendant plus d'un mois. Nous n'avons reçu ces réponses qu'avant-hier. Elles sont dans le style occidental classique. Autrement dit, ils tentent souvent de "noyer le poisson", mais il y a des éléments rationnels relatifs à des questions secondaires. Cela concerne notamment les missiles à portée intermédiaire (ce sujet était important pour nous à un moment donné). Quand les Américains ont détruit le traité FNI, nous les avons appelés à entendre la voix de la raison. Le Président russe Vladimir Poutine a envoyé à tous les membres de l'OSCE sa proposition de rejoindre notre moratoire unilatéral à condition que des mesures de vérification soient convenues. Cette initiative a été ignorée. Aujourd'hui, elle fait partie des propositions des Occidentaux. Ils ont également ignoré les initiatives de l'état-major général de la Fédération de Russie prévoyant le retrait des exercices militaires des frontières des deux parties, la concertation d'une distance de rapprochement maximal entre les avions et les navires de combat et d'autres mesures de confiance, de "déconfliction" et de "désescalade". Tous cela était rejeté depuis deux ou trois ans. Aujourd'hui, on nous propose de l'examiner. Autrement dit, les éléments constructifs de ces propositions constituent tout simplement des emprunts aux initiatives russes de ces derniers temps. Ce qui constitue, au moins, un certain progrès. Je voudrais répéter que notre objectif principal est de mettre au clair les fondements conceptuels de la sécurité européenne.
A Astana en 2010 et à Istanbul en 1999, tous les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'OSCE ont signé un paquet de mesures soulignant l'interconnexion des garanties d'une sécurité indivisible. L'Occident ne reprend qu'un seul slogan de ce volet: chaque pays a le droit de choisir ses alliés et ses alliances militaires. Mais le texte susmentionné accompagne ce droit d'une condition et d'un engagement de chaque pays, approuvés par les Occidentaux: ne pas renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres. Les prédications occidentales affirmant que la politique de portes ouvertes de l'Otan est sacrée et que personne ne peut interdire à l'Ukraine de rejoindre l'Alliance, car il s'agit de sa décision souveraine, évitent ouvertement et ostensiblement toute mention de la seconde partie des engagements. Qui plus est, quand Josep Borrell, Antony Blinken et beaucoup d'autres collègues parlent de la nécessité de suivre les principes concertés dans le contexte de l'architecture de la sécurité dans la région euro-atlantique, personne n'évoque la déclaration d'Istanbul ni celle d'Astana. Ils n'avancent que l'Acte final d'Helsinki et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe de 1990, qui ne contiennent pas cet engagement de ne pas renforcer sa sécurité aux frais des autres. La Russie a insisté d'inclure ce dernier aux documents de l'OSCE adoptés plus tard.
Comme je l'ai déjà dit, j'envoie aujourd'hui à tous mes homologues une demande officielle d'expliquer comment ils envisagent de mettre en œuvre dans le contexte historique actuel les engagements adoptés au sommet par leurs pays. Ce sont des questions de principe. Avant d'évoquer des aspects pratiques isolés de la sécurité européenne, nous voudrions observer comment l'Occident envisage de se débrouiller cette fois-ci. J'espère qu'ils expliqueront honnêtement ce qu'ils ont en tête quand ils ne mettent en œuvre ces engagements que de manière unilatérale - avantageuse pour eux - en omettant, je le répète, le fait que le droit de rejoindre des alliances est conditionné par le refus de renforcer la sécurité de certains État au détriment de celle des autres. On verra ce qu'ils nous répondront.
Question: S'ils donnent la réponse dont parlent de nombreux experts, nous ne serons certainement pas satisfaits. Cela pourrait-il conduire à une rupture des relations? Tout ce que nous entendons ces derniers temps des Américains, c'est qu'ils sont prêts à imposer des sanctions contre toute la direction de notre pays, même contre vous...
Sergueï Lavrov: Pourquoi "même contre moi": je n'en suis pas digne?
Question: Jamais dans l'histoire il n'a été question de sanctions contre le Ministre des Affaires étrangères et le Président. Ces histoires sont démesurées. Regardez ce qui se passe avec nos diplomates dans ce contexte. Hier, notre Ambassadeur aux États-Unis a dit que, dans l'ensemble, tout cela pourrait presque conduire à une rupture des relations. Comme l'a dit Anatoli Antonov, nos diplomates sont simplement expulsés, même si cela est présenté d'une manière légèrement différente. Comment agir dans cette situation? A quoi cela va-t-il ressembler?
Sergueï Lavrov: C'est une question à plusieurs couches. Je commencerai par l'essentiel: que ferons-nous si l'Occident n'entend pas la voix de la raison? Le Président russe l'a déjà dit. Si nos tentatives d'accord sur des principes mutuellement acceptables pour assurer la sécurité en Europe échouent, nous riposterons. Interrogé directement sur ce que pourraient être ces mesures, il a répondu qu'elles pourraient être très diverses. Il prendra des décisions en fonction de ce que nos militaires lui présenteront. Naturellement, d'autres départements seront également impliqués dans la préparation de ces propositions.
Un examen interministériel des réponses des États-Unis et de l'Otan est en cours. Leur contenu est pratiquement connu de tous. Je viens d'en parler succinctement. Je fais également une parenthèse pour noter que la réponse des États-Unis, comparée au document que nous a envoyé l'Otan, est presque un modèle de convenance diplomatique. La réponse de l'Otan est tellement idéologisée, respire tellement le sentiment d'exclusivité de l'Alliance du Traité de l'Atlantique Nord, sa mission spéciale, son objectif particulier, que j'ai eu un peu honte pour ceux qui ont écrit ces textes.
Notre réponse va être préparée. Les propositions de réponse seront communiquées au Président de la Russie, qui prendra une décision. Nous sommes encore en train d'élaborer notre ligne de conduite à ce stade, y compris les démarches que je viens de mentionner.
En ce qui concerne les menaces de sanctions, nous avons fait savoir aux Américains, y compris dans les contacts entre les présidents, que le paquet que vous venez de mentionner, accompagné d'une déconnexion complète des systèmes financiers et économiques contrôlés par l'Occident, équivaudrait à une rupture des relations. Cela a été dit explicitement. Je pense qu'ils le comprennent. Et je ne pense pas que ce soit dans l'intérêt de qui que ce soit.
En ce qui concerne leur comportement envers nos diplomates. Il y a quelques années, en décembre 2019 pour être exact, j'étais à Washington, et là, au passage, comme pour dire au revoir, l'adjoint de Mike Pompeo, alors Secrétaire d'État, a dit à mon adjoint qu'ils réfléchissaient à la manière d'optimiser le fonctionnement de nos missions diplomatiques sur une base de réciprocité. Comme les Américains faisaient travailler des diplomates à l'étranger pendant trois ans, puis les changeaient, les transféraient dans un autre pays ou les renvoyaient au bureau central de Washington, ils avaient donc décidé que nos diplomates devaient également respecter ce délai de trois ans et rien de plus. Nous avons demandé pourquoi cela était annoncé de cette manière, discrètement, pour nous seuls, s'il y avait des réflexions similaires concernant d'autres États, et on nous a répondu "non". Aucun des autres pays n'est considéré comme le sujet d'une telle "expérience", seule la Fédération de Russie l'est. Cela a marqué le début d'un autre cycle de querelles diplomatiques. Nous avons dit : "D'accord, vous avez la pratique selon laquelle les diplomates servent pendant trois ans, mais nous avons celle de ne pas embaucher de personnel local dans nos ambassades aux États-Unis. Plus de 400 personnes travaillaient pour les Américains dans notre pays (des citoyens de Russie et d'autres pays, principalement des pays de la CEI).
Vous avez dû suivre cette discussion. Il y a eu beaucoup de cris et de sanglots: "Comment se fait-il que vous "coupiez le courant"?" Vous voulez travailler sur la base de tels principes, quand vous pensez pouvoir tout vous permettre et que vous nous imposez tout ce qui vous semble juste? Nous agissons de la même manière. C'est une autre spirale de la crise qui a été déclenchée par Barack Obama, qui a montré son vrai visage. Trois semaines avant son départ de la Maison Blanche, il a décidé de "faire la nique" à Donald Trump en claquant la porte. Il a confisqué cinq propriétés diplomatiques, mis à la porte des dizaines de diplomates et leurs familles qui ont dû faire leurs bagages en trois jours. C'est là que tout a commencé.
Nous avons reparlé avec Antony Blinken à Genève, en conclusion de notre conversation sur la sécurité européenne, du fait que nous devions normaliser cette situation d'une manière ou d'une autre. Nous proposons de nous concentrer sur tous les aspects de la question, en commençant par le geste laid et, disons-le franchement, mesquin, du lauréat du prix Nobel Barack Obama et ce qui l'a suivi. Nous allons voir. Il devrait y avoir une autre réunion dans les deux prochaines semaines. Il y a un tel marchandage de la part des Américains en ce moment. Vous savez, ils disent: "Il est essentiel pour nous d'avoir 12 personnes pour l'ambassadeur". Et nous demandent de les retirer du quota sur lequel nous sommes mutuellement d'accord. Nous leur expliquons que le quota convenu est de 455 personnes. Et pour nous, et pour eux. Pour nous, c'est un geste de grande bonne volonté. Ces 455 personnes comprennent non seulement le personnel des missions diplomatiques bilatérales - l'ambassade et les deux consulats généraux - mais aussi 150 personnes de notre mission auprès des Nations unies, qui n'a absolument rien à voir avec les relations bilatérales, les comptes dans quelque domaine que ce soit. C'était un acte de bonne volonté de notre part. Mais nous avons prévenu que si les grossièretés continuaient (je ne peux pas qualifier autrement leurs déclarations selon lesquelles, si les gardes du corps de leur ambassadeur n'étaient pas "acceptés" immédiatement, ils demanderaient à Anatoli Antonov de quitter les États-Unis), nous avions encore des réserves pour niveler véritablement notre présence diplomatique.
Question: Vous savez que je construis principalement mes questions sur la base de celles de nos auditeurs. Puisque nous parlons des relations russo-américaines, notre auditeur Michael McFaul de Californie, professeur de l'Université Stanford, vous demande ce qui suite: pourquoi la Russie n'a-t-elle pas au moins essayé d'obtenir l'approbation du Conseil de sécurité des Nations unies pour recourir à la force si cela était nécessaire en Ukraine? La Russie ne fait-elle plus confiance au Conseil de sécurité des Nations unies? Pourquoi la Russie n'a-t-elle pas encore reconnu les DNR et LNR, si sur elles pèse la même menace que sur l'Ossétie et l'Abkhazie en 2008?
Sergueï Lavrov: Pour être honnête, ces questions sont complètement incultes. Il y a une question concernant le Conseil de sécurité. Ai-je bien entendu? Pourquoi la Russie n'a-t-elle pas demandé (au passé) au Conseil de sécurité des Nations unies l'autorisation de recourir à la force, si nécessaire? Je ne vais même pas expliquer l'absence totale de sens de cette phrase. Le mot "si" n'existe pas dans la pratique de l'activité diplomatique d'un pays.
En ce qui concerne la reconnaissance. Je pense que Michael McFaul, en plus de son énorme contribution à la destruction de tout ce qui était constructif dans les relations russo-américaines, n'a tout simplement pas eu le temps de se familiariser avec les Accords de Minsk conclus en février 2015. Ils mentionnent la préservation de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Cela a été fait dans une situation où, plusieurs mois avant la réunion de Minsk, les républiques de Donetsk et de Lougansk avaient déjà déclaré leur indépendance. L'Allemagne et la France, qui ont convenu avec nous et les Ukrainiens du texte des Accords de Minsk, ont insisté, et Piotr Porochenko s'est activement joint à leurs requêtes, pour que nous convainquions les dirigeants des deux républiques, spécialement invités à Minsk pour la même réunion, de signer les Accords de Minsk, ce qui revenait à modifier les résultats du référendum dans le Donbass enregistrés au printemps 2014. Michael McFaul devrait probablement se familiariser avec l'histoire contemporaine de cette région. La question de la reconnaissance doit être envisagée dans le contexte de notre ligne ferme visant à contraindre l'Occident à forcer Kiev à appliquer les Accords de Minsk. Alors tout sera en ordre, comme le stipule ce document approuvé par le Conseil de sécurité de l'Onu.
Question: Je pense que nombreux sont ceux qui, parmi ceux qui ont lu le document que nous avons proposé aux Américains, ont été étonnés. Beaucoup (et franchement, moi aussi) ont l'impression que la Russie a déjà gagné une sorte de guerre, alors que l'Amérique a déjà perdu. Je veux parler du radicalisme de la proposition: se retirer jusqu'aux frontières de l'Otan de 1997 et ainsi de suite. La question est: de quoi s'agit-il vraiment? Après tout, il est bien évident que les Américains ne vont pas, sans un argument sérieux, revenir aux conditions de 1997, se retirer des pays où ils sont bien installés, en toute confiance et confortablement? Vous avez manifestement pris un certain élément en compte. Qu'avez-vous envisagé et comment avez-vous envisagé la réaction à une telle lettre? Et vous avez dit qu'il fallait "partir rapidement, sans perdre de temps". En ajoutant: "Nous vous demandons de nous répondre rapidement".
Nous avons compté, c'est la quatrième équipe américaine avec laquelle vous travaillez, à commencer par George W. Bush, à l'époque duquel vous êtes devenu Ministre des Affaires étrangères. Y a-t-il une différence fondamentale entre leurs équipes? Le rôle de l'individu dans l'histoire, comme on nous l'a enseigné autrefois, existe-t-il ou tout cela est-il sans importance? Avec qui vous êtes-vous senti à l'aise pour travailler, avec qui cela a-t-il été pire? Comment le travail avec ces "gars" se passe-t-il, en comparaison à ce qu'il était par le passé?
Sergueï Lavrov: Nos propositions, qui ont été remises aux Américains et à l'Otan le 15 décembre 2021, ne peuvent sembler excessives que si la personne qui les évalue part du principe que "les Américains ont déjà tout pris autour de vous, pourquoi commencez-vous à vous agiter, à faire du bruit. Faites avec ce que vous avez et contentez-vous du minimum".
Nous voulons que ceux qui travaillent avec nous le fassent de manière honnête. J'ai cité les engagements qui ont été pris au plus haut niveau au sein de l'OSCE. J'insiste sur le fait qu'ils ont été signés par les présidents, y compris celui des États-Unis, et fixent que personne ne renforcera sa sécurité au détriment de celle des autres. Les Américains disent que le droit de choisir des alliances est "sacro-saint". Nous disons que oui, à condition que cela n'exacerbe pas la situation sécuritaire d'un autre pays. C'est à cela, chers messieurs, que vous avez souscrit.
Maintenant qu'ils essaient de présenter nos propositions comme un ultimatum, nous le leur rappelons et nous les poussons à être honnêtes quant à leur interprétation de ce que leur président a signé. S'il a signé en partant du principe que la Russie ne serait jamais en mesure de réaliser ce qui a été promis dans ces documents, il faut l'admettre. Ce sera une autre confession après notre rappel des promesses verbales en 1990 de ne pas élargir l'Otan, quand on nous a dit plus tard qu'ils ne le pensaient pas du tout, qu'ils ne voulaient pas nous tromper mais qu'ils ont agi dans l'urgence, ont dit qu'il y avait des questions plus importantes. C'est leur explication directe.
Nous sommes sur notre propre territoire. Comme l'a rappelé Michael McFaul, les Américains s'apprêtent à examiner au Conseil de sécurité de l'Onu ce que nous faisons par rapport à l'Ukraine, pourquoi nous n'enclenchons pas la "désescalade". Cela vient du représentant d'un pays qui a étendu ses bases militaires dans le monde entier, autour de la Fédération de Russie, autour de la CEI, dont on ne sait pas ce qu'il fait en Irak (qui l'a invité là-bas?, entre autres. Si les Américains veulent se pencher sur le sujet du déploiement des troupes, il y a de quoi discuter. Nous et nos forces armées ne sommes présents nulle part sans invitation de l'État auquel le territoire en question appartient. Dans le respect total du droit international, nous nous conformons aux accords que nous concluons avec l'État qui nous a demandé de l'aide. En "gonflant" hystériquement l'escalade en Ukraine, en exigeant une désescalade, Josep Borrell et Antony Blinken (c'est comme une incantation pour eux) nous disent qu'ils espèrent fortement que la Russie choisira la "voie de la diplomatie". Je le prends au mot. Nous avons pris la voie de la diplomatie pendant plusieurs décennies après la disparition de l'Union soviétique. Les accords d'Istanbul et d'Astana que j'ai mentionnés sont un résultat très significatif de cette même diplomatie: personne ne renforcera sa sécurité au détriment de celle des autres. C'est un accord, une déclaration, le plus haut résultat de la diplomatie. Compromis, consensus, accord, peu importe quel mot vous préférez utiliser. Si vous êtes en faveur de la diplomatie, mettez d'abord en œuvre ce dont vous avez convenu.
Je ne veux pas me lancer dans des évaluations personnelles de nos partenaires. Il y a beaucoup de choses à dire. Nous avons pour principe de travailler avec tout le monde. Nous travaillons avec tout le monde. Je peux dire que j'avais une relation égale avec chacun de mes collègues. Nous avons toujours été capables de nous parler franchement, même sur des questions qui provoquaient de plus en plus de divergences, de contradictions au niveau interétatique.
Question: Vous êtes diplomate. Vous ne formulez jamais les choses comme je le fais maintenant. Mais je suis journaliste et je peux me le permettre.
Sergueï Lavrov: Parfois, je ne formulais pas les choses comme un diplomate.
Question: C'est vrai. Mais vous ne le faites pas devant un micro ou dans une interview. C'est nous qui vous prenons sur le fait et ensuite nous imprimons des t-shirts avec vos formules brillantes.
Nous avons très récemment sauvé le Kazakhstan. Nous devrons peut-être sauver la situation entre le Tadjikistan et le Kirghizistan. Nous avons récemment sauvé la paix au Karabakh et dans l'ensemble en Arménie. Nous sauvons constamment nos "ex". Qu'avons-nous en échange?
Les collègues du rédacteur en chef Vladimir Soungorkine, qui se trouve actuellement dans le studio de Komsomolskaïa Pravda, ont mené une excellente investigation et ont publié un excellent article sur ce que l'on écrit à propos de la Russie, de l'Union soviétique, de l'empire tsariste dans les manuels scolaires, dans les écoles de ces "ex", notamment ceux que l'on sauve. C'est une lecture passionnante. Si vous ne l'avez pas vu, vous serez surpris. Kassym-Jomart Tokaïev déclare à notre Président que la langue russe prospère dans les écoles kazakhes, et pas seulement dans les écoles. Selon nos informations, ce n'est pas le cas, voire pas du tout le cas. En ce qui concerne les Russes dans ces pays, nous avons de nombreuses plaintes de leur oppression. Je ne parle pas concrètement du Kazakhstan, mais du principe de nos "ex". Nous avons entendu dire plusieurs fois que le Ministère des Affaires étrangères était opposé à la simplification de l'obtention de la citoyenneté russe par les citoyens "là-bas". Je sais bien que ce n'est pas le cas. Nous en avons parlé avec vous, je connais votre position, je sais que vous y êtes favorable. De plus, vous avez activement participé à la simplification de la dernière législation. Pouvez-vous nous dire plus en détail: combien de temps allons-nous tolérer une telle attitude envers nos gens? Quand commencerons-nous à faire revenir les nôtres, comme l'ont fait selon le principe ethnique les Grecs, les Allemands, les Juifs et bien d'autres? Comment défendrons-nous les droits des nôtres qui y sont restés contre leur gré, suite à l'effondrement du pays qu'ils ne souhaitaient pas?
Sergueï Lavrov: Il y a plusieurs questions à la fois. En ce qui concerne les relations avec nos voisins, les alliés de l'OTSC, les partenaires de la Communauté des États indépendants, il existe un problème. Personne ne le cache. Il est lié en grande partie au fait que les nouveaux États indépendants qui se sont retirés de l'Union soviétique, et avant cela faisaient partie de l'Empire russe, pour la première fois depuis une longue période historique ont obtenu la possibilité de créer leur propre État-nation (c'est souligné). L'aspiration à affirmer au plus vite son identité nationale s'accompagne parfois d'excès. Personne ne le niera. Cela arrive toujours quand de grands empires s'effondrent.
L'Union soviétique était l'héritière de l'Empire russe. C'était dans l'ensemble une entité impériale, mais plus souple et humaine par rapport aux empires britannique, français et autres.
Les excès dont vous parlez sont inévitables pendant la période historique actuelle. Nous voulons les éviter et les empêcher. Il faut le faire par tous les moyens, y compris la "puissance douce", à laquelle nous devons allouer bien plus de ressources qu'aujourd'hui. Notre ministère sollicite activement le gouvernement pour élaborer des décisions appropriées, systématiser l'activité de l'État en ce sens. Mais nous sommes encore loin du niveau atteint par les pays occidentaux en la matière. Hormis la "puissance douce", hormis la diplomatie, le soulèvement de ces questions lors des contacts avec nos alliés et partenaires, il existe aussi la réciprocité due à la nécessité de tenir compte de l'attitude envers les points d'actualité pour nous dans l'étude des sujets qui intéressent notre partenaire en Fédération de Russie. Cela concerne les migrants du travail, l'aide économique et bien d'autres. Nos systèmes administratifs sont interconnectés. L'Union économique eurasiatique (UEE) crée les conditions, dont une grande partie sera remplie par la Fédération de Russie, et bien d'autres.
Je ne vois aucune contradiction avec le développement de relations amicales, d'alliance et très étroites, y compris personnelles, avec les élites de nos voisins. La situation est liée à une catastrophe géopolitique, à la disparition, à l'effondrement de l'Union soviétique quand, comme le disait le Président russe Vladimir Poutine, en un instant, 25 millions de personnes (ou peut-être plus) se sont retrouvés à l'étranger, en dehors de leur pays. Il n'y avait pas de frontières, personne ne savait comment mettre en place la communication. Cela demandait des efforts titanesques. Aujourd'hui, la situation s'est plus ou moins normalisée, on sait qui est responsable de quoi. C'est déjà un grand exploit. Mais les questions que vous avez mentionnées, le sort des compatriotes, doivent être réglées sur une base mutuelle.
Je voudrais noter deux choses. La première est que nous devons plus activement et ouvertement parler dans le cadre de la CEI du problème des droits de l'homme, notamment du point de vue des droits des gens d'appartenance ethnique - les Russes au Kazakhstan, les Kazakhs en Russie, les Azerbaïdjanais en Arménie et vice versa (même s'il en reste très peu). Nos partenaires de la CEI ont accepté ce qui suit. Au moment de la création de la CEI, il a été inscrit dans sa Charte que parmi les organes de la CEI se trouverait la Commission des droits de l'homme. Mais cela n'a pas été fait. On pensait au début que c'est simplement pour que l'Occident voie que nous nous occupons également des droits de l'homme. Mais ces dernières années nous avons soulevé la question concernant la matérialisation de cette condition de la Charte. Il a été convenu de commencer le travail d'une telle commission et entendu que nous nous chargerions avant tout des droits de l'homme dans l'espace de la CEI, pour émettre nous-mêmes des avis sur l'état des droits de l'homme dans les pays de la CEI, au lieu des structures occidentales ou à l'instar de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a perdu depuis longtemps sa capacité de s'appuyer sur les principes de la justice et politise de plus en plus ses décisions d'année en année.
Un autre point que vous avez mentionné, c'est les compatriotes qui veulent rentrer. Certains doivent obligatoirement rentrer - les parents, les amis, la famille, les affaires, le travail. Mais il est dans notre intérêt, dans l'intérêt de tous les pays de la CEI que tous les citoyens des nouveaux États indépendants restent là où ils sont nés et installés. Bien sûr, cela nécessite l'éradication de toute forme de discrimination. Dans l'idéal, je préférerais que les Russes vivent calmement et prospèrent au Kazakhstan et dans toutes les autres républiques de l'ex-Union soviétique. Et ceux qui veulent déménager doivent bénéficier des conditions les plus préférentielles pour cela. Certains viennent actuellement notamment parce qu'ils veulent améliorer leurs conditions de vie. C'est là que se croisent les intérêts et les positions de nombreuses institutions du point de vue de la préparation des décisions appropriées en Russie.
Le Ministère russe des Affaires étrangères plaide pour une libéralisation maximale. Ces dernières années, plusieurs amendements ont été approuvés à la loi fédérale de 2002 sur la citoyenneté adoptée avec notre participation, avec la participation du Ministère de l'Intérieur et d'autres institutions. Ces amendements visaient à lever pour les demandeurs d'un passeport russe de plusieurs barrières bureaucratiques, notamment l'exigence de renoncer (au moment de déposer la demande) à la citoyenneté actuelle et la nécessité de prouver une source de moyens de subsistance. En même temps, pour ceux qui sont ressortissants de la RSFSR, pour les enfants et les parents des citoyens russes a été annulée l'exigence d'obtenir une autorisation de séjour provisoire. Ils peuvent demander immédiatement un titre de séjour. Dès son obtention (la procédure est simplifiée), ils peuvent immédiatement demander la citoyenneté.
Il y a un mois, le 29 décembre 2021, le Président russe a soumis à l'Assemblée fédérale une nouvelle version de la loi sur la citoyenneté. Nous avons travaillé sur ce document avec d'autres institutions compétentes. Le projet élargit significativement la liste de conditions préférentielles pour obtenir la citoyenneté. Cela concerne à la fois les demandeurs nés ou de parents directs nés ou ayant résidé sur le territoire de la RSFSR et la simplification de la procédure d'octroi de la citoyenneté aux étrangers et aux personnes sans citoyenneté porteurs de la langue russe, de la culture russe et capables de s'intégrer avec succès dans la société russe. C'est un critère subjectif. Néanmoins, je trouve que son inclusion est importante. Cela concerne notamment les membres de famille des citoyens russes, les étrangers ou les personnes sans citoyenneté diplômés de nos universités qui ont reçu un diplôme avec mention, les participants au Programme public pour contribuer au déménagement volontaire en Fédération de Russie des compatriotes résidant à l'étranger, qui ont été plus de 60.000 l'an dernier, malgré la pandémie.
L'an dernier, le nombre de programmes régionaux a dépassé 80 (en plus du programme fédéral), notamment en Extrême-Orient et en Transbaïkalie, que nous considérons comme prioritaires pour envoyer les personnes qui désirent déménager en Fédération de Russie. J'ai énuméré les préférences principales qui ont été approuvées. Je voudrais préciser que nous voulions plus. Je trouve que non seulement la présence de racines de votre famille, des parents et des proches en RSFSR doit servir de prétexte pour obtenir des conditions préférentielles pour obtenir la citoyenneté, mais également dans d'autres républiques de l'Union soviétique.
Il convient d'analyser plusieurs questions qu'on voudrait régler au plus vite. Le travail n'est pas terminé. Nous avons "capitalisé" aujourd'hui ce qui a été convenu à l'étape actuelle. Le Président russe a approuvé le consensus obtenu. Nous poursuivrons le travail pour améliorer et faciliter les conditions pour obtenir la citoyenneté. D'autant qu'à l'initiative du Président Vladimir Poutine a été créée une commission de notre principale force politique, du parti Russie unie, pour la coopération internationale et l'aide aux expatriés. Cela implique non seulement une aide aux compatriotes à leur arrivée en Russie, mais également dans le sens que nous avons évoqué votre première question pour qu'ils s'y sentent le plus à l'aise possible.
Komsomolskaïa Pravda a récemment publié un article sur des manuels d'histoire qui sont publiés actuellement dans les républiques de l'ex-Union soviétique. Je ne commenterai pas ce qui est écrit dans les manuels par les Estoniens, les Ukrainiens, les Lituaniens et les Lettons. Mais en ce qui concerne les pays de la CEI, nous avons remarqué plusieurs fois ces dernières années qu'il ne faut pas donner de prétextes aux nationalistes en médiatisant les épisodes difficiles de notre histoire commune. Elle a au final aidé à tous les peuples vivant dans cet immense espace géopolitique à mettre en place leur structure étatique, à créer sa base. Comprenant l'aspiration des nouveaux États indépendants à s'affirmer, dont j'ai parlé, il faut éviter des appréciations excessives qui font clairement, et peut-être intentionnellement, le jeu des ultra-radicaux et des nationalistes.
À notre initiative, dans le cadre de la CEI, l'an dernier, a été signée la décision de créer l'Association internationale (commission) des historiens et des archivistes des pays de la CEI, qui aurait pour l'un des principaux axes de travail la discussion des questions de l'histoire commune orientée sur une analyse constructive de toutes les questions. Je ne pense pas que des manuels d'histoire communs seront préparés, mais on créera des manuels qui refléteront le point de vue consolidé, la diversité des points de vue. Nous avons une commission d'historiens avec l'Allemagne, la Pologne, la Lituanie. Ils publient des documents communs. Je suis certain que dans le cadre de la CEI un tel mécanisme fonctionnera de manière bien plus constructive, compte tenu de notre proximité dans plusieurs organisations: l'OTSC, l'UEE, la CEI et l'OCS.
Question: Je voudrais revenir sur nos relations avec les Américains. Vous venez de dire que le travail avec eux se poursuivra. Une rencontre devrait avoir lieu prochainement avec Antony Blinken. Mais dès aujourd'hui, en recevant leur réponse, un très grand nombre d'experts - et pratiquement tout le monde - dit que les Américains et l'Otan ne changeront certainement pas leur position sur les questions centrales. Ils disent que désormais "la balle est dans le camp de la Russie, nous sommes prêts à tout scénario". Vous dites que notre Président a déclaré que nous prendrions des contre-mesures et qu'elles étaient en cours d'élaboration. Le Ministère des Affaires étrangères y participera également. On voudrait un petit indice pour savoir dans quel sens travaillera notre Ministère des Affaires étrangères pour leur renvoyer cette "balle". C'est l'Amérique latine avec Cuba, le Venezuela, le Nicaragua? Peut-être que c'est l'Europe avec la Serbie? Ou encore "quelque chose" que nous pouvons faire par rapport à l'Iran? Pouvez-vous suggérer comment nous devons réagir pour que ces gars s'assoient vraiment, fassent marcher leurs méninges et essaient de nous donner d'autres réponses à nos questions centrales et non secondaires?
Sergueï Lavrov: S'ils insistent pour dire qu'ils ne changeront pas leur position, nous ne changerons pas non plus la nôtre. Simplement, leur position s'appuie sur de faux arguments, sur une déformation directe des faits. Notre position s'appuie sur ce qui a été signé par tous. Je ne vois là aucune possibilité de compromis. Sur quoi peut-on s'entendre si les anciennes décisions sont franchement sabotées et déformées? Ce sera pour nous un test ultime.
En ce qui concerne les "balles", nous jouons à des jeux différents. Ils ont peut-être une balle de baseball, et nous une balle de trique. Mais il est important de ne pas essayer de se soustraire à ses responsabilités, or c'est précisément ce que font actuellement nos partenaires américains et otaniens. Ils ne pourront pas esquiver la question de savoir pourquoi ils ne remplissent pas ce qui a été signé par leurs présidents - sur l'inadmissibilité de renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité des autres.
En ce qui concerne nos liens avec les pays d'Amérique latine, la Serbie, l'Iran, la Chine, avec plusieurs États qui se comportent correctement sur la scène internationale et ne cherchent pas à imposer quoi que ce soit unilatéralement à qui que ce soit, nous sommes toujours prêts à chercher des ententes mutuellement avantageuses sur tous les problèmes. Ces relations ne sont soumises à aucune conjoncture. Elles sont substantielles, englobent des contacts économiques, sociaux, éducatifs et sportifs. C'est également la coopération militaire et militaro-technique en parfaite conformité avec les normes du droit international. Je vous assure qu'indépendamment de l'évolution de la situation en matière de sécurité européenne, nous renforceront systématiquement ces relations.
Je souligne que nous étudions actuellement la réponse que nous avons reçue. Nous avons déjà exprimé nos premières impressions. Cette réponse ne peut pas du tout nous satisfaire sur le problème principal: l'Occident ne tient pas ses engagements sur l'indivisibilité de la sécurité et ignore nos intérêts, alors qu'ils sont ouvertement et clairement définis.
Sur les aspects secondaires, ils ont refait surface parce que nous avons avancé de tels documents publiquement. Cela leur a permis de changer leur attitude négative envers nos anciennes propositions, notamment sur les missiles à portée intermédiaire, sur l'élaboration de mesures de désescalade pendant les exercices. Cela signifie que l'Occident comprend seulement une conversation qu'il faut mener précisément comme nous l'avons fait en avançant nos initiatives. Maintenant, nous nous concentrons sur l'obtention d'explications. Nous ne pouvons pas accepter les subterfuges concernant l'indivisibilité de la sécurité. L'Occident manque à ses engagements de la même manière qu'il n'a pas tenu son engagement de l'époque de ne pas élargir l'Otan. Mais à l'époque (nous explique-t-on aujourd'hui), c'étaient des engagements verbaux. Maintenant il en existe des écrits. Répondez par écrit à nos exigences écrites. Expliquez comment vous remplissez les engagements écrits de vos présidents.
Question: Quand il est nécessaire de défendre les journalistes russes qui sont soumis à des restrictions aux États-Unis ou en Allemagne - nous connaissons l'histoire de RT - le Ministère des Affaires étrangères hausse le ton dans ses déclarations publiques mais pas seulement, ce qui signifie qu'il défend les journalistes au niveau de Maria Zakharova, mais aussi de l'ambassadeur, du vice-Ministre et à votre niveau. Lorsqu'il s'agit de pays avec lesquels nous avons des relations plus étroites, votre Ministère se comporte de manière très discrète. Il suffit de rappeler l'histoire des journalistes de Komsomolskaïa Pravda et la fin du bureau de Komsomolskaïa Pravda, qui a été pratiquement fermé. Le chef du bureau est en prison.
Je vous rappelle également les meurtres de journalistes. Quand des journalistes russes sont morts en Ukraine, le Ministère des Affaires étrangères a adopté une position très dure, offensive et retentissante, mais quand nos journalistes ont été tués en République centrafricaine, le Ministère des Affaires étrangères a gardé le silence.
Une question de notre auditeur Dmitri Muratov, de Moscou, lauréat du prix Nobel de la paix et rédacteur en chef de Novaïa Gazeta. Sans démarches d'enquête opérationnelles supplémentaires, le nouvel ambassadeur russe en République centrafricaine a nommé les tueurs de journalistes russes: le groupuscule 3R. Le Ministère des Affaires étrangères le sait, les familles des victimes ne le savent pas. Leurs vêtements ont été brûlés comme preuves matérielles, il n'y a pas d'investigation, le Ministère des Affaires étrangères ne fait aucune déclaration sur les dirigeants centrafricains. Peut-être devrait-il s'employer plus activement à aborder cette question, tant avec les dirigeants biélorusses qu'avec ceux de la République centrafricaine?
Sergueï Lavrov: Vous avez raison de dire que nous devrions toujours défendre les droits de nos citoyens, pas seulement les journalistes, mais les droits de chaque citoyen - dans le cas des Américains, on dénombre bien plus qu'une dizaine d'enlèvements. Nous devons également défendre les journalistes quand nous avons une raison directe de le faire.
Ce qui s'est passé avec Komsomolskaïa Pravda a suscité notre inquiétude. Nous avons parlé à Vladimir Soungorkine. Là, si je comprends bien, nous parlons de citoyens biélorusses et d'un citoyen biélorusse spécifique. C'est une histoire légèrement différente. Tout pays qui autorise la double nationalité est guidé par ses propres lois si quelque chose se passe sur son territoire. Je ne veux pas entrer dans les détails, certaines questions ont besoin de silence. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour que les autorités biélorusses fassent preuve de compréhension à l'égard de la situation. Ils ont actuellement la position qui est la leur, et je ne peux pas la contredire. Ils sont prêts à ouvrir n'importe quelle filiale, mais demandent que ses collaborateurs soient des citoyens de la Fédération de Russie.
On peut aussi regarder comment les journalistes russes sont traités et comment leurs conditions de travail sont dictées en Occident. Je pense que demander à des citoyens russes de travailler dans les médias russes, plutôt que d'embaucher des citoyens biélorusses, n'est pas particulièrement excessif. Nous sommes pour que les droits des journalistes soient respectés partout, en Biélorussie comme dans tout autre pays de la CEI, sans aucune exception. Dans les cas où ces droits sont violés de manière flagrante, nous continuerons de soulever ces questions.
En ce qui concerne la République centrafricaine. Nous serons prêts à transmettre toutes les informations dont nous disposons aux proches des journalistes décédés. Quant à savoir qui est coupable: l'enquête, comme vous le savez, est menée par les autorités centrafricaines. Je ne veux pas trouver d'excuses aux assassins. Je peux seulement dire que nous ne devons pas oublier que les journalistes doivent prendre des précautions. Si, en se rendant dans un pays où il y avait un conflit armé intérieur, une menace terroriste, ils en avaient au moins informé le Ministère des Affaires étrangères et notre ambassade, les chances que cette tragédie se produise auraient été légèrement inférieures. D'autant plus qu'ils s'y sont rendus en tant que touristes, sans annoncer le but de leur venue. Encore une fois, ce n'est pas une excuse, mais cela crée des risques supplémentaires en matière de sécurité dans de tels cas.
C'est pourquoi je lance cet appel à tous: nous sommes évidemment favorables à ce que les journalistes travaillent dans le monde entier et dans les points chauds. Je tire mon chapeau et je m'incline devant tous ceux qui, en gilets pare-balles et en casques, font ce genre de reportage, et en particulier devant vos confrères de l'Est de l'Ukraine. Encore une fois, à travers vous, je fais appel à ceux qui peuvent avoir une certaine influence sur le journalisme et les médias occidentaux. Pourquoi les journalistes se rendent-ils si sporadiquement, au mieux une fois tous les six mois, du côté de la ligne de contact dans le Donbass contrôlé par Kiev, et font des reportages aussi maigres? On serait intéressés de voir ce qui s'y passe. Du côté droit de la ligne de contact, nos journalistes montrent les conséquences des atrocités commises par les forces armées ukrainiennes, qui bombardent les jardins d'enfants, les cliniques, les quartiers d'habitation, et tuent des gens. Ils pourraient montrer à quoi ressemble les zones résidentielles de l'autre côté. Selon l'OSCE, les civils et le secteur civil sont 5 fois plus touchés du côté contrôlé par les milices. C'est parlant.
Pour en revenir à la République centrafricaine. Nous avons interrogé une nouvelle fois le gouvernement centrafricain quand des informations sur le groupuscule 3R ont été révélées. Nous mènerons cette enquête aussi loin que possible - dans la mesure où leur gouvernement travaille dessus. Permettez-moi d'insister une fois de plus sur ce point: nous voulons parvenir à la vérité. J'implore nos collègues et amis journalistes de nous informer, pour leur sécurité, lorsqu'ils visitent des endroits dangereux (si vous ne nous faites pas confiance en tant que ministère, je ne peux pas vous forcer). Ça aidera.
Question: Merci beaucoup pour votre soutien à notre service dans l'histoire de Guennadi Mojeïko. Merci à Alexeï Venediktov d'en avoir parlé. Guennadi Mojeïko est en prison depuis quatre mois, il n'a même pas eu un seul interrogatoire. Il a été emprisonné et reste emprisonné. Je me suis adressé au Président biélorusse Alexandre Loukachenko, mais il n'y a pas eu de réaction.
Comme vous l'avez souligné à juste titre, il ne s'agit pas seulement des journalistes. Aujourd'hui, selon l'ambassade de Russie en Biélorussie, 457 citoyens russes sont derrière les barreaux dans ce pays. Et il s'agit seulement des données de l'ambassade. Cette information n'est certainement pas complète. Hier, une personne de plus a été ajoutée à cette liste: la citoyenne russe Vera Tsvikevitch. Elle a été détenue pour une seule raison: avoir pris des selfies dans une belle robe rouge devant une patrouille lors des manifestations. C'est pour cela qu'elle a été arrêtée. Si l'on se réfère aux précédents, elle sera en prison pour deux ans. Il faut faire quelque chose.
Si l'on parle de la Biélorussie, notre interaction se doit d'être différente. C'est tout de même l'État de l'Union. Aujourd'hui, ce n'est pas en Géorgie, pas en Amérique, pas en Israël que nos journalistes travaillent dans les pires conditions, mais en Biélorussie. On parle sans cesse de l'État de l'Union, du fait que nous devrions synchroniser la législation. Qu'est-ce qui nous attend sur ce plan? Y a-t-il une chance que nous devenions un véritable État de l'Union?
Sergueï Lavrov: Concernant l'Etat de l'Union, vous savez que 28 programmes ont été validés l'automne dernier...
Question: Ils n'ont pas été publiés, c'est intéressant.
Sergueï Lavrov: Ce sont des documents cadres. Il n'y a pas de secret. Ils posent les fondements du travail - qui a déjà commencé - visant à remplir chacun de ces 28 objectifs avec des solutions juridiques concrètes pour agir directement dans l'économie, la finance, le transport, les communications, etc. Il s'agit d'un pas important vers la consolidation de la base dite économique, matérielle. Comme les Présidents l'ont décidé, ce travail devrait être achevé dans les deux ou trois prochaines années. Il s'agit d'une évolution vers un État de l'Union doté de pouvoirs beaucoup plus substantiels.
Hier, nous avons accompagné en Biélorussie notre nouvel ambassadeur dans ce pays, Boris Gryzlov. Je lui ai remis ses lettres de créance signées par le Président de la Fédération de Russie. L'ambassadeur de Biélorussie en Russie, Vladimir Semachko, était également présent à la cérémonie. J'ai mentionné un domaine de notre travail commun: le nivellement des droits de nos citoyens. Beaucoup a déjà été fait. Je pense que 95 % des droits sont égaux, mais il reste encore des questions à résoudre d'urgence dans certains domaines. En particulier, les conditions d'octroi de services médicaux et de lieux de séjour pour les citoyens en voyage d'affaires. C'est très important pour la vie quotidienne.
Mais la question que vous avez posée n'est pas liée à ce que sera l'État de l'Union au final. Même si la législation pénale est totalement unifiée, il y aura toujours des Russes arrêtés en Biélorussie et des Biélorusses arrêtés en Russie. Notre ambassade suit régulièrement l'évolution des affaires des citoyens russes arrêtés. Il y a un dialogue à travers les organes d'application de la loi, à travers les Bureaux des procureurs généraux. Je n'ai pas entendu parler de Vera Tsvikevitch. C'est dans le numéro d'aujourd'hui?
Question: Non, de l'année dernière, de 2020.
Sergueï Lavrov: Pourquoi avez-vous dit qu'elle avait rejoint cette liste hier?
Question: Elle a été arrêtée hier. Le numéro du journal date de 2020, mais elle a été arrêtée hier.
Sergueï Lavrov: C'est une collaboratrice de Komsomolskaïa Pravda?
Question: Non, simplement une citoyenne russe. J'ai dit qu'environ 500 citoyens russes étaient détenus en Biélorussie.
Sergueï Lavrov: 457. Elle sera donc la 458e. Nous allons nous intéresser à son sort, comme nous le faisons dans tous les pays. Il y a ici des questions qui nécessitent une coopération étroite entre les organes d'application de la loi. Je ne veux pas en parler publiquement maintenant, mais ces questions existent. Il est important qu'elles soient résolues comme des alliés, comme des frères. Nous suivrons cette ligne constamment.
Question: Je n'ai pas une question, mais une demande urgente concernant le sort de la chaîne RT en allemand. Dans aucun autre pays du monde qu'en Allemagne (ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni), nous n'avons été confrontés à une telle pression sans précédent et sans compromis, et même plus qu'une pression: une interdiction de travailler. Cette situation est couverte par les déclarations hypocrites des dirigeants allemands à différents niveaux. La fermeture de la chaîne allemande sur YouTube? Ce n'est pas eux. Même quand nous sommes devenus la chaîne enregistrant la plus grande audience de l'histoire de YouTube en langue anglaise, parmi toutes les chaînes de télévision du monde, ils n'ont pas levé la main. Les Allemands l'ont fait. Ils ont fait pression sur le Luxembourg pour qu'il ne nous accorde pas de licence, alors que tout était pratiquement convenu, que tout était déjà fait. Finalement, on nous l'a donnée en Serbie. Ils font pression sur le régulateur européen: nous ne pouvons pas non plus diffuser avec cette licence. Le travail titanesque de centaines de personnes qui ont "construit" la chaîne pendant la pandémie, ont produit de l'antenne et ont gagné un public, a été gaspillé. Le public a été écarté de ce qui l'intéressait. Ce que nous montrons aux Allemands, personne ne leur montre.
La seule chose qui puisse les influencer (comme cela a été le cas pour le Royaume-Uni), ce sont les mesures réciproques, dont vous êtes plus familiers que nous. La Deutsche Welle n'est même pas reconnue comme un agent étranger. Bien que ce statut en Russie n'implique pas ce qu'il implique aux Etats-Unis (un article du Code pénal). Pour nous, c'est juste un "emballage" et une possibilité pour faire du bruit autour de ça. En réalité, cela n'implique rien. Les "agents étrangers" reçoivent des interviews, ils sont invités à la conférence de presse du Président russe Vladimir Poutine. On ne parle même pas de la fermeture de la Deutsche Welle ici, comme ils nous ont fermé là-bas. Cela vaut également pour les autres médias allemands. Aidez-nous, s'il vous plaît.
Sergueï Lavrov: Vous prêchez un convaincu. Hier encore, l'ambassade de Russie à Berlin a exigé des explications. Les procédures sont en cours. Il ne s'agit pas d'une agence fédérale mais du régulateur du Land allemand de Berlin-Brandebourg. Les avocats de l'ambassade ont examiné les précédents. Le consortium Axel Springer avait rencontré une situation similaire, mais dans ce cas, le permis avait été rapidement accordé.
Le point principal ici est que les Allemands tentent de faire passer leurs réglementations nationales, qui les empêcheraient d'enregistrer des chaînes publiques, avant leurs obligations internationales en vertu de la Convention européenne sur la télévision transfrontière. D'après nos informations, leurs régulateurs font tout leur possible pour justifier la primauté de leur droit national. Ça ne va pas. Ce sera comme pour l'élargissement de l'Otan: ils aiment une chose, et ils n'appliqueront pas ce qu'ils ont promis ailleurs, ils ne le feront pas. Les Allemands savent que des mesures réciproques suivront (des mesures de réponse, comme nous disons plutôt en russe). J'ai abordé ce sujet avec la Ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock quand elle est venue à Moscou. Je pense qu'elle et sa délégation l'ont entendu. Je vais avoir une conversation téléphonique avec elle aujourd'hui. Je vais le lui rappeler sans aucun doute.
Question: Un scandale est en cours aux États-Unis. La chaîne CNN a diffusé un reportage dans lequel des journalistes, citant leurs sources, racontent une conversation téléphonique entre les Présidents américain et ukrainien, au cours de laquelle Joe Biden aurait crié sur Vladimir Zelenski, aurait tenté d'expliquer en haussant le ton que s'il ne changeait pas de position sur le Donbass, Kiev serait saisie, pillée, etc. CNN a publié ce reportage sur son site, puis l'a retiré. Néanmoins, le scandale est en cours. Des questions sont posées à Joe Biden et à Vladimir Zelenski. Au cours de cette conversation, le Président américain aurait demandé au Président ukrainien de résoudre de toute urgence la question du statut spécial du Donbass.
Si Kiev décide réellement de modifier la Constitution et d'accorder un statut spécial au Donbass, cela affectera-t-il d'une manière ou d'une autre notre politique sur l'axe ukrainien? Globalement, on ne peut pas faire confiance à ces camarades. A ce jour, 720.000 citoyens russes vivent là-bas. Il pourrait y en avoir plus à long terme. Nous comprenons quelle menace représente pour eux l'obtention d'un passeport russe. Nous préparons-nous à de tels scénarios? Comment envisageons-nous de structurer notre politique à l'égard des républiques populaires?
Sergueï Lavrov: Nous n'avons jamais eu d'autre position que la nécessité de mettre en œuvre les Accords de Minsk en toute bonne foi, dans leur intégralité, et selon le déroulé qui y est fixé. Mes collègues et moi-même avons mentionné publiquement que lors de la réunion des Présidents russe et américain à Genève en juin 2021, Joe Biden avait déclaré de sa propre initiative qu'il souhaitait contribuer à la mise en œuvre des Accords de Minsk, incluant la nécessité de garantir au Donbass le statut autonome correspondant (le mot a été prononcé). Il comprend tout. Cela reflète le contenu des Accords de Minsk, dans lesquels le statut spécial est absolument sans ambiguïté. Ce qu'il faut faire est clair. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken m'a confirmé qu'ils voulaient contribuer à la mise en œuvre des Accords de Minsk. Ses adjoints ont dit qu'ils ne rejoindraient pas le Format Normandie, mais qu'ils voulaient aider. S'ils obtiennent un mouvement de Kiev (personne ne peut le faire à part eux), nous serons satisfaits d'un tel résultat. Jusqu'à présent, je ne suis pas très porté à y croire. Une partie se joue là-bas: des livraisons d'armes sont en cours. Certains voudraient voir ces fournitures comme un "filet de sécurité" pour ceux qui seraient prêts à craquer et à déclencher un conflit armé insensé. Beaucoup doivent garder cela à l'esprit. Personne ne semble le vouloir, mais il y a un petit groupe de personnes qui pourraient en tirer bénéfice d'une manière ou d'une autre.
Pourquoi les Américains sont-ils les seuls à pouvoir imposer quelque chose à l'Ukraine? Une réunion des quatre conseillers des leaders du Format Normandie a eu lieu à Paris, à laquelle a participé le chef adjoint de l'Administration présidentielle russe, Dmitri Kozak. Ils ont convenu de prendre encore deux semaines pour voir comment avancer dans la mise en œuvre des Accords de Minsk.
La France, l'Allemagne et l'UE considèrent la Russie comme une partie au conflit. Sur quoi peut-on négocier? Ils prétendent que nous devons appliquer les Accords de Minsk. Le Président russe Vladimir Poutine et Dmitri Kozak ont déclaré à plusieurs reprises que personne ne répondait à la question de savoir quel point précis nous serions censés mettre en œuvre. Le sous-entendu est que tout dépendrait de la Russie. Comme s'il suffisait que l'on claque des doigts pour que tout se mette en place.
Kiev a compris que Berlin et Paris ne l'obligeront pas à appliquer les Accords de Minsk. Comme l'a dit Vladimir Zelenski, il n'aime pas le paquet de mesures mais il est important car il permet à l'Occident de maintenir les sanctions contre la Russie. C'est tout. Un cynisme pur. Rien de plus. L'Ukraine comprend qu'elle peut tout se permettre. Vladimir Zelenski et son régime sont utilisés (principalement par les Américains) pour attiser les tensions, pour pouvoir envoyer leurs émissaires en Europe, dont on attise les dispositions russophobes par tous les moyens.
Le principal objectif de Washington n'est pas du tout le sort de l'Ukraine. Il est important pour les États-Unis de faire monter la tension autour de la Fédération de Russie afin de "clore" le dossier et de "traiter" ensuite le cas de la Chine, comme l'écrivent les analystes politiques américains. Comment veulent-ils le "clore" ? Je n'en ai aucune idée. S'il reste des stratèges politiques sensés, ils doivent se rendre compte que c'est une impasse.
Actuellement, les Américains utilisent l'Ukraine de manière si flagrante et cynique contre la Russie que le régime de Kiev lui-même commence à avoir peur. Ils disent qu'il n'est pas nécessaire de faire monter autant la discussion, suggèrent de calmer la rhétorique, demandent pourquoi les diplomates sont évacués. Qui évacue? Les Américains et autres Anglo-Saxons (Canadiens, Britanniques). Donc ils savent quelque chose que les autres ignorent. Réfléchissons, peut-être qu'en l'attente d'une provocation de leur part, nous devrions nous aussi prendre des précautions pour nos diplomates. On va voir.
J'ai déjà répondu à la question de savoir ce que nous pensions des idées exprimées sur la reconnaissance des républiques populaires de Lougansk et de Donetsk. Ma réponse est simple: il faut parvenir à la mise en œuvre des Accords de Minsk. La masse des "chasseurs" n'attend qu'un prétexte pour dédouaner Kiev du sabotage auquel elle s'adonne depuis huit ans en lien avec le document approuvé par le Conseil de sécurité de l'Onu.
Question: Vous avez dit que le Secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, avait "perdu le contact" avec la réalité. Peut-être vivez-vous dans des réalités différentes? Aujourd'hui, il va être interviewé en direct sur la radio Echo de Moscou. Voulez-vous lui passer le bonjour ou lui poser une question?
Sergueï Lavrov: Il l'a bien mérité.
Question: J'ai consulté la liste des sanctions adoptées par le Congrès et le Département du Trésor des Etats-Unis l'année dernière. La grande majorité est liée au nom d'Alexeï Navalny, pas à l'Ukraine. L'OIAC (plus précisément des laboratoires indépendants allemand, français et suédois) a procédé à un examen et a constaté que son sang contenait des résidus d'une substance toxique. Il semble évident qu'il a été empoisonné. Le Ministère des Affaires étrangères a sollicité de l'aide. Mais la Russie n'a pas ouvert d'affaire pénale. L'Allemagne a dit: alors pas d'aide. Nous sommes membres de l'OIAC, vous avez vu le rapport sur Alexeï Navalny. Vous continuez de coopérer sur cette question? Nous sommes en minorité dans toutes les organisations internationales européennes. Nous disons que la CEDH, l'APCE, l'OSCE et l'OIAC sont russophobes. Peut-être, lieutenant, est-ce vous qui êtes "décalé" [référence à l'expression "Toute la compagnie marche en décalage, et seul le lieutenant est en rythme", utilisée pour dire qu'une personne est seule à penser qu'elle a raison, ndT]?
Sergueï Lavrov: Je vais partir de loin. Hier, je regardais Euronews. Il y avait un reportage sur le village de Dvani en Géorgie, près de la frontière avec l'Ossétie du Sud. Il se trouve sur un territoire que la Géorgie considère comme sien. Le journaliste indique que "le village de Dvani se trouve sur la ligne de séparation, derrière le village il y a une frontière administrative qui est constamment renforcée par la Russie. Une maison appartenant à un Géorgien "a été brûlée pendant la guerre". La nouvelle "est tombée dans la zone de surveillance de l'armée russe". Un habitant de la région nous dit que "des gens sont enlevés de manière incompréhensible". Le journaliste géorgien montre comment il travaille dans les villages "proches de la zone de conflit depuis plusieurs années maintenant" et déclare: "Cela fait 14 ans que la guerre oblige les gens à vivre dans des conditions difficiles. Ils perdent leurs terres, leurs parcelles forestières presque tous les jours. Des gens sont kidnappés. Les soldats russes les détiennent", etc. Puis le présentateur nous apprend qu'"après l'effondrement de l'URSS, la Géorgie a été la première des anciennes républiques à connaître une escalade de séparatisme et d'affrontements armés, et des milliers de réfugiés ne peuvent toujours pas rentrer chez eux".
Par contre, le reportage ne dit pas quel type de "séparatisme" était apparu en Géorgie avant même l'effondrement de l'URSS. Zviad Gamsakhurdia a exigé, en tout chauvinisme, que les Abkhazes se retirent ou "soient débarqués". Il ne considérait pas les Ossètes du Sud comme des gens. Personne ne dit rien à ce sujet. Ensuite, une phrase géniale: "En 2008, quand le conflit est passé dans une phase chaude, la Russie a pris le parti de l'Ossétie du Sud". Il s'agit d'Euronews, qui se présente comme la chaîne la plus juste, un modèle de diversité de points de vue. Lorsqu'ils parlent de ce conflit fratricide, ils ne mentionnent même pas comment il a commencé.
Voilà pourquoi je vous parle de ça: vous avez posé une question sur l'OIAC, également sans identifier les points de repère qui nécessitent une clarification. Si vous le présentez de la manière dont vous avez posé la question, Michael McFaul et d'autres auditeurs inexpérimentés pourraient avoir l'impression que tout cela est vrai. Vous dites que nous avons demandé des éclaircissements aux Allemands, et qu'ils nous ont dit d'engager une procédure pénale, et qu'ensuite ils nous donneraient quelque chose. Qu'est-ce que c'est? Les obligations de l'Allemagne au titre de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale n'ont rien à voir avec le fait que quelqu'un ait ou non un passé judiciaire. Selon nos lois, une affaire criminelle peut être ouverte quand il y a des faits. Cela ne contredit pas les nombreux cas dans lesquels cette procédure a été utilisée avec de nombreux autres pays. Nous avons beaucoup de matériaux. Nous les diffusons dans le monde entier. Je suis sûr qu'ils sont accssibles aux journalistes de la radio Echo de Moscou et d'autres médias.
Nous n'avons toujours pas reçu de réponse à la question de savoir qui avait pris l'avion pour venir chercher Alexeï Navalny. Pourquoi l'avion qui devait le récupérer à Omsk avait-il été réservé la veille de son malaise? Pourquoi n'avons-nous reçu aucune réponse aux questions très précises et factuelles posées au Parlement allemand: comment se fait-il que le pilote qui ne voulait pas que Maria Pevchikh emporte la bouteille avec elle ait fini par accepter. Il y avait aussi un sixième passager. Tout a été demandé au Bundestag. Pourquoi est-il impossible d'interroger Maria Pevchikh? Les Allemands affirment qu'elle n'a pas communiqué avec le blogueur et ne lui a pas rendu visite à la clinique. Elle écrit elle-même qu'elle l'a fait. La bouteille qu'elle a apportée n'est montrée à personne. Nos requêtes de l'examiner ensemble sont refusées. Les allégations selon lesquelles des substances toxiques interdites auraient été trouvées dans le corps d'Alexeï Navalny ont commencé à apparaître après que l'hôpital de la Charité (il s'agit d'un hôpital public) n'ait rien trouvé des substances interdites par la CIAC. Tout a été "découvert" à la clinique de la Bundeswehr en trois jours seulement. Avant cela, il y avait eu une histoire similaire: l'affaire Skripal. Nous avons insisté sur le fait que nous ne devions pas nous laisser guider par le "highly likely" ("très probablement") mais par des faits concrets. Nous avons cité des données montrant qu'il y avait près de 150 brevets en Occident, aux États-Unis, du fameux "Novitchok". Il a également été développé en Europe. À l'époque, l'Allemagne, la France, la Suède et de nombreux autres pays ont juré qu'ils ne disposaient pas de cette technologie. Sans cette technologie, il est impossible de détecter cette substance dans l'organisme humain en trois jours. Tout chimiste un tant soit peu expérimenté le sait.
Au début, les Allemands ont dit qu'ils ne donneraient pas les matériaux car il s'agissait d'"informations militaires secrètes". Rien que ça. Nous sommes accusés de meurtre ou de tentative de meurtre et l'information est classifiée. Par définition, ils ne devraient pas disposer de cette technologie s'ils sont des participants de bonne foi à la CIAC. Puis ils ont commencé à dire qu'ils auraient pu les transmettre, mais qu'Alexeï Navalny s'y opposait. Quelle est la prochaine étape? Ce faisant, l'avocat de ce dernier reproche à Dmitri Peskov d'accuser le blogueur de collaborer avec la CIA et exige des preuves. Quelle preuve? Il a été visité à l'hôpital par des officiers du renseignement américain, c'est ce qu'a dit Dmitri Peskov. Nous demandons des preuves de l'accusation d'atteinte à la vie humaine - on nous dit qu'il ne veut pas. Nous avons demandé le résultat à l'OIAC. On nous dit qu'ils ne peuvent nous le transmettre qu'avec la permission des Allemands. La boucle est bouclée. Lisez attentivement ce que l'OIAC a publié. Il est dit: certaines substances dont la composition est similaire à d'autres figurant sur la liste interdite de l'OIAC ont été trouvées. Pas un mot sur le Novitchok. Ni les Allemands, ni les Français, ni les Suédois ne nous ont donné la formule. "Le secret". C'est dans la formule qu'est la preuve du fait que tout cela est vrai - ou qu'il ne s'agit que d'une pure tromperie et d'un mensonge.
Jusqu'à présent, je suis enclin à croire que l'Occident n'a aucune raison de nous accuser. C'est une provocation. J'ai mentionné le jour où un vol spécial a été réservé pour aller chercher Alexeï Navalny à Omsk. La veille de l'empoisonnement, les Allemands (selon le rapport de l'OIAC) ont demandé à La Haye de les aider à enquêter sur cette affaire. Puis ils ont commencé à dire que c'était une erreur d'impression et que tout cela s'était produit plus tard. Il y a beaucoup de choses intéressantes. Au début du mois de septembre 2020, les Allemands ont pris contact avec l'OIAC. Le personnel du Secrétariat de l'Organisation nous l'a caché pendant plusieurs jours. Ils ont admis rétrospectivement que les Allemands leur avaient prétendument demandé de ne rien dire à personne. Toute cette histoire n'éveille-t-elle pas des soupçons? Je suis méfiant, et profondément. J'invite tous les auditeurs d'Echo de Moscou et d'autres stations de radio à lire les matériaux figurant sur le site du Ministère russe des Affaires étrangères, qui contiennent un grand nombre de questions légitimes auxquelles l'Occident n'a toujours pas apporté de réponse.
Question: La question la plus populaire: y aura-t-il une guerre avec l'Ukraine?
Sergueï Lavrov: C'est avec cette question que nous avons commencé. Si cela dépend de la Fédération de Russie, il n'y aura pas de guerre. Je n'exclus pas que certains veuillent provoquer une action militaire.
Selon l'Occident, il y a environ 100.000 soldats sur la ligne de contact. Le régime de Kiev ne contrôle pas la plupart de ces hommes armés. Une grande partie des unités qui s'y trouvent sont d'anciens bataillons volontaires, d'actuelles unités de défense territoriale et des formations de résistance populaire. On leur distribue déjà des systèmes portatifs de défense aérienne (MANPADS). Cette information est activement diffusée dans les médias. On leur demande également de s'équiper en fusils de chasse car "il n'y aura pas assez de MANPADS pour tout le monde". C'est de la psychose militariste. Je ne peux pas exclure la possibilité que quelqu'un perde ses nerfs, comme ce soldat qui a abattu cinq de ses compagnons d'armes.
Question: Pourquoi ne communiquons-nous pas avec Vladimir Zelenski? C'est notre apprenti, un ancien membre du Komsomol, il s'est formé sur Perviy Kanal...
Sergey Lavrov: Il est aussi "pianiste". Le Président russe Vladimir Poutine a répondu à cette question. Si Vladimir Zelenski veut discuter de la normalisation des relations bilatérales, qui souffrent des dommages causés par les actions unilatérales de son régime (et nous avons répondu à ces actions), la Russie est prête. Qu'il vienne à Moscou, Sotchi, Saint-Pétersbourg, là où ils se mettront d'accord. S'il veut discuter du Donbass, qu'il vienne au Groupe de contact qui, sur décision du Format Normandie, doit aborder toutes les questions de règlement directement entre Kiev, Donetsk et Lougansk. Quand il dit qu'il ne leur parlera pas, c'est mauvais pour la crise intérieure ukrainienne. S'il a quelque chose à dire sur la manière de corriger les mesures initiées par Kiev, Vladimir Zelenski et son prédécesseur pour détruire les relations bilatérales, nous sommes prêts à l'écouter. Le Président Vladimir Poutine a été clair à ce sujet.
Question: Un nouveau "mème" pour t-shirt de Sergueï Lavrov: "S'il vous plaît, allez au Groupe de contact".
Question: Allons-nous également évacuer nos collaborateurs de Kiev?
Sergueï Lavrov: Nous avons discuté de la psychose qui est en train de s'emparer de l'Ukraine, principalement par les forces et la main des Anglo-Saxons et de certains Européens. Cette psychose se traduit notamment par des déclarations hystériques selon lesquelles tout le monde doit quitter l'Ukraine. Les citoyens présents pour affaires sont priés de partir. Les diplomates et leurs familles sont renvoyés, le personnel "non essentiel" est licencié.
Nous n'avons pas le droit de laisser passer cela et de fermer les yeux. S'ils font cela (alors même que les Ukrainiens ne le leur demandent pas), peut-être que les Anglo-Saxons ont quelque chose en tête. Les Britanniques, en particulier, ont une grande expérience en la matière.
Question: C'est arrivé après votre rencontre avec le secrétaire d'État américain Antony Blinken. Que lui avez-vous dit, ou montré? Juste après Genève, il a commencé à dire que les diplomates devaient être évacués. Il s'est passé quelque chose...
Sergueï Lavrov: Vous avez tort de penser que j'ai perdu la capacité de comprendre ce qui se passe. Je ne lui ai rien dit. En tête-à-tête (j'espère qu'il n'est pas offensé), il m'a dit que si quelque chose se passait, "nos gens seraient là"... C'était assez étrange pour moi. C'est ce que je lui ait dit. Je vous assure que nous n'avons discuté que des garanties de sécurité. J'ai ensuite soulevé la question de la situation inacceptable et inadmissible de nos missions diplomatiques. J'ai suggéré ce sur quoi nous nous sommes finalement mis d'accord. Dans quelques semaines, il devrait y avoir un autre événement qui réunira les spécialistes. Je peux vous assurer qu'il n'y a eu aucune menace. Mais nous ne pouvons pas tout laisser sans analyse d'aucune sorte. Nous analysons ce qui se cache derrière les actions des Anglo-Saxons.