United States of America
Discours du Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie Sergueï Lavrov lors d'une séance publique du Conseil de sécurité de l'ONU sur le thème de l'ordre du jour "La situation au Moyen-Orient, y compris le dossier palestinien", New York, le 25 avril 2023
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Le Moyen-Orient traverse aujourd'hui une transformation profonde qui se déroule de manière très contradictoire. Plus que jamais, l'amélioration des relations entre les États de la région, la stabilisation dans les zones de conflit et l'intensification des efforts pour leur règlement politique et diplomatique sur la base des principes de la Charte des Nations unies sont nécessaires.
Notre position est énoncée dans le nouveau Concept de la politique étrangère de la Russie. Nous partons de la priorité de construire une architecture durable et globale de stabilité et de coopération au Moyen-Orient en promouvant le dialogue interreligieux et interculturel. Nous avons l'intention de développer une coopération active avec tous les pays de la région tant dans un format bilatéral qu'à travers nos contacts avec l'Organisation de la coopération islamique, la Ligue des États arabes et le Conseil de coopération des États arabes du Golfe. Nous constatons un intérêt croissant pour l'initiative russe visant à assurer la sécurité collective avec la participation de tous les pays côtiers de la "baie" - arabes et iraniens - avec l'implication du "cercle extérieur" des États influents.
Nous saluons les changements positifs qui jusqu'à récemment semblaient impossibles. Il s’agit tout d'abord de la restauration des relations entre l'Arabie saoudite et la République islamique d'Iran avec la médiation de la République populaire de Chine, des plans pratiques pour faire revenir la Syrie dans la "famille arabe" (ce à quoi avons longtemps œuvré) qui ont commencé par la normalisation des relations entre Damas et Ankara avec l'aide russe en utilisant les avantages du format Astana. En grande partie grâce aux initiatives de Riyad, des mesures ont été prises pour accélérer le règlement du conflit sanglant au Yémen.
Dans le même temps, nous constatons avec un profond regret et une inquiétude que le problème palestinien reste "par-dessus bord" de changements positifs. En inaugurant la réunion d'aujourd'hui, nous nous sommes fixé pour objectif de sensibiliser l'augmentation sans précédent de la tension et de la violence dans la zone du conflit arabo-israélien. Nous estimons qu'il est plus que jamais nécessaire de réaffirmer les "dénominateurs communs" du règlement au Moyen-Orient inscrits dans les décisions du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale, de mettre fin à la menace d'un nouvel affrontement armé et de dégager l'horizon politique pour relancer le processus de paix.
Les événements en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza, à Jérusalem-Est et le long de la ligne de séparation entre Israël, le Liban et la Syrie ont fait monter les tensions à un niveau extrêmement dangereux. Depuis le début de l'année, à la suite de raids militaires à Jénine, Jéricho, Naplouse, Huwar, d'affrontements liés à la violation du statut des lieux saints, plus de 100 Palestiniens sont morts et des milliers ont été blessés. Le nombre de victimes parmi les Israéliens augmente également. C'est ce dont le représentant de ce pays vient de parler.
La situation est aggravée par les frappes israéliennes en Syrie (au moins 10 attaques en 2023), dont le bombardement de l'aéroport d'Alep, par lequel l'aide humanitaire est acheminée aux victimes du tremblement de terre dévastateur du 6 février de cette année. Les incidents le long de la Ligne bleue avec le Liban ont augmenté, y compris le plus grand échange de tirs de missiles depuis 2006.
La cause principale de l’augmentation régulière de violence entre les Palestiniens et Israël reste les démarches unilatérales pour créer des faits irréversibles "sur le terrain" et le choix en faveur de la manière forte pour "défendre" ces "faits". Il est impossible d'ignorer le rythme record de construction des colonies avec légalisation rétroactive des avant-postes, expropriation des terres, démolition des maisons, arrestations arbitraires. Il est tout aussi inacceptable de fermer les yeux sur la radicalisation croissante de la "rue palestinienne" et l'approfondissement de la scission entre les principaux partis palestiniens, lourds de violentes confrontations.
Dans de telles conditions, nous considérons important de prévenir les symptômes d'une situation qui s'aggrave. Nous considérons qu'il est absolument impératif que tous les principaux acteurs confirment qu'il n'y a pas d'alternative à une solution à deux États, qui respecte le droit des Palestiniens à leur propre État indépendant avec sa capitale à Jérusalem-Est et le droit des Israéliens à la paix et une coexistence en sécurité avec leurs voisins et dans la région dans son ensemble. Seul un retour aux négociations directes sur toutes les questions relatives au statut final peut briser le cercle vicieux de la violence et de la radicalisation et rétablir la confiance mutuelle.
Cependant, au lieu d'aider à rétablir l'horizon politique, les États-Unis et l'UE poursuivent leurs tentatives destructrices pour remplacer le monde réel par des demi-mesures économiques et promouvoir la normalisation arabo-israélienne en contournant une solution juste au problème palestinien et en contournant l’Initiative de paix arabe. Le Quartet des médiateurs internationaux pour le Moyen-Orient est devenu victime de telles actions.
Maintenant, Washington prétend être le seul sponsor du processus de paix au Moyen-Orient, pas gêné par le fait qu'il a depuis longtemps perdu la neutralité et l'impartialité indispensables à un courtier honnête, surtout après les décisions bien connues de l'administration Trump qui contredisent directement les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU et que l'administration Biden n'a pas annulées.
Le non-respect des résolutions du Conseil de sécurité - et pas seulement sur les problèmes du processus de paix au Proche-Orient - mérite une mention à part. Il n'y a pas si longtemps, les États-Unis et leurs alliés ont déployé tous leurs efforts pour s'assurer qu'à chaque fois qu'un veto était utilisé sur une question au Conseil de sécurité, cette question devait être débattue à l'Assemblée générale des Nations unies. Nous n’étions pas contre, même si cette idée visait ouvertement la Russie. Nous n'avons rien à cacher: lorsque nous utilisons un veto, nous expliquons clairement les raisons. Nous n'hésitons pas à répéter nos arguments à l'Assemblée générale.
Et le veto est un droit inaliénable, une partie intégrante des mécanismes inscrits dans la Charte des Nations unies. Il n'y a aucune violation de l'utilisation du droit de veto.
Mais le non-respect des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité est une violation de la Charte. À savoir l'article 25 de la Charte qui oblige chacun à accomplir les décisions du Conseil de sécurité. Peut-être est-il temps pour ceux qui enterrent franchement les résolutions adoptées d'en faire rapport à l'Assemblée générale? Parmi ces résolutions sabotées par l'Occident figurent des décisions sur la Palestine, le plateau du Golan, le Sahara occidental, le règlement au Kosovo, le programme nucléaire iranien et, bien sûr, les Accords de Minsk concernant l'Ukraine, dont nous avons discuté en détail hier.
Les Américains et les Européens spéculent grossièrement sur le dossier ukrainien, essayant à l’aide de chantage et de menaces de mettre les pays en développement de leurs côtés et de détourner ainsi leur attention des problèmes du Moyen-Orient et d'autres régions du Sud global. Soi-disant, maintenant nous vaincrons la Russie, et tout s'arrangera naturellement. Ainsi, les crises que les pays en développement cherchent depuis longtemps à résoudre, deviennent victimes des doubles standards et des instincts coloniaux de l'Occident, obsédé par des intérêts égoïstes pour dicter ses exigences au monde entier, ignorant la culture et les traditions d’autres peuples et bafouant la loi internationale.
Permettez-moi de citer un extrait de l’entretien avec le secrétaire d'État américain Antony Blinken à Wolf Blitzer de CNN le 8 février 2021. En réponse à une question sur le plateau du Golan, le secrétaire d'État a déclaré qu’en mettant à part les aspects juridiques de cette question, d'un point de vue pratique, le plateau du Golan était très important pour la sécurité d'Israël. Tant que le président syrien Bachar al-Assad est au pouvoir en Syrie, tant que l'Iran est présent en Syrie et qu'il y a des rebelles soutenus par l'Iran, le régime de Bachar al-Assad lui-même - tout cela constitue une menace sérieuse pour la sécurité d'Israël, et d'un point de vue pratique, je pense que le contrôle du plateau du Golan dans cette situation est toujours d'une grande importance pour la sécurité d'Israël. Les questions juridiques sont autre chose.
J'ai cité la déclaration d'Antony Blinken, qui a répété à deux reprises: "laissez de côté les aspects juridiques de cette question" et "les questions juridiques sont autre chose". Voici un exemple de la manière dont les résolutions sont mises en œuvre et de la façon dont les États-Unis se positionnent généralement dans notre Organisation.
Dans de telles conditions, le rôle de l'ONU en tant que coordinateur de la diplomatie multilatérale est particulièrement demandé. Nous appelons la direction du Secrétariat et le Secrétaire général personnellement à accorder une attention accrue au respect des décisions du Conseil de sécurité, en particulier celles relatives au règlement au Moyen-Orient. Nous voudrions également que le Secrétaire général s'acquitte plus activement de ses fonctions de modérateur du Quartet sans attendre la "permission".
Récemment, le Secrétaire général a annoncé la convocation d'une réunion sur l'Afghanistan au début du mois de mai. Nous le soutenons. Mais pourquoi ne pas annoncer de manière proactive la convocation d'une réunion du Quartet? C'est dans ses prérogatives.
Dans le même temps, nous appelons les Israéliens et les Palestiniens à mettre fin à toutes les actions unilatérales mettant en cause la possibilité de réaliser la formule à deux États, y compris les attaques terroristes et autres attaques armées, l'incitation à l'agression, l'usage disproportionné de la force par n'importe quelle partie, les actes illicites en rapport avec la question des colonies, les tentatives de changer le statu quo de Jérusalem.
Nous souhaitons que les mouvements palestiniens s'élèvent au-dessus des ambitions partisanes et s'unissent sur la plateforme politique de l'Organisation de libération de la Palestine. Cela améliorera la situation socio-économique, renforcera les institutions administratives et permettra d’être prêt pour le dialogue avec Israël au nom du peuple palestinien. Nous savons que nos amis d'Égypte, de Jordanie, d'Algérie et d'autres collègues travaillent également à la restauration de l'unité palestinienne. Nous engageons aussi des efforts dans ce sens. Nous les poursuivrons.
Je voudrais souligner le rôle particulier de l'Arabie saoudite en tant qu'auteur de l'Initiative de paix arabe, le rôle de la Jordanie en ce qui concerne la tutelle des sanctuaires de Jérusalem, le rôle de la Ligue des États arabes, l'Organisation de la coopération islamique. Nous attachons une importance inconditionnelle à la nécessité de faire tout pour poursuivre le travail efficace de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens et organiser le travail.
La Russie continuera à faire tout son possible pour contribuer à la stabilisation du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, pour faire avancer le processus de paix au Moyen-Orient avec les pays de la région et en coordination avec d'autres médiateurs fiables. Comme toujours, nous sommes ouverts à la discussion d'initiatives pertinentes dans le cadre d'un travail collectif à l'ONU.