the Republic of Italy
Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d'une conférence de presse conjointe avec Luigi Di Maio, Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de l'Italie, à l'issue de leurs pourparlers, Moscou, 17 février 2022
Mesdames et messieurs,
Pendant notre entretien, nous avons accordé une attention particulière aux ententes conclues lors des contacts téléphoniques entre le Président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre italien Mario Draghi. Nous comprenons que nos dirigeants souhaitent poursuivre ces contacts. Nous évoquons les possibilités les plus proches avec nos collègues italiens.
Nous avons pris note du bon développement des relations bilatérales. L'an dernier, nos échanges ont augmenté de presque 50% (plus de 30 milliards de dollars). Les milieux d'affaires interagissent plutôt bien. En janvier 2022, le Président russe Vladimir Poutine a échangé en visioconférence avec des entrepreneurs italiens à l'initiative de la Chambre de commerce russo-italienne. Notre comité intergouvernemental sur les questions commerciales et économiques fonctionne et, nous l'espérons, pourra prochainement reprendre son activité physique.
Certes, en période de pandémie, plusieurs mécanismes n'ont pas été aussi remarquables. En particulier, nous voudrions relancer le travail dans le cadre des consultations interétatiques qui étaient activement utilisées il n'y a encore pas si longtemps. Les dernières se sont tenues en 2013 à Trieste. Depuis, aucune consultation sous la forme de réunions des deux dirigeants avec les principaux membres de gouvernement des deux pays n'a été organisée, alors que ce mécanisme serait très utile. Malgré les restrictions liées au coronavirus, en février 2020 (le temps passe vite), les ministres des Affaires étrangères et de la Défense ont repris le travail au format "2+2". Je trouve qu'il est temps de penser à la prochaine réunion qui devrait se tenir en Italie.
Les activités culturelles entre la Russie et l'Italie sont traditionnellement très riches et intéressent beaucoup nos citoyens. Le départ de l'Année croisée des musées a été donné en septembre 2021 à Milan. Le programme d'échanges culturels est en cours. Il se termine à la fin de l'année. Nous sommes convenus de commencer dès à présent la préparation d'un nouveau programme culturel et social pour 2023-2025. Les 200 ans de Fiodor Dostoïevski ont été dignement célébrés en Italie, avec l'inauguration d'une statue de l'écrivain. Nous l'avons perçu comme la reconnaissance de l'interdépendance et de la complémentarité de nos cultures, des conquêtes historiques et du patrimoine culturel.
Dans les affaires internationales, l'attention principale a été accordée à la situation dans la région euro-atlantique dans le contexte des problèmes soulignés par la Fédération de Russie dans ses initiatives envoyées mi-décembre 2021 aux États-Unis et à l'Otan proposant d'entamer des négociations sur des documents internationaux juridiquement contraignants, bilatéraux et multilatéraux. Nous avons reçu une réaction à ces initiatives. Nous avons attendu pendant un mois et demi. Nous terminons l'analyse de la lettre américaine. J'espère que très prochainement vous saurez comment la situation évoluera. Nous enverrons aujourd’hui cette lettre aux États-Unis. J'ai prévenu que nous rendrions cette lettre publique. Nous trouvons que c'est absolument nécessaire pour que les membres intéressés des sociétés civiles de nos pays sachent ce qui se passe et quelles positions adopte chaque partie. Sinon, en le gardant secret, comme préfèrent le faire nos collègues de Washington et de Bruxelles, l'opinion publique sera "attaquée" par le mensonge et la franche propagande qui remplit actuellement l'espace médiatique pour décrire ce qui se passe en Europe et à la frontière entre la Russie et l'Ukraine. Vous lisez tout cela. En tant que professionnels, vous savez parfaitement dans quelle mesure il faut croire ces spéculations.
Nous avons parlé de notre vision de la coopération à venir au format multilatéral. Nous apprécions le rôle joué immuablement par l'Italie dans différents formats: que ce soit les relations entre la Russie et l'UE quand ces relations existaient, que ce soit le Conseil Otan-Russie quand ce Conseil fonctionnait encore, que ce soit l'activité de l'OSCE où l'Italie plaide traditionnellement pour un dialogue constructif et n'encourage pas les tentatives de nombreux pays membres de l'OSCE d'utiliser cette structure pour attiser la confrontation. Dans la politique actuellement menée par l'Italie sur le continent européen et, globalement, dans la région euro-atlantique, nous voyons la continuité du rôle joué par l'Italie en 2002, quand, au sommet de Pratica di Mare, a été adoptée la Déclaration de Rome sur la création du Conseil Otan-Russie. Elle a confirmé et concrétisé les axes principaux de ce qui était encore notre partenariat. Et qui avait toutes les chances de devenir un partenariat stratégique.
Je remercie mon homologue Luigi Di Maio et sa délégation pour avoir pris l'initiative de visiter la Fédération de Russie pour poursuivre notre échange de points de vue. C'est toujours utile. Notamment dans les situations où il vaut mieux qu'on vous comprenne le plus clairement possible afin d'éviter des surprises.
Question (traduite de l'italien, adressée à Luigi Di Maio): Que ferait l'Italie vis-à-vis de la Russie si de nouvelles sanctions étaient imposées?
Sergueï Lavrov (ajoute après Luigi Di Maio): Nous savons qu'au sein de l'UE et dans d'autres formats existe la règle du consensus. Elle s'applique lors de l'élaboration des décisions de sanctions. La question de savoir ce que l'Italie ferait en cas de nouvelles sanctions est incorrecte. Elles ne peuvent pas être décrétées si un pays y est opposé. Nous savons qu'il existe le principe de solidarité, ce qu'on appelle chez nous "omerta". Je ne pense pas que l'Italie souhaite attiser la confrontation. Au contraire, nous voyons la continuité des traditions de la diplomatie italienne, de la politique étrangère, notamment vis-à-vis de la Fédération de Russie: il ne faut pas constamment menacer, annoncer des sanctions, mais chercher un terrain d'entente.
Nous avons dit aujourd'hui que dans ces fameux principes de l'indivisibilité de la sécurité (cela fait l'objet de nos négociations dans le contexte des garanties durables, à long terme et juridiquement contraignantes), signés par tout le monde, il existe un point sur l'inadmissibilité qu'un pays, un groupe de pays ou une organisation revendique un rôle dominant dans l'espace de l'OSCE. C'est exactement ce que fait l'Otan.
Voici un exemple concret. Cela ne date pas d'hier. En 2009, la Russie avait proposé de rendre le principe de l'indivisibilité de la sécurité juridiquement contraignant et avait soumis un tel accord à l'examen du Conseil Otan-Russie. Après de longues tentatives d'esquiver toute discussion, l'Otan nous avait dit que c'était exclu parce que des garanties de sécurité juridiquement contraignantes pouvaient être accordées uniquement dans le cadre de l'Otan et à personne d'autre en Europe. C'est une position hautaine. Elle est vraiment provocatrice, car elle est appelée à pousser les pays neutres à frapper à la "porte ouverte" de l'Otan, qui n'a jamais été approuvée par personne. Nous en avons parlé aujourd'hui.
Il y a l'article 10 du Traité de Washington (le Président russe Vladimir Poutine en a parlé récemment pendant une conférence de presse avec le Président français Emmanuel Macron). Il stipulerait que tout pays (comme l'Ukraine) peut décider d'adhérer à l'Otan et qu'il faudra reconnaître son droit. Mais il dit exactement l'inverse. Les pays membres de l'Alliance sur entente générale, par consensus peuvent ("may" en anglais, c'est-à-dire peuvent ou non) inviter un pays à y adhérer si ce dernier correspond aux critères de cette organisation et, surtout, si ce pays est susceptible de contribuer à la sécurité de l'Otan. On comprend parfaitement de quoi il est question. En regardant la situation objectivement et en appliquant l'article 10 tel qu'il est écrit, on comprend parfaitement quelle sera la réponse. C'est notre position. Nous en avons parlé aujourd'hui.
Question (traduite de l'italien, adressée à Luigi Di Maio): Les exercices à la frontière avec la Biélorussie devraient se terminer le 20 février. Est-ce que cela signifie la fin de l'escalade? Y a-t-il des confirmations que ce sera le cas?
Sergueï Lavrov (ajoute après Luigi Di Maio): En ce qui concerne le début de la désescalade et la fin de l'escalade. Ce n'est pas notre terme. Ce n'est pas nous qui l'avons inventé. Il a été inventé par des propagandistes. C'est devenu un cliché à présent. Aujourd'hui, aucun politicien européen ou américain ne fait une déclaration sans utiliser cette expression, sans exprimer sa préoccupation vis-à-vis de l'escalade en exigeant la désescalade.
Il ne faut pas me poser la question du 20 février. Nos exercices se terminent le 20 févier, comme annoncé. J'ignore si l'escalade se terminera le 20 février. Ce n'est pas nous qui l'attisons. Ce n'est pas nous qui nous adonnons à cette activité. Politico, célèbre diffuseur d'informations sur ce qui se passe à la frontière russo-ukrainienne se référant aux "sources les plus fiables", a annoncé que l'invasion, qui n'a pas eu lieu hier, commencerait le 20 février. Liz Truss, qui s'est récemment rendue à Moscou, a déclaré hier que, selon elle, l'attisement de la tension pourrait durer des mois. Peut-être qu'ils comptent continuer jusqu'à l'hiver prochain. Je ne sais pas. Cette question ne s'adresse pas à nous.
Question (traduite de l'italien): Vous avez fourni une liste de garanties de sécurité, que vous avez définies comme impératives, mais l'Occident ne fait pas de concessions. Néanmoins, vous évoquez la possibilité de résultats concrets. Lesquels?
Sergueï Lavrov: Il n'est pas tout à fait correct de dire que la Russie a présenté une liste de garanties de sécurité, qu'elle a qualifiée d'impérative. Ce n'est pas la Russie qui a formulé cette liste de garanties. Elle est fixée dans les documents de l'OSCE et du Conseil Otan-Russie. La première étape a été franchie en 1994 quand l'OSCE a adopté le Code de conduite relatif aux aspects politico-militaires de la sécurité. Il stipule explicitement qu'aucun État participant ne fera quoi que ce soit qui puisse mettre en danger la sécurité d'un autre État. Il y a eu ensuite l'acte fondateur Otan-Russie de 1997, le sommet de l'OSCE à Istanbul en 1999, la déclaration de Rome en 2002 et le sommet de l'OSCE à Astana en 2010.
La formule qui sous-tend nos initiatives est que tout pays a le droit de choisir ses alliances, mais, dans le même temps, aucun ne doit faire quoi que ce soit qui puisse nuire à la sécurité d'un autre pays; il s'engage à ne pas renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres. Le troisième élément de ce paquet est le respect des pays qui choisissent la neutralité. Il est intéressant de voir aujourd'hui comment les pays neutres sont de facto "appelés" à demander leur admission à l'Otan. Le quatrième élément est qu'aucun pays, groupe de pays ou organisation ne peut prétendre dominer l'espace de l'OSCE. Personne ne peut prétendre créer des sphères d'influence. Tout a été écrit, approuvé par les présidents, les chefs de gouvernement, et diffusé à l'Onu. Tout le monde était fier de ces réalisations.
En ce qui concerne les sphères d'influence. On a rappelé aujourd'hui comment les dirigeants de l'UE avaient déclaré qu'ils devaient "tout résoudre" dans les Balkans et que la Russie n'aurait "rien à faire là-bas". Récemment, le Haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a réitéré sa position selon laquelle Moscou "interférait" avec Bruxelles en Afrique. C'est-à-dire qu'il peut y avoir des zones d'influence pour l'UE, même sur les voisins de la Russie que l'UE et l'Otan tentent d'infiltrer activement. Et pas seulement pour "s'infiltrer" avec le "cœur ouvert" et des intentions sincères, mais pour y travailler contre les intérêts de la Fédération de Russie.
Le représentant spécial des États-Unis pour les Balkans, Gabriel Escobar, a commencé à faire des déclarations du type "la Serbie doit arrêter d'acheter du gaz à la Russie", "doit chercher des alternatives au gaz russe". N'est-ce pas une tentative de faire de la Serbie sa zone d'influence et de briser sa relation ouverte, honnête et de confiance avec la Russie, que personne ne cache? Les États-Unis disent à l'Allemagne et aux autres Européens qu'ils ne savent pas ce qui est nécessaire pour leur sécurité énergétique. C'est donc Washington qui dira si le Nord Stream 2 doit être mis en service ou non. Les Américains disent aux Allemands qu'ils savent mieux que quiconque ce dont ces derniers ont besoin en hiver, en été et en automne. On nous dit aussi: pourquoi Moscou promeut-il ses initiatives? Sa sécurité n'est pas menacée par qui ou quoi que ce soit. Respectons-nous les uns les autres. La Russie décidera certainement elle-même comment et par quels moyens assurer sa sécurité. L'exemple est révélateur.
De toute la diversité et de l'interconnexion des composantes approuvées au plus haut niveau et répétées à maintes reprises au sein de l'OSCE, l'Occident ne retient qu'un seul élément: la liberté de choisir ses alliances. Il "se dégage" du reste des engagements.
On constate la même approche malpropre des Accords de Minsk (cela a également été évoqué avec Luigi Di Maio aujourd'hui). Ce document indique clairement: mesures de sécurité, retrait des armes lourdes, amnistie, garantie d'un statut spécial pour le Donbass fixé dans la Constitution, dans le cadre de sa réforme basée sur la décentralisation en accord avec Donetsk et Lougansk. Puis (toujours en accord avec les DNR et LNR) la tenue d'élections dans ces territoires sous l'égide de l'OSCE. Une fois que tout cela sera réalisé, les droits des personnes qui se sont rebellées dans ces territoires et n'ont pas accepté les résultats du coup d'État anticonstitutionnel en Ukraine (raison pour laquelle les forces armées de ce pays ont été envoyées contre eux) seront garantis, puis le contrôle des dirigeants et de l'armée ukrainienne sur l'ensemble de la frontière de l'Ukraine sera rétabli, comme c'est écrit. Le contrôle de la frontière est l'accord final.
Les homologues occidentaux assurent maintenant qu'ils sont attachés au paquet de mesures, disent qu'il n'a pas d'alternative. Mais ils veulent changer le déroulé. Le Président Vladimir Zelenski et, avant lui, Piotr Porochenko, font pression depuis longtemps pour qu'on les laisse d'abord contrôler la frontière, avant qu'ils décident eux-mêmes du statut à accorder, s'il y aura des élections, une amnistie ou si tout le monde sera emprisonné. Ils ont déjà de tels projets de loi qui "flottent": la lustration, pour voir personnellement qui a joué quel rôle, contre qui ouvrir des affaires pénales et qui libérer. Cela nous préoccupe sérieusement.
Luigi di Maio a dit qu'il s'était rendu en Ukraine. Nous apprécions le désir sincère de ceux qui veulent aider. Le chancelier allemand Olaf Scholz est venu à Moscou, après s'être rendu à Kiev. Lors de ses pourparlers avec le Président russe Vladimir Poutine, il a indiqué que Vladimir Zelenski avait promis de soumettre au Groupe de contact dans les tout prochains jours des projets de documents sur le statut spécial, les amendements à la constitution, et des propositions sur l'organisation des élections. Rien n'a été fait. Ces promesses ont été publiquement désavouées par certains responsables à Kiev.
Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président américain Joe Biden ont échangé par téléphone hier. Selon le porte-parole officiel du Cabinet des ministres allemand, ils ont constaté qu'il n'y avait pas de retrait russe, qu'il était important d'entamer un dialogue constructif sur la sécurité européenne, de mettre en œuvre les Accords de Minsk et de progresser au sein du Format Normandie avec le soutien de l'Allemagne et de la France. Et de conclure: "La clé de la situation se trouve à Moscou". C'est une tentative sans scrupules d'éluder la responsabilité des "acteurs" dirigés par l'Occident en Ukraine (les Américains exercent incontestablement un contrôle de l'extérieur) et de rejeter la responsabilité de tout ce qui se passe sur la Russie. Nous connaissons déjà cette tactique et cette stratégie. Elle ne réussira pas. Les Accords de Minsk doivent être mis en œuvre dans le strict respect de la manière dont ils ont été approuvés par le Conseil de sécurité des Nations unies, dans cet ordre précis.
Le principe de l'indivisibilité de la sécurité doit être mis en pratique de manière juridiquement contraignante, dans toute son intégralité et son interdépendance, comme cela a été approuvé au plus haut niveau dans le cadre de l'OSCE.
Les négociations se poursuivront sur tous les aspects des propositions russes. Nous avons noté que la deuxième partie de la réponse américaine à notre initiative soulignait l'accord pour parler de ces sujets et se mettre d'accord sur ces questions que nous proposons à nos collègues de l'Otan depuis plusieurs années comme des sujets urgents de dialogue. Mais ils se sont dérobés à ces propositions par tous les moyens possibles. J'entends par là des accords visant à limiter (et de préférence à empêcher) le déploiement de missiles terrestres à portée intermédiaire et à plus courte portée en Europe; à s'abstenir d'implanter d'autres armes offensives là où elles pourraient constituer une menace; et à conclure des ententes concrètes sur les mesures de confiance et la réduction des risques militaires, y compris lors des exercices militaires des deux parties et déplacements d'avions ou de navires de guerre. Tout cela par des contacts avec les militaires.
Depuis deux ou trois ans, l'Occident refuse systématiquement d'en discuter. Aujourd'hui, au moins dans la réponse américaine et en partie dans la réponse de l'Otan, est exprimée la volonté de faire de ces sujets l'objet de négociations. Nous le saluons. L'essentiel pour nous n'est pas de sortir quelques éléments distincts du "paquet" pour dire ensuite que nous avons résolu tous les problèmes. Nous ne résoudrons rien tant que nous ne serons pas d'accord sur les positions clés dont dépend la sécurité en Europe: ne pas étendre l'Otan vers l'Est, ne pas déployer d'armes offensives, respecter la configuration politico-militaire en Europe qui existait au moment de la signature de l'Acte fondateur Otan-Russie. Nos arguments reposent sur ce dont j'ai parlé en détail aujourd'hui: la formule sur l'indivisibilité de la sécurité convenue au plus haut niveau. L'Occident ne veut prendre que la partie qu'il juge acceptable. Ça ne marchera pas.
J'ai demandé à mes collègues italiens et aux autres destinataires de ma lettre de ne pas se cacher derrière le bout de papier que Jens Stoltenberg et Josep Borrell m'ont envoyé en réponse. Je ne me suis pas adressé à eux. Ni l'Otan ni l'UE n'ont signé tous les documents adoptés au plus haut niveau de l'OSCE. Il ne faut pas essayer d'utiliser ces documents pour tenter de porter atteinte au principe selon lequel nous ne devons pas permettre à une organisation, quelle qu'elle soit, d'essayer de dominer l'Europe. C'est exactement ce qu'ils font.
Nous demanderons poliment mais avec insistance à nos collègues que chacun réponde à titre national. Nous voulons qu'ils expliquent comment ils comprennent maintenant les documents signés à l'époque (personne ne les a annulés) et comment ils ont l'intention de les mettre en œuvre.
Question: Sous quelle forme la Russie envisage-t-elle d'envoyer aujourd'hui sa réponse aux Américains? Est-ce que ce sera une note diplomatique?
Sergueï Lavrov: Sous format papier et électronique. Le texte sera rendu public une fois que nous l'aurons envoyé aux Américains. Nous prévoyons de le faire aujourd'hui.
Question: Selon vous, les partenaires occidentaux envisagent-ils de s'excuser ou de se rétracter sous une forme ou sous une autre concernant leurs déclarations mensongères au sujet de l'invasion imminente de l'Ukraine par la Russie? Si oui, quand?
Sergueï Lavrov: Est-ce que nos partenaires qui sont à l'origine de la propagation de calomnies, de désinformations et de ce terrorisme de l'information (il n'y a pas d'autre mot pour cela) ont honte ou non? Je ne pense pas qu'ils s'en repentiront un jour. Il faut démontrer qu'ils ont menti. Cela arrive tous les jours. Mais c'est comme si de rien n'était: d'abord le 15 février, puis le 16 février, maintenant le 20 février. Liz Truss dit que ça pourrait se produire à tout moment. C'est sûr qu'ainsi, elle aura eu raison de prédire une telle évolution. Il m'est difficile de caractériser de telles actions, qui sont pour moi absolument inacceptables, comme pour tout politicien, diplomate. C'est une tentative avec des moyens inadaptés. Si on ne désigne pas ce qu'ils font par le terme "escalade", alors nos militaires se sont tranquillement installés sur leur propre territoire, ont organisé des exercices, ont plié leurs tentes, sont montés dans les wagons, ont chargé le matériel et ont commencé à se disperser. Mais l'hystérie continue. Voilà où est l'escalade. Dans ces actions et dans le bourrage constant de la conscience publique avec des "menaces", des "histoires d'horreur".
Aujourd'hui, nous avons parlé de la façon dont Euronews couvrait la situation actuelle. C'est révélateur pour une chaîne de télévision qui se targue constamment de son approche équilibrée de la couverture de l'actualité. Il n'y a aucun équilibre. Quelqu'un répand ces mensonges, initie ces actions dans l'espace de l'information, quelqu'un comprend ce qui se passe, mais en raison de la même politique de consensus et de solidarité, n'en parle pas. Certains (on le voit très bien) semblent même apprécier ce qui se passe. La seule chose qu'ils veulent est obtenir un rôle dans un autre projet russophobe. C'est malheureux. J'espère que ces "histoires d'horreur" inventées ne serviront pas de prétexte à l'Occident pour se soustraire à une conversation sérieuse basée sur nos propositions. Nous n'hésitons pas à montrer nos arguments. Nos propositions sont basées sur ce que tout l'Occident a signé au sein de l'OSCE.
Question: Pourriez-vous commenter les récentes déclarations du président Vladimir Zelenski selon lesquelles il percevrait certains signaux de possibles négociations dans le dos de l'Ukraine concernant la question des tensions entre l'Occident et la Russie. Il dit qu'ils ne prêtent pas attention à ces signaux car ils sont du côté de la vérité. Qu'en pensez-vous?
Sergueï Lavrov: C'est un peu incorrect de formuler ça comme ça. Nos partenaires occidentaux ne font que souligner la nécessité de mettre en œuvre les Accords de Minsk, et appellent la Russie à le faire. En substance, ils protègent le régime ukrainien et ne remarquent pas la responsabilité qui lui incombe. Pas besoin de s'inquiéter pour Vladimir Zelenski. Jusqu'à présent, à notre plus grand regret, ni les États-Unis ni la France n'ont eu une influence sérieuse sur lui. J'espère qu'ils réaliseront que la ligne actuelle mène à une impasse et qu'ils feront tout ce qui est nécessaire pour que leurs paroles sur l'absence d'alternative aux accords et au statut spécial du Donbass se traduisent en actes. Tout cela nous a été promis.
En parlant d'escalade. La "page" que les ministres de la Défense de l'Otan ont approuvée hier sur la situation en Ukraine et autour vient d'être montrée. Premièrement, il est déjà dit dans le texte qu'ils sont préoccupés par le fait que les actions de la Russie constituent une menace sérieuse pour toute la sécurité de la région euro-atlantique. Pour protéger l'Alliance, ils déploient des forces terrestres supplémentaires sur le flanc oriental de l'Otan, ainsi que des moyens supplémentaires de la marine et de l'aviation militaires. Pourtant, l'armée russe est sur son propre territoire, elle n'envahit rien. Nous ne renforçons aucunement notre présence à la frontière avec les membres de l'Otan, mais l'Alliance fait exactement ce qu'elle nous accuse de faire. La partie la plus "piquante" de cette déclaration est au tout début. L'Otan dit être "profondément préoccupée" par l'importante présence militaire russe non provoquée et injustifiée, et par le renforcement de cette présence en Ukraine et en Biélorussie. Qu'en pensez-vous? C'est déjà le sentiment de leur propre supériorité, de leur propre infaillibilité. Il a déjà "dépassé les bornes". Malheureusement, nos collègues de l'Otan ne voient pas ces bornes.
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Sergueï Lavrov (ajoute après Luigi di Maio): Je dois apporter un éclaircissement. Nous serions ravis de travailler au sein du Conseil Otan-Russie, comme cela a été convenu initialement. Mais Jens Stoltenberg et ses bureaucrates nous ont d'abord interdit, à nous, nos diplomates et militaires à Bruxelles, de travailler normalement au siège de l'Otan, comme tous les diplomates et militaires des autres pays, et ont commencé à exiger que nous (diplomates et militaires) nous inscrivions deux jours à l'avance pour demander un laissez-passer. Dès qu'ils mettaient un pied au siège de l'Otan, nos collaborateurs étaient constamment suivis par des "mouchards". Puis, une fois de plus, Jens Stoltenberg a exigé que nous réduisions notre présence. Un grand nombre de nos diplomates et de nos militaires ont été déclarés "excédentaires" par l'Alliance de l'Atlantique Nord. Son dernier coup a réduit notre présence à 10 personnes - diplomates, personnel militaire et technique compris. Personne ne peut travailler avec une telle composition. Nous avons donc décidé de ne pas monter ce "spectacle", de ne pas y participer. Nous avons dit aux Otaniens: jusqu'à ce que vous vous calmiez, que vous repreniez vos esprits, laissez-nous geler notre présence chez vous et la vôtre chez nous. Quand vous vous rendrez compte que tout cela va à l'encontre des intérêts de la sécurité européenne, à l'encontre du dialogue normal que vous prônez, faites-le nous savoir afin que nous puissions rétablir la coopération tant en termes d'effectifs à Moscou et à Bruxelles que de mécanismes qui existaient au sein du Conseil Otan-Russie et sur les questions afghanes, sur la lutte contre le terrorisme. Tout cela a été balayé d'un revers de la main quand l'Otan a décidé de soutenir le coup d'État et ceux qui ont tenté de prendre le contrôle du parlement de Crimée par la force quand celui-ci s'est rebellé (au sens politique) contre le coup d'État et a décidé d'organiser un référendum. Voilà à quoi tout se résume. De nombreux politologues affirment que l'une des raisons de cette histoire est que les membres de l'Otan eux-mêmes voulaient (principalement les Américains) prendre la Crimée et la transformer en "porte-avions insubmersible".
Mais je salue le fait que Luigi di Maio soit réellement intéressé par la reprise du travail du Conseil Otan-Russie. Nous en avons discuté. Je sais que l'Italie est justement favorable à ce que ce travail soit relancé dans son intégralité, et non pas sous la forme étriquée qui subsiste depuis que l'Otan a pris des mesures pour ralentir ce mécanisme autrefois important.
Espérons.